Article Autoconsommation , Automatisation , Énergies renouvelables

Vers la gestion optimale des microréseaux

Automatiser pour optimiser les flux d’énergie

03.06.2021

Les réseaux de quartiers intégrant de l’énergie renouvelable sous forme de chaleur ou d’électricité nécessitent des solutions de pilotage automatisé pour tirer le meilleur parti des composants installés. Ces derniers doivent en effet être dirigés de façon coordonnée et en prenant en compte des objectifs dynamiques.

Les bâtiments sont de plus en plus souvent équipés de panneaux solaires, de pompes à chaleur, de batteries électrochimiques ou thermiques, de bornes de recharge pour véhicules électriques ainsi que d’autres moyens de production et de stockage d’énergie sous différentes formes (électrique, thermique, gaz). À l’échelle d’un quartier, ces sources d’énergie décentralisées forment un microréseau ­multi­énergies complexe, dont l’exploitation optimale de tous les composants reste à ce jour un défi.

L’enjeu de la gestion locale de l’énergie

La gestion des composants d’un microréseau et l’optimisation des coûts énergétiques soulèvent une question en apparence simple. Faut-il consommer l’énergie au moment où elle est produite, la stocker pour une utilisation ultérieure ou la vendre directement? Pour prendre la bonne décision, il faut tenir compte des différents composants disponibles en considérant notamment leurs caractéristiques techniques – puissance, taille de stockage, efficacité, coûts d’opération, etc. – ainsi que leur état actuel – disponibilité, état de charge (state of charge, SoC), etc. Il est aussi nécessaire d’anticiper les différents facteurs affectant la demande et la production d’électricité locale tels que la météo, le comportement des occupants ou les tarifs de l’énergie. Or, ces derniers sont amenés à fluctuer de plus en plus à l’avenir, car il a été démontré que les modèles de tarification variable et adaptative pouvaient jouer un rôle important dans la gestion des flux d’énergie au sein des réseaux intégrant une part importante d’énergie renouvelable.[1] Ceci requiert des solutions flexibles, pouvant prendre des décisions rapidement et de manière entièrement automatisée, comme illustré dans la figure 1.

Des stratégies souvent trop simplifiées

Dans le domaine du bâtiment, il est communément reconnu qu’au niveau des performances des systèmes techniques, il existe un grand fossé entre la planification et l’exploitation. Dans le cas des microréseaux, le contrôle est souvent abordé avec des hypothèses très simplificatrices et souvent trop optimistes, et les dépendances et l’inter­action entre les différents composants ne sont pas prises en compte de manière adéquate. Ceci se confirme avec les systèmes actuellement disponibles sur le marché pour gérer l’autoconsommation des maisons individuelles. Ces systèmes appliquent le plus souvent une stratégie simple qui consiste à augmenter la consommation lorsque de l’énergie photovoltaïque est produite. Or, lors d’une étude accomplie dans le cadre du projet Prosumer-­Lab [2] soutenu par l’OFEN, il a été démontré que cela conduisait souvent à une surconsommation d’énergie et, par conséquent, à des économies marginales, voire nulles.

Parallèlement, les travaux réalisés lors du même projet ont pu montrer que les coûts d’opération pour un système combinant panneaux photovoltaïques et pompes à chaleur pouvaient être réduits d’au moins 20% en exploitant de manière optimale la capacité de stockage thermique du bâtiment, la disponibilité d’énergie locale et les variations de coefficient de performance des pompes à chaleur en fonction de la température extérieure.[3] Ces variations de coûts d’opération peuvent affecter significativement le retour sur investissement des différents composants installés, surtout pour les éléments de stockage électrique ou thermique. Ces aspects économiques prennent encore plus d’importance dans le cas de microréseaux qui s’étendent sur tout un quartier, en raison du nombre plus important de composants, mais aussi car les puissances et capacités en jeu sont beaucoup plus importantes.

