Interview Énergies renouvelables

Soutenir et encourager les vertus de l’hydraulique

Interview avec Benjamin Roduit, président de Swiss Small Hydro

31.01.2022

À l’heure de vérité concernant la sécurité de l’approvisionnement en électricité de la Suisse, les attentes face à l’énergie hydraulique sont grandes. Entre déception et optimisme, suite à la table ronde consacrée à l’énergie l’hydraulique, le conseiller national valaisan Benjamin Roduit en appelle à une vaste alliance pour enfin permettre un approvisionnement durable.

Bulletin : L’énergie hydraulique vous tient particulièrement à cœur...

Benjamin Roduit : En tant qu’élu valaisan, issu d’un canton alpin producteur, je suis en effet un grand défenseur de l’énergie hydraulique. C’est d’ailleurs de manière tout à fait logique que j’ai accepté de reprendre, dès le début de mon mandat parlementaire à Berne, la présidence de Swiss Small Hydro. Pour rappel, nous comptons plus de 400 membres qui produisent, avec 1400 micro-centrales, près de 6,5 % de la consommation électrique en Suisse, soit pour l’instant plus que le photovoltaïque.

À vos yeux, quelles sont les vertus de l’énergie hydraulique ?

Surnommée à juste titre l’or bleu, l’hydraulique est essentiel pour l’approvisionnement en électricité dans notre pays. Il s’agit à ce jour de la seule énergie propre, renouvelable et indigène qu’il est possible de stocker en hiver, au moment où la consommation est la plus forte. L’objectif de la Confédération visant une production hivernale d’accumulation supplémentaire de 2  TWh d’ici 2040 démontre non seulement l’importance de l’énergie hydraulique, mais aussi son potentiel.

Il convient également de reconnaître la multifonctionnalité des installations hydrauliques, en particulier des barrages. Ces derniers garantissent à grande échelle la disponibilité d’eau pour les ménages, l’agriculture et l’économie. Ils contribuent, par leurs infrastructures, au développement du tourisme et surtout permettent de protéger la population et ses constructions contre les dangers naturels liés à l’eau.

Vous avez d’ailleurs déposé une intervention parlementaire à ce sujet…

Effectivement, j’ai interpellé le Conseil fédéral lors de la session d’hiver 2021 pour qu’il reconnaisse le rôle protecteur des barrages contre les crues. Avec le changement climatique, il faut s’attendre à une augmentation de la fréquence des événements extrêmes, en particulier dans les petits et moyens bassins versants et en matière de ruissellement. Vous savez, j’ai vécu les inondations en 2000. En tant que président de la commune de Saillon, j’ai dû ordonner l’évacuation en une nuit d’une grande partie de la population installée dans la plaine du Rhône à la suite d’une rupture de digue. Je n’ose imaginer les conséquences encore plus désastreuses, après plusieurs jours de pluies diluviennes, si les barrages n’avaient pas joué leur rôle de retenue. Il faut aussi se demander pourquoi, en juin 2021, les cantons alpins ont été épargnés par les inondations alors que plusieurs autres régions de la Suisse ont été dévastées.

Où se place l’enjeu du rehaussement des barrages ?

À l’évidence, le rehaussement des barrages, mais aussi l’utilisation des lacs glaciaires libérés en raison du réchauffement du climat, contribuent de manière conjointe à la sécurité de l’approvisionnement et à une protection efficace contre les catastrophes naturelles. La table ronde consacrée à l’énergie hydraulique, à laquelle j’ai personnellement participé, a d’ailleurs retenu 13 (sur 15) projets prometteurs de rehaussement de barrages.

Or le plus souvent dans les procédures d’autorisation, la priorité a été donnée à des intérêts environnementaux (biodiversité, paysage, patrimoine) au détriment des fonctions vitales que représentent les barrages pour la population. Il est dès lors demandé au Conseil fédéral d’envisager des procédures favorisant une vraie pesée des intérêts.

Votre sentiment à la fin des travaux de la table ronde sur l’hydraulique ?

Celui d’un verre à moitié plein. Lorsque la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga nous a invités à cette table ronde, dans le prolongement notamment d’une de mes interventions au Conseil national, j’en attendais beaucoup plus. Il y a certes une déclaration commune avec cet objectif des 2  TWh de stockage hivernal et l’établissement d’une liste de 15 grands projets reconnus comme prometteurs sur le plan énergétique avec peu d’impact sur la biodiversité et le paysage, mais ces rencontres entre les principaux acteurs du domaine de l’hydroélectricité et les associations environnementales auraient pu ou dû aboutir à des accords plus ambitieux.

Pourquoi cette table ronde était-elle si importante ?

Parce que du point de vue de la politique énergétique, la situation évolue très rapidement. En quelques mois, l’accord-cadre avec l’UE a été dénoncé, la loi sur le CO2 a été refusée et le Covid a entraîné une forte augmentation des prix avec le spectre d’une pénurie d’énergie ! Il faut également composer avec la sortie du nucléaire, à moins d’imiter la France… La transition énergétique passera aussi par une augmentation de la consommation d’électricité d’ici 2050. Pour espérer atteindre les objectifs de neutralité carbone, il était donc temps de réunir tous les acteurs concernés afin qu’ils prennent conscience de cette nouvelle donne.

On parle d’une déclaration commune fragile, êtes-vous plus optimiste ?

La déclaration est fragile parce qu’on n’a pas voulu ou su aborder l’un des principaux obstacles aux projets, à savoir celui des interminables procédures juridiques et administratives. En fait, il n’y a pas de priorisation et je crains que l’on continue d’opposer à l’avenir les intérêts de protection à ceux de production. Comme responsable politique, je reste cependant optimiste quant à notre capacité à trouver des compromis.

Et maintenant, les prochaines étapes ?

Les débats concernant le « Mantelerlass » (ou acte modificateur unique) ont débuté dans la commission compétente du Conseil des États (Ceate) et il s’agira de proposer des dispositions visant à régler les conflits d’intérêt et de fixer un plafond d’importation. En parallèle, il faut simplifier les procédures pour les projets, tout en conscientisant la population sur les défis qui nous attendent et sur le fait que, dans le domaine des énergies renouvelables, chaque kWh compte.

2  TWh d’ici à 2040, est-ce vraiment réaliste ?

Nous n’avons pas le choix. Lorsque le Conseil fédéral craint une pénurie, pouvant aller jusqu’à 47 heures, la réalité nous a déjà rattrapés.

Seuls, nous ne réussirons pas. Il s’agit de créer une vaste alliance pour une sécurité durable de l’approvisionnement impliquant tous les acteurs, afin de susciter un large débat public sur nos priorités. Cette interview est d’ailleurs l’occasion de relever dans cette optique le rôle majeur et rassembleur de l’AES.

Auteure
Valérie Bourdin

est rédactrice AES.

  • AES,
    1003 Lausanne

En quelques mots

Né en 1962, Benjamin Roduit est conseiller national valaisan du Centre depuis 2018. Le sport, l’alpinisme et la nature sont des piliers importants pour son équilibre de vie. Licencié en lettres, il a été enseignant de français et d’histoire, ainsi que recteur du lycée-collège des Creusets à Sion. Le thème de l’énergie hydraulique lui tient à cœur – il est d’ailleurs président de Swiss Small Hydro, association suisse pour la petite hydraulique.

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