Des problèmes sans fin au lieu d’une énergie illimitée
Électricité issue de la fusion nucléaire
Coût bien trop élevé, conditions de travail inhumaines, inquiétudes en matière de sécurité, pas opérationnel – la liste des critiques à l’encontre du réacteur à fusion nucléaire Iter est longue. S’agit-il juste de propos alarmistes? Ou le projet du siècle est-il réellement voué à l’échec?
Unlimited Energy – c’est avec cette promesse que le site Internet du projet Iter accueillait ses visiteurs il y a quelques mois encore. La fusion nucléaire, qui alimente également le Soleil et les étoiles, est une source potentielle d’énergie sûre, sans carbone et pratiquement illimitée, pouvait-on y lire. Cette promesse doit devenir réalité dans le réacteur expérimental qui est en train de voir le jour dans la paisible commune de Saint-Paul-lès-Durance, dans le sud de la France. Des chercheurs du monde entier veulent y engendrer un plasma de 150 millions de degrés dans lequel les noyaux atomiques fusionnent les uns avec les autres. L’énergie ainsi libérée serait dix fois supérieure à celle qui doit être investie [1] – et suffisante pour alimenter environ 200'000 foyers, selon le communiqué officiel [2].
Les chiffres indiqués induisent toutefois délibérément en erreur, critiquent certains: le réacteur ne produira jamais d’énergie excédentaire. D’autres, dont le prix Nobel de physique Georges Charpak, aujourd’hui décédé, pensent même que l’installation ne sera jamais opérationnelle. C’est pourquoi il a demandé dès 2010, avec d’autres scientifiques de renom, l’arrêt d’Iter [3]. L’ancien physicien du Cern Michael Dittmar conclut lui aussi, dans un rapport de 2019 pour le parti allemand «Die Grünen», que «cette technologie ne permettra pas de produire de l’énergie de fusion dans la première moitié du XXIe siècle».
L’organisation Iter se voit par ailleurs confrontée à plusieurs autres reproches. Nombre d’entre eux figurent dans le rapport datant de 2021 d’un lanceur d’alerte, Michel Claessens, qui a été jusqu’en 2015 porte-parole d’Iter à Caradache. Il y dénonce entre autres des conditions de travail intenables et diverses failles de sécurité. De plus, certains pensent que la dangerosité des déchets radioactifs des réacteurs de fusion est minimisée. Et puis il y a encore l’explosion des coûts et les retards constants dans le calendrier. Mais prenons les choses dans l’ordre.
Pas de gain d’énergie avec Iter
En 2017, le journaliste et éditeur du «New Energy Times» Steven Krivit a signalé pour la première fois que le bilan énergétique d’Iter était mal communiqué du côté officiel [4]. Le gain énergétique net – s’il y en a un – n’est que marginalement positif, écrit-il. Il y voit une tromperie délibérée du grand public. Le physicien Hartmut Zohm de l’Institut Max-Planck de physique des plasmas à Munich, qui participe depuis une vingtaine d’années déjà avec son équipe au projet Iter, lui donne raison sur le fond: «Si l’on convertit l’énergie thermique d’Iter en électricité, il en reste au mieux un tiers. Cela ne couvre pas la totalité des besoins énergétiques d’Iter.» Le facteur 10 communiqué par les instances officielles repose sur le fait que, pour fournir 500 MW, Iter a besoin d’environ 50 MW pour chauffer le plasma. Or, cette puissance d’entrée est loin d’être suffisante pour faire fonctionner l’ensemble de l’installation. Ce réacteur n’est toutefois pas conçu pour produire de l’électricité, précise Hartmut Zohm. «En fait, on veut en premier lieu étudier la combustion du plasma.» Pour l’expert en plasma, il s’agit donc d’une «communication ambiguë, mais pas d’une tromperie intentionnelle».
Iter n’a longtemps pas réagi aux critiques relatives à son bilan énergétique. Ce n’est qu’en octobre 2021 que l’organisation a admis pour la première fois, à la demande du magazine satirique d’investigation français «Le Canard enchaîné», que «bien sûr, tous les systèmes de l’installation consommeront plus d’énergie que le plasma n’en produira» [5]. Cependant, lors d’une audition au Parlement français, qui a par hasard eu lieu le jour de la publication de l’article, le directeur général d’Iter de l’époque, Bernard Bigot, a déclaré: «Si Dieu me permet d’être encore en vie en 2035, je verrai qu’on produit effectivement dix fois plus d’énergie qu’Iter n’en consomme [6].» Bernard Bigot est décédé le 14 mai 2022; le 15 septembre 2022, Pietro Barabaschi a été nommé nouveau directeur général d’Iter.
