Article Autoconsommation , Énergies renouvelables

Avec le soleil pour seule source d’énergie

Développement de l’installation électrique d’une habitation zéro énergie

03.10.2017

La conception de l’habitat du futur, dont les besoins énergétiques doivent pouvoir être couverts uniquement par le soleil, fait l’objet du concours académique Solar Decathlon US 2017 organisé en octobre à Denver. L’équipe suisse y participera avec son bâtiment NeighborHub conçu et réalisé par une cinquantaine d’étudiants.

La réduction des besoins en énergie des bâtiments est l’un des enjeux majeurs de la transition énergétique en cours. Ces derniers recèlent de fait un grand potentiel d’économie et de production photovoltaïque (PV). La conjonction de ces deux éléments est à même d’aboutir, à moyen terme, à une réduction drastique de la consommation d’énergie primaire d’origine fossile tout en maintenant les standards de confort actuels de l’industrie du bâtiment. Pour promouvoir cet habitat du futur, l’initiative académique globale Solar Decathlon, proposée par le Département américain de l’énergie [1], lance le défi à des équipes d’étudiants constituées à cet effet de développer et de construire des habitations de type «zéro énergie» dont tous les besoins énergétiques (chauffage, électricité, etc.) sont couverts uniquement par l’énergie solaire. Un ensemble de dix critères de performance permettra d’évaluer douze équipes lors de la prochaine édition prévue à Denver du 5 au 15 octobre 2017.

Sélectionnée pour cette édition, l’équipe suisse, qui comprend une cinquantaine d’étudiants de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR), de la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD) et de l’Université de Fribourg (UniFR), participera à cette manifestation lors de laquelle son prototype habitable sera exposé et exploité. Appelé NeighborHub, ce dernier a été développé et réalisé dans le cadre du projet Swiss Living Challenge [2].

Le volet électrique de ce projet a consisté à développer et à réaliser le microréseau électrique du bâtiment, comprenant notamment une alimentation PV utilisant des panneaux intégrés aux façades, un stockage électrochimique et des algorithmes de pilotage optimal des flux de puissance. Cet article résume les étapes du développement de l’installation électrique permettant d’assurer, à faible coût, l’autonomie énergétique du bâtiment.

Une architecture économe en énergie

En plus d’être un producteur PV, le bâtiment à développer, dans sa conception de bâtiment passif, doit réduire ses besoins en énergie. Par conséquent, un certain nombre d’éléments constructifs ont été intégrés dans le concept architectural, notamment une étanchéité thermique renforcée, des fenêtres permettant un éclairage naturel suffisant, des fenêtres zénithales pour une bonne ventilation naturelle ainsi qu’une bonne protection contre le rayonnement solaire intense. Ces mesures s’ajoutent évidemment au choix d’appareils ménagers de basse consommation.

Le résultat? Le bâtiment Neighbor­Hub («Nœud de quartier» en français) conçu en deux zones distinctes: un «centre» thermiquement isolé destiné à l’habitat proprement dit sur 68,8 m2, dans lequel les conditions de confort sont strictement contrôlées, entouré d’une zone tempérée de 80,5 m2 appelée «périphérie», laquelle est dépourvue de chauffage et d’isolation, si bien que la température y varie au gré des saisons (figure 1). Cet espace ouvert sur l’extérieur par quatre portails mobiles est dévolu à des activités récréatives telles que le jardinage ou le bricolage, ainsi que des manifestations de quartier (fêtes, conférences, etc.). Toute l’enveloppe du bâtiment, hormis les surfaces transparentes ou translucides, est active pour la production PV et solaire thermique, la collecte d’eau de pluie et les plantations.

Des panneaux photovoltaïques montés en façade

Dans les bâtiments existants, les panneaux PV sont couramment installés sur les toits avec une inclinaison et une orientation permettant de maximiser leur production. Cependant, grâce à la baisse drastique de leur prix et l’amélioration de leur rendement, la pose de panneaux PV sur les façades (BIPV: building-integrated photovoltaics) peut être favorablement envisagée, comme le montre ce projet pour lequel 47,2 m2 de panneaux PV à haut rendement répartis sur les façades sud, est et ouest suffisent pour couvrir amplement les besoins annuels en énergie du bâtiment.

