Article Consommation , Technique des installations

Générateurs d’énergie… et de perturbations

La compatibilité électromagnétique des convertisseurs

28.08.2017

Les convertisseurs de fréquence ont un certain don d’ubiquité: on les retrouve dans quasi tous les systèmes électriques modernes. Ils constituent cependant une source majeure d’interférences électromagnétiques. Cherchons à en comprendre les mécanismes avec l’exemple des onduleurs solaires.

Des petits régulateurs SMD de quelques milliwatts aux puissants systèmes de conversion d’énergie équipés de modernes IGBT, les convertisseurs de fréquence se sont répandus dans tous les domaines. Ceci grâce à leur rendement élevé (jusqu’à 99%), leur compacité et leur souplesse d’utilisation. Par convertisseur, on comprend des onduleurs solaires, des entraînements électriques de moteurs (de la machine à laver à la locomotive), des chargeurs divers (du téléphone portable à la voiture électrique), des  LED, des systèmes précédés d’un variateur de tension, toutes les alimentations auxiliaires, etc.

Mais ces convertisseurs génèrent des perturbations électromagnétiques sur un spectre fréquentiel très large. De récentes études [1, 2] montrent ainsi leur influence sur des systèmes électriques et de télécommunication très divers. Par exemple, certains compteurs d’énergie dits «intelligents» sont sensibles aux variateurs et chargeurs domestiques et accusent des déviations de mesure importantes. [3] Les systèmes de communication utilisant le réseau de distribution électrique (pour du diagnostic ou de la télécommande) sont régulièrement perturbés, voire inopérants, ce qui ralentit le développement d’un réseau smart grid. Sur le long terme, des composants électroniques vieillissent prématurément. D’ailleurs, il n’y a pas que l’électronique dite «sensible» qui est affectée: certains moteurs subissent des dysfonctionnements, des échauffements dans les bobinages et de l’usure accélérée dans les parties mobiles.

Pour l’instant, des solutions sont appliquées au cas par cas, mais elles ne peuvent pas être généralisées, car elles ne sont pas toujours compatibles entre elles.

Origine des interférences

Les convertisseurs de fréquence découpent la tension d’entrée (AC ou DC) en tranches à une fréquence précise (entre 1 kHz et 1 MHz). Chaque tranche est ensuite modulée entre 0 et 100% pour réguler la tension de sortie avant mise en forme (AC ou DC).

On distingue plusieurs zones à l’origine de perturbations électromagnétiques (figure 1). Ces zones ne se retrouvent pas forcément dans tous les convertisseurs.

Zone A: La commutation des diodes de redressement de la tension du réseau génère des harmoniques de tension indésirables à des fréquences multiples de 50 Hz jusqu’à environ 2 kHz.

Zone B: Cette zone regroupe plusieurs sources d’interférences. D’abord la commutation des interrupteurs de puissance crée des tensions parasites dont les harmoniques (multiples de la fréquence de base) peuvent s’étaler jusqu’à une centaine de MHz. Ensuite, les diodes internes ou externes aux interrupteurs génèrent des oscillations parasites lors de l’extinction du courant. De plus, les boucles parcourues par les fortes variations de courant des interrupteurs, les éléments inductifs (transformateurs et selfs) et même les refroidisseurs sont la source d’ondes rayonnées.

Zone C: La commutation des diodes de sortie provoque le même effet que dans la zone A, mais sur la base de la fréquence de la zone B.

Zone D: L’électronique auxiliaire de commande et de communication induit en général des perturbations hautes fréquences causées par les flancs de commutation des horloges et de l’électronique numérique. Bien qu’elle fonctionne à faible tension, elle est très rapide. Ces émissions peuvent se coupler sur les entrées et sorties de puissance et être très perturbatrices.

Détaillons les harmoniques de commutation des interrupteurs de puissance (zone B); ils ont une dynamique très particulière (figure 2). Ils diminuent après deux fréquences de coupure (fc1 et fc2), mais surtout après fc2. Or cette fréquence est liée aux flancs de commutation. Ainsi, plus le temps de commutation Tr est rapide (de quelques μs à une dizaine de ns) et plus les tensions parasites se propagent dans les hautes fréquences. Par exemple, la figure 3 montre les émissions conduites à l’entrée DC d’un onduleur dont la fréquence de hachage est à 200 kHz. On voit que les harmoniques s’étendent jusqu’à 10 MHz! La figure 4 montre des harmoniques jusqu’à 150 kHz, alors que la fréquence de commutation est de 8 kHz.

Les zones A, B et C sont aussi le siège d’effets de résonance entre capacités et inductances parasites (contenues dans tous les éléments actifs et passifs ainsi que dans les câbles et les pistes). On assiste alors, dans le domaine temporel, à des oscillations rapides à chaque commutation et, dans le domaine fréquentiel, à des émissions à «large bande». La figure 4 présente plusieurs de ces émissions à 2 et 5 MHz. Une impédance élevée dans les câbles, les connexions ou les plans de masse augmente par ailleurs les tensions perturbatrices lors du passage de courants parasites. Par impédance, on pense à une résistance, mais il ne faut surtout pas négliger l’inductance dont l’influence est prépondérante à haute fréquence.