Des accusations massives dans le rapport du lanceur d’alerte
Les accusations portées par Michel Claessens à l’encontre de l’organisation Iter sont plus graves. Ce scientifique et journaliste a dirigé le service de presse d’Iter pendant environ cinq ans, avant que Bernard Bigot, fraîchement nommé directeur général d’Iter, ne le licencie le 28 mars 2015. Michel Claessens a d’abord été transféré à l’Agence européenne d’Iter «Fusion for Energy», à Barcelone. En 2016, il a ensuite rejoint la Commission européenne à Bruxelles en tant qu’«Iter policy officer». Là, il s’est senti comme sur une voie de garage, écrit-il. En raison de déclarations critiques sur le projet, on aurait exercé des pressions sur lui. Depuis 2021, il n’occupe plus aucune fonction au sein de l’organisation.
Michel Claessens fait état de plusieurs licenciements illicites, dont certains ont aussi déjà été confirmés et sanctionnés par le tribunal administratif de l’Organisation internationale du travail (OIT) à Genève [7]. De plus, la charge de travail et la pression sur les collaborateurs d’Iter sont énormes. Un employé de Fusion for Energy s’est suicidé pour des raisons professionnelles. Dans la lettre qu’il a laissée, l’employé a expliqué son geste par un «effondrement professionnel» lié au fait qu’il était «traité en bouc émissaire et humilié au dernier degré», rapporte le magazine français «Reporterre» [8]. Lors d’une audition devant la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, Michel Claessens a réitéré ses reproches: l’organisation Iter a introduit un management de la peur. Lors d’entretiens personnels, des collègues lui ont parlé du stress omniprésent et de la crainte de perdre leur emploi. Et personne n’ose dire quoi que ce soit [9].
Mais il est possible que les responsables d’Iter aient déjà réagi à ces accusations. C’est ce que suggère l’impression de l’ingénieur Enrique Gaxiola, qui travaille depuis neuf ans sur le chantier d’Iter. Il a confirmé par e-mail que les conditions de travail étaient parfois intenables, mais que l’atmosphère s’était à nouveau normalisée avec le directeur général par interim japonais.
Problèmes lors du montage
Outre les conditions de travail pratiquement inhumaines, Michel Claessens dénonce une mauvaise gestion du projet qui pourrait entraîner des problèmes techniques lors du montage et de l’exploitation du réacteur. Fin janvier 2022, l’Autorité de sûreté nucléaire française (ASN) a par exemple ordonné l’arrêt du montage de la chambre à vide d’Iter après avoir constaté des désalignements entre les surfaces de soudage des deux premiers secteurs de chambre à vide de 440 t [10]. Trois des neuf secteurs qui, une fois assemblés, formeront un tore pour le plasma, présentent des écarts dimensionnels, parce qu’ils ont peut-être été endommagés lors de leur transport depuis la Corée du Sud.
Un secteur a été légèrement soulevé dans la fosse après l’autorisation de l’ASN afin de compenser les écarts. L’organisation Iter cherche encore des solutions pour les deux autres secteurs. Michel Claessens reproche toutefois que l’on ne procède pas de manière transparente. Il trouve également inquiétant que, selon une source interne, le contrôle de qualité obligatoire n’ait pas eu lieu en Corée du Sud après l’achèvement de la construction – soi-disant pour respecter le calendrier et atteindre des étapes clés («milestones») importantes.
«Les secteurs présentent effectivement des écarts dans les spécifications, mais ce n’est pas pour cela qu’il faut directement les jeter», déclare Hartmut Zohm. Bien sûr, il faut maintenant montrer comment on peut malgré tout souder les parties de la chambre à vide de sorte que tout soit étanche à la fin. De manière générale, de tels incidents et inspections par l’ASN n’ont rien de surprenant pour Hartmut Zohm. «L’installation a été autorisée au début, mais au cours des années de construction, la conception du réacteur a été passablement modifiée», explique-t-il. «L’Autorité de sûreté nucléaire française veut maintenant savoir comment tout cela s’accorde avec ce qui a été convenu à l’origine.» Un processus tout à fait normal selon lui.