Le type de panneaux PV retenu a donc dû répondre en premier lieu à une exigence de rendement élevé. Toutefois, d’autres critères ont leur importance en vue du concours, notamment une durée de vie élevée, un impact environnemental minimal et un aspect esthétique favorable à l’intégration dans le bâtiment. Le choix s’est finalement porté sur des panneaux monocristallins de type Sunpower X21-335-BLK, certifiés UL, dont 29 ont été installés sur les façades sud, est et ouest, ce qui correspond à une puissance installée de 9,7 kW proche de la limite de 10 kW autorisée par le concours.

De plus, afin d’éviter toute baisse de rendement due à l’ombre projetée notamment par les bâtiments avoisinants, les portails et les nuages, chaque panneau a été équipé d’un optimiseur de puissance SolarEdge P404-5R-M4M RM (convertisseurs DC-DC avec fonction MPPT: Maximum Power Point Tracking). Enfin, pour faire correspondre le nombre de panneaux aux onduleurs du marché et pour limiter les coûts, un seul onduleur par façade a été installé: un SolarEdge SE 3500H pour la façade sud et des SE 2200H pour les façades est et ouest. À souligner, en outre, que l’utilisation de micro-­onduleurs DC/AC initialement envisagée s’est révélée impraticable à cause de la puissance élevée par panneau dont chacun est équipé de 96 cellules c-Si (en silicium monocristallin).

Des batteries pour compenser l’intermittence de la production

Le nombre de panneaux PV, leur répartition entre les façades ainsi que le choix des onduleurs pour une couverture complète des besoins énergétiques annuels ont été déterminés par simulation numérique de la production PV annuelle à Fribourg (lieu de développement) et à Denver (lieu du concours). Effectuées à l’aide du logiciel PVsyst [3], ces simulations ont utilisé les données météorologiques (rayonnement, température) typiques des villes précitées. Le tableau montre l’énergie produite à Fribourg par façade (paroi verticale et portail). La production annuelle totale d’énergie s’élève à 8,6 MWh en cas d’inclinaison des trois portails actifs de 17° par rapport à l’horizontale et à 7,1 MWh si tous les portails sont fermés. À Denver, les productions simulées s’élèvent respectivement à 13,7 et 10,7 MWh.

D’autres simulations limitées aux huit jours de compétition à Denver [4] montrent une production de 224 kWh à portails ouverts et une consommation de 175 kWh. Donc la charge devrait être largement couverte par la production. Il est toutefois impossible d’en dire autant pour les puissances, et ce, évidemment en raison de l’intermittence de la production et d’une charge largement imprévisible, un état de fait nécessitant l’installation de moyens de stockage pour autoconsommer l’énergie PV produite. En se basant sur les prévisions de puissance et d’énergie échangées avec le stockage ainsi que sur les critères de rendement énergétique, de durée de vie, de sécurité et d’impact environnemental, le choix s’est porté sur deux batteries lithium-ion de type BMZ ESS7.0 48 V montées en parallèle pour une capacité effective, par batterie, de 5,4 kWh et un rendement d’environ 95%.

Un algorithme pour la gestion de l’énergie électrique

L’équipement BIPV, les batteries de stockage ainsi que les différentes charges sont structurés en un micro­réseau électrique connecté au réseau de distribution et piloté par un onduleur/chargeur. La topologie retenue pour le microréseau est illustrée dans la figure 2. Des charges prioritaires (par exemple l’éclairage et le système de froid) y sont sécurisées en cas de défaut du réseau: elles seront donc alimentées, le cas échéant, par la batterie et/ou les panneaux PV.

