Maintenance prédictive du réseau
Projet de recherche
Les infrastructures telles que le réseau électrique sont régulièrement entretenues afin de garantir un fonctionnement fiable et de détecter rapidement les usures et les dommages. Une équipe de l’ETH Zurich a étudié, en collaboration avec Swissgrid, quelles possibilités pourrait offrir la maintenance prédictive du réseau électrique en vue de détecter automatiquement les défauts à l’aide de modèles d’apprentissage automatique.
Le réseau de transport constitue l’épine dorsale du réseau électrique suisse. Les lignes à haute tension transportent l’électricité depuis les grandes centrales jusqu’aux réseaux de distribution des villes et des communes, et garantissent l’échange d’électricité avec les pays voisins. 6700 km de lignes fixés à environ 12'000 pylônes traversent ainsi le pays. Outre ces lignes, le réseau de transport comprend également 147 postes de couplage.
Les deux tiers du réseau de transport suisse datent d’avant 1980. Swissgrid, la Société nationale pour l’exploitation du réseau, procède ainsi chaque année à 12'000 inspections afin de garantir une exploitation fiable du réseau. Outre l’usure due au vieillissement, la foudre, les tempêtes, la chaleur, les avalanches et les coulées de boue sont autant d’autres facteurs qui mettent à mal les installations. L’entretien comprend, entre autres, l’application d’une protection anticorrosion, le remplacement d’isolateurs défectueux ou la rénovation de pylônes et de socles en béton abîmés, mais aussi l’élagage des arbres. «Les travaux à effectuer sont définis après des contrôles visuels qui ont lieu tous les ans», écrit Swissgrid sur son site Internet. En 2018, l’exploitant du réseau a reproduit l’ensemble des lignes et des sous-stations dans un modèle numérique 3D, sur la base de photos aériennes. Depuis, ce modèle aide à planifier les travaux de maintenance.
Détection automatique des défauts
Des chercheurs de l’ETH Zurich se sont demandé comment Swissgrid pourrait encore améliorer l’entretien du réseau de transport en ayant recours à la maintenance prédictive. À noter que dans ce contexte, «prédictif» signifie détecter à temps et de manière automatisée les points problématiques du réseau. L’accent a été mis sur les lignes aériennes, les isolateurs et les transformateurs. «La maintenance prédictive a, d’une part, l’avantage de pouvoir aussi détecter des problèmes auxquels on ne s’attendait pas et, d’autre part, les travaux de maintenance ne sont pas effectués en réserve, ce qui permet d’économiser du personnel et de l’argent», explique Laya Das. Ce chercheur d’origine indienne, titulaire d’un doctorat, travaille au sein du laboratoire «Reliability and Risk Engineering» de l’ETH Zurich, dirigé par le professeur Giovanni Sansavini. Le projet de recherche, soutenu par l’OFEN, s’est achevé fin 2023.

Une approche pour l’identification des défauts dans le réseau de transport consistait à analyser des photographies prises par des drones. Ces images devaient permettre de détecter les isolateurs défectueux sur les pylônes à haute tension. La nouveauté: les traces laissées par la foudre ou les disques en céramique endommagés des isolateurs ne devaient pas être détectés par l’analyse individuelle des photos, mais de manière automatisée par des programmes de reconnaissance des objets préalablement entraînés avec des modèles d’apprentissage automatique. Pour ce faire, les chercheurs de l’ETH ont utilisé plus de 2000 photos de pylônes à haute tension prises par des drones en Suisse, aux États-Unis et en Chine. Dans un premier temps, ils ont caractérisé les images. Ils ont ensuite entraîné un modèle d’apprentissage automatique à l’aide de l’algorithme YOLOv5 (You Only Look Once, Version 5). Une fois entraîné, le modèle de reconnaissance d’objets était à même de reconnaître l’isolateur sur n’importe quelle image et d’identifier le type de défaut (trace de foudre, rupture).

Prêt pour une utilisation sur le réseau
Dans le domaine de la reconnaissance d’objets automatisée, la précision d’un algorithme est exprimée par le mAP (mean Average Precision). Il s’agit d’un nombre qui peut prendre une valeur comprise entre 0 (non reconnu) et 1 (reconnu de manière fiable). Le programme «formé» par l’ETH reconnaît les disques brisés des isolateurs avec un mAP de 0,77 et les traces de foudre avec un mAP de 0,18. Les chercheurs attribuent la reconnaissance relativement mauvaise des traces de foudre au fait que l’on ne rencontre que peu de disques atteints par la foudre dans la réalité et qu’il y a donc trop peu d’images disponibles pour entraîner suffisamment l’algorithme de reconnaissance.
Afin d’améliorer la précision des prévisions, la reconnaissance des objets a été complétée par une deuxième étape d’analyse qui aide à identifier les disques défectueux des isolateurs. Cela se fait à l’aide d’un processus de détection d’anomalies, également basé sur l’apprentissage automatique. «Notre outil de reconnaissance d’objets pour la recherche d’isolateurs défectueux fonctionne bien et est prêt à être utilisé par les exploitants de réseaux à haute tension», déclare Blazhe Gjorgiev, Macédonien d’origine, qui a participé au projet de l’ETH en tant que scientifique senior titulaire d’un doctorat.