Propagation

Concernant la propagation, il importe peu que le convertisseur consomme ou réinjecte de l’énergie dans le réseau. Les tensions parasites sortent d’abord par les câbles, à cause d’un manque de filtrage ou de découplage sur les éléments de commutation, ou par couplage capacitif entre des câbles proches. La présence de capacités parasites contre terre crée aussi un chemin de fuite favorable pour les perturbations conduites.

En dessous de quelques MHz, les perturbations restent confinées dans les câbles. Mais ces derniers finissent par rayonner à plus haute fréquence. En effet, tout câble se comporte comme une antenne à partir d’une longueur égale à 5 à 10% de la longueur d’onde (λ = 300/f, la fréquence étant donnée en MHz).

Par ailleurs, les convertisseurs sont souvent plus perturbateurs à faible qu’à pleine puissance. En effet, à 100% ils délivrent un maximum d’énergie, mais ne commutent pas forcément sur le courant le plus élevé.

Pistes d’amélioration

Il est préférable d’agir à la source des interférences, donc dans le convertisseur. Comme l’étendue des harmoniques est liée aux flancs de commutation, il est inutile de modifier la fréquence de base. Il faut diminuer la raideur des flancs de commutation des interrupteurs de puissance, utiliser des circuits «snubbers», voire passer à une commutation à résonance ou à une technique d’étalement de la fréquence de base. Contre les effets négatifs des diodes, on peut opter pour des diodes de type «soft recovery».

Dans les circuits électroniques, l’impédance des masses, connexions et pistes doit être minimale. Cela atténue les oscillations hautes fréquences parasites et les couplages galvaniques intempestifs. Toutes les boucles de courant, qui sont potentiellement des surfaces rayonnantes, doivent être réduites au maximum. Le câblage général interne suit les mêmes règles.

On agit ensuite autour du convertisseur. Pour diminuer les perturbations conduites, il faut d’abord utiliser des filtres adaptés sur les entrées et sorties de puissance. Les autres câbles doivent aussi être traités, soit à l’aide d’autres filtres (filtres sinus ou du/dt pour des câbles moteurs), voire avec des ferrites. Mais la présence de nombreux filtres CEM en entrée des convertisseurs a un effet pernicieux: les capacités contre terre de ces filtres sont de grandes valeurs et provoquent une diminution de l’impédance du réseau, ce qui peut augmenter les perturbations en courant et les courants de fuite, sans compter le risque catastrophique de résonance entre filtres proches. [4]

Pour réduire le rayonnement, le tressage des câbles et leur plaquage contre les parois métalliques est déjà efficace. Mais c’est principalement le blindage du système électrique et des câbles avec des connexions soignées aux entrées/sorties qui évitera les couplages avec l’extérieur. La taille des ouvertures devra être inférieure au vingtième de la longueur d’onde du signal à atténuer.

Application aux onduleurs solaires

Les installations solaires (figure 5) perturbent par rayonnement vers l’extérieur du bâtiment (les radios amateurs par exemple) et par conduction dans les câbles du bâtiment et vers le réseau général. Tous les appareils domestiques et industriels sont alors concernés. On rejette souvent, à tort, la faute sur des fuites du courant DC.

Les éléments perturbateurs sont l’onduleur et tout le câblage (entrée, sortie et auxiliaires). Notons que des petits convertisseurs DC/DC, appelés optimiseurs, sont apparus récemment. Fixés derrière chaque panneau solaire, ils permettent d’améliorer le rendement d’une installation solaire en évitant qu’un seul panneau dégrade le fonctionnement global. Mais ces éléments peuvent être à l’origine de perturbations et ne doivent pas être sous-estimés.

Pour améliorer la compatibilité électromagnétique (CEM), on peut d’abord équiper la sortie alternative d’un filtre réseau ou de ferrites. La partie DC est reliée aux panneaux solaires par de longs câbles qui deviennent des antennes, même à basse fréquence. À l’oscilloscope, la tension DC peut sembler parfaite, car on ne voit pas toujours les faibles tensions parasites (de l’ordre du mV), mais ces dernières suffisent à perturber (comme vu à la figure 3). Cette entrée DC doit donc aussi être équipée d’un filtre spécifique, une simple capacité ne suffisant pas. Au niveau du câblage, finalement, la formation de boucles doit être évitée, notamment lors de la connexion vers les panneaux solaires. En dernier recours, on peut être amené à remplacer les composants polluants, tels que les optimiseurs qui ne peuvent pas tous être filtrés individuellement.

Le marquage CE ne suffit pas

Il n’est pas suffisant de choisir du matériel conforme, il faut vérifier cette conformité. Le marquage CE ne signifie pas automatiquement que la CEM a été correctement prise en compte. Une récente étude européenne [5] a ainsi montré que seulement 5% des onduleurs solaires testés étaient conformes!

