Interview Technique des installations

Offrir de la lumière et des éclaircissements

Électriciens sans frontières – Suisse

13.01.2023

Électriciens sans frontières – Suisse apporte la lumière dans les contrées où l’approvisionnement en électricité est insuffisant, voire inexistant. Il s’agit en majorité de pays africains qui, malgré une infrastructure suffisante, manquent de moyens ainsi que de main-d’œuvre qualifiée. Gilbert Suter parle de la naissance d’ESF-Suisse et de l’aide concrète apportée lors d’un premier projet réalisé au Cameroun.

Bulletin : Électriciens sans frontières – Suisse est une organisation non gouvernementale : d’où provient le financement?

Gilbert Suter: Comme notre grande sœur, Électriciens sans frontières en France (ESF-France), nous dépendons de dons. En Suisse, il s’agit de contributions, d’une part, sous forme de matériel et, d’autre part, en espèces. Des fondations, par exemple Frères de nos Frères (FdnF), ont fait des dons en espèces et nous recevons également de l’argent de Fribourg-Solidaire, une fondation collective cantonale fribourgeoise qui distribue les dons communaux et cantonaux ainsi que ceux du Département du développement et de la coopération (DDC). En outre, nous recevons également des dons plus modestes de la part de particuliers. Nous sommes une association reconnue d’intérêt public, donc exonérée d’impôt.

ESF-France a été fondée en 1986. Pourquoi le nom «sans frontières»?

Si on consulte le site d’ESF-France, il y a une carte du monde avec tous les lieux où l’organisation non gouvernementale (ONG) est active, avec entre 100 et 150 projets gérés dans quelque 35 pays. Il s’agit d’une organisation de grande envergure, qui compte environ 1300 bénévoles.

ESF-Suisse a été fondée en novem­bre 2018. Elle est encore de taille modeste; c’est pourquoi nous nous concentrons actuellement sur quelques pays, à savoir le Cameroun, le Bénin, le Togo et le Congo. Mais des demandes viennent du monde entier.

Comment se déroule la coopération avec ESF-France?

Il existe un réseau international d’ONG Électriciens sans frontières. Elles travaillent ensemble et de la même façon, en se basant sur une charte et des principes opérationnels communs. Les représentants des diverses associations (de France et de Suisse, mais aussi d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne) se retrouvent régulièrement pour discuter de problèmes communs et de la façon de les résoudre. De plus, le réseau est en contact avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a besoin d’aide dans le domaine de l’électricité pour des interventions d’urgence.

Pourquoi avez-vous fondé une antenne ESF en Suisse?

La Suisse bénéficie d’un énorme savoir. Pourtant, il y a encore quelques années, il n’y avait pas d’ONG spécialisée en électricité, c’est pourquoi j’ai lancé l’idée, avec le support d’Electrosuisse, d’en fonder une. L’idée était aussi de récolter l’argent de donateurs suisses. La DDC dispose d’un important budget, même si, une fois réparti entre les différents bénéficiaires, il ne reste plus grand-chose pour nous. Or, nos missions sont essentielles à différents niveaux. Au Cameroun, par exemple, une partie de la population est raccordée au réseau, mais l’alimentation est fréquemment coupée, parfois pendant plusieurs jours, ce qui empêche, entre autres, de garder les médicaments au frais. Le projet qu’ESF-Suisse y a réalisé comprend donc la formation de main-d’œuvre qualifiée, mais aussi une amélioration de l’alimentation en électricité.

Jusqu’à récemment, en Suisse, l’électricité était tout simplement là et personne n’imaginait que l’approvisionnement pourrait un jour être remis en question. Comment considérez-vous le problème de la pénurie de courant?

Il faut tout d’abord que les gens se rendent compte de notre très grande dépendance à l’électricité: sans elle, en Suisse, rien ne fonctionne. Notre approvisionnement est en danger. Au lieu d’investir dans notre propre infrastructure, nous avons longtemps acheté de l’électricité à l’étranger. L’approvisionnement électrique de base devrait être l’affaire des autorités et non des particuliers.

Comment est organisé l’approvisionnement électrique dans les pays que vous aidez?