Le chargeur/onduleur contrôle le fonctionnement des batteries et pilote les flux des puissances en jeu dans le microréseau en fonction des objectifs de gestion – par exemple maximiser l’autoconsommation PV (consommation simultanée ou différée en utilisant le stockage dans le réseau ou les batteries), réduire le coût d’approvisionnement journalier ou l’empreinte carbone –, et ce, tout en maintenant évidemment l’équilibre instantané du bilan des puissances. Pour cela, un algorithme de gestion d’énergie a été élaboré pour anticiper – sur une certaine durée, 24 heures dans ce projet – les échanges de puissance avec la batterie et le réseau sur la base des prévisions de la consommation et de la production PV. Afin que l’implémentation pratique d’une telle gestion soit possible, le chargeur/onduleur doit présenter une architecture logicielle assez ouverte pour permettre un pilotage libre des flux de puissance. En tenant aussi compte d’autres critères liés aux niveaux de puissance, au rendement et à l’encombrement, le choix s’est porté sur l’appareil Studer ­XTH-8000-48 (8 kVA, 48 V).

Des simulations et des améliorations itératives

Une fois installé et mis en service, le microréseau du NeighborHub a fait l’objet de tests de qualification de plusieurs jours. Le matériel installé comprend, outre les éléments de la figure 2, les mesureurs des puissances mises en jeu, lesquels sont connectés par bus de terrain KNX à un microsystème temps réel dans lequel est implémenté l’algorithme de gestion d’énergie. Ce dernier a été amélioré et validé au travers des tests effectués.

Toutefois, au préalable, les données météorologiques (rayonnement global et diffus en W/m2 et température ambiante) délivrées par la station de Posieux/FR – la plus proche de la HEIA-FR, le lieu de construction du «NeighborHub» – ont été utilisées pour simuler les puissances PV produites. Les simulations horaires par façade active ont été comparées aux puissances mesurées correspondantes (figure 3).

Les résultats des simulations reproduisent relativement bien les mesures, en particulier la détérioration de la météo intervenue l’après-midi et le saut de production à l’ouverture des portails. Des écarts subsistent néanmoins. Ceux-ci s’expliquent essentiellement par les conditions météorologiques effectives à l’emplacement du bâtiment, qui peuvent différer de celles de la station, et par les objets générant des ombres qui n’ont pas été pris en compte lors des simulations, comme les nuages responsables des variations rapides de la puissance mesurée. En outre, un faible rayonnement, de même qu’une basse incidence nécessitent d’être calibrés pour les productions du matin et du soir.

Par la suite, des essais d’algorithmes de gestion d’énergie ont été menés sur plusieurs jours. Ceux-ci ont été conçus et améliorés itérativement afin d’assurer simultanément la neutralité des balances énergétique et financière du microréseau pendant le concours. Ainsi, à l’issue de ce dernier, il n’y aura aucun coût lié aux échanges avec le réseau et aucun apport net d’énergie.

La figure 4 illustre les puissances échangées dans le microréseau du 7 au 11 juin 2017. Par convention, la puissance échangée avec le réseau, les batteries ou les charges est positive si elle y est injectée. Il s’agit dans ce cas d’une variante d’algorithme conçue pour améliorer la balance financière en fonction de la grille tarifaire de l’exploitant du réseau.

Une réussite sur le plan technique et humain

Avant même la tenue du concours Solar Decathlon US 2017, il est permis d’affirmer que la participation suisse est déjà une réussite. Elle a en effet constitué l’occasion de développer un modèle d’habitation du futur avec un bilan énergétique devant être positif et un coût d’approvisionnement nul, et ce, grâce à une gestion intelligente en temps réel et en utilisant des panneaux PV intégrés à l’enveloppe du bâtiment. Pour tous les participants, ce projet est aussi une réussite de par les retombées très positives, qu’elles soient professionnelles ou humaines, qu’il n’a pas manqué d’occasionner.

Références

[1] www.solardecathlon.gov
[2] www.swiss-living-challenge.ch
[3] PVsyst v. 6.53, logiciel de simulation et de développement d’installations PV, 2016, www.pvsyst.com.
[4] CrmSolar v. 1.1, logiciel de gestion de parc photovoltaïque, www.smarsys.com/services.

Les auteurs et l’équipe du projet Swiss Living Challenge tiennent à remercier les partenaires et sponsors de ce projet ainsi que tous les étudiants pour leur engagement et leur esprit d’équipe.

Auteur
Moncef J. Lalou

est professeur à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.

  • HEIA-FR
    1705 Fribourg
Auteur
Philippe Couty

est collaborateur scientifique senior à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.

  • HEIA-FR
    1705 Fribourg

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