Résilience du réseau face aux black-out
Plateforme de visualisation et de simulation pour les crises énergétiques
Afin de prolonger l’approvisionnement en électricité des infrastructures critiques en cas de black-out, un projet de la HES-SO mise sur la production locale d’énergie et le V2G, ainsi que sur le regroupement de microréseaux en mini-réseaux. Une plateforme SIG, enrichie par l’IA, a été développée pour optimiser cette approche.
Le réseau électrique suisse est reconnu pour sa performance et sa robustesse, et bénéficie d’une intégration étroite avec le réseau européen. Cette interconnexion permet des échanges d’électricité essentiels, notamment pour compenser les variations saisonnières de production et de consommation. Cependant, malgré cette infrastructure solide, le risque d’une panne d’électricité généralisée, ou «black-out», ne peut être totalement écarté. Les causes potentielles sont multiples: incidents techniques, conditions météorologiques extrêmes, cyberattaques, ou encore déséquilibres entre l’offre et la demande au sein du réseau européen. Une telle situation entraînerait des conséquences majeures sur l’économie et la société suisses, soulignant l’importance de mesures préventives et de plans d’urgence adaptés. Pour renforcer la résilience face à ces menaces, il est essentiel de développer des solutions innovantes capables de maintenir l’approvisionnement en électricité, même en cas de perturbations majeures.
Initié par l’Office fédéral de la protection des personnes (OFPP) en partenariat avec les hautes écoles HE-Arc et HES-SO Valais-Wallis, ainsi qu’avec le support de Viteos SA pour la fourniture des informations relatives à son réseau, le projet présenté dans cet article démarre avec la ville de Neuchâtel et vise à améliorer la résilience du réseau électrique en cas de black-out. Cette problématique s’inscrit dans un contexte où les scénarios de black-out se multiplient à l’échelle mondiale (tableau 1), une situation aggravée par le changement climatique, qui accentue les phénomènes météorologiques extrêmes et fragilise nos infrastructures énergétiques.
Augmenter la résilience du réseau
La question de l’approvisionnement électrique revêt deux aspects distincts qu’il convient de clarifier: les pénuries et les pannes. Une pénurie d’électricité survient lorsque les capacités de production sont insuffisantes pour répondre à la demande, un risque particulièrement aigu en période hivernale où la consommation atteint son pic. Les autorités suisses considèrent ce scénario comme majeur, compte tenu de ses répercussions économiques et sociales potentielles sur les secteurs dépendants d’une alimentation électrique continue [1]. Les pénuries ont l’avantage d’être prévisibles.
En revanche, une panne du système électrique (black-out) résulte non pas d’un manque de production, mais d’une défaillance dans le transport de l’énergie jusqu’aux consommateurs. Ce type d’incident peut être déclenché par une série d’événements – catastrophes naturelles ou surcharges – conduisant à des défaillances en cascade dans les infrastructures du réseau [2]. C’est sur cette problématique spécifique que le projet «Nutzung von zivilen Schutzanlagen als autarke Energieversorgungsanlagen in Ballungsgebieten» (utilisation de constructions protégées de la protection civile en tant qu’installations d’approvisionnement en énergie autonomes dans les agglomérations) concentre ses efforts pour la ville de Neuchâtel, en premier lieu, et prévoit une réplication à d’autres villes par la suite.
Pour faire face à ces défis, l’approche suivie s’articule autour de plusieurs axes complémentaires: le découplage du réseau principal, l’utilisation du réseau local, et l’exploitation de la production locale ainsi que de l’énergie stockée dans les batteries des véhicules électriques (Vehicle-to-Grid, V2G) pour stabiliser le réseau. Ces solutions permettent d’améliorer la résilience énergétique tout en optimisant l’utilisation des ressources disponibles.
Solutions pour optimiser la résilience du réseau avec le V2G
Dans le cadre de ce projet, l’utilisation d’une centaine de véhicules électriques compatibles V2G en attente chez un concessionnaire automobile est envisagée comme l’une des solutions prometteuses pour accroître la résilience du réseau électrique. L’objectif est d’utiliser le réseau électrique existant afin d’éviter la construction d’éléments supplémentaires.
Lors d’une situation de black-out, les grands consommateurs tels que les hôpitaux et les infrastructures essentielles fonctionnent en autosuffisance grâce à l’utilisation de batteries ou de générateurs de secours (figure 1, étape 0). Toutefois, cette solution est limitée dans le temps et les expériences internationales ont démontré ses faiblesses [3].

Afin de diminuer l’impact d’un black-out, deux étapes cruciales ont été identifiées au cours de ce projet (figure 2). Dans un premier temps, des microréseaux autonomes capables de fournir de l’énergie aux infrastructures essentielles ont été identifiés (étape 1). Ces microréseaux exploitent des ressources locales telles que l’énergie solaire, la biomasse et le stockage d’énergie afin d’étendre l’autonomie et d’optimiser l’efficacité énergétique. L’étape 2 repose, quant à elle, sur la communication entre microréseaux. Lorsque plusieurs microréseaux sont connectés, le partage des ressources énergétiques devient possible, renforçant ainsi la résilience collective tout en optimisant l’exploitation des unités de stockage et de production disponibles. Dans ce contexte, le V2G joue un rôle crucial en permettant aux véhicules électriques d’agir comme des dispositifs de stockage d’énergie décentralisés, capables de délivrer ou d’absorber de l’énergie selon les algorithmes de prédiction de production et de consommation locale [4].

