Chauffer directement l’eau à l’électricité
Une solution surprenante
De l’énergie renouvelable à la place du mazout ou du gaz, une consommation d’énergie minimale, une eau potable de bonne qualité, des transformations à un coût abordable – cela semble trop demander pour la rénovation d’immeubles résidentiels datant d’avant 1990. Mais il existe une solution. À condition que l’interdiction de la production directe d’eau chaude à l’électricité tombe.
La Suisse compte 2,5 millions de bâtiments – 80% d’entre eux ont été construits avant 1990 et, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique, l’eau chaude est encore produite dans 85% de ces bâtiments à l’aide de mazout, de gaz ou d’électricité. En raison de la crise climatique et de la précarité de l’approvisionnement en énergies fossiles, de nombreux propriétaires passent à la pompe à chaleur, ou du moins y pensent. Si le bâtiment dispose d’un chauffe-eau central et d’un système de circulation pour l’eau chaude, il est évident d’intégrer également le chauffage de l’eau dans la pompe à chaleur (figure 1). Mais ce n’est souvent pas la solution la plus efficace. En effet, dans les bâtiments datant d’avant 1990, jusqu’à 80% de l’énergie utilisée pour la production et la distribution d’eau chaude peut être perdue parce que le système de circulation n’est pas isolé. Les auteurs de l’étude [1] estiment que dans bien plus de la moitié des bâtiments datant d’avant 1990 – et donc dans au moins 40% de tous les bâtiments existants – des systèmes de circulation non isolés sont en service.
Une rénovation d’un autre genre
Une alternative efficace serait un système décentralisé de production directe d’eau chaude à l’électricité (figure 2) – une solution actuellement interdite en Suisse. Si les conditions-cadres légales étaient adaptées, une rénovation énergétique d’un immeuble résidentiel datant de 1986 pourrait bientôt ressembler à cela: le chauffage au mazout est remplacé par une pompe à chaleur. Celle-ci produit la chaleur pour le chauffage, mais pas l’eau chaude sanitaire. Dans les cuisines et les salles de bains, des chauffe-eau instantanés à régulation électronique sont installés pour produire l’eau chaude de manière décentralisée – exactement au moment où elle est nécessaire.
Produire de l’eau chaude directement à l’électricité alors qu’une pompe à chaleur sera en service après la rénovation? N’est-ce pas un pur gaspillage d’énergie? Non, répondent les auteurs d’une étude de faisabilité et de potentiel réalisée pour le compte d’Allthisfuture, le laboratoire d’innovation de WWZ. La conclusion de l’étude: pour de nombreuses maisons construites avant 1990, la production d’eau chaude avec des chauffe-eau instantanés à régulation électronique directement au point de puisage constitue une option de rénovation judicieuse et peu onéreuse. Avec cette solution, la consommation d’énergie peut être réduite de 50% par rapport à la solution standard actuelle, dans laquelle l’eau chaude est chauffée par une pompe à chaleur et distribuée par le système de circulation non isolé existant.
La production directe à l’électricité peut rivaliser
Afin de pouvoir situer le bilan énergétique de la production d’eau chaude avec des chauffe-eau instantanés à régulation électronique, les auteurs de l’étude ont comparé diverses solutions. Ils se sont limités à la distribution d’eau avec des systèmes de circulation. Les calculs se basent sur une étude de la HTA (autrefois Haute école pour la technique et l’architecture, aujourd’hui Haute école de Lucerne, HSLU) pour un immeuble collectif de douze appartements. Comme l’étude date de 2006, les auteurs ont mis à jour certaines hypothèses: l’étude de la HTA se base sur un ménage de quatre personnes avec un besoin en eau de 164 l par jour et par appartement. Or, un logement est aujourd’hui occupé en moyenne par 2,1 personnes. Selon la norme SIA 385/2 actuelle, cela correspond à une consommation d’eau de 73,5 l par jour et par logement. Une autre hypothèse concerne les pompes à chaleur, dont l’efficacité a considérablement augmenté depuis 2006. Les auteurs de l’étude ont utilisé un COP (coefficient de performance annuel) de 3 pour leurs calculs, l’étude de la HTA un COP de 2.
Le résultat est représenté dans la figure 3: comme prévu, la solution standard est la plus efficace pour la valeur de planification actuelle de la consommation d’eau dans un ménage de deux personnes: l’eau chaude est produite par une pompe à chaleur efficace (COP de 3) et distribuée par un système de circulation doté de conduites isolées.
