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Réduction délibérée de la durée de vie?

Obsolescence programmée

27.03.2020

Du portable aux chasses d’eau automatiques, l’électronique est de plus en plus complexe. Et qui n’a pas entendu parler de ces appareils qui rendent l’âme sitôt leur garantie échue? Selon Peter Jacob, chercheur à l’Empa, la durée de vie limitée de certains produits n’est pas tant liée à de perfides stratégies d’obsolescence programmée qu’à l’énorme pression exercée sur les prix.

Dans les années 50, lorsque l’on achetait une radio, il fallait débourser une jolie somme. Les appareils étaient en revanche assez faciles à réparer. Aujourd’hui, lorsqu’un récepteur radio ne fonctionne plus, on l’élimine et on le remplace dans la plupart des cas. La raison est simple: les radios des années 50 étaient fabriquées à partir de composants largement disponibles sur le marché et de quelques tubes standard faciles à remplacer. Celles d’aujourd’hui comprennent une électronique basée sur des micropuces intégrant des milliers de transistors, généralement fabriquées pour une application spécifique. Si quelques années après l’achat, la radio ne fonctionne plus, il arrive souvent que les pièces de rechange n’existent tout simplement plus.

En ce qui concerne les portables, il n’est pas nécessaire de remonter à loin pour constater à quel point le simple remplacement de l’accu est devenu plus compliqué: alors qu’il y a peu encore, on pouvait changer l’accu à la main, il est aujourd’hui impossible d’ouvrir le téléphone, à moins d’être un pro ou de le confier à une boutique de réparation. Cela ne présente pas que des désavantages, précise Peter Jacob, qui dirige le Centre Électronique et Fiabilité de l’Empa: «Contrairement aux anciens types d’accus, les batteries lithium-ion utilisées aujourd’hui peuvent prendre feu et provoquer de graves brûlures en cas de manipulation inadéquate. Elles doivent en outre être recyclées dans les règles. Les boutiques de réparation garantissent le bon déroulement de ces deux opérations.»

Toute la chaîne de production se trouve sous pression

Cela explique pourquoi les appareils électroniques ne sont généralement plus réparés. Mais pourquoi leur durée de vie est-elle souvent si courte? «Là non plus, n’imaginons pas trop de sombres desseins», poursuit Peter Jacob. Le problème relève plutôt de la concurrence à l’échelle globale et de l’énorme pression qu’elle exerce sur les prix. Les longues chaînes de livraison sont également mises en cause. Dans la production de masse, surtout, les directives relatives aux coûts internes sont souvent très strictes. Les composants sont poussés à leurs limites. «Aujourd’hui, un condensateur est souvent soumis à sa charge maximale, même si l’ingénieur aurait préféré pouvoir compter sur une marge de sécurité.» L’électronique bas de gamme – comme les jouets clignotant de toute part – n’est pas seule en cause, l’électronique professionnelle est également touchée, par exemple dans le secteur automobile.

La pression exercée sur les prix est énorme et se répercute sur l’ensemble de la chaîne de livraison. Cette dernière est souvent longue et complexe; une simple climatisation de voiture implique fréquemment plus de cent fournisseurs. Identifier la cause d’une défaillance n’est, de ce fait, pas simple. Ajoutons que les enjeux financiers sont importants. Lorsque l’on a affaire à des articles produits en grandes séries, un petit fournisseur peut être menacé de disparition s’il est démontré qu’une erreur lui est imputable. En tant qu’instance neutre, le Centre Électronique et Fiabilité de l’Empa étudie ce genre de cas avec minutie.

L’erreur fatale se cache dans les détails

Il arrive à l’équipe dirigée par Peter Jacob de tomber sur des erreurs de conception évidentes: dans une installation sanitaire, les circuits alimentés avec une tension de 5 V se trouvaient bien trop près de ceux raccordés au 230 V. L’humidité ambiante de la salle de bain a fait le reste, avec de dangereux courts-circuits pour résultat.

