Vers l’industrialisation des cellules tunnel-IBC
Une prochaine génération technologique à contact arrière
Les cellules solaires à hétérojonction, dorénavant en production, ouvrent la voie à la prochaine génération technologique, qui combine l’architecture à contact arrière et un cœur à hétérojonction. Le projet Sirius, mené par l’entreprise Meyer Burger en collaboration avec le CSEM, travaille à la pré-industrialisation de cette nouvelle technologie.
Ces 15 dernières années, le solaire photovoltaïque (PV) a drastiquement réduit ses coûts de fabrication tout en augmentant considérablement ses performances. L’ancienne technologie Al-BSF (Aluminium Back Surface Field) a été supplantée par la technologie PERC (Passivated Emitter Rear Contact), qui est elle-même dorénavant challengée par les nouvelles technologies photovoltaïques TOPCon (Tunnel Oxide Passivated Contact) et HJT (hétérojonction).
Chaque nouvelle technologie photovoltaïque s’attaque à deux problématiques principales: la réduction des pertes de passivation ainsi que des pertes ohmiques de la cellule. La technologie HJT possède de nombreux avantages dans ces deux domaines et offre de belles performances avec des efficacités de cellules supérieures à 24% en production.
La technologie HJT
Construites autour d’un wafer de silicium monocristallin de type n, de fines couches de quelques nanomètres de silicium amorphe intrinsèques et dopées sont successivement déposées sur les faces avant et arrière du wafer afin de réaliser la jonction p-n de la cellule solaire HJT. Les performances ainsi obtenues en matière de passivation de surface, qui traduisent le taux de recombinaison des porteurs électriques et qui donneront par la suite la tension en circuit ouvert (Voc) de la cellule, sont supérieures à celles de toutes les technologies existantes: une cellule HJT atteint facilement des Voc de 740 à 745 mV alors que la technologie PERC – qui représente la majeure partie du marché actuel – plafonne autour de 690 à 695 mV. Cette élévation de la tension en circuit ouvert s’accompagne de meilleurs coefficients de température en puissance (-0,26%/K), permettant aux modules HJT de produire plus d’électricité lorsque la température augmente.
La chasse aux pertes
Malgré ces performances élevées, la technologie HJT est limitée en courant, car les différentes couches situées en face avant de la cellule – comprenant du silicium amorphe intrinsèque et dopé ainsi qu’une couche anti-reflet réalisée par dépôt d’un oxide transparent conducteur – absorbent la lumière avant que celle-ci ne pénètre dans le wafer de silicium cristallin. À ce niveau, la technologie PERC offre une densité de courant plus élevée que la technologie HJT, car les couches situées en face avant absorbent moins de lumière – sans toutefois prendre l’avantage en ce qui concerne l’efficacité finale (environ 22,5 à 23% pour la technologie PERC, >24% pour la technologie HJT).
Autre perte commune aux deux technologies citées précédemment: les électrodes en face avant réalisées par sérigraphie de pâte d’argent. Celles-ci bloquent les rayons lumineux (ombrage de 3 à 5% environ), ce qui limite aussi le potentiel de conversion photovoltaïque. Afin d’éviter cette perte par ombrage, une architecture alternative existe. Commercialisées historiquement par Sunpower, les cellules IBC (Interdigitated Back Contact) transfèrent les électrodes positives et négatives en face arrière, libérant la face avant de toute contrainte ainsi que de tout compromis entre transparence optique et conduction électrique. Ce type de cellule permet à l’heure actuelle d’obtenir des modules parmi les plus efficaces du marché, sans toutefois atteindre les niveaux de passivation obtenus avec la technologie HJT. L’intégration des deux concepts, HJT et IBC, prend donc tout son sens, et a constitué la base de la réflexion pour l’amélioration de la technologie HJT actuelle.
La technologie tunnel-IBC
La technologie tunnel-IBC a été développée au sein des groupes de recherche du CSEM et de Meyer Burger Research afin de «débloquer» le potentiel en courant de la technologie HJT. L’objectif de cette technologie, désormais brevetée, consiste à minimaliser les pertes de la face avant, tout en maintenant un procédé de fabrication simple pour la réalisation des électrodes en face arrière.
Le schéma de ce nouveau type de cellule, présenté dans la figure 1, détaille son architecture. La face avant a été simplifiée et rendue plus performante grâce à l’utilisation de couches plus transparentes, tout en conservant les bonnes caractéristiques du silicium amorphe pour passiver la surface du wafer de silicium. La couche anti-reflet, comme pour les cellules PERC, est réalisée à base de nitrure de silicium, mais de manière spécialement adaptée au procédé basse température de l’hétérojonction. L’ensemble de ces couches permet d’atteindre le but recherché, soit transparence et excellent niveau de passivation sur la face avant. Les densités de courant obtenues peuvent ainsi être supérieures à 41 mA/cm2 et les Voc excéder 745 mV.
La figure 2 compare les efficacités quantiques externes (EQE) des cellules HJT et tunnel-IBC pour la gamme de longueur d’onde usuelle des photons incidents (de 300 à 1200 nm). Pour rappel, l’efficacité quantique externe correspond au rapport entre le nombre de charges électroniques collectées et le nombre de photons atteignant la cellule. Le gain de la technologie tunnel-IBC par rapport à la technologie HJT dans la partie UV-bleu-vert (de 300 à 500 nm) est clairement visible. La réflexion arrière est aussi optimisée, ce qui contribue à une meilleure génération de porteurs dans la partie infrarouge (à partir d’environ 700 nm) du spectre solaire. Ces caractéristiques permettent à la technologie tunnel-IBC d’être plus performante sur l’ensemble du spectre.
