Tuiles solaires: quand le PV se fait discret
Transition énergétique et conservation du patrimoine architectural
Les installations photovoltaïques ont un rôle essentiel à jouer dans la transition énergétique. Dans le cadre du projet Freestile, Freesuns et le CSEM ont uni leurs efforts pour développer une nouvelle génération de tuiles solaires efficaces et fiables, permettant de couvrir intégralement les toits, et même ceux de bâtiments protégés.
L’énergie solaire constitue l’un des piliers les plus importants de la transition énergétique mondiale. Son déploiement massif pouvant être rapidement mis en œuvre et à bas coûts, le photovoltaïque (PV) peut en effet contribuer efficacement à la lutte contre le réchauffement climatique, à une meilleure protection de notre environnement, ainsi qu’à la souveraineté et à la sécurité de l’approvisionnement énergétique à long terme.
Dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050 de la Confédération, et dans le contexte d’une Suisse densément peuplée, l’intégration du photovoltaïque au bâti représente donc une voie à suivre privilégiée, permettant en outre d’assurer la proximité de la production et de la consommation d’énergie. Les chiffres le prouvent: une étude de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) publiée en 2019 a démontré que les toits et les façades des bâtiments suisses pourraient permettre une production d’électricité solaire respectivement de plus de 50 TWh/a et de plus de 17 TWh/a [1], pour un total supérieur à la consommation électrique annuelle du pays (57 TWh en 2023 [2]).
Des toits entièrement solaires, quelle que soit leur complexité
Les panneaux photovoltaïques sont généralement disponibles sous la forme de rectangles noirs d’environ 1 m par 1,7 m, pouvant être apposés sur la structure de toit d’un bâtiment ou intégrés directement comme élément structurel du toit (pratique référée en tant que Building Integrated Photovoltaics, ou BIPV). Plusieurs défis demeurent cependant pour l’intégration au bâtiment: les dimensions unitaires sont parfois incompatibles avec des bâtiments de formes complexes, incluant courbures et arêtes, ne permettant ainsi pas une couverture complète et uniforme de la surface, qui maximiserait pourtant la production et l’esthétique.
La dimension, la forme ainsi que la couleur des panneaux solaires sont particulièrement critiques en cas de volonté de conservation de l’intégrité architecturale d’un bâtiment. Ici encore, les chiffres montrent le potentiel: sur un total de 1,8 million de bâtiments en Suisse, plus de 270'000 monuments sont classés comme bâtiments d’intérêt particulier en vue de leur préservation (15% du patrimoine bâti en Suisse, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS) en 2018 [3]), avec 75'000 bâtiments déjà classés monuments historiques et protégés par la loi (plus de 4% des bâtiments [3]). Afin de répondre aux exigences de cette conservation architecturale, ou à la volonté privée d’une qualité d’intégration photovoltaïque accrue, différentes solutions innovantes permettent désormais de produire des modules solaires aux formes, dimensions et couleurs variées [4], qu’il s’agisse de tuiles avec fonction photovoltaïque ou de façades solaires blanches pour les immeubles.
C’est justement dans l’objectif d’apporter une fonction photovoltaïque aux tuiles d’un bâtiment que la société Freesuns a réalisé ses premiers toits générateurs d’électricité dès 2015. Afin de couvrir ce nouveau champ d’application, de nombreuses possibilités d’innovation ont été partagées entre cette entreprise et le CSEM. Le projet «Freestile» – un projet d’innovation soutenu par Innosuisse de 2022 à 2024 – a notamment été mené dans l’objectif d’aboutir à une grande liberté d’intégration, permettant ainsi la réalisation de toits solaires complexes (figure de titre et figure 1) grâce à des produits optimisés alliant efficacité, fiabilité et compatibilité d’intégration avec les techniques de couverture de toit.

Le projet Freestile
Grâce à la mise en œuvre des bons matériaux, compatibles avec les évolutions du marché de la cellule solaire, le projet Freestile a tout d’abord permis d’améliorer les performances des tuiles solaires tout en conservant une haute fiabilité. Ces dernières années, des changements de technologie des cellules dans la production de masse ont en effet eu lieu (technologies Al-BSF, puis PERC), et les prochains sont en cours (technologies TOPCon, HJT, ou encore «back contact»), afin d’améliorer l’efficacité de conversion de la lumière en électricité. En outre, le format des cellules a également été modifié pour augmenter la puissance des modules et abaisser les coûts par W installé. Ainsi, après des années de production de cellules de taille M2 (156,75 mm x 156,75 mm), des cellules solaires de plus en plus grandes, ainsi qu’avec des formats différents, sont apparues sur le marché, impliquant des changements de technique d’interconnexion des cellules. Les cellules solaires M6 (166 mm x 166 mm) sont entre temps déjà en train de disparaître progressivement en faveur des cellules de taille M10 (182 mm x 182 mm) et G12 (210 mm x 210 mm).
