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Perception consciente des champs électriques

Étude des seuils de perception

22.03.2023

Dans certaines régions, le tournant énergétique nécessite une extension du réseau de transport d’électricité. Or, celle-ci se heurte souvent à l’hostilité de la population. Ce manque d’acceptation est en partie à imputer aux champs électro­magnétiques générés par les lignes. Une étude a donc examiné comment de tels champs AC, DC et hybrides sont perçus.

Pour différentes raisons, la transition énergétique dépend en de nombreux endroits d’un renforcement du système de transfert d’énergie. Outre le transport en courant alternatif («alternating current», AC) usuel en Europe, le transport d’énergie au moyen de courant continu («direct current», DC) entre ici également en ligne de compte. Par rapport au transport conventionnel en courant alternatif, le transport de courant continu à haute tension (CCHT, ou HVDC en anglais) bénéficie de pertes d’énergie nettement moins élevées, ce qui permet de couvrir de plus grandes distances. C’est la raison pour laquelle la technologie HVDC est de plus en plus utilisée lors de la construction de nouvelles lignes de transport en Allemagne.

Lors du transport d’énergie, et ce quel qu’en soit le mode, un champ électrique est immanquablement généré dans l’environnement direct des lignes aériennes. Il peut s’agir d’un champ AC ou DC: cela dépend du mode de transport. De plus, il est prévu à l’avenir en Allemagne de faire parfois passer parallèlement des lignes AC et DC sur un même tracé de ligne aérienne, ce qui entraîne une combinaison des deux champs, appelée champ hybride. Étant donné que la séparation spatiale entre les lignes aériennes à haute tension et les zones d’habitation diminue en de nombreux endroits, la question de l’acceptation de la population liée à la perception consciente des champs électriques se pose.

Cette perception consciente des champs électriques a déjà été étudiée par différents chercheurs. À noter en particulier les études menées dans les années 1990 prenant en considération le corps entier, qui ont montré que les seuils de perception des champs électriques pour la tension continue se situaient en moyenne à 45,1 kV/m [1]. La présence supplémentaire d’ions, qui apparaissent en raison de décharges à la surface des lignes aériennes, a entraîné une augmentation de la perception. De même, la présence simultanée de champs DC et AC a mené à une baisse des seuils de perception par rapport à la présence d’un seul type de champ [2]. Les études menées jusqu’à présent ont en commun de grandes différences dans la perception individuelle [3-5]. Alors que certaines personnes sont capables de détecter de manière fiable de très faibles champs électriques, chez d’autres, les seuils de perception sont beaucoup plus élevés. La partie du corps où le champ est perçu et le type de sensation varient également beaucoup d’un individu à l’autre.

Pour l’instant, on ne connaît pas de cellules sensorielles spécifiques pour la perception des champs électriques chez l’homme. La pilosité corporelle pourrait jouer un rôle décisif. Par exemple, la capacité de perception sur un bras rasé était nettement moins bonne que sur un bras non rasé [6]. C’est pourquoi les caractéristiques individuelles des poils pourraient par exemple conduire à des perceptions plus ou moins intenses des champs électriques. Des études sont en cours en Allemagne, à Aix-la-Chapelle, pour déterminer l’effet exact des différentes caractéristiques des poils sur la capacité de perception individuelle.

Pour éviter des effets nocifs sur la santé, l’Allemagne a fixé une valeur limite de 5 kV/m pour les champs électriques AC à proximité des lignes aériennes à courant alternatif [7]. Bien que l’IEEE recommande une valeur limite de 10 kV/m pour les champs DC, il n’existe actuellement en Allemagne aucune valeur limite ni pour les champs DC ni pour les champs hybrides.

Où les études relatives à la perception sont-elles réalisées?

Pour étudier la perception de différents champs électriques, un laboratoire d’exposition a été construit sur le site de la clinique universitaire RWTH d’Aix-la-Chapelle [3]. La salle d’essais de 4 m × 4 m est complètement vide, à l’exception d’un siège fixe et réglable en hauteur placé en son centre (figure de titre). Il est possible d’y générer des champs DC jusqu’à 50 kV/m en combinaison avec une éventuelle densité de courant ionique d’au maximum 550 nA/m2, ainsi que des champs AC d’une valeur efficace pouvant atteindre jusqu’à 30 kV/m. Des champs hybrides – une combinaison de champs AC et DC – avec une intensité de champ combinée maximale de 50 kV/m peuvent également être générés. La salle dans laquelle se trouve la personne qui dirige les essais ainsi que celles de la climatisation et de la technique haute tension (figure 1) sont adjacentes à la salle d’essais. Grâce à une climatisation sophistiquée, il est possible de faire varier la température entre 19 et 25°C mais aussi, indépendamment de cela, l’humidité relative de l’air entre 30 et 70%. Dans ce dispositif expérimental spécialement conçu en double aveugle, la personne qui dirige les expériences et qui gère la communication ne reçoit aucune information sur les champs actuellement présents. Cela permet d’exclure toute influence sur les personnes sur lesquelles sont réalisés les essais. Parallèlement, la retransmission d’un signal de bruit par quatre haut-parleurs dans la salle d’essais permet de masquer d’éventuelles influences auditives, afin que les sujets ne puissent évaluer la présence ou l’absence d’un champ électrique que par le mécanisme direct de la perception.