Hartmut Zohm n’accepte pas le reproche selon lequel on aurait dissimulé de tels problèmes chez Iter: «Il est compréhensible que l’on ne fasse pas immédiatement un communiqué de presse lorsque quelque chose ne se passe pas comme prévu.» Mais en interne, de telles choses seraient très bien communiquées. Toutefois, les inspections et la collaboration avec les autorités ne se déroulent apparemment pas sans heurts. Le 20 juillet 2021, l’ASN a informé Bernard Bigot, dans une lettre, des résultats d’une inspection du 2 juillet 2021 [11]. L’autorité y fait état de certificats de qualification de soudeurs falsifiés et déplore que les informations demandées ne soient transmises qu’avec réticence. Un test aléatoire aurait également révélé qu’une soudure avait été déclarée conforme, contrairement au résultat du contrôle radiographique. Et l’ASN critique le fait qu’une zone essentielle du bâtiment du réacteur n’était pas accessible aux contrôleurs.
Enrique Gaxiola, expert en technologies des aimants, a également critiqué le fait que «beaucoup trop de pièces sont simplement assemblées sans être suffisamment testées». Par exemple, presque aucun des 48 aimants supraconducteurs n’a encore été testé dans des conditions de fonctionnement. Et lors d’un des rares essais, l’un des trois «modules solénoïdes» centraux a été endommagé, probablement de manière irréparable, par un court-circuit. Selon Enrique Gaxiola, un incident survenu dans le projet de fusion japonais JT60SA montre également que d’autres problèmes pourraient survenir. Ce réacteur doit permettre de réaliser le principe de fonctionnement d’Iter à plus petite échelle. En mars 2021, lors d’expériences, il y a eu un court-circuit sur l’aimant en raison d’une isolation insuffisante, ce qui a entraîné des dommages sur l’installation et des retards.
Danger pour les employés
L’Autorité de sûreté nucléaire a également fait savoir à l’organisation Iter que le blindage en béton de 3,5 m d’épaisseur autour du réacteur ne suffira pas pour protéger le personnel des radiations radioactives à l’avenir [10]. L’ASN craint qu’une augmentation du blindage ne conduise à ce que le poids total du réacteur dépasse les 140'000 t de capacité de charge de ses fondations antisismiques.
L’exposition aux radiations ne semble toutefois pas être la seule source potentielle de danger pour la santé des employés. Deux experts en béryllium, Robert Winkel et Kathry Creek, ont démissionné de l’organisation Iter parce qu’ils n’étaient prétendument pas d’accord avec la protection des travailleurs contre les dangers de ce métal léger [10]. Dans Iter, le béryllium est utilisé pour le revêtement de la première paroi interne de la chambre à vide du réacteur. La fine poussière de ce métal peut provoquer de graves pneumonies. Une intoxication au béryllium peut obliger à prendre des médicaments pour le reste de sa vie, voire à subir une transplantation pulmonaire.
Selon les deux experts, le protocole actuel de fabrication, de manipulation et d’installation des modules comporte un risque de «contamination inacceptable des travailleurs». Il est rapporté que les deux anciens employés reprocheraient même à l’organisation d’avoir fait preuve de négligence délibérée en ne prenant pas de contre-mesures. «Il est toujours critique de travailler avec du béryllium, car il est toxique», explique Hartmut Zohm. Or, l’intérieur de l’installation expérimentale Joint European Torus (JET), qui est en quelque sorte le prédécesseur d’Iter, est également revêtu de béryllium. «Cela fonctionne depuis des années sans qu’il y ait eu de problèmes jusqu’à présent», précise Hartmut Zohm.
Pas de combustible pour les réacteurs
La critique de l’ancien physicien du Cern Michael Dittmar, exposée en 2009 dans quatre articles sur le serveur de prépublications Arxiv [12] et réitérée dans un rapport pour le parti allemand «Die Grünen» en 2019, est plus fondamentale. Ses réflexions théoriques montrent qu’Iter ne pourra jamais fonctionner, explique-t-il au téléphone. Il fournit pour cela différents arguments – le plus significatif étant la production du tritium. Dans le réacteur, cet isotope de l’hydrogène doit fusionner avec le deutérium, ce qui libère une énorme quantité d’énergie. Le deutérium est également appelé «hydrogène lourd», car il contient un électron et un proton, mais aussi un neutron. Le tritium, quant à lui, possède encore un neutron supplémentaire et est donc également appelé «hydrogène extra-lourd».
