Article Infrastructure , Mobilité , Stockage d’énergie

Des batteries mobiles pour notre réseau

Soutien des réseaux de distribution

02.05.2023

Grâce à la recharge bidirectionnelle, les grosses batteries des véhicules électriques peuvent non seulement être utilisées pour optimiser l’autoconsommation de la production photovoltaïque locale, mais aussi pour soutenir les réseaux électriques. Une perspective intéressante tant pour Swissgrid que pour les gestionnaires de réseaux de distribution.

Vu l’électrification croissante du trafic routier, d’ici 2035, les besoins énergé­tiques liés à la mobilité auront déjà en grande partie migré vers l’électricité. Selon des estimations de Swiss Emobility, entre 40% et 60% des voitures neuves seront des véhicules rechargeables en 2025, et cette part atteindra même 91% à 99% en 2035. Le parc suisse de voitures de tourisme sera alors composé de 50% à 60% de véhicules rechargeables. Cette électrification permettra d’économiser de l’énergie de manière significative, les moteurs électriques bénéficiant d’un rendement trois à quatre fois supérieur à celui des moteurs à combustion. La consommation d’énergie fossile importée diminuera ainsi fortement. Par rapport à 2019, il faudra aussi produire environ 6 TWh supplémentaires d’électricité en 2035, et ce, principalement grâce au dévelop­pement du photovoltaïque. Cela correspond «seulement» aux deux tiers de la production de la centrale nucléaire de Leibstadt, la plus récente de Suisse, qui devrait rester connectée au réseau jusqu’en 2044.

Aujourd’hui déjà, les besoins supplémentaires en électricité liés à la mobilité électrique sont souvent assurés par des installations photovoltaïques décen­tra­lisées. Leur surplus de production est acheminé vers les réseaux ou peut être stocké localement dans une batterie afin d’être utilisé le soir ou le lendemain. Selon la structure tarifaire appliquée, ce stockage intermédiaire peut déjà être rentable aujourd’hui. En effet, si les prosommateurs optimisent leur consom­mation propre «derrière» le compteur, ils économisent les frais de réseau.

Une famille typique consomme environ 10 kWh/jour. Ce chiffre double lorsque l’on ajoute la recharge d’une voiture électrique. Pour transférer le surplus de production de son installation photovoltaïque de la mi-journée au soir, il lui suffit généralement de disposer d’une batterie de 10 kWh. C’est pourquoi la plupart des batteries stationnaires disponibles sur le marché ont une capacité de cet ordre de grandeur. Or, dès qu’une voiture électrique est connectée au bâtiment par le biais de la borne de recharge, elle devient une «batterie sur roues» potentielle. Et ce, avec une capacité nettement plus importante que celle des batteries domestiques.

La batterie en bénéficie aussi

Grâce à la recharge bidirectionnelle, il est désormais possible d’utiliser une partie de la batterie de la voiture pour le stockage intermédiaire à la place (ou en complément) d’une batterie stationnaire. L’utilisation bidirectionnelle de la batterie n’a pas de grande influence sur sa durée de vie, car la décharge se fait en douceur, à faible puissance, et ne va jamais jusqu’à la vider complètement. Étant donné que la batterie est nettement moins souvent chargée à 100%, un état de charge néfaste pour la batterie, la recharge bidirectionnelle pourrait même avoir un effet positif sur sa durée de vie.

Les batteries des voitures électriques ont généralement une capacité comprise entre 50 et 100 kWh. Cette valeur étant nettement supérieure aux besoins quotidiens moyens en matière de mobilité, il est plutôt judicieux d’utiliser une partie de cette capacité pour optimiser la consommation propre de la production photovoltaïque. Il suffit pour cela de disposer d’une borne de recharge bidirectionnelle, d’une voiture électrique permettant ce type de recharge et d’une application au moyen de laquelle l’utilisateur peut poser ses conditions. Par exemple: «La voiture électrique doit être rechargée à 80% à 7 heures du matin». Dès lors, l’optimisation (recharge et décharge) guidée par les coûts s’effectue automatiquement en arrière-plan. Ce processus est aussi appelé V2H pour «Vehicle-to-Home», ou V2B pour «Vehicle-to-Building».

Comme la recharge bidirectionnelle permet d’éviter l’achat d’une batterie supplémentaire, elle est intéressante en termes d’utilisation des ressources (énergie grise). C’est précisément pour cette raison que les premiers programmes de soutien spécifiques aux bornes de recharge bidirectionnelles ont été mis en place.