Les contraintes géométriques sur la face arrière de la cellule sont réduites grâce aux niveaux élevés de passivation limitant la recombinaison spontanée des électrons et des trous: les porteurs électriques minoritaires (c’est-à-dire les trous dans un wafer de type n) vont ainsi posséder une grande durée de vie (quelques millisecondes) et, de ce fait, pouvoir voyager suffisamment longtemps pour atteindre le contact de type p associé. Cette caractéristique physique est mise à contribution pour la réalisation de la face arrière avec une alternance spatialement optimisée des jonctions p-n constituant la structure IBC. L’innovation consiste ici à réaliser les diodes p-n en utilisant le concept de la jonction tunnel [1,2], qui ne nécessite qu’une seule étape de structuration, clé d’une industrialisation à large échelle et faible coût. Les performances obtenues en matière de rendement photovoltaïque dépassent déjà les 25%, et le potentiel industriel de cette technologie avoisine les 26%.
Deuxième aspect primordial: chaque nouvelle technologie solaire développée doit réduire drastiquement son utilisation de pâte de sérigraphie d’argent afin de limiter les coûts de production, le minerai d’argent étant considéré comme une ressource critique. Les électrodes de la technologie tunnel-IBC ont été ainsi retravaillées pour être compatibles avec l’interconnexion SWCT (Smart Wire Connection Technology). Celle-ci permet des économies de métallisation pour l’ensemble cellule et module, tout en garantissant une fiabilité élevée de contactage lors de la lamination. Dans ce domaine, la métrique couramment utilisée pour comparer les technologies photovoltaïques existantes en s’affranchissant des différents formats de wafers présents sur le marché est le milligramme d’argent par watt.
Le projet Sirius
Le projet Sirius, d’une durée de trois ans, consiste à préparer l’industrialisation de la technologie tunnel-IBC en développant les premiers prototypes de machines industrielles nécessaires à la fabrication non seulement des cellules, mais aussi des modules. Il rassemble les trois entités de Meyer Burger (Research, Switzerland, Pasan) ainsi que le CSEM.
Un ensemble de six nouvelles machines a été nécessaire dans le cadre du projet afin de réaliser la fabrication des cellules et des modules en utilisant les tailles de wafer industrielles M6 (166x166 mm2), et par la suite M10 (200x200 mm2). La première phase du projet comprend le développement et l’installation des machines, leur démarrage et la production de panneaux solaires tunnel-IBC au format 120 demi-cellules M6. Nouveauté spécifique: le développement de la métrologie automatique associée (figure 3). Celle-ci permet de mesurer en profondeur les cellules fabriquées et leurs pertes associées (courbe I-V, photoluminescence, électroluminescence).
L’étude des coûts de production a permis d’optimiser le design des électrodes des cellules afin d’atteindre une consommation d’argent de 3,7 mg/W – nettement inférieure à celle des technologies existantes et concurrentes (PERC, TOPCon, HJT utilisant des busbars, voir tableau 1) –, et de réaliser ainsi des économies substantielles en production.
Autre thématique abordée dans le projet: le développement de modules tunnel-IBC à très longue durée de vie (>30 ans) grâce à un choix strict des matériaux utilisés pour l’encapsulation des cellules. La figure 4 présente le résultat des mesures de dégradation réalisées au CSEM au cours de presque une année de test (environ 8000 h) en chambre climatique sous conditions d’humidité et de température élevées (85%/85°C): ces mesures n’ont pas révélé de dégradation relative importante (au maximum 1%) du module tunnel-IBC, la norme IEC étant définie à 5% de dégradation après 1000 h. De très bonnes performances ont aussi été obtenues lors des tests PTC (Power Thermo Cycling), au cours desquels les modules sont exposés à des cycles de température de -40°C à +85°C avec injection de puissance. La norme exige une dégradation en dessous de 5% au-delà de 200 cycles: le module tunnel-IBC a résisté jusqu’à 1500 cycles sans présenter de dégradation.
Prochaines étapes
Le projet Sirius se termine en mai 2024. Les résultats encourageants de cette nouvelle technologie – notamment en termes de performance, de fiabilité et de coûts – ont permis d’initier la suite du développement technologique à plus large échelle: financé par le programme de recherche Horizon Europe, le projet Pilatus [3] regroupe en effet de nombreux acteurs européens représentant l’ensemble de la chaîne de valeur du photovoltaïque. Ce nouveau projet a pour ambition de réaliser trois lignes pilotes à haute capacité en Europe (wafers, cellules et modules jusqu’à 170 MW par ligne) en utilisant la technologie tunnel-IBC présentée dans cet article. Ce projet clé permettra de valider la production de cellules et de modules en conditions réelles avant la mise sur le marché de cette technologie à l’horizon 2026.
Références
[1] A. Tomasi et al., «Back-Contacted Silicon Heterojunction Solar Cells With Efficiency >21%», IEEE Journal of Photovoltaics, Vol. 4, no 4, p. 1046–1054, 2014.
[2] B. Paviet-Salomon et al., «Interdigitated back contact silicon heterojunction solar cells featuring an interband tunnel junction enabling simplified processing», Solar Energy, Vol. 175, p. 60–67, 2018.
[3] pilatus-project.eu
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier l’Office fédéral de l’énergie pour le soutien financier du projet pilote et de démonstration Sirius.
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