Si les conduites du système de circulation ne sont pas isolées lors d’une rénovation, la production directe et décentralisée d’eau chaude à l’électricité fait à peu près aussi bien que la production d’eau chaude avec une pompe à chaleur efficace ayant un COP de 3. Si la consommation d’eau est inférieure à la valeur de planification selon la SIA, la production directe d’eau chaude à l’électricité est même nettement plus efficace. Dans les résidences secondaires ou les bureaux, notamment, les prélèvements d’eau sont si faibles que cette solution s’impose.
Une interdiction intenable
La conclusion des analyses: avec un système de circulation non isolé, la consommation d’énergie de la production directe d’eau chaude à l’électricité est comparable à celle d’une pompe à chaleur. L’interdiction de la production directe d’eau chaude à l’électricité est-elle donc vraiment justifiable? Selon les modèles de prescriptions énergétiques des cantons (Mopec), l’installation ou le remplacement d’un système de chauffage direct de l’eau à l’électricité dans les bâtiments résidentiels n’est autorisé que si l’eau chaude est produite au moins à 50% à partir d’énergie renouvelable ou de rejets thermiques. La combinaison d’un chauffage électrique direct de l’eau avec une installation photovoltaïque serait donc possible.
Mais les Mopec sont complétés par des aides à l’application, et l’EN-103 interdit également cette solution en cas de combinaison avec du photovoltaïque. Ces réglementations ne reflètent plus l’état actuel de la technique. L’aide à l’application EN-103 se base sur l’étude de la HTA de 2006. Les chauffe-eau instantanés de cette époque fonctionnaient sans régulation et étaient constamment en mode veille. Aujourd’hui, les appareils sont réglés électroniquement et ne chauffent que lorsque le robinet est ouvert. La température peut aussi être réglée. Si l’on veut se laver les mains, on peut chauffer l’eau directement à 40°C. Les anciens appareils chauffaient toujours à une température fixe de 55°C et de l’eau froide devait être ajoutée. Les appareils actuels ont ainsi un rendement de près de 100% et pas de consommation en mode veille. Ils peuvent être facilement ajoutés, et ce, avec des coûts d’investissement et d’exploitation peu élevés. Compte tenu du fait que, pour les bâtiments dont le système de circulation n’est pas isolé, cette solution est aussi efficace que la production d’eau chaude par une pompe à chaleur, cette interdiction n’est plus d’actualité.
L’assainissement des conduites fait grimper les loyers
Les pertes dans le système de circulation peuvent être évitées en isolant les conduites. C’est aujourd’hui la norme pour les nouvelles constructions, mais cela n’était guère pratiqué avant 1990. L’assainissement des conduites entraîne toutefois des coûts élevés et fait grimper les loyers. Des enquêtes menées auprès des propriétaires d’immeubles et des gérances ont montré que les rénovations des conduites ne sont généralement effectuées que dans le cas de rénovations totales avec des résiliations de location. Dans ce cas, les logements sont revalorisés et ensuite loués dans le segment des prix élevés. Les maîtres d’ouvrage tels que les pouvoirs publics, les coopératives ou les particuliers misent souvent sur des mesures d’assainissement minimales pour conserver des logements bon marché, en particulier lorsque les immeubles sont situés en dehors des agglomérations. En règle générale, un assainissement des conduites n’entre pas en ligne de compte. Dans de tels cas, les chauffe-eau instantanés à régulation électronique constituent une solution économique et efficace sur le plan énergétique.
À cela s’ajoutent de nombreux bâtiments existants dont les appartements sont équipés de chauffe-eau électriques décentralisés. Ici également, les pertes sont importantes, car les chauffe-eau sont généralement mal isolés. Si l’eau chaude était chauffée par une pompe à chaleur nouvellement installée, il faudrait installer un système de circulation. Les coûts de cette opération sont comparables à ceux d’une rénovation des conduites.
