Smart Homes
La prochaine disruption numérique
À l’avenir, les smart homes ne seront plus l’exception mais la règle. Les chercheurs et les représentants industriels s’accordent sur ce point. À l’origine de cette évolution: la numérisation, les besoins accrus en termes de confort et la transition démographique.
«Bienvenue au iHomeLab», dit James. Nous ne savons ni de quoi il a l’air, ni où il se trouve. Nous entendons uniquement sa voix – la voix du bâtiment qui s’élève devant nous. Le «iHomeLab» est une construction de forme organique avec une façade en lamelles métalliques argentées. Lorsque l’orientation de ces dernières change, c’est un peu comme si une main invisible donnait vie au bâtiment. «La façade s’adapte automatiquement à la position du soleil et au climat actuel», explique Dieter von Arx. «Un bâtiment qui se contrôle lui-même; pour nous, il s’agit de l’incarnation d’une maison intelligente.»
Dieter von Arx est directeur de recherche dans l’iHomeLab de la Haute école de Lucerne (HSLU). Avec 25 collaborateurs, il effectue des recherches sur les technologies destinées à la maison du futur et coopère avec plus de 200 partenaires de la recherche, de l’industrie et de la technique. L’iHomeLab du campus de la Haute école de Horw sert à la fois de laboratoire et de showroom. James, le majordome virtuel, ouvre la porte et nous invite à pénétrer dans le hall d’entrée.
Après un court film de présentation, la paroi s’ouvre devant nous. Derrière elle, apparaît une autre pièce, plongée dans une lumière colorée et remplie de lampes, d’écrans, de systèmes audio et de caméras vidéo. Dieter von Arx contrôle les appareils raccordés en réseau avec son smartphone par le biais d’une application spécialement conçue pour le Lab et avec des mouvements de bras enregistrés par les capteurs de mouvement installés dans la pièce. Cela requiert une grande capacité de calcul: cinq serveurs de la hauteur d’un homme encastrés dans la paroi arrière et deux tableaux électriques tout aussi volumineux constituent le système nerveux central du laboratoire.
Des millions de smart homes d’ici 2020
Depuis quelques années, les smart homes sont sur toutes les lèvres. En effet, la numérisation révolutionne de plus en plus nos foyers. Technique ménagère, appareils ménagers et électroniques de divertissement sont mis en réseau et les bâtiments deviennent ainsi «intelligents». L’institut Gottlieb Duttweiler écrit dans une étude effectuée sur ce thème: «L’industrie de construction et du bâtiment résidentiel se trouve aujourd’hui face à une disruption que les secteurs de la musique, du film et de l’édition ont déjà vécue.» Les signes s’accumulent: au cours des dernières années, des fournisseurs extérieurs à la branche tels que Samsung, Google et Apple ont intégré le marché de l’habitation. Entre autres, la reprise par Google de «Nest», un fournisseur de thermostats et de détecteurs de fumée intelligents, pour 3,2 milliards de dollars a fait forte impression. Une étude de l’Association fédérale des technologies de l’information, des télécommunications et des nouveaux médias (Bitkom) prévoit qu’en 2020, entre 1 et 1,5 million de foyers allemands utiliseront des applications smart home. Et selon l’association américaine «Consumer Technology Association», les ventes de technologies smart home aux États-Unis s’élèveront cette année à 29 millions de pièces (63% de plus que l’année précédente), avec des profits estimés à 3,5 milliards de dollars.
«Les investissements ne peuvent actuellement pas être amortis.»
Le smart home est considéré comme une mégatendance également chez les grandes entreprises d’automatisation. Ainsi ABB, Bosch et Cisco 2015 ont fondé ensemble la joint-venture «Mozaiq», une plate-forme logicielle ouverte pour les smart homes. «La numérisation et en particulier les thèmes smart home et smart living jouent un rôle déterminant au sein d’ABB», explique Bernhard Caviezel, membre de la direction de la division locale Produits d’électrification ABB Suisse. «Les aspects sécuritaires, les changements d’habitudes, la transition démographique et le tournant énergétique exigent une automatisation appropriée et la numérisation dans le domaine du bâtiment.» ABB considère l’automatisation intelligente des bâtiments également comme une contribution de l’entreprise au tournant énergétique. Selon une étude de l’Institut Fraunhofer de physique du bâtiment, une commande intelligente permettrait d’économiser de 17 à 40% de l’énergie dans un foyer privé. Dieter von Arx est un peu plus réservé sur ce point. Actuellement, le smart home est encore un jeu à somme nulle, dit-il. Cela signifie que les capteurs supplémentaires, les caméras et les interrupteurs consomment environ autant d’électricité qu’ils permettent d’en économiser. À cela s’ajoute l’effet rebond: en règle générale, plus une maison est efficace, plus la demande énergétique est élevée.
Une maison directement liée aux services d’urgence
Outre l’efficacité énergétique, la transition démographique est également un thème central à l’iHomeLab. «Les applications smart home s’établiront en premier lieu dans ce domaine», Dieter von Arx en est convaincu. «En effet, les pronostics démographiques sont univoques: à l’avenir, nous aurons trop peu de places dans les établissements de soin et à la fois de plus en plus de seniors vivant seuls. C’est pourquoi son équipe a conçu un exemple de cas pour un logement assisté par la technologie (Ambient Assisted Living) dans le cadre d’un projet de recherche européen: Dieter von Arx prend une poupée nommée Anna qui représente une personne âgée. Il marche avec elle dans la pièce et la laisse soudain tomber. Comme Anna porte un capteur de chute qui mesure la pression de l’air, l’accélération et la hauteur, James, le majordome virtuel, sait qu’Anna est couchée par terre. Les haut-parleurs émettent sa voix: «Anna, est-ce que tout va bien?» Comme elle ne répond pas, James envoie un SMS à sa famille. En même temps, cette dernière obtient l’accès à la webcam de la maison. Si sa famille ne réagit pas, James prévient les urgences en composant le 144 et leur accorde également les droits d’accès à la webcam. Le dossier médical numérique d’Anna s’affiche en même temps chez les employés des urgences. Si le service d’urgence doit finalement se déplacer, c’est également James qui ouvrira la porte aux secours.
