Article Automatisation , ICT , Mobilité

Améliorer l’efficacité des transports

Gestion multimodale du trafic dans divers «living labs»

14.03.2025

Le projet Orchestra a pour but d’améliorer, grâce à des simulations avancées, la gestion du trafic dans deux «living labs» européens. Des évaluations basées sur divers scénarios sont notamment utilisées pour optimiser l’efficacité et la résilience des déplacements de cargaisons dans un parc industriel ou encore le flux de passagers dans un aéroport.

En Europe, la gestion du trafic est confrontée à des défis tels que la congestion, les retards et les impacts environnementaux, et ce, notamment en présence de perturbations. Le projet européen Horizon 2020 Orchestra aborde ces défis en proposant un écosystème de gestion du trafic multimodal (Multimodal Traffic Management Ecosystem, MTME) visant à optimiser la coordination entre les différents modes de transport, dans le but d’améliorer l’efficacité et la résilience des déplacements.

Cet article se concentre sur les outils de simulation conçus pour évaluer le MTME proposé dans deux «living labs»: le parc industriel norvégien de Herøya (Herøya Industrial Park, HIP) et l’aéroport international de Milan Malpensa (MXP). En tant que partenaire principal de ce projet, le centre de compétences Rosas (Robust and Safe Systems) de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR) a été, entre autres, chargé de développer des simulations de trafic et de flux de piétons pour ces deux living labs. Ces simulations permettent, d’une part, d’évaluer l’impact du MTME sur le transport de marchandises et de passagers, et d’autre part, de former les opérateurs concernés à réagir de manière optimale lorsqu’ils sont confrontés à des scénarios de trafic réels.

Optimisation du transport des marchandises au sein du HIP

Les travaux réalisés pour le living lab norvégien se concentrent sur l’optimisation du transport des marchandises sur le site du parc industriel de Herøya, et en particulier sur la coordination des mouvements des camions et la gestion du fret. Les simulations explorent différentes stratégies de gestion de véhicules connectés et automatisés (Connected and Automated Vehicles, CAV), de «platooning» (déplacement de véhicules en peloton) et de planification, dans le but de réduire les temps d’attente et les émissions.

La figure 1 montre une partie de la ville norvégienne de Porsgrunn, où se trouve l’île de Herøya, sur laquelle se situe le HIP. La zone simulée comprend l’ensemble du parc industriel ainsi que ses points d’accès au nord et au sud.

La simulation se concentre sur le HIP, où des navires et des camions arrivent et repartent pour livrer et rechercher des marchandises (figure 2). Une particularité de ce site: la nécessité d’avoir recours à des voitures pilotes, qui ont pour tâche de guider les camions vers leur destination finale à l’intérieur du parc industriel. L’objectif est d’assurer ainsi la sécurité du fonctionnement du HIP, étant donné la présence de nombreuses zones où l’accès est restreint en raison de l’utilisation ou de la production de marchandises dangereuses.

C’est là qu’intervient le concept de «platooning». Actuellement, une voiture guide un seul camion, tandis qu’à l’avenir, une voiture pourra en guider plusieurs à la fois afin d’optimiser les opérations du parc. La prochaine étape logique consistera à remplacer ces voitures manuelles, qui nécessitent un conducteur expérimenté, par des CAV (figure 3) de sorte à automatiser l’ensemble du processus.

Optimisation des flux de voyageurs à l’aéroport de Milan

Dans le living lab italien, l’accent est mis sur la mobilité des passagers et sur la gestion des flux de trafic à l’aéroport de Milan Malpensa. Les simulations comprennent des scénarios de priorisation des passagers pendant les perturbations afin de minimiser les retards et les vols manqués. Les simulations évaluent également l’efficacité du check-in, du contrôle de sécurité et du contrôle des passeports.

La figure 4 montre l’aéroport MXP, avec l’autoroute à gauche, les parkings au milieu et le terminal 1 à droite. La gare ferroviaire reliant directement l’aéroport MXP à Milan n’est pas représentée.

