Article Stockage d’énergie , Énergies renouvelables

Un stockage local et compétitif de l’énergie

Le pompage-turbinage à petite échelle recèle de nombreux avantages

31.01.2018

Grâce à sa capacité de stockage, une station de transfert d’énergie par pompage-turbinage à petite échelle est à même de contribuer à l’intégration des énergies renouvelables intermittentes et de procurer à un prix compétitif les services système que ne fournissent pas ces nouveaux moyens de production.

Jusqu’à présent, la composition du mix énergétique (grande hydro­électricité, énergies fossiles, nucléaire, etc.) et les grands aménagements de pompage-turbinage permettaient une bonne flexibilité de la production électrique ajustable en tout temps à la consommation. Les incertitudes provenaient essentiellement des défaillances des unités de production ou des lignes de transport à haute et très haute tension.

Depuis plus d’une décennie, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (et plus particulièrement de CO2) ont conduit à un développement massif de la production d’électricité issue des «nouvelles» énergies renouvelables (NER). Leur production étant peu prévisible, intermittente, non stockable et décentralisée, leur intégration dans le réseau électrique implique des changements majeurs de fonctionnement.

Un stockage décentralisé et compétitif

Moyen traditionnel et efficient, le ­pompage-turbinage de grande puissance représente à ce jour 99% de la capacité de stockage d’énergie connectée au réseau électrique dans le monde, avec une puissance de plus de 100 GW et près de 400 ouvrages installés. [1-3] Cette technologie permet de transférer des quantités massives d’énergie des périodes de surproduction aux périodes de surconsommation. Au niveau national et international, le pompage-­turbinage à grande échelle est utilisé aujourd’hui comme stabilisateur en cas de besoins ou d’offres supplémentaires et permet ainsi d’aider à maintenir l’équilibre des systèmes électriques. [4]

Au niveau régional et local, un stockage d’énergie décentralisé par ­pompage-turbinage de petite puissance peut devenir un outil de gestion et de flexibilité des réseaux électriques. Une première étude d’une installation d’une «Station de transfert d’énergie par pompage-turbinage à petite échelle (Steppe)» et de son intégration au réseau de distribution électrique moyenne tension avait été faite sur la commune d’Arbaz. [5] Un second projet, présenté dans cet article, a permis d’étudier la possibilité d’utiliser le pompage-turbinage à petite échelle comme service système du réseau moyenne tension et de montrer que son potentiel économique, comparé à celui des autres solutions de stockage, était compétitif.

Un intérêt manifeste

Pour déterminer l’intérêt des principaux acteurs de la distribution d’énergie, des interviews ont été menées auprès de gestionnaires de réseau de transport (GRT), de gestionnaires de réseau de distribution (GRD), de responsables de groupe bilan (RGB) ainsi que de responsables de groupe bilan pour les énergies renouvelables. Dans le cadre de ces interviews, plusieurs thèmes ont été abordés, tels que l’influence des NER sur les réseaux électriques, les interfaces entre les différents niveaux de gestion et de distribution, le pool de réglage, les prestations de services système (PSS), l’énergie d’ajustement, etc.

L’intérêt de ces acteurs pour un système de stockage d’énergie par ­pompage-turbinage à petite échelle a été relevé notamment pour différents services, tels que le réglage local de la tension ou de la fréquence, l’ajustement de l’énergie au niveau du groupe bilan, l’effacement partiel de pointes de puissance ou encore l’offre de stockage pour les producteurs d’électricité d’origine photovoltaïque pour maximiser leur autoconsommation.

L’intérêt porte principalement sur des systèmes de stockage d’une puissance comprise entre 1 et 10 MW, utilisant au minimum un réservoir existant, idéalement deux, dans le but de minimiser les coûts d’investissement. L’idée est de privilégier un multiusage de réservoirs initialement prévus pour la distribution d’eau potable, l’irrigation, l’enneigement artificiel ou la plaisance, pour autant que, dans ce dernier cas, les variations de niveau soient acceptables. Le temps de fonctionnement d’une ­Steppe varie, selon l’utilisation, de l’ordre de 2 heures pour l’effacement d’une pointe de puissance à 6 heures pour fournir de l’énergie d’ajustement.

Dans un contexte réglementaire en pleine évolution, l’absence actuelle d’un modèle économique adapté pour la rémunération d’un système de stockage à petite échelle n’a pas empêché les interlocuteurs d’évoquer les différentes pistes possibles, telles que le réglage secondaire ou encore l’économie sur l’énergie d’ajustement, le but étant de disposer de solutions de stockage très flexibles pour pouvoir agir rapidement sur les réseaux de distribution d’énergie. [6]

De nombreux sites potentiels

La sélection d’un site potentiel pour une Steppe dépend essentiellement de la dénivellation entre les réservoirs ainsi que du débit exploitable, mais aussi de différents critères, tels que la capacité de stockage disponible, l’accessibilité et les structures existantes. Une méthodologie a été élaborée pour évaluer et sélectionner un site potentiellement exploitable par une Steppe.