Un outil pour la gestion optimale des microréseaux

Dans le cadre du projet européen Pentagon [4], le CSEM a développé Maestro, un logiciel de gestion prédictive capable de superviser des micro­réseaux énergétiques en considérant les différents facteurs mentionnés précédemment: évolution future de la demande, prix de l’énergie, etc. Pour ce faire, il utilise, entre autres, les prévisions météorologiques et les données des infrastructures locales. Comme son nom l’indique, ce logiciel agit comme un chef d’orchestre qui gère automatiquement les ressources. Un simulateur en ligne, basé sur un immeuble de huit appartements familiaux, a été développé pour démontrer son potentiel.[5]

Le logiciel est simple à configurer et peut être adapté de manière flexible à différents quartiers. Pour commencer, des paramètres tels que la taille des panneaux solaires, la surface des bâtiments, la capacité de stockage des batteries et les préférences des utilisateurs sont introduits (étape 1 de la figure 2). Ces informations sont ensuite utilisées pour créer un jumeau numérique du microréseau, dont l’état est estimé à partir des mesures en temps réel provenant du terrain (étape 2). Le système combine des algorithmes de contrôle de pointe, à savoir le contrôle prédictif avec optimisation linéaire en nombres entiers, et des algorithmes de prévision (étape 3) pour calculer des stratégies visant un coût minimal. Ces algorithmes émergent de la recherche récente et le logiciel de gestion prédictive les combine en une solution unique, efficace et robuste, dont le déploiement est simplifié.

Le logiciel utilise des mesures fournies par des capteurs déployés sur les différents éléments du quartier (production et consommation énergétique). Ces dernières sont traitées dans le cloud ou sur une unité locale, où le logiciel compare automatiquement les décisions de consommation possibles et identifie la plus rentable, en tenant compte des coûts d’achat et de vente de l’énergie, des pertes de stockage, etc. (étape 4). Les consignes permettant d’exécuter ce plan sont appliquées sur les différents composants. Le plan est mis à jour régulièrement, par exemple toutes les 15 min, et en réponse à de nouveaux événements (arrivée d’un véhicule électrique, mise à jour d’une prédiction, augmentation de la consommation effective, etc.), tandis que les consignes des composants sont ajustées à une cadence rapide afin, par exemple, de compenser une chute soudaine de la production photovoltaïque.

Jusqu’à 30% de réduction des coûts de l’énergie

Le logiciel de gestion prédictive peut intégrer des chaudières, des pompes à chaleur et des stations de recharge de véhicules électriques, mais aussi des batteries électriques, des sources d’énergie renouvelables telles que des panneaux solaires, des installations de conversion d’électricité en gaz (P2G, power-to-gas), des réservoirs de stockage thermique, etc. (voir tableau 1 pour une liste complète). Contrairement aux solutions visant l’augmentation de l’autoconsommation, Maestro prend ses décisions par rapport à une courbe de prix et peut donc considérer des tarifs dynamiques, et également des coûts liés à la puissance de pointe.

L’évaluation du logiciel montre qu’une baisse des coûts de l’énergie peut être observée dans tous les cas. Les économies varient en fonction du bâtiment, du quartier ou encore des utilisateurs, mais se situent typiquement entre 10 et 30% des coûts de l’énergie. Un outil plus détaillé d’évaluation de la performance du système de contrôle pour un quartier donné est en cours de développement au CSEM. En permettant de mieux comparer et évaluer leurs bénéfices, de tels outils constituent des instruments importants pour l’essor de solutions de contrôle dotées de logiques plus complexes.

Transfert de technologie

En 2018, l’entreprise Soleco a remporté, avec ses partenaires Geminise et Vela Solaris, le prix «Digital Journey» du CSEM (voir encadré). En se basant sur le logiciel Maestro, les partenaires ont développé un système de gestion de l’énergie pour bâtiment baptisé Crystalball [6]. Ce développement a permis de relever plusieurs défis pratiques importants dont, notamment, l’interfaçage de différents composants techniques: les formats de données ainsi que les protocoles et interfaces physiques variables entre les différents composants constituent peut-être le principal frein à un déploiement à grande échelle de solutions telles que Maestro. La collaboration avec Soleco a montré qu’il était possible de mettre en place efficacement ses interfaces sur des composants de différents fabricants; malgré tout, l’absence d’interfaces standard de contrôle uniforme pour les pompes à chaleur reste un obstacle. La standardisation de cette interface constitue, d’ailleurs, l’un des aspects centraux ciblés par le nouveau projet P+D Opera [7], pour la réalisation duquel les partenaires se basent sur le label suisse SmartGridready [8].

