Le réseau électrique du futur sera intelligent
Systèmes de gestion de l’énergie domestiques
Pour réussir la transition énergétique, il est essentiel de disposer de réseaux électriques intelligents permettant aux producteurs et aux consommateurs d’interagir. Dans le cadre d’un projet Innosuisse, la HES-SO Valais collabore avec l’entreprise Wago pour trouver les solutions techniques permettant de répondre au mieux aux exigences en matière de commande.
Les installations photovoltaïques et éoliennes produisent de l’électricité verte, ce qui est excellent pour l’environnement et le climat. Les distributeurs d’électricité sont toutefois moins enthousiastes à l’égard de cette approche durable. Comme l’électricité ne circule plus uniquement dans une direction, du producteur vers le consommateur, ces derniers doivent désormais déployer des efforts bien plus importants pour stabiliser le réseau électrique. Et ces efforts augmentent avec chaque installation photovoltaïque supplémentaire raccordée au réseau.
Causes de la surcharge du réseau
Comment soulager les réseaux de distribution? La meilleure solution consisterait à stocker l’énergie excédentaire, par exemple à l’aide de centrales de pompage-turbinage, afin de pouvoir la réutiliser en cas de forte demande. Le problème: cette approche déstabilise également les réseaux de distribution. L’électricité solaire doit en effet d’abord circuler du toit des maisons vers les réservoirs via le réseau local. Cette inversion de flux représente un défi, auquel sont aussi confrontées d’autres méthodes de stockage. Par conséquent, les grands systèmes de stockage par batteries ou les procédés Power-to-X sont également peu adaptés à une stabilisation efficace du réseau.
Solutions pour soulager le réseau
Quelles sont les options pour gérer efficacement l’excédent d’électricité solaire dans le réseau? Une première approche consiste à étendre systématiquement le réseau électrique. Cette solution est toutefois très onéreuse et n’offre qu’un soulagement temporaire, car la production d’électricité issue des installations photovoltaïques devrait augmenter d’un facteur dix à moyen terme. Aujourd’hui déjà, dans certaines régions, jusqu’à 30% des demandes de raccordement sont rejetées – un phénomène en augmentation. Paradoxalement, cette situation contraste avec les débats politiques actuels qui réclament et encouragent l’expansion du photovoltaïque.
Une alternative plus durable serait d’optimiser et de renforcer l’infrastructure existante. Pour améliorer l’utilisation des capacités de transport actuelles, les conducteurs pourraient être remplacés par des modèles dotés d’une plus grande section et d’une meilleure résistance thermique. L’adoption de systèmes de transmission flexibles en courant alternatif FACTS (Flexible AC Transmission Systems) et de compensateurs synchrones est également envisageable pour la compensation de la puissance réactive.
Une autre solution pour stabiliser le réseau consiste à optimiser la consommation propre. Si l’électricité est consommée sur place de manière flexible, c’est-à-dire au moment où elle est produite, elle n’a pas besoin d’être acheminée vers des stations de pompage-turbinage, des batteries ou d’autres systèmes de stockage.
L’optimisation de la consommation propre, et donc l’augmentation de la rentabilité de l’installation, est principalement réalisée à l’aide d’un système de gestion de l’énergie domestique (Home Energy Management System, HEMS), un logiciel qui relie intelligemment l’installation photovoltaïque, le système de stockage à batterie et les gros consommateurs d’électricité tels que les bornes de recharge ou les pompes à chaleur. En tant que chef d’orchestre du système énergétique local, le HEMS enregistre et analyse la production photovoltaïque, l’état du système de stockage et la consommation électrique du foyer, puis contrôle la distribution de l’électricité solaire en fonction des besoins.
Harmonisation des interfaces
Or, un réseau électrique intelligent (smart grid) a un coût, et plusieurs questions cruciales restent en suspens. À ce jour, il manque une interface standardisée permettant aux fournisseurs d’électricité et aux équipements consommateurs d’énergie de communiquer entre eux. De plus, l’intégration dans un réseau intelligent des pompes à chaleur et des bornes de recharge en tant que consommateurs, ainsi que des installations photovoltaïques en tant que producteurs, n’a pas encore été définie. L’absence de normes en ces matières constitue un défi, auquel l’association SmartGridready s’attaque précisément.
L’association, basée à Berne, mise ainsi sur une harmonisation rigoureuse des interfaces de communication. Selon Stefan Minder, le directeur de l’association, celles-ci sont essentielles pour permettre, par exemple, aux fournisseurs d’électricité de stabiliser leur réseau et de l’étendre de manière ciblée en utilisant des données en temps réel, mais aussi pour créer de nouveaux modèles commerciaux tels que les tarifs dynamiques de l’électricité et du réseau ou les incitations à adopter un comportement en faveur de l’équilibre du réseau.
Martial Beutler, résident de Bösingen, fait partie des personnes qui pourraient bénéficier de ces modèles de facturation dynamique. Propriétaire d’une maison individuelle, il est à la fois consommateur et producteur d’électricité, et cherche avant tout à optimiser ses coûts énergétiques. «J’aimerais recharger nos véhicules électriques au tarif le plus bas possible. Si cela implique de les recharger entre 3 h et 6 h du matin, cela doit se faire automatiquement», explique-t-il, avant d’ajouter: «Actuellement, je devrais me lever la nuit pour lancer le processus de recharge.»