Il y a peu de normes de produits dédiées aux convertisseurs, hormis pour les entraînements électriques qui sont couverts par la EN 61800-3. On doit utiliser des normes génériques ou dédiées à des environnements spécifiques (médical, ascenseurs, ferroviaire, etc.). Ainsi, les onduleurs et optimiseurs solaires ne doivent pas générer trop d’harmoniques (EN 61000-3-2/12) et respecter les normes génériques domestiques EN 61000-6-3 (émission) et EN 61000-6-1 (immunité).

Par contre, une installation solaire est particulière, car elle est considérée comme une installation fixe ([6] Article 3–1.3) Le propriétaire devenant alors responsable de la conformité, il devrait donc procéder à une vérification de la CEM. Assembler des composants conformes (onduleurs et optimiseurs) ne suffit pas pour obtenir une installation conforme! En effet, le niveau moyen des émissions monte avec le nombre des systèmes ajoutés, sans compter les effets dus au câblage et aux résonances entre éléments.

De plus, les normes harmonisées ne couvrent pas tous les risques en CEM. Par exemple, les émissions entre 9 et 150 kHz ne sont quasiment pas traitées, alors que, comme vu précédemment dans la figure 4, les convertisseurs génèrent des harmoniques importantes dans cette zone. De plus, il existe très peu d’exigences en immunité au-­dessous de 150 kHz. On a donc en pratique des appareils, certes conformes mais potentiellement perturbateurs, côtoyant des appareils trop sensibles dans cette bande de fréquence. Une mesure simple serait d’installer des filtres basse fréquence. Cependant, leur grande taille et leur prix ne favorisent pas leur intégration et font perdre l’avantage de la compacité des convertisseurs modernes.

Il faudrait donc que les appareils électriques soient améliorés dès la conception et qu’ils soient mieux testés. Or, depuis 2016, la directive 2014/30/EU impose une analyse de risques spécifique à la CEM ([6], annexe II), ce qui permet d’identifier des lacunes dans les normes harmonisées par rapport à l’utilisation finale du produit. Cela inciterait, par exemple, à étendre les tests au-dessous de 150 kHz. D’ailleurs, de nouvelles normes pour les émissions à basse fréquence des convertisseurs de puissance sont en cours d’élaboration.

Tester le matériel assemblé

Les perturbations générées par les convertisseurs de fréquence, qui vont de quelques kHz jusqu’à plusieurs MHz, ne sont pas un problème nouveau. Mais la situation est aggravée par la prolifération de systèmes électriques modernes dans des environnements restreints et par le manque d’exigences légales entre 9 et 150 kHz. On se retrouve alors sur le terrain avec de nombreux appareils polluants ou sensibles, tous difficiles à filtrer.

À l’avenir, la compatibilité électromagnétique devrait s’améliorer pour le matériel grâce à l’obligation d’une analyse de risques et de nouvelles limites, évitant ainsi une «conformité de principe». Cependant, les utilisateurs et acheteurs doivent rester attentifs à la CEM, en commençant par vérifier la conformité du matériel acheté, mais aussi en effectuant des tests supplémentaires en émission et en immunité du matériel assemblé, puis mis sur le marché. Ces tests peuvent être réalisés par les laboratoires de CEM d’Eurofins Electrosuisse.

Références

[1] Cenelec, CLC/TR 50627, Study report on electromagnetic interference between electrical equipment/systems in the frequency range below 150 kHz. November 2015.
[2] P. Kotsampopoulos et al., EMC issues in the interaction between smart meters and power electronic interfaces. IEEE Transactions on Power Delivery, Volume PP, Issue 99, May 2016.
[3] F. Leferink, C. Keyer, A. Mlentjev, Static energy meters errors caused by conducted electromagnetic interference. IEEE Electromagnetic Compatibility Magazine, Vol. 5, Issue 4, pp. 49-55, 2016.
[4] D. Roggo, CEM et réseaux intelligents. Bulletin SEV/AES 6/2015, pp. 33-37, 2015.
[5] EMC Adco, Report on the 6th Joint cross-border EMC market surveillance campaign. 2014.
[6] Directive EMC 2014/30/EU.

Auteur
Olivier Cardou

est ingénieur EPFL de test en CEM.

  • Eurofins Electrosuisse Product Testing AG
    1728 Rossens
Auteur
Christophe Perrenoud

est ingénieur HES, responsable des laboratoires de Rossens et Berne.

  • Eurofins Electrosuisse Product Testing AG
    1728 Rossens

Commentaire

Raphael Steinmann,

Merci pour ce condensé très intéressant. Sujet devenu récurrent depuis longtemps dans nos activités ferroviaires... Et oui, pour les perturbations conduites entre 9 kHz et 150 kHz, il y a un océan de problèmes difficilement solvables. Bonne continuation.

Veuillez additionner 8 et 8.