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L’abolition de la seconde intercalaire

Une recommandation pour les entreprises d’électricité

03.01.2017

L’heure d’Europe centrale HEC, notre échelle de temps légale basée sur le temps universel coordonné UTC, comptera encore à l’avenir des secondes intercalaires pour compenser le ralentissement de la rotation de la Terre. Sur proposition du comité technique suisse TK 57, le comité technique TC 57 de la CEI a demandé en assemblée plénière à l’Union internationale des télécommunications (ITU, ex-CCITT), gardienne du temps, l’abolition de la seconde intercalaire. Malgré des raisons techniques pressantes, l’ITU-R a repoussé la décision à 2023. Les entreprises d’électricité doivent en tirer les conséquences et utiliser dorénavant l’échelle de temps TAI.

Le temps universel coordonné UTC, dont sont dérivées notre heure normale d’Europe centrale (HNEC, UTC+1) en hiver et notre heure avancée d’Europe centrale (HAEC, UTC+2) en été, est basé sur le zénith du soleil à 12:00:00 au printemps sur le méridien de l’observatoire de Greenwich, comme l’indique l’ancien nom «Greenwich Mean Time» ou GMT. Il s’agit d’un temps moyen, comme 
l’indique son nom, car l’orbite elliptique de la Terre et l’inclinaison de son 
écliptique produisent des fluctuations de près de 16 min par rapport à l’heure solaire moyenne, appelée UT1 (Temps universel 1) par les astronomes. Donc, il est rarement midi à 12:00:00, même à Greenwich, mais l’heure moyenne est astronomiquement bien définie.

La base de la seconde

On sait que la Terre ralentit sa rotation. La raison principale est la perte d’énergie due aux marées provoquées par la Lune. Ce ralentissement n’est pas régulier : par exemple, en ce moment la fonte des glaces du pôle Nord, qui déplace des masses d’eau vers l’équateur, ralentit visiblement la rotation de la Terre. Il arrive aussi que cette dernière s’accélère, par exemple entre 1970 et 2000, sans doute par l’action de courants magmatiques. Si l’on revient en arrière, à la naissance du Christ, le jour durait quelque 40 ms de moins et les dinosaures voyaient des jours d’environ 22 heures.

C’est pourquoi la seconde n’est depuis longtemps plus définie par le jour solaire. Elle le fut par la suite comme fraction de la durée de l’orbite terrestre. Aujourd’hui, la seconde est définie par un réseau d’une centaine d’horloges atomiques. La seconde atomique correspond à 1/86 400 de la durée du 1er janvier 1958, lors de la calibration des horloges atomiques. Elle n’a depuis plus de relation astronomique. La seconde atomique est la base du TAI (Temps atomique international), une échelle strictement continue.

Comme la rotation terrestre s’est ralentie depuis 1958, l’horloge atomique bat plus rapidement qu’une horloge basée sur le temps solaire. Chaque jour, nous devrions remettre les horloges 2 ms en arrière, et ceci, même si la rotation terrestre restait constante à partir de maintenant.

Si à un endroit le soleil culmine au zénith à 12:00:00, il culminera 24 heures plus tard 1 m plus à l’Est. Au bout d’un an et demi, le soleil culminera à 12:00:00 près de 500 m plus à l’Est, il lui faut encore 1 seconde pour arriver au zénith.

GMT a été remplacé en 1972 par l’heure légale mondiale UTC. Elle avance avec la seconde atomique, mais pour que l’heure atomique et l’heure solaire ne divergent pas trop, les horloges sont retardées d’une seconde à peu près tous les ans et demi, pour permettre à la Terre de rattraper son retard et que le soleil soit (en théorie) au zénith à 12:00:00 UTC à Greenwich.

Comme le ralentissement est irrégulier, on ne peut pas savoir quand une seconde intercalaire devra être introduite. Par exemple, il n’y a pas eu de secondes intercalaires entre 1999 et 2004 car la rotation du globe s’est accélérée (on a même failli introduire une seconde intercalaire négative). Quand la différence UTC-UT1 atteint 0,9 s, le Bureau international des poids et mesures (BIPM, Paris), Service international de la rotation terrestre et des systèmes de référence (IERS), décide 6 mois à l’avance de l’introduction d’un saut de seconde, et ceci, soit le 31 décembre, soit le 30 juin de l’année, à minuit UTC. L’horloge retourne alors à 23:59:59,000 au lieu de passer à 00:00:00,000 (figure).

Cette discontinuité rend UTC inadapté aux applications techniques. En effet, avec un système de navigation basé sur UTC, un avion se poserait jusqu’à 500 m à côté de la piste. GPS et Galileo utilisent donc l’échelle de temps linéaire TAI.

Impacts de la seconde intercalaire

Pour montrer les effets de la seconde intercalaire, considérons une discontinuité bien plus grande : l’introduction de l’heure d’été dans l’heure locale. Au printemps, une heure complète manque : le 27 mars 2016, rien ne peut se passer à 2:30 du matin, puisque l’horloge passe directement de 01:59:59 à 03:00:00. En automne, il ne sera pas possible de savoir dans quel ordre deux événements se sont produits, quand l’un a lieu à 02:31 et l’autre à 02:29, puisque l’horloge retourne après 02:59:59 sur 02:00:00. Heureusement que la transition se fait en pleine nuit, car sinon, nombreux seraient ceux qui rateraient le train ou arriveraient une heure trop tôt au rendez-vous. Cette ambiguïté a pour conséquence qu’il n’est pas possible de calculer le nombre d’heures entre deux événements datés localement, sans savoir quand surviennent les transitions de l’heure d’été. Or, leurs dates changent chaque année et selon les pays. Cela montre une fois de plus l’ineptie de la transition à l’heure d’été, que le peuple suisse a d’ailleurs rejetée en 1978 (on attend toujours l’initiative de mise en œuvre).