Le flux de base de la simulation est le suivant: les passagers arrivent en voiture, bus ou train, traversent l’aéroport (en passant par les différents contrôles) et arrivent enfin à la porte d’embarquement pour prendre l’avion (figure 5). Naturellement, ce processus se déroule également en sens inverse, certaines étapes étant omises (par exemple, le contrôle de sécurité), et d’autres ajoutées (par exemple, la récupération des bagages).

Méthodologie de simulation

Les simulations se composent d’une partie «macrosimulation» ainsi que d’une partie «microsimulation». Les macrosimulations modélisent les flux de trafic globaux vers les sites d’intérêts, générant ainsi des données pour les microsimulations. Les microsimulations se concentrent, quant à elles, sur la modélisation détaillée basée sur les agents à l’aide du logiciel Aimsun, simulant les interactions au sein des living labs. Cette approche fractionnée fournit des résultats pour des modèles de trafic généraux, qui sont utilisés pour extraire des résultats pour des comportements spécifiques.

Indicateurs clés de performance

Ces simulations permettent d’extraire des indicateurs clés de performance pour les deux zones d’intérêts, ce qui permet une évaluation quantitative. Pour Herøya, il s’agit des temps de parcours des camions, des temps d’attente et de l’utilisation des CAV. À Malpensa, les indicateurs clés de performance se concentrent sur les temps d’attente des passagers, le débit aux points de service et la distribution des temps de trajet. Ces mesures aident à comprendre les effets des différentes stratégies MTME sur l’efficacité et la prévisibilité du trafic.

Des temps d’attente réduits de 25% dans le living lab norvégien

Trois scénarios ont été simulés à Herøya, avec des niveaux de planification différents.

Le scénario «planification tactique» repose sur l’utilisation d’un «planificateur par blocs» pour préplanifier les arrivées. Il se concentre sur la coordination proactive dans un environnement multi-acteurs. Dans ce contexte, les arrivées de camions sont planifiées par blocs, garantissant ainsi la synchronisation des mouvements de camions entre les acteurs (les modes de transport, les autorités routières, etc.) Plus précisément, cela se fait par le biais d’un système de rendez-vous pour les camions, qui coordonne les arrivées et gère les ressources avant le début du transport. Les principales caractéristiques de ce système sont l’inclusion décentralisée des parties prenantes (le HIP, les entreprises situées dans le HIP, les entreprises de transport, les autorités routières, etc.), la communication de quotas d’arrivée axés sur la capacité, et l’attribution des tâches par voie d’enchères afin d’optimiser leur affectation.

Le scénario «planification opérationnelle» correspond quant à lui à la gestion en temps réel avec des stratégies CAV. Ce scénario met l’accent sur la prise de décision en temps réel pour gérer efficacement les situations dynamiques. Dans la simulation du parc industriel de Herøya, ceci est réalisé en utilisant un planificateur individuel pour les arrivées de camions, qui fournit une réactivité en temps réel en surveillant la performance du port et en s’adaptant aux conditions de trafic actuelles. Il utilise un algorithme d’optimisation pour décider s’il faut regrouper les camions pour une utilisation efficace du CAV ou donner la priorité à des camions spécifiques en fonction de la situation.

Enfin, le scénario «planification combinée» est constitué d’un mix de planification préalable et d’ajustements en temps réel. Comme son nom l’indique, ce scénario utilise les deux stratégies de planification mentionnées plus haut. Il combine les avantages de la planification préalable des camions et de la prise de décision en temps réel en fonction de la capacité du parc industriel, de l’état des routes, etc.

Les résultats obtenus indiquent que l’approche combinée conduit à l’utilisation la plus efficace des CAV et à la plus importante réduction des temps d’attente. Le temps moyen passé par les camions dans le parc industriel était nettement inférieur dans les scénarios où la gestion des CAV était optimisée, ce qui démontre l’importance d’une planification flexible. En termes quantitatifs, le scénario «planification combinée» a permis d’atteindre une réduction moyenne de 25% des temps d’attente des camions à l’entrée du parc industriel.

