Article IT pour EAE , Stockage d’énergie

Des batteries au service du réseau

Le projet de recherche Bat4SG

05.05.2022

De plus en plus d’installations photovoltaïques sont équipées d’un système de stockage par batterie dans le but de maximiser la consommation propre. Or, ce stockage pourrait également contribuer à la stabilité du réseau de distribution. Des simulations ont permis d’étudier comment celui-ci pourrait être délesté grâce à des stratégies d’exploitation tenant compte du réseau.

Le législateur accorde une grande importance à l’exploitation efficace des flexibilités chez les clients finaux, et les batteries comptent parmi les composants les plus flexibles des futurs clients. L’essor des installations photovoltaïques décentralisées, l’électrification accrue des chauffages et l’émergence de la mobilité électrique confronteront les réseaux électriques à d’importants défis. Les futures pointes de puissance, tant à l’injection qu’au soutirage, déterminent le dimensionnement nécessaire des réseaux de distribution. Des systèmes de stockage par batterie décentralisés installés chez les clients pourraient réduire ces pointes locales de puissance, et contribuer ainsi à limiter les renforcements de réseau nécessaires à l’intégration des nouveaux consommateurs et producteurs.

Or, aujourd’hui, le stockage au moyen de batteries est surtout exploité pour maximiser la consommation propre. Il n’existe pas d’incitations pour motiver les ménages privés à contribuer activement à la réduction des pointes de puissance sur le réseau, en exploitant leur batterie de manière à tenir compte de ce dernier. Les gestionnaires de réseau de distribution (GRD) s’intéressent, de leur côté, de plus en plus à la flexibilité que pourraient fournir ces batteries, mais ils ont du mal à évaluer la valeur que ces nouvelles stratégies d’exploitation des batteries génèreraient pour leur réseau.

Le projet Bat4SG a été initié afin d’étudier cela de manière approfondie. Les partenaires de ce projet sont les gestionnaires de réseaux de distribution Groupe E et WWZ, ainsi que l’association Swissolar. La Haute école spécialisée bernoise (BFH) est, quant à elle, intervenue en tant que partenaire de recherche. Soutenu par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), ce projet a, dans un premier temps, quantifié les avantages techniques potentiels d’une exploitation des batteries décentralisées tenant compte du réseau de distribution. Dans un second temps, il a examiné les avantages financiers résultant d’une exploitation respectueuse du réseau de distribution. Ceux-ci pourraient être utilisés par le GRD pour déterminer une incitation financière encourageant les propriétaires de batteries à adopter de telles stratégies.

Comment les batteries pourraient agir sur le réseau

Le dimensionnement des éléments composant les réseaux électriques, tels que les lignes et les transformateurs, dépend essentiellement de la puissance maximale attendue pour ces équipements. À l’avenir, les plus grands défis pour les réseaux de distribution, en termes de puissance, auront probablement lieu pendant les heures froides des soirées d’hiver (soutirage) et au printemps ou en été, lorsque la production photovoltaïque (PV) est maximale (injection). Dans ces situations extrêmes, certains éléments du réseau atteindront leurs limites. Afin de réduire les pointes de puissance, les systèmes de stockage au moyen de batterie exploités en tenant compte du réseau peuvent être utilisés pour écrêter les pics de soutirage et d’injection, les reporter ou encore les étaler sur une plus longue période. Ils apportent ainsi un bénéfice direct au réseau de distribution en réduisant la sollicitation de ses divers éléments et en limitant les éventuelles surcharges dans des situations extrêmes.

Les valeurs de tension du réseau sont influencées localement par les pointes de puissance. La tension diminue en cas de consommation importante (soutirage), et elle augmente en cas de production élevée (injection). Le gestionnaire de réseau est tenu de maintenir la tension dans une plage de +10% à -10% par rapport à la tension nominale. Outre le fait d’éviter les surcharges, les batteries peuvent également présenter un avantage technique immédiat pour le réseau de distribution en stabilisant la tension du nœud dans la plage de tension définie par la norme EN 50160 [1]. Les systèmes de stockage contribuent ainsi au respect des valeurs limites de tension et peuvent permettre d’éviter, ou au moins de retarder, des renforcements ou des extensions du réseau.