«À l’avenir, des wearables permettront une surveillance en temps réel et à distance du pouls, de la tension et de la température corporelle», explique Dieter von Arx. Le bâtiment participera de plus en plus à notre surveillance médicale. En outre, il serait possible d’enregistrer des changements du schéma d’activité habituel des habitants grâce aux détecteurs de mouvement. Cela pourrait permettre une détection précoce des premiers signes de démence.
Des architectes et maîtres d’ouvrage hésitants
À l’exception de quelques objets prestigieux, les architectes et maîtres d’ouvrage se montrent encore sceptiques face aux technologies smart home, affirme Christian Moser, intégrateur système et fondateur de la société Hubware à Ittigen. La raison: les smart homes ne représentent pas encore un marché de masse. «Les investissements ne sont pas encore amortissables, ce qui s’avère dissuasif pour de nombreuses personnes», déclare-t-il. Certes, l’intelligence supplémentaire dans le foyer permettrait de réaliser des économies en termes de câblage, mais les frais pour les capteurs et les acteurs seraient encore plus élevés. Malgré tout, il est convaincu que d’ici cinq à dix ans seules des maisons intelligentes seront encore construites: «Les smart homes représentent également un art de vivre. Elles auront un jour le même succès que les smartphones: personne ne veut plus renoncer au confort d’un iPhone, même si un Nokia serait nettement moins cher.» Ses clients apprécient le plus toutes les choses auxquelles ils ne devraient plus penser. Christian Moser donne un exemple: un bouton «Arriver/partir» permet d’arrêter un bâtiment automatiquement en touchant simplement le smartphone. Les lumières s’éteignent, les fenêtres se ferment, la puissance du chauffage est réduite, les consommateurs d’électricité en veille sont coupés du réseau.
«Comme les smartphones, les smart homes représentent un art de vivre.»
L’informaticien a eu l’idée de fonder Hubware il y a trois ans. Avec son électricien de confiance, Christian Moser a testé différentes technologies smart home dans sa propre maison. «J’ai rapidement remarqué que le système parfait n’existe pas.» Il a ainsi intégré des composants de quatre fournisseurs différents tout en développant une logique pour leur intercommunication. Les expériences accumulées ont formé la base de son entreprise et de l’application primée «Sarah». Celle-ci permet de contrôler les lampes, les stores, les systèmes audio et photovoltaïques ainsi que les appareils électroménagers par smartphone grâce à un petit serveur central placé dans le tableau de répartition. Avantage du système: il n’est pas soumis à une norme précise. Il s’agit d’un point crucial, car jusqu’à présent, aucune norme smart home unique ne s’est imposée. «Et j’affirme que cela ne changera pas de sitôt», prévoit-il.
Sécurité des données grâce à la «Anti-Internet-of-Things-Strategy»
Malgré les avantages évidents de la mise en réseau intelligente de la technique du bâtiment, des appareils ménagers et de l’électronique de divertissement, la question de la protection des données reste inéluctable. Les smart homes récoltent en effet des gigabytes de précieuses données et une multitude d’informations sur les habitudes de leurs habitants. Ces données ouvrent des possibilités publicitaires entièrement nouvelles et c’est avant tout pour cette raison que Google, Apple et Amazon pénètrent le marché de l’habitation. Mais qui souhaite réellement que Google sache quand je bois mon café le matin ou quand je me couche le soir? De plus, comme des exemples le montrent aux États-Unis, les systèmes smart home peuvent être piratés. C’est pourquoi Hubware mène une stratégie «Anti-Internet-of-Things» relative à la protection des données, comme l’explique Christian Moser. «Nous apportons l’intelligence dans la maison sans la stocker dans le cloud.» C’est la raison pour laquelle le système «Sarah» fonctionne par le biais d’un serveur propre au logement. Avec un cloud interne à l’entreprise et un cryptage de données end-to-end avec certificats, Hubware veut garantir que ni des tiers, ni l’entreprise elle-même, n’ont accès aux informations relatives aux logements des clients. La protection des données est également un sujet important pour les chercheurs de l’iHomeLab. Dieter von Arx est convaincu qu’il est techniquement possible d’empêcher l’accès aux informations personnelles. Malgré tout, il approuve l’idée que le législateur réglemente la protection des données au sein des smart homes, au moins en partie.
La visite de l’iHomeLab laisse une impression ambivalente: nous sommes fascinés par les possibilités quasi infinies que donne la mise en réseau numérique mais également un peu sceptiques quant à la garantie de la protection des données et à l’acceptation de l’intelligence artificielle dans notre propre foyer. Mais même si les technologies feront de plus en plus partie de notre quotidien, tout ne sera pas nouveau: à notre grande surprise par exemple, l’iHomeLab est encore équipé d’interrupteurs pour l’éclairage: selon Dieter von Arx, «ils ne disparaîtront pas». «Ou bien avez-vous déjà essayé d’utiliser une application avec une caisse de bière dans les mains?»
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