Le canton de Berne a été, il y a plusieurs années déjà, le premier canton à aider les PME avec une contribution supplémentaire de 2000 CHF par borne de recharge bidirectionnelle. Depuis peu, le canton du Tessin soutient également les clients privés avec une subvention de 4000 CHF par borne de recharge bidirectionnelle! Au niveau local, les tendances vont également dans cette direction. Par exemple, la commune tessinoise de Val Mara (récemment créée par la fusion de Maroggia, Melano et Rovio) alloue également 2000 CHF à ses citoyens pour le stockage de la production photovoltaïque. Cette aide est accordée à tous ceux qui mettent en place un système de stockage d’énergie pour les installations photovoltaïques, qu’il s’agisse d’une batterie stationnaire ou d’une voiture électrique avec une borne de recharge bidirectionnelle. Dans le second cas, c’est la borne de recharge bidirectionnelle qui est subventionnée au lieu de la batterie stationnaire.

Des préférences individuelles également pour les flottes

Bien entendu, la recharge bidirectionnelle peut également être appliquée aux flottes. Les conditions individuelles sont alors remplacées par le système de réservation des véhicules. Depuis début 2023, Mobility a déjà mis en service 50 voitures électriques bidirectionnelles, pouvant fournir chacune ±20 kW de puissance de réglage au réseau. Le plan de recharge optimal est automati­quement établi pour chaque véhicule en tenant compte des réservations respectives. Bien entendu, les nouvelles réservations ou les modifications sont aussi prises en compte et le plan est immédiatement adapté. La situation est actualisée chaque minute grâce à la plateforme Sun2wheel responsable de cette tâche.

Un futur potentiel de flexibilité substantiel

Si par exemple en 2035, 2 millions de voitures électriques étaient branchées pendant 90% du temps à des bornes de recharge bidirectionnelles et pouvaient se recharger et décharger avec une puissance de 10 kW, cela correspondrait à une puissance de réglage totale de ±18 GW, soit plusieurs fois celle de l’ensemble des centrales de pompage-turbinage actuelles. À titre de compa­raison, la nouvelle centrale de pompage-turbinage de Linth-Limmern a une puissance de 1 GW. Et elle a nécessité un investissement de 2,1 milliards de francs. Si l’on utilisait également la puissance de réglage jusqu’ici inexploitée des véhicules électriques en stationnement à des fins de stabilisation du réseau (Vehicle-to-Grid, V2G), leurs propriétaires ne devraient mettre à disposition qu’une petite partie de leurs batteries. Il serait ainsi possible de créer une situation gagnant-gagnant pour tous: la contre-valeur d’une voiture électrique se rechargeant en fonction des besoins du réseau pourrait se situer, selon la situation, entre 300 et 3000 CHF par an. C’est d’autant plus intéressant si l’on compare avec un véhicule à combustion qui, lui, n’est pas du tout rentable à l’arrêt.

En Suisse, Swissgrid est responsable du maintien de la fréquence du réseau électrique à 50 Hz. Pour atteindre cet objectif, le gestionnaire du réseau de transport lance régulièrement des appels d’offres: quotidiennement pour la puissance de réglage primaire, et de manière hebdomadaire pour la puissance de réglage secondaire. Habituellement, ces flexibilités sont couvertes par de grandes entreprises. En outre, des agrégateurs spécialisés de nombreuses petites charges, tels que Tiko, participent également en proposant conjointement typiquement des pompes à chaleur, des chauffe-eau ou des chauffages électriques dans un pool. Les bornes de recharge des voitures électriques sont particulièrement intéressantes, car elles représentent un grand potentiel et peuvent être utilisées en toutes saisons. Statistiquement, elles sont disponibles plus de 23 h/24: une puissance de réglage peut donc être proposée très souvent.

Cette puissance de réglage est également intéressante pour les gestionnaires de réseaux de distribution (GRD), qui pourraient alors investir un peu plus dans des réseaux «intelligents» et économiser ainsi en coûts d’installation (en matière de dimensionnement des câbles et d’utilisation du cuivre, par exemple). La recharge des voitures électriques mises à disposition pour ce faire pourrait être temporairement réduite, arrêtée ou même inversée aux heures de pointe. Ainsi, un gestionnaire de réseau pourrait, par exemple, éviter l’extension d’une station de transformation ou la reporter dans le temps, ce qui permettrait de réduire les coûts.