Cette approche systémique nécessite toutefois des outils de visualisation et de simulation adaptés pour optimiser son déploiement et son efficacité. C’est dans cette optique qu’une plateforme de visualisation géographique a été développée, permettant une gestion des différents composants du réseau.
Plateforme de visualisation et simulation SIG
La plateforme SIG (système d’information géographique) réalisée dans le cadre de ce projet permet de visualiser les informations du réseau sur une carte interactive à l’aide de données géoréférencées. Cette plateforme, qui continue d’être développée avec le projet ERA-Net OpenGIS4ET [5], offrira également la possibilité de simuler les interruptions de service sur des lignes afin d’analyser leurs répercussions potentielles sur l’ensemble du réseau.
Pour faciliter cette analyse, la plateforme intègre une carte interactive affichant les transformateurs et lignes géoréférencées, permettant de visualiser différentes couches d’information sur une zone précise. Ces dernières incluent notamment le potentiel photovoltaïque des toits en été, en hiver et sur l’ensemble de l’année, ainsi que les données de consommation et de production des sites concernés [6].
Cet outil est prévu pour être réplicable dans toutes les villes de Suisse, voire à l’étranger. Il génère une simulation interactive détaillée, priorisant la remise en service d’infrastructures critiques telles que l’hôpital de la ville, les centres de secours ou encore la station d’épuration (STEP), en reconnectant les microréseaux en mini-réseaux.
Collecte, utilisation et protection des données
Grâce à la collaboration avec la HE-Arc basée à Neuchâtel, il a été possible de collecter les données de consommation et de production de certains sites clés au travers d’un système d’information géographique développé spécifiquement dans cet objectif (figures 3 et 4). Des systèmes d’importation automatisés ont ensuite été développés pour permettre la mise à jour du SIG lors de la collecte de nouvelles données.

Cette plateforme permet en outre de visualiser et d’interagir avec les lignes à moyenne et basse tension. Les utilisateurs pourront simuler des coupures de courant à grande échelle ou la défaillance d’une ligne, et observer les conséquences sur le réseau de la ville.
Pour faciliter l’interaction avec ces données, la plateforme permet également le partage d’informations entre utilisateurs, tout en garantissant la conformité aux normes de protection des données, notamment en respectant le RGPD (règlement général sur la protection des données). Une fois la plateforme SIG déployée, il devient en effet essentiel d’assurer la sécurité des données et des échanges afin de prévenir toute vulnérabilité. C’est dans cette optique que l’approche DevSecOps joue un rôle clé, en garantissant une protection renforcée des processus de simulation et de gestion des crises énergétiques.
Le modèle DevSecOps
Le DevSecOps est un modèle qui englobe le développement (Dev), la sécurité (Sec) et l’exploitation (Ops). Il représente une approche intégrée du développement logiciel qui inclut les concepts de sécurité et de qualité dans le cycle de développement automatisé et continu d’applications logicielles.
Certains outils mis en place lors du développement de la plateforme SIG permettent de réduire les menaces tout en assurant la conformité aux bonnes pratiques en matière de cybersécurité répertoriées dans la liste des vulnérabilités OWASP Top 10. Par ailleurs, l’utilisation d’outils de surveillance et d’observation en temps réel tels que Grafana devra être mise en place dans la phase de test et de validation qui a lieu jusqu’en août 2025.
Si l’automatisation et la sécurité – intégrées via les outils DevSecOps – font partie des bonnes pratiques en matière de développement logiciel, la gestion des crises énergétiques exige également une communication accrue face aux besoins des utilisateurs. C’est pourquoi un agent basé sur un modèle linguistique avancé (LLM) a été mise en place, offrant une interaction dynamique et précise avec les données et études scientifiques.
Le pilotage d’un smart grid avec un LLM
Afin de permettre le dialogue avec les utilisateurs, un agent basé sur un grand modèle linguistique (Large Language Model, LLM) a complété la plateforme SIG. Cet agent permet aux utilisateurs de poser des questions et d’obtenir des réponses précises et pertinentes. Ce système de communication (chatbot) a été établi grâce aux travaux et expérimentations menés par la HES-SO Valais-Wallis et l’EPFL Valais, qui ont démarré lors du travail de bachelor en informatique de gestion réalisé par Abdullah Binjos [7].