Ce sont des pays généralement mal organisés. Au Cameroun, il y a un potentiel hydroélectrique immense qui n’est pas assez exploité. Il y a une très grande rivière, qui pourrait fournir suffisamment d’électricité pour tout le pays. C’est un pays où le gouvernement n’investit presque pas. La corruption est aussi un problème. Dans le quartier de Panny de la commune de Penka-Michel, ce sont les habitants qui ont dû contribuer pour construire l’école dont l’électrification a été réalisée lors de la première mission d’ESF-Suisse.

Vous fournissez de l’électricité aux plus pauvres de la planète et formez des jeunes afin qu’ils puissent subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Ce travail n’est-il pas une goutte d’eau dans l’océan ou, autrement dit, tout le système éducatif de ces pays ne devrait-il pas être pensé différemment?

Cameroun, ils ont des lycées techniques, mais aucune formation pratique. C’est la raison pour laquelle nous avons réalisé trois missions de formation à Baleveng, commune voisine de celle de Penka-Michel, entre 2011 et aujourd’hui, dont deux missions dans le cadre d’ESF-France et la dernière par le biais d’ESF-Suisse. Cela prend du temps de préparer un projet.

On ne voit pas l’électricité. Le métier est dangereux et il faut travailler avec précaution. Quelles sont vos expériences à cet égard dans les pays où vous effectuez des missions?

Au Cameroun, chaque année, il y a des accidents mortels dus à l’électricité, et des incendies aussi, parce qu’ils ont des notions lacunaires des règles sécuritaires en matière d’installations électriques. Quand nous sommes arrivés à l’école de Panny, les raccordements avaient été réalisés avec des fils de téléphone et sans protections adaptées. Souvent, il n’y a même pas de disjoncteurs d’entrée pour le bâtiment. Et ils ne pratiquent pas les mises à la terre. Cela vaut pour de nombreux pays du Sud. Il faut donc les sensibiliser aux risques inhérents à l’électricité et aux moyens simples de s’en prémunir.

Vous avez récemment terminé un projet qui s’est déroulé sur quatre ans – de l’étude des besoins à la fin de la mission sur place. Finalement, en juillet-août 2022, 24 jeunes ont pu suivre une formation de base qu’ils ont ensuite mise en pratique en alimentant en électricité tout le bâtiment de l’école de Panny. Poser les lignes est une chose, mais y avait-il une infrastructure suffisante pour distribuer l’électricité du fournisseur d’énergie?

Oui, ce sont les «amis du quartier» (ceux qui disposent de quelques moyens financiers) qui ont fait tirer une ligne moyenne tension et ont fait réaliser la distribution en basse tension. Mais il y a souvent des interruptions. La compagnie nationale Eneo ne fait pas grand-chose : les habitants ont dû payer eux-mêmes l’installation des poteaux électriques et tirer les lignes. Et Eneo ne va pas partout: une grande partie du pays n’est pas alimentée.

Que recevez-vous pour votre travail et votre engagement?

Les jeunes ont envie d’apprendre, de savoir, ils suivent les cours et ils sont vraiment intéressés. Pour les bénévoles, les frais sont payés, mais il n’y a pas de rétribution. Il s’agit en majorité de retraités, et d’actifs en vacances ou envoyés par leur entreprise.

Que souhaitez-vous pour l’avenir d’ESF-Suisse?

Pour le moment, nous aimerions réaliser deux missions par année. Pour ce faire, nous avons besoin naturellement du financement, mais aussi de bénévoles disposés à se rendre sur place pour gérer le projet, épauler les personnes locales et transmettre les connaissances nécessaires. Ces voyages, certes dans un contexte qui n’a rien à voir avec du tourisme, constituent des expériences inoubliables et fort enrichissantes!

Auteure
Marianne Kürsteiner

est rédactrice chez Electrosuisse.

  • Electrosuisse, 8320 Fehraltorf

Portrait

Gilbert Suter est vice-président et initiateur d’Électriciens sans frontières – Suisse. Ingénieur-électricien HES issu de la HEIG-VD, il a consacré les premières années de sa carrière à la recherche en physique nucléaire, à l’Université McGill, au Canada. Il est rentré en Suisse pour travailler chez Landis et Gyr, d’abord à Zoug, puis dans la succursale ouverte à Lausanne. Après le rachat par Siemens, il s’est spécialisé dans la gestion des réseaux de moyenne tension. Retraité, il continue à exploiter son expertise en faisant du bénévolat.

Commentaire

Veuillez additionner 3 et 7.