La gestion classique de la charge, telle qu’utilisée pour les bornes de recharge de flottes ou de garages, pourrait être étendue à un circuit de transformation. La courbe de charge du poste de transformation permettrait de s’assurer que la puissance nominale du transformateur ne soit jamais dépassée. Les bornes de recharge bidirectionnelles pourraient réinjecter de l’énergie dans le réseau en cas de forte charge du transformateur et éviter ainsi les congestions en échange d’une indemnisation. Le voisin pressé dépendant du même poste de transfor­mation pourrait aussi recharger sa voiture même en cas de forte charge, éventuellement à puissance réduite. Bien entendu, dans un tel modèle, les propriétaires de voitures électriques seraient rémunérés par le GRD pour la mise à disposition de leur flexibilité, et ce, avec une partie du montant économisé par ce dernier.

Cette solution de «batteries mobiles» n’est pas sans défi, et ce, surtout s’il s’agit de flottes de véhicules. Il faut en effet tenir compte des besoins individuels des conducteurs et regrouper les flexibilités afin de pouvoir proposer une puissance de réglage suffisamment importante. Enfin, il faut aussi garantir et prouver que la puissance de réglage promise a réellement été maintenue à disposition et effectivement fournie en cas de besoin.

Traduire les besoins des gestionnaires de réseaux

La plateforme Sun2wheel utilisée dans le projet pilote «V2X Suisse» assume ce «rôle d’intermédiaire» et traduit les besoins des GRD en commandes indivi­duelles des différentes bornes de recharge. Dans le cadre de ce projet, trois gestionnaires de réseaux (EWZ, Primeo et Aemsa) ont accepté de communiquer leurs besoins en matière de puissance de réglage à la plateforme Sun2wheel via un double signal de télécommande centralisée (figure 1). Comme presque tous les gestionnaires de réseaux utilisent des signaux de télécommande centralisée, les investissements supplémentaires nécessaires sont minimes.

La télécommande centralisée peut être considérée comme une forme simple de PLC (Power Line Communication), par le biais de laquelle des données sont envoyées (de manière unidirectionnelle et à très faible débit) sous forme de broadcast. La transmission des instructions de commande s’effectue par des trains d’impulsions dans la plage de fréquences allant de 100 Hz à environ 2 kHz. Chaque gestionnaire de réseau a sa propre fréquence afin que les instructions de commande ne soient effectives que dans son propre réseau. Cette solution simple, avec le double signal de télécommande centralisée, est d’ailleurs citée dans la «Feuille de route mobilité électrique 2025» de la Confédération.

Il est naturellement possible d’affiner encore ces deux contacts à quatre états pour pouvoir commander des états intermédiaires. Un groupe de travail DACHCZ réunissant des experts d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse et de Tchéquie, avait développé, en 2019, une «approche de solution pour la commande des installations de recharge de la mobilité électrique» comprenant jusqu’à quatre contacts (avec 16 états), mais ces contacts ont par la suite été jugés trop granulaires. Il serait aussi possible de réaliser la même chose avec un compteur intelligent. Quel que soit le canal utilisé, la priorité doit être donnée à la «logique» de l’envoi des signaux du côté des gestionnaires de réseaux. Des critères dynamiques de charge du réseau sont nécessaires, au lieu des banals ordres «d’horloge» répandus aujourd’hui.

Premières expériences

Les premières expériences réalisées dans le cadre du projet «V2X Suisse», soutenu par l’OFEN, ont fourni des enseignements très utiles. Tiko a réussi, en collaboration avec les partenaires du projet «V2X Suisse», à atteindre un temps de réaction de 2 secondes du signal de Swissgrid à la voiture électrique, via la plateforme Tiko, la plateforme Sun2wheel et la borne de recharge. C’est donc suffisamment rapide pour qu’un agrégateur commercial puisse offrir de la flexibilité, et ce, même dans la «discipline reine» de la puissance de réglage primaire. L’agrégation technique via la plateforme permet de documenter précisément quelles bornes de recharge ont réagi à quels endroits. Cela représente une véritable valeur ajoutée, car jusqu’à présent, les gestionnaires de réseaux ne pouvaient pas vérifier après coup si, par exemple, une réduction de charge avait effectivement eu lieu ou non. Cette «quittance numérique» constitue la condition préalable pour pouvoir à l’avenir facturer commercia­lement les commandes de charge.

Auteur
Marco Piffaretti

est cofondateur de Sun2wheel AG.

  • Sun2wheel AG
    4410 Liestal

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