Alors que le deutérium peut être extrait de l’eau de mer, le tritium n’existe pratiquement pas dans la nature. Il est produit par exemple dans certains types de centrales nucléaires, dont il ne reste que quelques-unes en service. De plus, le tritium radioactif se désintègre avec une demi-vie d’environ 12 ans. Les réserves existantes, estimées aujourd’hui à 25 kg, diminuent donc rapidement. C’est pourquoi ce nucléide est convoité par les chercheurs en fusion – et à 30'000 euros le gramme, sa valeur est presque aussi élevée que celle des diamants. On estime qu’Iter utilisera environ 1 kg de tritium par an et en consommera ainsi une quantité considérable. C’est pourquoi les futures centrales à fusion devront produire leur propre tritium. Pour la fusion, c’est la seule façon d’avoir un avenir, tous les spécialistes sont d’accord sur ce point.
Pour la production de tritium dans le réacteur, il n’existe toutefois jusqu’à présent que des réflexions théoriques: le tritium peut être extrait de l’isotope du lithium 6Li au moyen de neutrons. Et les neutrons seraient de toute façon disponibles dans le réacteur en tant que «déchets» de la fusion nucléaire. «Comme un seul neutron est produit par réaction de fusion et que nombre d’entre eux sont perdus par absorption, les neutrons produits ne suffisent pas», explique Michael Dittmar. «Il faut donc les multiplier de manière à atteindre une augmentation de leur nombre de 30 à 50%.» Et c’est là que commence la dissension: Michael Dittmar pense que le processus de génération de tritium est donc impossible. Hartmut Zohm le contredit: «Nous ne voyons pas d’obstacle en ce qui concerne le principe, et dans les simulations détaillées, cela fonctionne.» Certes, la génération de tritium est un problème extrêmement complexe, admet ce dernier. Mais il pense qu’il peut être résolu avec un haut niveau d’ingénierie technologique.
Le processus sera étudié dans Iter et dans d’autres installations de recherche sur la fusion, par exemple en Chine. L’idée consiste à multiplier les neutrons libres par des réactions nucléaires avec d’autres éléments tels que le béryllium ou le plomb. Michael Dittmar doute: «En particulier les essais relatifs à la génération de tritium ont nettement diminué ces dernières années», affirme-t-il. Le physicien nucléaire a même l’impression que ce problème est délibérément mis de côté, car on sait que cela ne fonctionnera pas. Au lieu de cela, on s’occupe presque exclusivement de la génération du plasma, dit-il. Dans la feuille de route de la recherche européenne pour la réalisation de l’énergie de fusion (European research roadmap to the realisation of fusion energy), le problème de la génération du tritium est explicitement abordé, rétorque Hartmut Zohm. «Ce n’est pas parce que cela n’a pas encore été démontré expérimentalement que cela ne fonctionnera pas à l’avenir.»
Une simulation réalisée en 2021 [13] par l’ingénieur nucléaire Mohamed Abdou de l’Université de Californie, Los Angeles, et ses collègues a toutefois montré que, dans le meilleur des cas, un réacteur produisant de l’électricité ne pourrait produire que légèrement plus de tritium que ce dont il a besoin pour son propre combustible. Des fuites de tritium ou des arrêts de maintenance prolongés réduiraient cette marge, peut-on lire dans un article paru sur le sujet dans la revue scientifique «Science» en juin 2022 [14]. Dans le pire des scénarios, le tritium ne suffirait pas à couvrir les besoins en fusion après Iter, reconnaît également Gianfranco Federici, responsable de la technologie de fusion au sein du Consortium européen pour le développement de l’énergie de fusion EuroFusion, dans les colonnes du magazine. Daniel Jassby, un physicien des plasmas à la retraite du Princeton Plasma Physics Laboratory (PPPL), est cité en ces termes: «Cela pourrait être fatal à l’ensemble de l’entreprise» et «rendre impossible les réacteurs de fusion deutérium-tritium».
De l’énergie verte?
