L’hydrogène, carburant du futur?
Piles à combustible
Les véhicules à hydrogène sont-ils la clé d’un transport à faibles émissions de CO2? Si l’on en croit l’association Mobilité H2, la réponse est oui. Celle-ci entend équiper l’ensemble du territoire suisse de stations-service à hydrogène.
Àquoi ressemblera notre avenir énergétique? Cette question n’est pas simplement l’affaire de la branche de l’électricité: elle nous concerne tous. La société moderne a en effet besoin d’une quantité croissante d’électricité pour fonctionner. En approuvant la Stratégie énergétique 2050 en 2017, les électeurs suisses ont exprimé leur souhait de modifier en profondeur le système en abandonnant le nucléaire et en encourageant davantage les renouvelables afin de faire face à l’augmentation des besoins en électricité. Outre la SE2050, l’Accord de Paris sur le climat (COP 21) aura également un impact majeur sur la future politique énergétique suisse. Comme la SE2050, il tourne le dos aux énergies fossiles au profit des renouvelables. Objectif: limiter le réchauffement de la planète bien en deçà de 2° Celsius et parvenir à un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et leurs absorptions au cours de la deuxième moitié du XXIe siècle. La loi sur le CO2, dont la révision totale figurait au programme de la session d’hiver, revêt également une grande importance.
Le difficile passage de la théorie à la pratique
Si cette stratégie, séduisante sur le papier, a su convaincre de nombreux électeurs, dans les faits, sa mise en œuvre est loin d’être assurée: elle nécessite une prise de conscience et des sacrifices financiers que certains partisans de la SE2050 ne sont pas (encore) prêts à consentir. Ainsi, en juin 2018, le corps électoral du canton de Soleure a massivement rejeté (avec 70% de «non»!) la révision partielle de la loi cantonale sur l’énergie, pourtant considérée par ses partisans comme le «prolongement logique et inoffensif» de la SE2050. Le même jour, cependant, les Lucernois ont adopté une nouvelle loi cantonale sur l’énergie par une nette majorité des trois cinquièmes.
En mettant l’accent sur les énergies renouvelables, la SE2050 impulse également un progrès technologique jusqu’ici en sommeil, ou limité à un segment de niche. Tout le monde s’accorde à dire que l’électromobilité réalisera une percée dans les années à venir. Selon Kristian Ruby, secrétaire général d’Eurelectric, la Commission européenne table sur 40 millions de voitures électriques immatriculées d’ici 2030. En Suisse aussi, ces véhicules devraient être beaucoup plus nombreux sur les routes dans un avenir proche, notamment du fait de la loi sur le CO2, qui exige une réduction des émissions moyennes de 130 à 95 grammes par véhicule et par kilomètre à compter de 2020. Les importateurs suisses d’automobiles ne respectant pas cette disposition s’exposeront à des sanctions financières, qui seront à terme répercutées sur les particuliers.
Électromobilité: la panacée?
En optant pour une voiture électrique fonctionnant sur batterie, l’acheteur n’a plus de souci à se faire concernant les émissions de gaz à effet de serre de son véhicule – du moins pour la phase d’usage. Toutefois, si l’on considère l’ensemble des choses, ce choix n’est pas forcément plus écologique pour autant, comme le montre une étude de l’ADAC. Dans cette situation, c’est le mix électrique choisi pour «nourrir» la batterie de ces véhicules qui est déterminant.