Comme il ne s’agit pas d’une option envisageable, il a immédiatement accepté lorsque son employeur, Wago Contact SA, à Domdidier, lui a proposé de participer à un projet Innosuisse, mené par la Haute école spécialisée HES-SO Valais. Dans le cadre de ce projet, douze foyers de Suisse romande ont été équipés d’un système de mesure avancé pour enregistrer les flux d’électricité entrants et sortants sur une période de deux ans. Les données collectées seront utilisées pour perfectionner un logiciel permettant de contrôler de manière autonome les producteurs et les consommateurs d’électricité.
Interconnexion de l’OT et de l’IT
Stéphane Rey, collègue de Martial Beutler, explique pourquoi cette intégration est essentielle: «Ce n’est qu’en assurant la communication entre tous ces appareils que l’on pourra optimiser la gestion énergétique des maisons individuelles à un coût maîtrisé.» Il fait particulièrement référence à l’énergie de réglage, idéale pour des services futurs tels que le «peak shaving». Comme cette énergie n’est pas requise à des heures fixes, elle permet de réduire de manière ciblée la charge des gros consommateurs tels que les pompes à chaleur et les bornes de recharge pour véhicules électriques. Mais une question clé se pose: comment contrôler efficacement une telle maison?
«Cela nécessite une plateforme fiable où un contrôleur industriel peut communiquer via le cloud, par exemple depuis un PC ou une tablette», précise Stéphane Rey. Fort de son expérience en tant qu’ingénieur d’application, il maîtrise depuis longtemps l’interconnexion des technologies opérationnelles (OT) et de l’information (IT).
Pour la plupart des utilisateurs, recourir à une solution de contrôle industrielle en tant que système de gestion de l’énergie domestique serait toutefois trop complexe et onéreux. C’est pourquoi Wago travaille à l’optimisation de l’un de ses contrôleurs industriels pour l’adapter aux besoins du marché de l’énergie. L’objectif est clair: permettre aux installateurs électriciens d’intégrer facilement pompes à chaleur, onduleurs et autres équipements dans le réseau électrique intelligent.
Un projet pilote pour une communication flexible
Cette intégration simplifiée constitue l’un des axes de travail de la HES-SO Valais dans le cadre du projet Innosuisse. Le professeur Frédéric Revaz, fort de ses recherches sur l’optimisation de la consommation propre, les tarifs dynamiques et les services pour les gestionnaires de réseaux de distribution, sait comment le marché de l’énergie évoluera dans les années à venir: «De nouveaux modèles économiques émergeront, permettant de gérer de manière flexible la demande énergétique des bâtiments.»
La clé d’une communication flexible au sein du «smart grid» réside dans l’intégration simplifiée des équipements. «Nous développons les pilotes nécessaires à cette interconnexion», explique Frédéric Revaz. L’objectif consiste à ce que l’intégration des appareils compatibles avec le smart grid dans un réseau soit aussi simple que l’ajout d’une imprimante à un réseau domestique.
Les applications concrètes de cette communication entre consommateurs d’énergie font l’objet d’un autre projet mené par la HES-SO Valais. Dans le cadre de ce dernier, elle a regroupé plusieurs pompes à chaleur au sein d’un pool et les alimente avec de l’énergie de réglage. Ceci lui permet de les piloter de manière optimisée en fonction des coûts, en utilisant un tarif dynamique de l’électricité: si la différence par rapport à la consommation d’énergie réservée est trop importante, un signal ajuste automatiquement leur fonctionnement à la hausse ou à la baisse.
Les HEMS en tant que nœuds centraux
Les rôles de la HES-SO Valais et de Wago sont clairement définis dans le projet Innosuisse. Mais où se positionne SmartGridready dans ce contexte? «Ce qui nous intéresse avant tout, c’est de simplifier au maximum l’intégration des systèmes et la connexion au réseau pour permettre un déploiement rapide du smart grid», explique Stefan Minder. Il ajoute: «C’est pour cette raison que les expériences de la HES-SO Valais et de Wago seront intégrées à la suite du développement du label SmartGridready.»
Selon lui, cette approche est essentielle notamment parce que les systèmes de gestion de l’énergie domestiques deviendront à l’avenir les nœuds centraux du smart grid. «Ils fourniront aux gestionnaires de réseaux de distribution et aux fournisseurs d’énergie toutes les données de charge pertinentes, recevront des signaux de tarification et de contrôle, réguleront automatiquement les équipements du bâtiment, et contribueront ainsi à stabiliser le réseau, sans compromis sur le confort.»
Ainsi, selon le directeur de SmartGridready, ces systèmes, associés à une extension raisonnable du réseau, sont indispensables à la transition énergétique: «Seuls des systèmes intelligents permettront de gérer la redistribution des flux énergétiques ainsi que l’intégration croissante des énergies renouvelables.»
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