Si les réacteurs à fusion devaient fonctionner à l’avenir, ils fourniraient une énergie propre. Non? «Ce n’est pas un grand secret qu’Iter produira également des déchets radioactifs», déclare Hartmut Zohm. Interrogé, le service de presse d’Iter écrit: «Au cours de la vie d’Iter, des déchets conventionnels – comme dans toute installation industrielle – et des déchets radioactifs seront produits, provenant de l’exploitation et du démantèlement.» D’une part, les neutrons à haute énergie générés entraînent une activation nucléaire des composants de la chambre à vide. D’autre part, des matériaux sont contaminés par le tritium, le combustible radioactif. Selon le service de presse, les modélisations indiquent qu’au cours des 20 années d’exploitation, on obtiendrait environ 5000 t de déchets d’entretien liés au procédé, dont 42% de déchets de très faible activité et 58% de déchets de faible à moyenne activité à vie courte. Le remplacement des composants produirait environ 1000 t de déchets de moyenne activité à vie longue. Enfin, le plus gros morceau résulterait du démantèlement de la chambre à vide et des systèmes de soutien: 60'000 t de catégories de déchets de très faible, faible et moyenne activité à vie courte, et environ 2500 t de déchets de moyenne activité à vie longue. Cela correspond aux estimations de l’Institut Max-Planck de physique des plasmas: selon le type de construction, une centrale à fusion produirait entre 60'000 et 160'000 t de matériaux radioactifs pendant sa durée de vie d’environ 30 ans, peut-on lire sur son site Internet [15].
Ainsi, la quantité de déchets produits par un réacteur à fusion ne diffère pas de manière significative de celle d’une centrale nucléaire classique. Mais comme le tritium a une demi-vie de seulement 12,3 ans, l’activité de la majeure partie des déchets radioactifs sera tombée à un dix-millième de sa valeur initiale après environ 160 ans. En revanche, pour les déchets de plutonium ou d’uranium issus de la fission nucléaire, il faut des milliers d’années pour que leur radioactivité ait diminué de moitié. Iter produit donc principalement des déchets de faible et moyenne activité. Le débat public relatif à la recherche de sites de stockage définitif porte essentiellement sur les produits de fission hautement radioactifs à longue durée de vie.
On prévoit déjà des procédés visant à réduire la teneur en tritium et le volume final des déchets, voire à récupérer une partie du tritium afin de le réutiliser comme combustible, indique le service de presse. Il est toutefois clair qu’à la fin de l’exploitation d’Iter, des déchets radioactifs devront être stockés temporairement. «On a déjà en partie des emplacements pour ce faire», déclare Hartmut Zohm. Une lettre de l’Autorité de sûreté nucléaire adressée à l’organisation Iter en 2021 [16] montre qu’il y a encore des questions en suspens sur ce point. Elle y demande plus d’informations sur la quantité et le stockage des déchets radioactifs de tritium. La planification aurait pris un retard considérable à cet égard.
Explosion des coûts, calendrier incertain
Selon les données officielles, Iter coûtera un peu plus de 20 milliards d’euros. Au début du projet, en 2005, on s’attendait encore à un coût d’environ 5 milliards. Mais à l’heure actuelle, tout porte à croire que les dépenses vont encore augmenter. En septembre 2021, le directeur général Bernard Bigot a annoncé qu’il ne serait pas possible de respecter la date prévue pour le premier test d’allumage du plasma en 2025, principalement en raison de la pandémie de coronavirus. Cela avait encore augmenté les coûts, et il avait alors promis des informations plus précises pour la fin 2022 [17].
«En fait, nous ne connaîtrons jamais les coûts exacts, car 90% des contributions sont versées en nature et les gouvernements ne veulent pas, dans la plupart des cas, divulguer les coûts des pièces qu’ils produisent», écrit Michel Claessens dans un fil de discussion sur Twitter [18]. Il y ajoute: «La meilleure estimation que nous puissions faire se base sur la contribution de l’UE jusqu’en 2035.» Celle-ci s’élève à 18,1 milliards d’euros et comprend également les contributions en espèces et en nature, les dépenses administratives ainsi que le taux d’inflation dans la zone euro. La contribution de l’Europe s’élevant à 45,6%, le total atteint 41 milliards d’euros. En tenant compte des coûts d’exploitation, de désactivation et de démantèlement, on arrive à 48 milliards d’euros, déclare Michel Claessens par e-mail.
Le Département de l’Énergie des États-Unis estimait déjà en 2018 les coûts d’Iter à 65 milliards de dollars [19]. Hartmut Zohm trouve que de tels chiffres sont trop élevés. Il signale une certaine marge de manœuvre dans le calcul des coûts, car Iter n’est pas une entité qui dépense l’ensemble des fonds de manière groupée: «Personne ne connaît par exemple le coût exact des bobines que la Chine a fabriquées», déclare Hartmut Zohm.