Après un recensement des différents réservoirs connus (lacs naturels ou artificiels, réservoirs d’eau potable, irrigation, enneigement artificiel, etc.), différents critères topographiques, envi­ronnementaux, techniques ou encore socio-économiques permettent de déterminer si un réservoir est exploitable. Si un réservoir ne répond pas positivement à tous les critères, le site est abandonné.

Lorsqu’un réservoir est exploitable, il est nécessaire de pouvoir le relier à un second réservoir. Si ce dernier est existant et qu’une liaison par conduite forcée est réalisable, l’énergie potentielle de stockage entre les deux réservoirs doit atteindre 3000 kWh au minimum, soit un fonctionnement d’une Steppe de 1 MW sur une durée de 3 heures. Si cette disposition n’est pas respectée, le couple de réservoirs n’est pas retenu. Lorsqu’il n’y a pas la possibilité de relier le réservoir exploitable à un second réservoir existant, l’implantation de ce dernier doit être trouvée. S’il n’y a aucune possibilité d’implantation d’un second réservoir, le site est abandonné.

Lorsqu’un site est retenu, une étude plus détaillée peut être menée en vue d’identifier le tracé de la conduite, de dimensionner les différents éléments de la Steppe et d’estimer les coûts d’investissement.

Cette méthodologie a été appliquée pour l’évaluation du potentiel technique dans les cantons de Vaud et du Valais, dans les limites de puissance de 1 à 10 MW, pour un raccordement au réseau de distribution moyenne et basse tension (MT/BT). Cette méthode a permis d’identifier 33 réservoirs (figure 1), sur 186 recensés, formant 21 sites potentiellement exploitables. Ces sites sont composés de réservoirs pour l’enneigement artificiel, de réservoirs d’irrigation, de réserves d’eau potable ainsi que de 7 grands lacs offrant la possibilité d’être reliés à plusieurs systèmes de stockage par ­pompage-turbinage.

Des études plus détaillées

Sur la base de ces résultats, une étude détaillée de l’implantation d’une ­Steppe sur 10 sites des cantons du Valais (cas no 1 à 5) et de Vaud (cas no 6 à 10) a été effectuée, soit sur:

  • 3 sites avec deux bassins et un turbinage existants (cas no 1, 3 et 4). Au contraire des cas no 1 et 4 qui s’implanteraient sur un réseau d’irrigation, le cas no 3 se placerait sur un réseau d’eau potable et, ainsi, ne permettrait pas d’utiliser la conduite forcée du turbinage pour le pompage afin de garantir l’approvisionnement en eau des consommateurs en aval. Dans ce cas, une nouvelle conduite pour le pompage sera projetée.
  • 1 site avec deux bassins d’irrigation existants et un faible dénivelé (cas no 2);
  • 1 site avec un bassin et un pompage existant, utilisé pour l’enneigement artificiel, pouvant être réutilisé (cas no 5);
  • et 5 sites avec un grand bassin existant (cas no 6 à 10).

 

L’énergie potentielle de stockage est définie par le volume utilisable des réservoirs ainsi que par la différence d’altitude entre ces derniers. La puissance de pompage-turbinage installée, pour les sites avec deux bassins existants, est limitée par la capacité de stockage non modulable des réservoirs ainsi que par un temps de fonctionnement de 3 à 6 heures nécessaire pour permettre une flexibilité intéressante pour les GRD. Pour les sites utilisant une infrastructure de turbinage ou de pompage existante, la puissance de la machine hydraulique venant compléter le système est différente de celle de la machine déjà installée afin de respecter les gammes de puissance et de temps de fonctionnement soulignés par les GRD.

Dans les cas de construction d’un second réservoir, le volume utile et la hauteur de chute ont été définis de manière à obtenir un système de stockage d’énergie d’une puissance de 5 MW avec un temps de fonctionnement de 6 heures.

La figure 2 présente les principales caractéristiques des 10 sites étudiés.

Dans l’attente d’une évolution de la réglementation et des principes de rémunération des services système pour les installations de faibles puissances, l’indicateur économique utilisé pour analyser les 10 sites repose sur le coût d’investissement. Ce dernier a été déterminé à l’aide de modèles économiques basés sur une estimation préliminaire des principales caractéristiques des sites et des équipements. [5, 7-9] Le coût d’investissement est calculé pour chaque partie d’une Steppe, comme l’installation du chantier, le réservoir, la prise d’eau, la chambre de mise en charge, la conduite forcée, la vanne de maintenance, la vanne de garde, l’électromécanique, le contrôle-commande et la connexion au réseau de distribution.

La figure 3 présente les coûts spécifiques d’investissement des différents cas étudiés. Les coûts spécifiques des cas no 1 et no 4 sont nettement inférieurs aux autres cas du fait de l’existence de la partie turbinage avec sa conduite forcée pouvant être réutilisée dans le cadre d’un système de Steppe.