Les défaillances peuvent aussi résulter d’interactions plus complexes. Peter Jacob relate le cas d’un constructeur automobile dont l’un des modèles devait déjà subir une première réparation au bout de seulement 10’000 km. Il s’agissait chaque fois du même problème, une certaine partie de l’unité de commande du moteur qui lâchait. Étonnamment, cela n’arrivait que dans les pays sans limitation de vitesse et une fois l’unité de commande réparée, ce défaut n’apparaissait plus jamais. Un examen approfondi a montré que l’unité était installée entre des tuyaux de caoutchouc dépourvus de mise à la terre. Les chercheurs de l’Empa ont mesuré la charge du boîtier métallique de l’unité à l’aide d’une sonde de tension électrostatique sans contact. Et là, surprise! À une vitesse inférieure à 150 km/h, aucune défaillance ne se produisait. Mais lorsque la voiture franchissait ce cap, apparaissaient alors des tensions bien supérieures à ce que la sonde de Peter Jacob pouvait mesurer. Le flux d’air extrêmement élevé et ses turbulences engendraient une charge électrostatique qui, en l’absence de mise à la masse, ne pouvait pas être évacuée. L’unité de commande se trouvait alors exposée à une forte tension qui la détruisait en peu de temps. Mais pourquoi le problème ne survenait-il qu’au cours des premiers 10'000 km? Les chercheurs ont également clarifié cette énigme: une fois cette distance parcourue, suffisamment de saletés et de poussière s’étaient accumulées sur les tuyaux de caoutchouc, leur fournissant une conductivité suffisante pour contrebalancer l’absence de mise à la masse.

Dans les deux cas – les installations sanitaires et les voitures –, les défaillances survenaient toujours au même endroit, auparavant totalement inattendu.

Mythe ou sombre calcul?

L’obsolescence programmée ne serait-elle donc qu’un mythe? Les durées de vie de plus en plus courtes des produits ne tiendraient-elles qu’à la soif de nouveautés technologiques des consommateurs, laquelle exacerbe la concurrence entre fabricants et fournisseurs, entraînant ainsi une sous-enchère des prix dont la fiabilité des composants est victime? Ce n’est pas aussi simple. Il existe effectivement des cas bien documentés d’entreprises appliquant une stratégie d’obsolescence programmée pour contraindre leurs clients à acheter de nouveaux appareils.

L’honneur douteux d’être le premier cas documenté d’obsolescence programmée revient aux ampoules électriques. Les ampoules à incandescence dotées d’un filament de tungstène pouvaient être produites de manière à durer si longtemps qu’elles ne devaient être remplacées que trop rarement, menaçant ainsi les profits des grands fabricants. Les membres du cartel Phoebus fondé à Genève, auquel appartenaient ces fabricants, s’entendirent dans les années 1920 pour réduire la durée de vie de leurs produits de 2500 à 1000 h. Les filaments furent un peu raccourcis, ce qui à tension égale augmenta l’efficacité lumineuse, mais réduisit la durée de vie des filaments. Les fabricants dont les produits duraient plus longtemps étaient sanctionnés. Opération réussie: les ventes d’ampoules électriques crurent massivement jusqu’à ce que la Deuxième Guerre mondiale bloque toute coordination entre les producteurs issus de pays désormais ennemis, entraînant le démantèlement du cartel.

Aujourd’hui, l’obsolescence programmée passe souvent par le biais de logiciels. Ainsi, certaines cartouches d’encre sont équipées de puces qui bloquent l’impression dès que le niveau d’encre est inférieur à un seuil donné. La cartouche doit obligatoirement être remplacée, alors qu’elle contient encore suffisamment d’encre pour poursuivre le travail.

Certains fabricants de smartphones se sont aussi laissé tenter. En 2018, Apple et Samsung ont été condamnés à des millions de dollars d’amende, car leurs mises à jour des systèmes d’exploitation ont tellement ralenti les anciens modèles, que leurs utilisateurs se sont sentis contraints de les remplacer.

Que cela soit planifié ou non, on observe de plus en plus souvent que des logiciels raccourcissent la durée de vie des produits techniques plutôt que de la prolonger: le mécanisme des mises à jour des softwares soumet constamment le hardware à de nouvelles exigences. Ce facteur pèse probablement plus lourdement sur la perte de valeur des équipements que l’obsolescence programmée.

Et lorsque l’Internet des objets sera devenu une réalité, l’obsolescence liée à l’utilisation de softwares risque de devenir encore bien plus courante. Il est en effet possible que dès lors tous les objets de notre vie quotidienne dépendent de la mise à jour de leur software. Un phénomène que l’Empa a malheureusement subi avec une série de caméras pour microscope qui, alors qu’elles fonctionnaient parfaitement, ont dû être remplacées après une mise à jour de Windows. L’Internet des objets risque de nous mettre bientôt dans une situation où il sera nécessaire, par exemple, de remplacer un réfrigérateur parfaitement apte à refroidir les aliments, mais dont l’électronique n’est plus compatible avec la dernière mise à jour du logiciel.

Auteure
Karin Weinmann

est Head of Content chez Electrosuisse.

  • Electrosuisse
    8320 Fehraltorf

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