Un autre aspect important a pu être validé: le traitement des défaillances relatives aux données telles que les interruptions de la transmission des données des composants ou du service de prévision externe. L’expérience d’un déploiement prolongé sur plus d’une année a permis de raffiner le concept de contrôle afin d’offrir des garanties pour un fonctionnement correct avec une très grande fiabilité du contrôleur. Entretemps, le système Crystalball a été commercialisé et est installé dans plusieurs bâtiments. Ce déploiement établit la viabilité et les bénéfices que Maestro peut offrir à l’échelle des bâtiments.

Vers un apprentissage automatique…

Pour les développements futurs, la direction de recherche la plus prometteuse consiste dans l’intégration d’éléments d’apprentissage qui améliorent les performances du contrôleur au fil du temps de manière automatisée et réduisent les besoins de configuration manuelle. Des approches récentes combinant contrôle prédictif «traditionnel» et apprentissage artificiel, ciblées pour leur capacité à apprendre avec des quantités de données limitées (quelques jours à quelques semaines de données) et la possibilité d’offrir des garanties sur la sécurité du contrôleur, sont à l’étude au CSEM. Par ailleurs, des travaux sont aussi conduits sur la vitesse de calcul, qui doit rester rapide et prédictible pour des systèmes plus étendus.

… et un déploiement à l’échelle des quartiers

Fort de ces expériences et basé sur les développements actuels, l’emploi de Maestro peut dès à présent être envisagé à plus large échelle, notamment pour des quartiers ou des configurations où les sources d’énergie renouvelables sont partagées entre plusieurs bâtiments. Par exemple, une simulation a été réalisée pour démontrer la capacité du logiciel à gérer les pics de consommation pour un quartier desservi par un réseau de chauffage à distance avec plusieurs grandes pompes à chaleur. Les opportunités de bénéficier de synergies sont décuplées à l’échelle des quartiers, et ce logiciel représente une solution offrant la flexibilité et l’intelligence requises pour faire des communautés d’énergie locales des acteurs prépondérants des réseaux d’énergie du futur.

Références

[1] J. Holweger L. Bloch, Ch. Ballif, N. Wyrsch, «Mitigating the impact of distributed PV in a low-­voltage grid using electricity tariffs», Electric Power Systems Research, Vol. 189, Dec. 2020.
[2] «Prosumer-Lab – Influence of novel strategies and components of the energy management of grid-­integrated, smart buildings on the stability and quality of the house and distribution grids», projet P&D de l’OFEN, 2016-2019.
[3] A. Hutter, N. Koch, Y. Stauffer, T. Gorecki, «Augmenter l’efficacité des prosommateurs», Bulletin SEV/VSE 8/2019.
[4] «Unlocking European grid local flexibility trough augmented energy conversion capabilities at district-level», EC project Pentagon, grant agreement ID: 731125, Dec. 2016 to Nov. 2019.
[5] Maestro – District energy systems real-time planning optimization.
[6] Crystalball Building Energy Management System.
[7] «Opera – Utilisation optimale de l’énergie renouvelable avec PAC pour les immeubles collectifs en réno­va­tion», projet P&D de l’OFEN, 2021-2024. Informations bientôt disponibles sur aramis.admin.ch.
[8] Label SmartGridready.

CSEM Digital Journey

Un coup de pouce pour les PME

Lancé en 2018 et renouvelé chaque ­année depuis, le concours CSEM Digital Journey est ouvert aux PME suisses comptant moins de 250 employés. Son but consiste à soutenir les entreprises dans la réalisation d’un rêve digital en leur permettant de puiser dans le catalogue des technologies du CSEM. En 2021, deux entreprises seront récompensées. Elles bénéficieront chacune d’un accompagnement technologique d’une valeur de 100'000 CHF afin de concrétiser un projet de transformation digitale. Les candidatures pourront être soumises du 1er juin au 3 septembre 2021.

Informations complémentaires

Auteur
Dr. Tomasz Gorecki

est ingénieur R&D senior au sein du groupe Energy systems du CSEM.

  • CSEM SA
    2002 Neuchâtel
Auteur
Dr. Yves Stauffer

est chef de projet au CSEM.

  • CSEM SA
    2002 Neuchâtel
Auteur
Dr. Andreas Hutter

est Group Leader Energy Systems au CSEM.

  • CSEM SA
    2000 Neuchâtel

Commentaire

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