Moins de vols manqués dans le living lab italien

Trois scénarios ont également été testés pour l’aéroport de Milan Malpensa, en se concentrant sur les perturbations affectant les passagers.

Dans le scénario «flux régulier de passagers», aucune perturbation ne se produit dans le réseau de transport et les passagers arrivent à l’aéroport comme prévu.

Le scénario «perturbation sans priorisation» simule quant à lui des perturbations dans le réseau de transport (l’annulation d’un train, etc.) et leurs effets sur les passagers à l’aéroport (par exemple, des vols manqués).

Enfin, le scénario «perturbation avec priorisation» s’appuie sur le précédent scénario, dans lequel un élément du réseau de transport a subi une perturbation. Cependant, cette fois-ci, les passagers affectés seront stratégiquement priorisés une fois arrivés à l’aéroport. Un exemple de mesure de priorisation serait, par exemple, la mise en place de check-in rapides permettant de réduire les files d’attente et les temps de traitement.

Le fait de donner, dans ce dernier scénario, la priorité aux passagers concernés par la perturbation a permis de réduire le nombre de vols manqués et d’améliorer le débit aux points de contrôle critiques, tels que le contrôle de sécurité et le check-in. Il en résulte même un nombre légèrement inférieur de vols manqués par rapport au scénario «flux régulier de passagers» (173 contre 185, pour un total d’environ 8700 passagers). D’une part, cela peut s’expliquer par un transfert modal observé des trains (qui sont perturbés) vers les voitures qui, en moyenne, ont un temps de trajet légèrement réduit jusqu’à l’aéroport. D’autre part, il est également possible que certains passagers touchés par la perturbation soient priorisés alors que, sans perturbation, ils seraient arrivés en retard et auraient manqué leur vol.

Ces résultats montrent donc qu’il peut être intéressant d’utiliser un écosystème de gestion du trafic multimodal pour gérer efficacement les flux de passagers, en particulier lors d’événements inattendus.

Applications en matière de formation et d’aide à la décision

Les simulations sont des outils importants autant pour l’évaluation de scénarios que pour la formation des opérateurs: ils permettent en effet aussi à ces derniers de se préparer efficacement aux perturbations du monde réel. En s’exerçant à réagir dans un environnement virtuel sans risque, les opérateurs peuvent affiner leurs compétences en matière de prise de décision sans avoir d’impact sur les opérations réelles. Des modules de formation personnalisés, déjà testés et dont l’efficacité a été prouvée, démontrent comment cette approche améliore la préparation opérationnelle tout en réduisant le coût des essais en conditions réelles. Le retour d’expérience de ces essais met en évidence des possibilités d’économies encore plus importantes grâce à des environnements de formation plus interactifs et plus pratiques.

Conclusion

Les simulations développées et réalisées au cours du projet européen Orchestra démontrent la faisabilité et la rentabilité de la mise en œuvre d’un écosystème de gestion du trafic multimodal dans des environnements complexes. La double approche de simulation (macro- et microsimulations) permet de tester plus efficacement les scénarios et de faciliter l’évaluation basée sur les indicateurs clés de performance, ce qui permet aux décideurs politiques, aux opérateurs de transport et aux autres acteurs concernés de mieux comprendre la situation.

Comme décrit pour les living labs de Herøya et de Malpensa, cette méthode a déjà apporté des améliorations mesurables dans la gestion du trafic, en réduisant les inefficacités et les coûts opérationnels tout en améliorant la résilience du système. L’étape suivante consistera à accroître l’interactivité des simulations au moyen d’interfaces Web, ce qui permettra de renforcer l’accessibilité et de faciliter la prise de décision en temps réel. Ces avancées promettent de renforcer les infrastructures de transport européennes, en les rendant plus adaptables aux différentes demandes et perturbations, tout en maximisant les économies en matière de coûts.

 

Auteur
Jan Huber

est ingénieur en systèmes embarqués au centre de compétences Rosas de la HEIA-FR.

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