Interview Techniques de mesure

La libéralisation du système de mesure n’est pas la solution

Interview avec Christian Petit

01.06.2021

La nouvelle «Loi fédérale pour un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables» entend coordonner les objectifs de la LEne et de la LApEl. Elle prévoit la libéralisation complète du système de mesure. La branche électrique y est farouchement opposée. Christian Petit, CEO de Romande Énergie, s’exprime et répond à certains reproches adressés à la branche.

Bulletin: Pourquoi, selon vous, la libéralisation du système de mesure est-elle une mauvaise idée?

Christian Petit: Une libéralisation complète dans le domaine du système de mesure entraînerait une charge supplémentaire considérable qui serait disproportionnée au regard du volume de marché potentiel. Les coûts macroéconomiques seraient supérieurs au potentiel de gain pour les clients, comme le montrent les expériences faites dans d’autres pays et les résultats d’études menées par l’OFEN. Le système de mesure existant, harmonieusement intégré au réseau de distribution, est cohérent en soi, efficace, raisonnable économiquement et il répond aux exigences sur le plan régulatoire. L’ampleur de l’intervention étatique en cas de libéralisation partielle est par ailleurs également disproportionnée par rapport à la faible utilité pour l’économie.

Qu’entendez-vous par charge supplémentaire considérable?

Une charge résultant de la définition très lourde de nouveaux processus et procédures de contrôle pour intégrer des systèmes de mesure devenus hétérogènes dans un réseau de distribution cohérent.

Cette libéralisation n’est-elle pas une opportunité en termes de volume de marché?

L’exemple allemand ne laisse pas présager de baisses de prix et démontre qu’un travail conséquent en matière de fractionnement des coûts et des processus tant techniques que commerciaux sera à réaliser. De fait, la Suisse ne présentant pas les mêmes volumes que l’Allemagne, on ose affirmer que cette mesure ne sera pas adaptée à notre pays.

En quoi une libéralisation viole-t-elle le principe de sécurité juridique et de protection des investissements?

La Stratégie énergétique 2050 oblige les gestionnaires de réseau à mettre en oeuvre le déploiement de systèmes de mesure intelligents, en migrant au moins 80% des compteurs actuels d’ici à fin 2027. Parallèlement, les coûts importants correspondants ont été attribués aux coûts du réseau, donc au monopole, par voie de loi et d’ordonnance. Les gestionnaires de réseau qui appliquent le mandat légal en toute bonne foi encourent le risque d’être confrontés à des coûts non amortissables en cas de libéralisation. Une libéralisation de la place de mesure en pleine période de déploiement des compteurs intelligents est particulièrement mal venue. Pour les producteurs d’électricité également, une libéralisation violerait le principe de la sécurité juridique, la Stratégie énergétique 2050 ayant exonéré des coûts de mesure les producteurs d’électricité. Désormais, ces coûts pourraient à nouveau leur être imputés. Cela peut largement entraver la rentabilité des investissements et freiner, en fin de compte, le développement des énergies renouvelables.

Les GRD profitent-ils du système actuel, au détriment des consommateurs et des investissements dans les installations électriques?

Certaines voix reprochent aux GRD de profiter du marché des systèmes de mesure, qui selon eux, serait très intéressant pour les distributeurs qui amortiraient plusieurs fois les appareils loués au détriment des consommateurs et des investissements dans les installations électriques. Tout d’abord, il est faux de dire que les compteurs sont loués. Ils sont comptabilisés et amortis au même titre que d’autres composantes du réseau, tels que les câbles ou les lignes aériennes. Il est dès lors erroné de dire que les GRD amortissent plusieurs fois la place de mesure. Au contraire, des compteurs utilisés au-delà de leur amortissement économique, n’étant plus comptabilisés, tendent à faire baisser l’ensemble des coûts de mesure imputés pour l’entier des consommateurs finaux.

Y a-t-il un moyen de prévenir d’éventuels abus?

La surveillance du prix et de la qualité est d’ores et déjà assurée par l’ElCom et ces allégations ne justifient donc pas une libéralisation et une extension du marché. L’ElCom peut intervenir par des mesures correctrices auprès des gestionnaires de réseau qui ne respectent pas ces règles et ne sont pas en mesure de mettre à disposition les données de mesure avec la qualité et la disponibilité requises à des coûts raisonnables.

Auteure
Valérie Bourdin

est rédactrice AES.

  • AES,
    1003 Lausanne

En quelques mots

Depuis 2019, Christian Petit est CEO du Groupe Romande Énergie.

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