Une multitude d’avantages

L’intérêt de chaque site potentiel est évalué en comparant son coût spécifique avec celui d’autres solutions de stockage d’énergie (figure 4).

En termes de puissance et de capacité de stockage, une Steppe se positionne entre les grands moyens de stockage d’énergie, tels que le pompage-­turbinage à grande échelle et l’air comprimé (Compressed air energy storage, CAES) et les plus petits moyens de stockage, tels que les batteries (figure 5). De plus, l’intégration environnementale d’une Steppe est plus facile que celle d’une installation de pompage-­turbinage à grande échelle de par l’utilisation, en général, de réservoirs existants et/ou de moindre taille.

Au regard des autres technologies de stockage d’énergie, une Steppe présente de nombreux avantages: elle dispose d’une durée de vie supérieure, elle utilise des technologies matures, elle a un rendement de cycle (charge et décharge) comparable à celui des batteries, soit d’environ 70%, et, facteur non négligeable, elle s’inscrit dans un contexte de développement durable. De par son intégration au niveau du réseau de distribution, il est par ailleurs probablement plus facile de certifier l’origine renouvelable du courant, stocké et produit dans un aménagement de pompage-turbinage de petite puissance.

Le stockage aussi devrait être encouragé

Lors de cette étude, plusieurs sites potentiels des cantons de Vaud et du Valais ont été identifiés et étudiés. Ils pourraient faire l’objet d’une réalisation, sous forme de démonstrateur, de cette nouvelle solution de stockage décentralisée.

Afin de développer ce potentiel de stockage, il est nécessaire de créer ou d’adapter des mécanismes de rémunération. Par exemple, l’encouragement des énergies renouvelables ne devrait pas seulement se concentrer sur la quantité d’électricité produite ainsi que sur la flexibilité de la production, demandées dans le cadre de la commercialisation directe, mais devrait également soutenir la possibilité de stocker l’énergie, par exemple par petit pompage-turbinage en connectant des réservoirs disponibles ou en modifiant des centrales existantes.

Références

[1] Enea Consulting, «Le stockage d’énergie: Enjeux, solutions techniques et opportunité de valorisation», 2012. www.enea-consulting.com//wp-content/uploads/2015/05/ENEA-Consulting-Le-Stockage-dEnergie1.pdf
[2] F. Avellan, «Évolution des groupes de pompage-­turbinage: situation actuelle, technologie et nouveaux projets», Bulletin SEV/VSE 2/2012, 2012.
[3] N. Rouge, G. Micoulet, A. Jaccard, «FMHL+: de l’idée à la mise en service», Bulletin SEV/VSE 11/2016, 2016. www.bulletin.ch/fr/news-detail/fmhl-de-lidee-a-la-mise-en-service.html
[4] Association des entreprises électriques suisses (AES), «Rôle des centrales de pompage-turbinage dans
l’approvisionnement en électricité», Aarau, 2015. www.strom.ch/fileadmin/user_upload/Dokumente_Bilder_neu/010_Downloads/Basiswissen-Dokumente/27_Centrales_de_pompage_turbinage_fr.pdf
[5] S. Gabathuler, D. Pavanello, C. Münch, «Le pompage-­turbinage à petite échelle pour le stockage local d’énergie», Bulletin SEV/VSE 2/2015, 2015.
[6] N. Crettenand, M. Finger, H. B. Püttgen, «Stockage d’énergie et petite hydraulique: des propositions concrètes pour faire évoluer la promotion des énergies renouvelables», Bulletin SEV/VSE 11/2012, 2012.
[7] Electrobrás,«Diretrizes para estudos e projetos de Pequenas Centrais Hydrelétricas», chap. 7, Brésil, 2000.
[8] Veileder 2 – NVE, «Cost base for small-scale hydropower plants (<10000 kW)», p.234-241, Norway, 2012.
[9] B. Leyland, «Small hydroelectric engineering practice», pp. 216-220, New Zealand, 2014.
[10] W. A. Braff, J. M. Mueller, J. E. Trancik, «Value of storage technologies for wind and solar energy», Nature Climate Change 3045, June 2016. www.nature.com/articles/nclimate3045
[11] SBC Energy Institute Analysis, Epri (2010), «Electricity energy storage technology options», Bradbury, Energy Storage Technology Review, 2010.

Ce projet a été financé par le fond SIG-NER et le SCCER Furies.

 

Auteur
Vincent Denis

est directeur de Mhylab.

  • Mhylab
    1354 Montcherand
Auteure
Shadya Martignoni

est assistante scientifique dans le groupe Hydroélectricité de la HES-SO Valais/Wallis

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion
Auteure
Prof. Dr Cécile Münch

est professeure en énergie hydraulique à la HES-SO Valais et coordonne l’Hydro Alps Lab.

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion
Auteur
Dr Laurent Smati

est chef de projet chez Mhylab.

  • Mhylab
    1354 Montcherand

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