Les véhicules électriques équipés d’une pile à combustible ne produisent pas non plus d’émissions lorsqu’ils roulent. Mais là aussi, le mix électrique joue un rôle décisif. La pile à combustible pourrait-elle être la solution longtemps ignorée aux futurs défis de la mobilité? Par rapport aux véhicules électriques fonctionnant sur batterie, les véhicules à pile à combustion marquent des points grâce à leur autonomie, similaire à celle de véhicules à moteur à combustion équivalents. Et la durée de ravitaillement est elle aussi comparable à celle de ces moteurs. À long terme, l’hydrogène permettra, en stockant l’énergie, d’équilibrer une partie des différences d’offre saisonnières entre la production estivale et hivernale d’électricité, et il représente un élément important pour le couplage des secteurs entre l’électricité et les transports. Mais la pile à combustible présente aussi des inconvénients: des coûts de production (encore) élevés et des pertes de conversion très importantes. En effet, lorsque l’hydrogène est fabriqué par électrolyse puis transformé en électricité dans le véhicule, environ les deux tiers de l’énergie initiale sont gaspillés. De plus, le réseau de stations-service à hydrogène est quasi inexistant en Suisse.
Des stations-service à hydrogène dans toute la Suisse
C’est justement à cet aspect que s’intéresse l’association Mobilité H2. Son objectif est de mettre en place une infrastructure de stations-service à hydrogène couvrant l’ensemble du territoire suisse. À ce jour, il n’existe que deux équipements plus ou moins publics: le premier se trouve sur le site de l’Empa à Dübendorf, et le second est exploité par Coop à Hunzenschwil. D’ailleurs, Coop compte parmi les membres fondateurs de l’association active depuis mai 2018, de même que Coop Mineraloel AG, Agrola AG, la fédération Avia, la coopérative Fenaco, Migrol AG et la Fédération des coopératives Migros, présents eux aussi depuis le début. Toutes ces entreprises ont maintenant été rejointes par Socar Energy International, Shell (Switzerland) AG et le groupe Emil Frey.

Jörg Ackermann, président de Mobilité H2 et membre de la direction de Coop, soutient que l’association n’est pas une opération de communication du distributeur: si c’est bien ce dernier qui a lancé l’idée d’un système de mobilité en circuit fermé basé sur l’hydrogène, il a «besoin du soutien de toute la Suisse pour mener à bien ce projet». Il n’est guère étonnant que l’association soit principalement composée de grossistes et de compagnies pétrolières, car ces sociétés s’appuient sur une logistique complexe et disposent de vastes flottes de transport. La priorité est donc accordée aux camions à hydrogène plutôt qu’aux véhicules particuliers. S’agit-il déjà d’un renoncement? Ce n’est pas la première fois que l’on annonce l’échec de la pile à combustible pour les véhicules particuliers.
«Le seul avantage des poids lourds par rapport aux voitures particulières, c’est que leur utilisation est planifiable», objecte Philipp Dietrich, CEO de H2 Energy SA, qui est chargé de déployer le projet de stations-service à hydrogène pour l’association en tant que prestataire disposant du savoir-faire et de la main-d’œuvre nécessaires. «Les camions reviennent toujours à la centrale. En principe, une seule station-service à hydrogène peut donc alimenter une flotte entière avec une distribution en étoile.» Et comme un poids lourd consomme environ 50 fois plus d’énergie qu’un véhicule particulier, il n’en faut que dix pour amortir la station. Pour Philipp Dietrich, l’argument du coût d’acquisition ne tient pas: «Dans la mesure où ces véhicules sont exonérés de RPLP, le passage du diesel à l’hydrogène est presque un jeu à somme nulle pour les transporteurs. À la différence près que leur nouvelle flotte est renouvelable, beaucoup plus silencieuse et sans émission.»