La nouvelle génération de tuiles solaires développée dans le cadre du projet (figure 2) est basée sur sept demi-cellules solaires M10. Grâce à ce projet, la densité de puissance installée d’un toit équipé de tuiles solaires d’aspect classique de Freesuns est ainsi passée de 150 W/m2 à 172 W/m2, ce qui correspond à un gain de performance de 14,6%, et ce, avec une augmentation limitée du coût de fabrication par tuile. Ces nouvelles tuiles étant légèrement plus hautes, cette évolution a permis d’arriver à une réduction d’environ 15% du coût du m2 de tuiles solaires.

Une batterie de tests pour assurer la fiabilité
Lors de tout changement de design, de type de cellule, d’interconnexion ou de technologie d’un module photovoltaïque, un travail poussé et itératif d’optimisation des matériaux et procédés de fabrication est nécessaire pour garantir une longue fiabilité des modules ainsi qu’une perte minimale d’efficacité. Raison pour laquelle le CSEM dispose, à Neuchâtel, d’un laboratoire avancé de tests de fiabilité et de caractérisation de modules photovoltaïques permettant d’effectuer les tests nécessaires pour les normes IEC 61215 et 61730, mais aussi des tests plus soutenus, combinés et séquentiels (figure 3). Ces tests permettent d’accélérer les mécanismes de dégradation, et ainsi de détecter en laboratoire des phénomènes de pertes de performance qui pourraient être observés dans l’installation après des dizaines d’années.

Dans le cadre du projet Freestile, le CSEM a effectué pour chaque tuile analysée des tests de chaleur humide (85°C, avec 85% d’humidité) pendant des milliers d’heures, des centaines de cyclages thermiques (de -40°C à +85°C, voire 105°C) ainsi que des tests sous irradiations UV intenses et prolongées (des centaines de kWh/m2). Ensuite, des tests des diodes de dérivation (bypass) ont été réalisés dans des conditions de haute température/haut courant afin d’analyser la sensibilité des tuiles aux phénomènes de points chauds (hot spots) survenant en cas d’ombrage partiel de l’installation.
De plus, des tests mécaniques avancés ont été effectués, et notamment des essais de charge mécanique statique (test MQT16 de la norme IEC 61215), avec des pistons utilisés pour charger uniformément la tuile solaire et un capteur permettant de mesurer le déplacement: une charge d’essai vers le bas (pression) de 8000 Pa (limite de l’équipement) a été appliquée et maintenue pendant 1 h puis retirée, et ce cycle a été répété trois fois de manière consécutive. Finalement, des tests d’impacts de grêle poussés (test MQT17 de la norme IEC 61215) seront effectués d’ici la fin du projet, en utilisant des billes de glace d’un diamètre de 55 mm (80,2 g) tirées sur la tuile testée avec une vitesse de 33,9 m/s.
Les puissances des tuiles solaires ont été mesurées avant et après tous les tests d’accélération de dégradation, démontrant, après les optimisations, une parfaite conservation des performances des tuiles mises sous stress. Des tests d’électroluminescence ont également permis de confirmer l’absence de dégâts internes qui pourraient mener par la suite à une dégradation de performance, validant ainsi la haute fiabilité des tuiles développées.
Enfin, autant la tuile solaire que le système de montage mis au point pour cette dernière ont démontré une très grande résistance aux charges statiques (couche de neige, par exemple) grâce à l’empilement des tuiles. Les matériaux, procédés de fabrication et design développés au cours de ce projet permettent aux nouvelles générations de tuiles solaires de faire preuve d’une très grande fiabilité et de disposer d’une longue durée de vie avec une perte minimale de performance.
Du côté des optimiseurs de puissance
Au niveau système, les tuiles solaires de Freesuns offrent également plusieurs avantages du fait de l’utilisation d’optimiseurs de puissance (convertisseurs DC-DC) pour un maximum de 20 tuiles en série. En cas d’ombrage, ces derniers ajustent tension et courant de sortie de façon à maintenir une puissance maximale sans compromettre les performances des autres tuiles solaires. Ils améliorent ainsi la production d’énergie en optimisant chaque groupe de tuiles et en minimisant l’impact de l’ombrage. Étant donné que ces dispositifs permettent à chaque groupe de tuiles de fonctionner individuellement, ils offrent aussi une plus grande flexibilité de conception, ce qui permet d’installer des tuiles solaires même là où il ne serait pas possible ou pratique de le faire.
L’optimiseur de puissance utilisé dispose d’une fonction intégrée qui réduit automatiquement la tension DC à des niveaux sûrs au toucher, conformément à certaines des normes de sécurité les plus élevées au monde, et notamment aux nouvelles normes IEC. En l’absence d’optimiseur de puissance, le potentiel de tension existant entre les cellules solaires et les surfaces de toit mises à la terre pourrait atteindre la tension maximale d’entrée de l’onduleur, de l’ordre de 1000 V. Cette contrainte de haute tension pourrait conduire à des mécanismes de dégradation des tuiles solaires en silicium cristallin, favorisés par une température et une humidité élevées (Potential Induced Degradation, PID). Avec les optimiseurs de puissance, le potentiel de tension de chaîne maximal est limité à sa tension d’entrée maximale, soit environ 10 fois moins, ce qui réduit le risque de PID grâce au design.