«Personnellement, je pense que le premier plasma sera allumé aux alentours de 2027–2028», dit-il. Comme le plan de recherche actuel prévoit que les premières expériences de fusion auront lieu dix ans après le premier allumage, ce serait au plus tard en 2038. Bien entendu, il n’est guère surprenant qu’un projet du siècle impliquant 35 nations soit plus onéreux et dure plus longtemps que prévu. Mais si l’augmentation des coûts est surtout un désagrément pour les contribuables qui financent le projet, les énormes retards constituent peut-être un problème plus important: «La technologie date de deux décennies. Aujourd’hui, il y a plus de 20 start-up dans le monde qui développent des technologies de fusion avec des fonds privés», explique Michel Claessens. «Certaines d’entre elles utiliseront les dernières technologies en matière d’aimants pour créer des réacteurs plus compacts.»
Michel Claessens estime néanmoins qu’il faut continuer à soutenir la recherche sur la fusion, et ce, malgré l’issue incertaine. D’autres, dont Michael Dittmar, demandent en revanche depuis longtemps que les fonds soient mieux employés, dans la recherche sur les énergies renouvelables. Ce physicien nucléaire est en effet convaincu que la fusion nucléaire ne permettra jamais de produire raisonnablement de l’énergie sur Terre. L’expert en plasma Hartmut Zohm voit les choses différemment. Il pronostique que les premiers réacteurs à fusion fourniront pour la première fois de l’électricité dans environ 30 ans. L’histoire du soleil artificiel restera donc passionnante pour quelques décennies encore!
Références
[2] newenergytimes.com/v2/sr/iter/website/20200728-Press-Release.pdf
[3] www.tagesspiegel.de/wissen/iter-scharfe-kritik-an-fusionsreaktor/1900994.html
[4] news.newenergytimes.net/2017/10/06/the-iter-power-amplification-myth
[5] www.reddit.com/r/france/comments/qhv6by/iter_un_réacteur_expérimental_à_la_com_le_canard
[6] news.newenergytimes.net/2021/11/03/bernard-bigot-presentation-to-the-french-senate-last-3-minutes
[7] www.ilo.org/dyn/triblex/triblexmain.fullText?p_lang=fr&p_judgment_no=3990&p_language_code=EN
[8] reporterre.net/Stress-peur-pression-le-difficile-quotidien-des-salaries-du-reacteur-nucleaire-Iter
[9] www.youtube.com/watch?v=cLYRr5hRP9g
[10] physicstoday.scitation.org/doi/10.1063/PT.3.4997
[12] arxiv.org/abs/0908.0627, arxiv.org/abs/0908.3075, arxiv.org/abs/0909.1421, arxiv.org/abs/0911.2628
[13] iopscience.iop.org/article/10.1088/1741-4326/abbf35/meta
[14] www.science.org/content/article/fusion-power-may-run-fuel-even-gets-started
[15] www.ipp.mpg.de/2641049/faq9
[16] www.actu-environnement.com/media/pdf/news-37664-avis-asn-dechets-sans-filiere.pdf
[17] www.euractiv.com/section/energy/news/iter-nuclear-fusion-reactor-hit-by-covid-delay-rising-costs
[18] twitter.com/M_Claessens/status/1439482924965974016
[19] physicstoday.scitation.org/do/10.1063/pt.6.2.20180416a/full
Erratum
L'épaisseur du blindage en béton autour du réacteur est de 3,5 m, et non de 2 m comme indiqué dans la version parue dans le Bulletin. Correction en ligne et dans le pdf ci-dessous réalisée le 12 décembre 2022.
Commentaire
Hubert Giot,
Comme vous le soulignez, la production de tritium est primordiale pour lancer la réaction de fusion entre deutérium et tritium. Iter, comme les futures centrales, en consommera environ 1 kg par année, ce qui semble peu, mais si notre consommation d’électricité doit s’appuyer sur cette filière, il faudra compter en milliers de centrales, donc en tonnes de tritium par année pendant des centaines d’années, voire des milliers d’années…
Si on doit puiser dans les réserves de lithium, bombardé par les neutrons de la réaction de fusion, alors on est loin de parler d’énergie illimitée…
Autant se concentrer sur l’énergie solaire, captée par de simples miroirs (fours solaires) pour alimenter des centrales thermiques classiques, sans recourir aux panneaux photovoltaïques, plus complexes à fabriquer… (d’importation chinoise)…
J’ai lu également qu’à l’EPFL, un prototype de centrale solaire permettrait de produire directement de l’hydrogène.
Le solaire, comme la géothermie et le vent restent incontestablement les sources d’énergie renouvelables…
Pourquoi perdre des milliards d’investissements pour des gadgets de physiciens, extrêmement complexes à fabriquer, sans garantie de résultat ?