Renouvelable, privée et rentable
Contrairement aux groupements européens de même nature, Mobilité H2 vient du privé. «Des fournisseurs et de gros consommateurs se sont associés pour apporter collectivement une petite contribution à la décarbonation», explique Philippe Dietrich. Les initiateurs du projet poursuivent trois grands objectifs: «Nous voulons utiliser de l’hydrogène issu d’une énergie renouvelable, rester dans la sphère privée – c’est-à-dire ne pas toucher de subventions – et être rentables», détaille Jörg Ackermann. Pour que cette approche fonctionne, il faut un écosystème au sein duquel production, distribution et consommation sont étroitement liés. Malgré sa petite taille, la station-service de Coop, exploitée depuis deux ans à Hunzenschwil, correspond à cette définition. Eniwa AG est responsable de la production d’électricité dans la centrale au fil de l’eau voisine, H2 Energy exploite la production d’hydrogène et la logistique autour de la station-service, tandis que Coop assume la partie réception/livraison, effectuée actuellement par un camion propulsé à l’hydrogène et douze voitures particulières. «Nous ne deviendrons pas riches du jour au lendemain, mais nous jetons les bases d’une activité rentable.» Notons en passant que les membres de l’association financent eux-mêmes l’infrastructure.
D’ici 2023, l’ensemble du territoire suisse devrait être équipé de stations-service à hydrogène. Outre que cet objectif semble particulièrement ambitieux, il est légitime de se demander s’il correspond à un réel besoin. «Nous créons nous-mêmes ce besoin», rétorque Jörg Ackermann. «Nous possédons de vastes flottes qui assureront la rentabilité de ces stations-service. Nous disposons aussi de compagnies pétrolières, ce qui nous permet d’adapter notre dimensionnement en permanence.» Parallèlement, le constructeur automobile Hyundai, considéré comme l’un des deux leaders, avec Toyota, du développement des véhicules fonctionnant avec des piles à combustible, a annoncé dans un «mémorandum d’entente» vouloir livrer 1000 camions à hydrogène en Suisse d’ici 2023.
Les pompes à hydrogène seront d’abord installées dans les stations-service existantes, car il faut que le carburant soit accessible. Mais dans la mesure où un producteur doit aussi se trouver à proximité pour fabriquer de l’hydrogène à partir d’énergie renouvelable, toutes les stations-service ne se valent pas. Dans certains cas, des impératifs de construction sont déterminants.
La force de l’habitude
Philipp Dietrich et Jörg Ackermann sont convaincus que les ventes de véhicules fonctionnant avec des piles à combustibles, pour l’instant modestes, connaîtront tôt ou tard une forte augmentation, y compris pour les voitures particulières. «Henry Ford n’a pas non plus vendu 10 000 unités de son modèle T dès le premier jour. Mais au bout de dix ans, il en avait écoulé 18 millions», déclare Jörg Ackermann. De plus, en raison de la législation sur le CO2, la pression augmenterait concernant une conduite faible en émissions aussi au niveau des voitures particulières. Outre les avantages écologiques, le président de Mobilité H2 nomme aussi un aspect purement pratique qui permettra aux véhicules fonctionnant à l’hydrogène de prendre le pas sur ceux fonctionnant sur batterie: «Avec ces véhicules, contrairement à ceux fonctionnant sur batterie, il n’est pas nécessaire de changer ses habitudes. Les clients peuvent continuer de se rendre à leur station-service attitrée et faire le plein en trois minutes. Avec une voiture électrique fonctionnant sur batterie, c’est impossible: le temps de charge aux stations de recharge normales est nettement plus long.»
L’avenir montrera si la technologie des piles à combustible pourra effectivement s’imposer à plus large échelle ou si, au contraire, la solution des batteries, un peu plus connue et déjà plus établie, poursuivra sur sa lancée. Ces deux technologies présentent des avantages incontestables, n’engendrent que peu d’émissions dans la phase d’usage et remplissent les exigences en matière de baisse des valeurs-limites de CO2. Mais toutes deux doivent encore surmonter certains obstacles – citons notamment les coûts de production, le bilan global, l’autonomie ou la durée de charge. Ce développement est loin d’être achevé et continuera de pousser en avant les deux technologies. Une seule chose est sûre: la mobilité de l’avenir sera électrique, éventuellement avec une coexistence des véhicules à hydrogène et des véhicules à batterie.
Commentaire
Dominique Descloux,
A quand un réseau de distribution ad'hoc en Suisse à votre avis ?