Simulation des scénarios 2020 et 2035

Afin de pouvoir quantifier les avantages techniques de différents modes de fonctionnement des batteries décentralisées, trois réseaux basse tension ont été modélisés en détail à l’aide du logiciel de simulation Power­Factory: un réseau urbain, un réseau suburbain et un réseau rural. Des modélisations de ces réseaux ont été réalisées pour la situation existante (année 2020) et pour l’année 2035. Pour 2035, la modélisation intègre les perspectives de développement en ce qui concerne la construction d’installations photovoltaïques, la mobilité électrique et la puissance des bornes de recharge, la consommation d’électricité ainsi que le développement des systèmes de stockage stationnaire au moyen de batteries.

Trois modes de fonctionnement ont été intégrés pour analyser l’influence sur les réseaux des différents algorithmes de stockage au moyen de batteries: optimisation de la consommation propre, équilibrage de la charge du réseau et équilibrage de la charge du transformateur.

L’algorithme d’équilibrage de la charge du réseau influence les flux de puissance du ménage individuel. Il s’agit d’un algorithme décentralisé. L’algorithme d’équilibrage de la charge du transformateur commande les batteries de manière à équilibrer au mieux le flux de puissance au niveau de la station de transformation; une commande centralisée des systèmes de stockage décentralisés serait alors nécessaire. Une régulation de la puissance réactive en fonction de la tension Q(U) a été mise en œuvre pour les onduleurs photovoltaïques. Ils peuvent ainsi contribuer de manière autonome au maintien de la tension.

La simulation a porté sur des jours isolés représentant des scénarios de charge extrême. La situation où les charges de soutirage sont les plus élevées apparaît en hiver, en soirée, lorsqu’une forte demande en électricité et une puissance supplémentaire requise par la mobilité électrique entraînent des puissances élevées; la production photovoltaïque n’est alors que très faible. La situation inverse, où la charge injectée est la plus élevée, surgit en été, dans l’après-midi, quand les conditions météorologiques sont parfaites pour la production photovoltaïque et que la consommation d’électricité est faible.

Le réseau suburbain étudié se compose principalement de maisons individuelles et de petits immeubles locatifs. La taille des installations photovoltaïques et les consommations des ménages sont du même ordre de grandeur sur l’ensemble du réseau, la structure du réseau étant relativement homogène. Le réseau urbain est, quant à lui, composé principalement de grands immeubles locatifs, de maisons individuelles, ainsi que de bureaux et de surfaces commerciales. Les toitures disponibles pour les installations photo­voltaïques ne permettent qu’une faible puissance d’injection, par rapport à la consommation d’électricité. Finalement, le réseau rural se compose de maisons individuelles et de quelques grands bâtiments, comme des fermes ou des granges. Certains bâtiments disposent de toitures assez vastes, ce qui permet de réaliser de grandes installations photovoltaïques. Le réseau urbain et le réseau rural sont plutôt hétérogènes dans leur structure: ils comprennent de très grandes installations photovoltaïques individuelles et de gros consommateurs d’électricité; les consommations et les injections photovoltaïques peuvent ainsi varier fortement d’un point de raccordement à l’autre.

La figure 1 montre les hypothèses retenues pour l’année 2035 concernant les valeurs de puissance aussi bien des consommations des ménages et des véhicules électriques que des productions des installations photovoltaïques dans le réseau suburbain. L’augmentation de la production photovoltaïque est déduite des estimations des GRD, de la tendance à l’augmentation du photovoltaïque spécifique à chaque quartier et des hypothèses des perspectives énergétiques 2050+ [2].

La capacité de stockage disponible (rectangle noir sur la figure 1) est assez faible par rapport à la production photovoltaïque (zones grises et jaunes de la figure 1).