Pour en revenir à la seconde intercalaire : comme avec l’heure d’été, il n’est pas possible de calculer la durée d’événements et leur séquence sans informations additionnelles.

Nous connaissons bien sûr les années bissextiles (2016 en fait partie), au cours desquelles un jour intercalaire est introduit pour que l’équinoxe de printemps ait lieu aux alentours du 20 mars. La différence consiste dans le fait que le jour intercalaire a sa propre date, le 29 février, et que l’algorithme des années bissextiles est connu depuis 1592. Par contre, rien ne distingue la seconde intercalaire de la seconde précédente. Dans un ordinateur, il n’existe pas de représentation pour 23:59:60 puisque son horloge est un simple compteur de secondes. En plus, le saut de seconde est imprévisible.

Les transactions bancaires sont estampillées avec l’heure UTC dans le monde entier. Dans la Bourse à haute vitesse, les ordinateurs exécutent des dizaines de milliers de transactions chaque seconde. Pendant la seconde intercalaire, ils ne pourraient pas distinguer dans quel ordre les transactions ont lieu. La solution est simple : il n’y a pas de transactions pendant la seconde intercalaire. Quand il est minuit le 30 juin à Greenwich, la Bourse de Tokyo (UTC+9) ouvre à 09:00 et celle d’Australie (UTC+10) ouvre à 10:00, après l’ajout de la seconde intercalaire.

Les défis du transport d’électricité

Ce sont les entreprises d’électricité qui peinent le plus avec la seconde intercalaire. Quand elles ont prescrit l’échelle de temps GMT en 1970, puis UTC pour l’estampillage des valeurs mesurées et des événements, il n’y avait pas encore de seconde intercalaire. Les perturbographes (enregistreurs d’événements) travaillent avec UTC. Heureusement, la probabilité d’une perturbation pendant une seconde intercalaire est minime. Les algorithmes de protection différentielle calculent des différences de temps. Certes, le temps relatif suffit au sein d’une sous-station. Mais entre sous-stations, quand les valeurs de protection sont échangées par le biais de réseaux téléinformatiques avec des délais aléatoires, il faut les estampiller avec le temps absolu et considérer les secondes intercalaires pour éviter des dysfonctionnements.

Depuis quelques années, la stabilité des grands réseaux électriques est contrôlée par comparaison de la phase du courant et de la tension entre les différents nœuds du réseau. Ce système WAMPACS (Wide Area Monitoring, Protection and Control System) a besoin du temps absolu pour estampiller et comparer les vecteurs de phase (phaseurs). L’évaluation d’une série de mesures effectuées dans un laps de temps englobant une seconde intercalaire est problématique. Les algorithmes d’interpolation ne peuvent en effet pas savoir qu’une même seconde a surgi deux fois et quels phaseurs peuvent y être attribués. Pendant la seconde intercalaire, de fausses manœuvres peuvent se produire. Jusqu’à présent, aucune perturbation grave n’a été enregistrée, même si des incidents ont été signalés en Allemagne le 30 juin 2015. Leur origine est obscure, mais le test d’interopérabilité des constructeurs à Bruxelles en novembre 2015 a montré que la plupart des appareils de protection et contrôle souffrent d’un raté lors d’une seconde intercalaire, par exemple en effectuant le changement à la mauvaise seconde.

C’est pourquoi, sur proposition du comité national suisse TK 57, le Comité technique TC 57 de la CEI s’est adressé au nom des comités nationaux à l’ITU (Union internationale des télécommunications) – un organisme de l’ONU – pour demander l’abolition de la seconde intercalaire dans UTC, ou tout au moins changer UTC de nom pour éviter les confusions. Car l’ITU-R, et plus exactement la World Radiocommunication Conference WRC-15, est la gardienne du temps, depuis l’époque où le temps était diffusé par radio depuis Boulder (WWV), Prangins (arrêté en 2011) et Francfort (DCF77), avant que les satellites de navigation GPS ne prennent le relais

L’ITU-R, dans sa réunion du 19 novembre 2015 à Genève, a renvoyé la décision à 2023. C’est comme pour l’heure d’été : le pays (la France) qui demanda en 1976 son introduction pendant la crise du pétrole s’est vu refuser son abolition en 2015. Ce mécanisme s’est trop introduit dans les mœurs et l’industrie du loisir en profite. Mais plusieurs pays comme la Russie ou la Chine ont déjà supprimé l’heure d’été et elle pourrait l’être aussi ailleurs.

Les entreprises suisses d’approvisionnement en électricité peuvent en tirer une leçon : la seule échelle de temps fiable est le temps atomique international TAI. Tous les systèmes techniques comme protection et enregistreurs doivent utiliser TAI. Le temps UTC et l’heure locale HNEC / HAEC n’ont d’utilité que pour les humains (affichages et rapports) et doivent être dérivés de TAI. La norme IEC 61850 recommande déjà de l’utiliser. Le protocole IEC/IEEE 1588 distribue TAI et UTC (contrairement au protocole Internet NTP). Par conséquent, les entreprises d’électricité devraient imposer pour l’automation dans tous les cahiers de charge et les appels d’offres publiques l’échelle de temps TAI à la place d’UTC.

Auteur
Prof. Dr. Hubert Kirrmann

était membre du CES/TK 57 – Automation des réseaux et technique de communication.

  • Solutil
    5405 Baden

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