Essai avec une ligne aérienne tessinoise
Une bonne base de données: il s’agit là de la condition sine qua non d’une deuxième approche que les chercheurs de l’ETH ont étudiée pour détecter les défauts dans les lignes de transport. Dans ce cas, le point de départ n’est pas une série de photographies prises par des drones, mais des mesures à haute résolution. Cette étude s’est concentrée sur une ligne aérienne de 220 kV, longue de 26 km et divisée en 26 segments, reliant Avegno (près de Locarno) à Gorduno (près de Bellinzone). À ses deux extrémités, la ligne est équipée d’appareils de mesure modernes (Phasor Measurement Units, PMU) capables de mesurer la tension et le courant 8000 fois par seconde.
Les scientifiques ont voulu savoir si, en comparant uniquement les valeurs de mesure du courant aux deux extrémités de la ligne, il était possible de détecter la présence de courants de fuite dans la ligne de 26 km et, le cas échéant, dans lequel des 26 segments. Cela indiquerait la présence d’isolateurs défectueux.
Manque de données à propos du réseau défectueux
Pour parvenir à leurs fins, les chercheurs ont utilisé le logiciel Matlab Simulink pour réaliser un modèle physique (un jumeau numérique simplifié) reproduisant la ligne de transport tessinoise. Celui-ci utilise notamment comme paramètres la résistance, la capacité et l’inductance. Pour ce faire, des données synthétiques (représentant des segments de ligne intacts et défectueux) ont été employées. Au cours de ce processus, il a été possible – dans des simulations et en utilisant des modèles d’apprentissage automatique – de détecter et de localiser des isolateurs défectueux via des courants de fuite. Et ceci grâce à trois modèles d’apprentissage automatique – Feed forward neural network (FNN), Recursive neural network (RNN) et Convolutional neural network (CNN) –, et avec une qualité de prédiction de plus de 98%. Cela signifie qu’au moins 98 points défectueux sur 100 présentant des courants de fuite sont détectés automatiquement.
Bien qu’il s’agisse d’un résultat étonnant, Blazhe Gjorgiev n’en est pas pour autant satisfait: «D’emblée, ce résultat a l’air formidable. Mais notre modèle ne convient pas encore pour une application pratique, car notre modèle physique se base sur les données d’un réseau électrique qui fonctionne.» Malheureusement, l’équipe du projet n’a pas pu inclure dans son étude des données de mesure provenant de défaillances du réseau, explique-t-il. Elle n’a donc pas eu la possibilité de valider le modèle de localisation des défauts dans la pratique. La procédure prouve toutefois qu’une telle approche pourrait être utilisée pour le développement de modèles, pour autant que les données soient suffisantes.
Recherche de défauts dans les transformateurs
L’équipe de projet de l’ETH a également étudié l’idée de la maintenance prédictive pour les transformateurs. Ces derniers sont techniquement plus complexes que les lignes aériennes et les isolateurs. Pour évaluer le bon fonctionnement des transformateurs, on utilise depuis de nombreuses années la méthode DGA (Dissolved Gas Analysis ou analyse des gaz dissous). Cette dernière consiste en une analyse chimique de l’huile qui sert d’isolant et de réfrigérant dans le transformateur. Une fois les résidus de gaz déterminés, ceux-ci permettent de tirer des conclusions sur les défauts thermiques et électriques du transformateur.
Ici aussi, les chercheurs de l’ETH ont visé à automatiser la détection des défauts en utilisant des modèles d’apprentissage automatique. Swissgrid et la Commission d’étude des questions relatives à la haute tension (FKH) ont mis à disposition les données de plusieurs milliers d’échantillons DGA. Les scientifiques ont réussi, grâce à une évaluation automatisée des échantillons sur la base de modèles statistiques (conventionnels) et de modèles d’apprentissage automatique, à détecter les échantillons DGA indiquant un défaut dans le transformateur avec une précision estimée entre 70 et 90%. Quant à la question de savoir si l’intégration de l’apprentissage automatique apporte réellement un avantage dans ce domaine, les chercheurs doivent la laisser en suspens pour des raisons méthodologiques.
Outil de planification pour les travaux de maintenance
À titre de résultat, les chercheurs de l’ETH ont mis trois outils à la disposition de Swissgrid, qui était partenaire du projet: un modèle de type deep learning pour la détection d’isolateurs défectueux sur la base d’images prises par des drones; un algorithme qui aide à l’évaluation des données DGA des transformateurs; et enfin un modèle de machine learning entraîné pour le diagnostic des défauts des transformateurs à partir de données DGA.
Selon Blaze Gjorgiev, ces dernières découvertes pourraient également être importantes pour les gestionnaires de réseaux de distribution suisses qui exploitent leurs propres réseaux à haute tension. En outre, les réseaux à moyenne et basse tension pourraient également bénéficier de méthodes d’apprentissage automatique avancées pour la détection des défauts, explique-t-il. L’applicabilité des connaissances acquises au cours de ce projet aux installations d’autres niveaux de tension doit encore être étudiée.
Littérature complémentaire
Rapport final du projet de recherche «IMAGE – Intelligent Maintainance of Transmission Grid Assets».
Vous trouverez plus d’articles spécialisés concernant les projets pilotes, de recherche, de démonstration et les projets phares dans le domaine de l’électricité sur: www.bfe.admin.ch/ec-electricite
Des informations complémentaires peuvent être obtenues auprès de Michael Moser, responsable du programme de recherche «Réseaux» de l’OFEN.
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