Qu’en est-il de l’impact environnemental?
Les solutions développées dans le projet Freestile permettent d’utiliser au maximum la surface d’un toit pour la génération d’électricité photovoltaïque: elles sont en effet parfaitement adaptées à différentes formes et courbures de toits, même irrégulières, ainsi qu’aux toits avec différents ombrages. Par rapport à des modules traditionnels, une plus grande utilisation de câbles ou de verre est toutefois encore nécessaire.
Le CSEM, grâce à son simulateur d’analyse de cycle de vie développé particulièrement pour le photovoltaïque, a pu analyser l’impact environnemental des diverses solutions de Freesuns et le comparer à celui d’un toit standard fait de tuiles en terre cuite et recouvert de panneaux traditionnels, avec des dimensions de panneaux standard. Ici aussi, les chiffres mettent en évidence de belles avancées: les développements réalisés au cours du projet permettent d’abaisser l’empreinte carbone par W installé de la nouvelle génération de tuiles solaires de près de 17% par rapport à l’ancienne génération. Ainsi, celles-ci présentent dorénavant un meilleur bilan carbone qu’une installation de panneaux traditionnels apposés sur un toit constitué de tuiles en terre cuite.
Perspectives
Les résultats obtenus avec cette nouvelle génération de tuiles solaires, ainsi que les magnifiques installations réalisées par Freesuns – à Neuchâtel, par exemple, 33'000 tuiles solaires sont depuis peu intégrées aux toits de divers bâtiments appartenant à la Ville et au Canton [5] – ont permis à Freesuns et au CSEM de se positionner en tant qu’acteurs importants du BIPV. Ils ont ainsi pu mettre sur pied, en collaboration avec d’autres acteurs européens, le projet «Sphinx», subventionné par l’Union européenne et le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI).
Ce projet permet de tester un nouveau type d’assemblage de petites cellules solaires dans les tuiles. Des cellules rectangulaires (shingle) sont découpées en utilisant typiquement toute la longueur d’une cellule solaire standard et une largeur d’environ 26 mm. Ces petites «tuiles» de cellules solaires sont ensuite connectées aux autres en se chevauchant de manière décalée, formant ainsi une structure dense appelée «matrix shingle», présentant un aspect fractal de petites tuiles solaires dans chaque tuile (figure 4). Cette innovation, développée en Allemagne par l’Institut Frauenhofer pour les systèmes énergétiques solaires (Fraunhofer Institut für Solare Energiesysteme ISE) et la société M10 Solar Equipment, offre plusieurs avantages, et notamment une résilience accrue à l’ombrage ainsi qu’une augmentation de la surface active – les cellules sont plus petites –, ce qui se traduit par des rendements énergétiques supérieurs et une haute valeur esthétique. Ce projet permet ainsi d’étudier de nouvelles technologies prometteuses pour une production de futures générations de tuiles solaires en Europe.

Enfin, dans l’objectif de continuer à réduire les coûts de production, à diminuer l’impact environnemental et à faciliter autant le montage que la maintenance, Freesuns et le CSEM ont aussi effectué, au cours du projet Freestile, les premiers tests de principe pour un nouveau concept de tuiles amené à promouvoir une grande circularité des ressources grâce à de nombreuses innovations techniques. L’avenir paraît donc radieux pour les tuiles solaires et les futures innovations photovoltaïques en Suisse!
Références
[1] www.bfe.admin.ch/bfe/fr/home/actualites-et-medias/communiques-de-presse/mm-test.msg-id-74641.html
[2] www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-100748.html
[3] www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/culture-medias-societe-information-sport/culture/monuments/monuments-historiques.html
[4] A. Borja Block et al., «Colouring solutions for building integrated photovoltaic modules», Energy and Buildings, Vol. 314, 114253, 2024.
[5] «Canton de Neuchâtel: plus de 33'300 tuiles solaires innovantes pour lutter contre la dépendance énergétique», communiqué de presse, CSEM et Freesuns, juin 2024.
À propos d’Innosuisse
Innosuisse, l’Agence suisse pour l’encouragement de l’innovation, permet aux entreprises (entreprises industrielles, PME, start-up, institutions privées ou publiques) et aux chercheurs (hautes écoles et instituts de recherche) de collaborer pour développer des produits, des services ou des procédés innovants. Les entreprises obtiennent l’accès au savoir-faire scientifique, tandis que les chercheurs bénéficient d’une expertise commerciale et de la perspective client. Ensemble, ils peuvent développer et introduire une nouvelle innovation scientifique sur le marché, dans l’intérêt de l’économie et de la société suisse. Innosuisse soutient chaque année plus de 400 projets d’innovation, notamment dans les domaines de l’énergie, de l’environnement, de la mobilité et de la durabilité.
Plus d’informations: www.innosuisse.ch
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