Afin d’amortir les vibrations générées par la technique haute tension, le laboratoire a été construit sur une couche de sylomer, un élastomère à haut pouvoir amortissant. Un dispositif d’arrêt d’urgence permet en outre de mettre automatiquement l’installation en état de sécurité à tout moment, et ce, en moins de 180 ms. Pour garantir la sécurité des sujets, des cellules photo­électriques, des ceintures de contact et un bouton d’arrêt d’urgence sont intégrés au dispositif et déclenchent l’arrêt d’urgence lorsqu’ils sont activés. Pendant les essais, les sujets sont reliés à la terre du laboratoire par des bracelets en silicone afin d’éviter les effets de charge. Lorsque l’installation est en service, tous les composants techniques à haute tension sont en outre surveillés par un collaborateur formé à cet effet.

De la perception au seuil de perception

La tâche principale de chaque participant consiste à reconnaître si un champ électrique est présent ou non. Pour ce faire, un champ défini est généré. Une fois que le champ a atteint la valeur prévue, une question apparaît pour savoir si la personne perçoit un champ électrique. Une boîte permet de répondre à cette question par «oui» ou par «non». Pour que les personnes ne puissent pas se contenter de répondre par «oui», il leur faut non seulement reconnaître correctement un champ activé, mais aussi des expositions fictives. Ces expositions fictives consistent à simuler une exposition sans champ.

La méthode de la théorie de la détection des signaux [8] permet de déterminer la capacité individuelle de chaque participant à reconnaître une intensité de champ définie au préalable. Pour ce faire, les champs électriques correctement détectés et les expositions fictives reconnues à tort comme des champs électriques sont comptabilisés. Seules les personnes capables de classer correctement les deux cas sont en mesure de percevoir les champs électriques de manière fiable. Les valeurs de sensibilité ainsi déterminées pour chaque intensité de champ testée permettent de définir, à l’aide d’une fonction psychométrique, le point à partir duquel il est possible de considérer avec certitude que la perception est réussie. Ce point est défini comme le seuil de perception individuel.

Différentes méthodes de détermination de la valeur de seuil sont utilisées dans le cas des champs hybrides. D’une part, un seuil DC peut être évalué en présence ou en l’absence d’un champ AC constant. En comparaison directe, cela montre par exemple des différences par rapport à une pure exposition DC. Une autre possibilité consiste en une considération combinée de l’intensité des champs AC et DC. Ceci a pour avantage que les influences des différentes parties d’un type de champ sur la capacité de perception de l’intensité de champ totale sont immédiatement mises en évidence.

Fourmillements, démangeaisons, chair de poule

Mais comment les champs électriques sont-ils ressentis? Les personnes testées ont répondu à cette question en déclarant ressentir un agréable fourmillement ou une légère démangeaison. Mais des impressions de légères vibrations ou de chair de poule ont également été mentionnées. L’endroit auquel ils ont été ressentis dépendait du type de champ: les champs DC étaient un peu plus souvent perçus au niveau de la tête, les champs AC tendaient à être plus souvent perçus au niveau des bras, même s’il y avait ici des recoupements [3]. D’une manière générale, les impressions de perception des champs électriques sont très différentes et ont une forte connotation subjective.

La combinaison fait la différence

La capacité de perception des champs AC, DC et hybrides a été examinée dans une étude à grande échelle portant sur 203 sujets répartis de manière égale en termes d’âge et de sexe [4]. Les seuils obtenus de 14,16 kV/m pour le courant alternatif et de 18,69 kV/m pour le courant continu étaient en partie nettement inférieurs aux valeurs publiées précédemment. Il est intéressant de constater que les champs hybrides présentent un seuil de perception nettement moins élevé: lorsqu’un champ AC constant d’une intensité de 4 kV/m était ajouté, le seuil de perception pour le champ DC descendait à 6,76 kV/m. Cet effet de synergie a permis à environ 40% des sujets de détecter avec succès la combinaison hybride la plus basse étudiée, à savoir 2 kV/m DC et 4 kV/m AC.