Effets des différents algorithmes de stockage

Le fonctionnement des algorithmes des systèmes de stockage est illustré dans la figure 2. L’évolution journalière de la charge au poste de transformation est présentée pour l’année 2020 (S01) et pour l’année 2035 sans stockage par batterie (S03). En 2035, la pointe de charge du soir croît, mais l’augmentation de la charge due à l’injection photovoltaïque future dans le réseau de distribution est bien plus significative.

Grâce au mode de fonctionnement actuellement utilisé par toutes les batteries, à savoir l’optimisation de la consommation propre (OCP, S21), les ménages équipés d’une installation photovoltaïque et d’une batterie stockent temporairement la production PV excédentaire dans la batterie dès 7 h du matin. Aux heures de pointe de production, à partir de midi, les batteries sont déjà entièrement chargées et les installations photovoltaïques injectent toute leur puissance dans le réseau. Les algorithmes d’équilibrage de la charge du réseau (EC, S31) et d’équilibrage de la charge du transformateur (ECT, S51) peuvent permettre de réduire considérablement ces pointes de puissance.

La valeur ajoutée des batteries au service du réseau

Dans les trois réseaux simulés, aucun effet significatif, positif ou négatif, n’a été constaté sur le réseau de distribution en cas d’utilisation de l’optimisation de la consommation propre. En revanche, l’algorithme d’équilibrage de la charge du réseau pourrait permettre de réduire considérablement le nombre de surcharges et d’éléments  de réseau concernés, et même dans de nombreux cas de les éviter complètement. Le nombre de dépassements de la limite de tension a également été réduit de manière significative dans la simulation, sans que ceux-ci puissent toutefois être supprimés complètement. Cela signifie qu’il faudrait probablement envisager d’autres mesures (renforcement du réseau ou utilisation d’un transformateur réglable).

L’effet positif de l’équilibrage de la charge est un peu plus important en été qu’en hiver, selon les résultats de la simulation. En hiver, le réseau de distribution arrive à ses limites en raison des consommations élevées qui s’accumulent au niveau de la station de transformation. L’équilibrage de la charge du transformateur serait, de ce fait, un peu plus efficace en hiver. En été, l’équilibrage de la charge du transformateur pourrait avoir un effet positif similaire à celui de l’équilibrage de la charge du réseau.

Dans le réseau suburbain plutôt homogène, les surcharges résulteraient notamment de la somme de la production ou de la consommation de tous les ménages du réseau, et se produiraient au niveau des lignes d’alimentation principales et de la station de transformation. En revanche, dans les structures de réseau moins homogènes (réseau urbain et rural), les surcharges apparaîtraient le plus souvent sur les lignes critiques reliées aux grandes installations photovoltaïques, et ne se propageraient que partiellement vers les lignes d’alimentation principales et les stations de transformation. La logique décentralisée de l’équilibrage de la charge du réseau a obtenu des résultats légèrement meilleurs pour les structures de réseau non homogènes. Dans les réseaux homogènes, la logique centralisée de l’équilibrage de la charge du transformateur serait légèrement plus efficace.

La valeur technique des batteries pour le réseau varie fortement d’un endroit à l’autre. En certains endroits, une batterie peut avoir un effet positif important sur le réseau, tandis qu’ailleurs, elle n’aura qu’un impact limité. Moins la structure du réseau de distribution est homogène, plus il est important de disposer de systèmes de stockage aux endroits pertinents.

S’il est possible de bien prévoir la charge et en particulier la production photovoltaïque, une exploitation du système de stockage tenant compte du réseau pourrait permettre d’atteindre un taux de consommation propre élevé, à peine inférieur à celui obtenu avec l’optimisation de la consommation propre (OCP).

L’extrapolation des résultats de 2035 a permis d’estimer le nombre d’années gagnées, grâce à l’exploitation des batteries tenant compte du réseau, avant l’apparition de surcharges sur le réseau. Les avantages financiers ont été quantifiés sur la base du report des investissements dans le réseau et des coûts des éléments de réseau concernés.