Le système développé intègre plusieurs fonctionnalités clés visant à améliorer l’accessibilité, la véracité et la sécurité des données. Il permet aux utilisateurs de formuler des demandes textuelles, ce qui rend la compréhension des données plus accessible aux utilisateurs. De plus, il offre un accès à des connaissances d’expert en sélectionnant des publications scientifiques, propose des tests de scénarios et fournit un support décisionnel pour renforcer la résilience des systèmes électriques. Enfin, les données étant hébergées localement, leur protection est assurée tout en garantissant le respect des réglementations en vigueur, notamment le RGPD.
Après cette phrase exploratoire, des recherches plus poussées ont été menées sur les données de la STEP de Neuchâtel, qui représente une infrastructure critique. Afin de mesurer les compétences de l’agent, des données énergétiques locales – notamment la production et le stockage d’énergie renouvelable – ont été utilisées. Les résultats mettent en évidence la capacité du système à concevoir des demandes personnalisées pour l’analyse des microréseaux, permettant ainsi une compréhension approfondie pour les utilisateurs finaux.
En apportant plusieurs facilitations pour les décideurs finaux, cette composante de la demande de l’OFPP constitue un élément essentiel du projet. Le système optimise la gestion des ressources énergétiques locales, permettant ainsi de réduire les coûts tout en améliorant la durabilité. Grâce à des données continuellement mises à jour, il offre une meilleure planification et une gestion plus efficace des risques de pannes sur les infrastructures critiques. De plus, en intégrant des sources d’énergie renouvelable et des unités de stockage, il renforce l’autonomie du microréseau, lui permettant de fonctionner de manière indépendante en cas d’urgence.
L’intégration d’un modèle linguistique avancé à la plateforme SIG constitue une avancée majeure, offrant aux utilisateurs un accès instantané à des réponses précises pour la gestion des crises énergétiques. Cette capacité à anticiper et à réagir efficacement aux incidents s’inscrit dans une stratégie globale visant à renforcer la résilience des infrastructures électriques, un objectif central des solutions développées dans ce projet.
Vers une résilience énergétique intelligente et intégrée
La transformation des réseaux électriques traditionnels en systèmes intelligents et résilients représente un défi majeur pour nos sociétés modernes. Le projet présenté dans cet article propose une approche novatrice pour faire face aux situations de black-out dans la ville de Neuchâtel. L’intégration des microréseaux, des prédictions basées sur du V2G et d’une plateforme SIG interactive, enrichie par l’intelligence artificielle et sécurisée par les pratiques DevSecOps, offre une solution complète et évolutive [8].
Cette approche multidimensionnelle ne se contente pas de répondre aux défis actuels de la résilience énergétique, elle anticipe également les enjeux futurs liés au changement climatique et à la digitalisation croissante de nos infrastructures. La capacité du système à s’adapter, à apprendre et à évoluer, notamment grâce à l’intégration d’un agent LLM, ouvre la voie à une gestion plus intelligente et plus réactive des crises énergétiques.
Au-delà du cas spécifique de Neuchâtel, ce projet pose les jalons d’un modèle réplicable à l’échelle nationale et internationale, démontrant qu’une approche systémique et technologiquement avancée de la résilience énergétique est non seulement possible, mais essentielle pour l’avenir de nos infrastructures critiques.
Références
[1] «Énergie: une plus grande marge de manœuvre pour l’économie en cas de pénurie d’électricité», Communiqué du Conseil fédéral, 29.03.2023.
[2] B. Schäfer, D. Witthaut, M. Timme, V. Latora, «Dynamically induced cascading failures in power grids», Nature Communications 9, article 1975, 2018.
[3] J. Hervás-Zaragoza, A. Colmenar-Santos, E. Rosales-Asensio, L. Colmenar-Fernández, «Microgrids as a mechanism for improving energy resilience during grid outages: A post COVID-19 case study for hospitals», Renewable Energy 199, p. 308-319, 2022.
[4] N. Chianella, D. Genoud, J.-M. Alder, O. Arbellay, J. Treboux, J. Vianin, D. Wannier, «Geolocalized photovoltaic energy prediction methodology using machine learning», 27th International Conference on Electricity Distribution (CIRED 2023), Rome, Italy, p. 1997-2001, 2023.
[5] Projet «OpenGIS4ET − Open Geographic Information System for Energy Transition», Office fédéral de l’énergie.
[6] G. Gustin, «Développement d’une interface user friendly pour le pilotage de simulation de réseau électrique intelligent», mémoire de bachelor, Haute école de gestion, HES-SO Valais, 2023.
[7] A. Binjos, «Integration of artificial intelligence for the exploration of energy transition solutions», mémoire de bachelor, Haute école de gestion, HES-SO Valais, 2023.
[8] J.-M. Alder, D. Wannier, «Applied DevSecOps for Machine Learning Prediction Systems», Swiss Conference on Data Science (SDS2022), Lucerne, 23 juin 2022.
Note
Les auteurs tiennent à remercier Dr Roland Bollin (OFPP), Cédric Vuilleumier (OFROU) et Francesco Termine (HE-Arc), ainsi que Viteos et la STEP de Neuchâtel pour leurs contributions à la réalisation de ce projet.
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