Afin d’étudier plus en détail ce qui provoque cet effet de synergie entre les champs AC et DC sur la perception humaine, 51 sujets particulièrement sensibles ont été réinvités à participer [5]. Diverses intensités de champ AC de 1, 2, 3 et 4 kV/m ont été expérimentées, et ce, également simultanément à des intensités de champ DC de 1, 2, 4, 8 et 16 kV/m. Les seuils de perception des intensités de champ combinées ont baissé avec l’augmentation de la composante AC (figure 2). En d’autres termes, plus la composante AC d’un champ hybride est importante, plus tôt celui-ci est perçu. Ce rôle prépondérant de la composante AC dans le champ hybride est important pour la pratique, car de faibles modifications de l’intensité du champ AC dans les lignes hybrides ont un impact important sur la perceptibilité du champ global.

L’humidité de l’air est déterminante

Par ailleurs, il est très intéressant de déterminer dans quelle mesure les facteurs environnementaux exercent une influence sur la perception des champs électriques. En effet, les conditions climatiques extérieures diffèrent grandement tout au long de l’année, ce qui entraîne de fortes variations de température et d’humidité de l’air. Une variation de la température ambiante n’a pas eu d’effet sur la capacité de perception lors d’études sur l’exposition locale à un champ DC au niveau du bras. Toutefois, la capacité de perception a augmenté de manière significative en présence d’une humidité relative de 90% par rapport à 50% [6]. Ces conclusions tirées d’expositions locales à des champs ont pu être confirmées dans des études portant sur le corps entier. L’influence de l’humidité relative sur la capacité de perception a également été étudiée dans deux sous-groupes de 24 et 25 sujets ayant participé à une étude à grande échelle visant à déterminer les seuils de perception [4]. La comparaison entre un environnement humide (70% d’humidité relative) et sec (30% d’humidité relative) a montré que les champs AC étaient mieux détectés en cas de faible humidité de l’air, alors que les champs DC étaient davantage perçus lorsque l’air ambiant était plus humide.

Contribution à la transition énergétique

Dans l’ensemble, les résultats de ces études contribuent à la mise en œuvre de la transition énergétique en explorant et en révélant les frictions possibles entre l’homme et les lignes aériennes, en particulier en ce qui concerne la perception des champs électriques. En même temps, les informations obtenues servent à concevoir les lignes aériennes de manière à éviter autant que possible des perceptions indésirables. Les recherches actuelles portent principalement sur les causes de la grande variabilité en matière de perception d’un individu à l’autre. Des éclaircissements supplémentaires à ce sujet peuvent également contribuer à une meilleure interaction et à faciliter la coexistence entre le système de transport d’énergie et l’homme.

Références

[1] J. Blondin et al., «Human perception of electric fields and ion currents associated with high-voltage DC transmission lines», Bioelectromagnetics, Vol. 17, Issue 3, p. 230–241, 1996.
[2] B. A. Clairmont et al., «The effect of HVAC-HVDC line separation in a hybrid corridor», IEEE Transactions on Power Delivery, Vol. 4, Issue 2, p. 1338–1350, avril 1989.
[3] K. Jankowiak et al., «Identification of Environmental and Experimental Factors Influencing Human Perception of DC and AC Electric Fields», Bioelectromagnetics, Vol. 42, Issue 5, p. 341–356, 2021.
[4] M. Kursawe et al., «Human detection thresholds of DC, AC, and hybrid electric fields: a double-blind study», Environmental Health, Vol. 20, 92, 2021.
[5] K. Jankowiak et al., «The role of the AC component in human perception of AC–DC hybrid electric fields», Scientific Reports, Vol. 12, 3391, 2022.
[6] H. Odagiri-Shimizu, K. Shimizu, «Experimental analysis of the human perception threshold of a DC electric field», Medical & Biological Engineering & Computing, Vol. 37, p. 727–732, 1999.
[7] IEEE standard for safety levels with respect to human exposure to radio frequency electromagnetic fields, 0 Hz to 300 GHz, IEEE-C95.1, NY, USA, 2019.
[8] D. Green, J. Swets, Signal Detection Theory and Psychophysics, John Wiley and Sons, 1966.

 

Auteur
Dr. Michael Kursawe

est scientifique et responsable du laboratoire d’exposition du Centre de recherche sur la compatibilité électromagnétique avec l’environnement (femu), Institut de médecine du travail, sociale et environnementale.

  • Uniklinik RWTH
    Aachen University
    DE-52074 Aachen
Auteure
Dr. Kathrin Jankowiak

est scientifique au sein du Centre de recherche sur la compatibilité électromagnétique avec l’environnement (femu), Institut de médecine du travail, sociale et environnementale.

  • Uniklinik RWTH
    Aachen University
    DE-52074 Aachen
Auteur
Simon Kimpeler

est scientifique à l’Institut Installations électriques et réseaux, numérisation et économie énergétique.

  • RWTH
    Aachen University
    DE-52074 Aachen

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