Le tableau résume les avantages techniques et financiers des batteries, liés à l’utilisation d’un algorithme d’équilibrage de la charge. Il indique pour combien d’éléments de réseau des reports de cas d’apparition de surcharge pourraient être atteints en 2035, ou sur l’ensemble de la période de 2020 à 2045. Dans le réseau suburbain et urbain, les surcharges seraient retardées de quatre à cinq ans. Pour le réseau rural, l’effet serait faible, car le fort développement du photovoltaïque entraînerait une surcharge rapide et importante des éléments du réseau, si aucune mesure n’était prise sur le réseau.

Conformément à la recommandation de la branche «Schéma de calcul des coûts pour les gestionnaires de réseau de distribution CH» de l’AES [3], des durées d’amortissement calculées de 35 ans pour les transformateurs, et de 40 ans pour les lignes, ont été utilisées comme base. La valeur financière a été calculée pour cette durée d’amortissement. D’un point de vue technique, ces éléments de réseau peuvent toutefois souvent être exploités au-delà de la durée d’amortissement. Par conséquent, la valeur financière des reports des renforcements du réseau a également été calculée pour une durée de vie technique des moyens d’exploitation de 50 ans.

La durée de vie technique des câbles basse tension et des transformateurs est élevée, et leur coût relativement faible. Par conséquent, la valeur financière du report des renforcements du réseau est assez faible aussi. Si cette valeur atteinte dans le réseau de distribution était remboursée aux propriétaires de batteries pour une exploitation tenant compte du réseau, ils pourraient recevoir une subvention unique d’environ 100 à 200 CHF pour une batterie de 10 kWh. Comme la valeur des batteries dans le réseau de distribution est très variable d’une situation à l’autre, une rémunération pourrait aussi être définie de manière plus ciblée, et donc être plus élevée pour certains cas, mais il serait alors nécessaire de contrôler la compatibilité avec le principe de non-discrimination que doit appliquer le GRD.

Groupe E s’est lancé dans le projet avec l’idée qu’en tant que GRD, il pourrait motiver les propriétaires de batteries à adopter un mode d’exploitation tenant compte du réseau en leur proposant une rétribution financière directe. Les résultats du projet montrent toutefois que cela n’est pas possible sur la base des hypothèses retenues, l’incitation financière justifiable étant trop faible par rapport au coût d’une batterie. Groupe E reste cependant convaincu que les batteries stationnaires et les batteries des voitures électriques vont se répandre fortement dans les années à venir, et que les systèmes de stockage pourraient contribuer à une optimisation précieuse du système électrique. C’est pourquoi, lors d’une prochaine étape, Groupe E examinera s’il est possible d’atteindre une exploitation de ces batteries en tenant compte du réseau grâce à des tarifs horaires variables.

Références

[1] EN 50160 – Caractéristiques de la tension fournie par les réseaux publics de distribution, 2020.

[2] Prognos SA, TEP Energy GmbH, Infras SA, Ecoplan AG, «Perspectives énergétiques 2050+», OFEN, 2021.

[3] «Schéma de calcul des coûts pour les gestionnaires de réseau de distribution CH (SCCD-CH)», AES, 2018.

Lien

Rapport final (en allemand): www.aramis.admin.ch

Notes

Les co-auteurs de cet article sont Stefan Schori (Managing Co-Director, Centre BFH Stockage d’énergie), Michael Höckel (professeur de systèmes énergétiques, BFH), Peter Cuony (responsable des solutions smart grid chez Groupe E) et Cédric Chanez (responsable produits acheminement et raccordement chez Groupe E).

L’auteur et les co-auteurs tiennent à remercier tout particulièrement l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), Swissolar, ainsi que les gestionnaires de réseau Groupe E et WWZ.

 

Auteur
Steffen Wienands

a été chef de projet au Centre BFH Stockage d’énergie jusqu’en mars 2022.

  • BFH, 2501 Bienne

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