Les systèmes de circulation sont de plus en plus inefficaces
La consommation en mode veille joue également en défaveur des systèmes de circulation. Même si ces derniers sont isolés, l’eau chaude est pompée en permanence par le chauffe-eau à travers les conduites. En outre, les systèmes de circulation deviennent de plus en plus inefficaces en raison des évolutions actuelles: les logements ne sont plus aussi densément occupés qu’il y a quelques décennies. Alors qu’en 1970, 2,9 personnes vivaient en moyenne dans un appartement, elles ne sont plus que 2,1 aujourd’hui. De plus, avec les activités sportives actuelles, les douches sont de plus en plus souvent prises hors du domicile. Comme on utilise ainsi moins d’eau par ménage, les pertes en mode veille sont encore plus importantes en termes relatifs. Il faut également tenir compte du fait que de plus en plus d’habitations sont chauffées par des pompes à chaleur. Celles-ci sont optimisées pour les températures du circuit de chauffage, qui se situent généralement entre 25°C et 30°C. L’eau sanitaire doit toutefois être chauffée à des températures plus élevées. Ce faisant, la pompe à chaleur fonctionne à un point de fonctionnement inefficace, ce qui entraîne des pertes supplémentaires.
Pas de légionelles dans les chauffe-eau instantanés
Une autre raison qui rend les systèmes de circulation inefficaces: les légionelles. Ces dernières années, le législateur a renforcé les prescriptions. Les systèmes de circulation doivent aujourd’hui être exploités à des températures supérieures à 55°C. Les pertes de chaleur dans le système augmentent donc – et les légionelles peuvent malgré tout s’installer dans les systèmes de circulation non isolés. En effet, les conduites d’eau froide et d’eau chaude sont généralement situées directement l’une à côté de l’autre. Sans isolation, l’eau des conduites d’eau froide est réchauffée par la conduite d’eau chaude à des températures de 30 à 50°C – des conditions optimales pour que les légionelles se multiplient rapidement. Ici aussi, les chauffe-eau instantanés à régulation électronique marquent des points, car les légionelles ne constituent alors aucun problème.
Une batterie au lieu d’un chauffe-eau
Les chauffe-eau électriques instantanés présentent toutefois un inconvénient de poids: ils sollicitent fortement le réseau électrique à court terme. C’est l’une des raisons pour lesquelles cette solution n’est pas autorisée en Suisse. Dans ce cas, une solution consisterait à les combiner avec une installation photovoltaïque et une batterie. Non seulement cette solution est très efficace, mais elle devrait également être rentable dans de nombreux cas compte tenu de la baisse de prix des batteries, d’autant plus que la batterie augmente également la consommation propre de l’électricité et est disponible pour charger les voitures électriques. Il est également envisageable d’utiliser les batteries des voitures électriques comme tampon.
Conclusion
La considération «l’électricité est de la pure exergie et ne doit être utilisée pour la production de chaleur jusqu’à 100°C que par le biais de pompes à chaleur» est correcte et judicieuse dans de nombreux cas, mais ne s’applique pas ici. L’interdiction de la production directe d’eau chaude à l’électricité n’est plus d’actualité. Si elle tombe, les bâtiments construits avant 1990 n’auront plus besoin d’être totalement rénovés pour optimiser leur consommation d’énergie. Après la rénovation, la pompe à chaleur fournit l’eau chaude pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire est produite de manière décentralisée avec des chauffe-eau instantanés à régulation électronique, l’installation photovoltaïque fournit de l’électricité pour la consommation propre, et l’électricité excédentaire est stockée dans la batterie pour absorber les pics de production d’eau chaude et charger les voitures électriques. L’énergie provient ainsi exclusivement de sources renouvelables et est utilisée de manière efficace, et l’habitat reste économique.
Référence
[1] Étude de faisabilité et de potentiel «Effiziente, hygienische Warmwasser-Versorgung in grossen Wohnbauten».
Littérature complémentaire
- Adrian Tschui, Bruno Stadelmann, «Studie Warmwasserverteilung – Kurzstudie über die Energieverluste der verschiedenen Verteilsituationen von Warmwasser im Mehrfamilienhaus», rapport final, HTA Lucerne, 2006.
- Cordin Arpagaus, Matthias Berthold, Mick Eschmann, «Messung der Effizienz der Trinkwassererwärmung bei Wärmepumpenanlagen im Feld», SuisseEnergie, Office fédéral de l’énergie OFEN, 2019.
- SIA 385/2:2015: «Installations d’eau chaude sanitaire dans les bâtiments – Besoins en eau chaude, exigences globales et dimensionnement».
Note
Cette étude a été réalisée à la demande d’Allthisfuture, le laboratoire d’innovation de WWZ.
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