Vers l’infrastructure de recharge de 2050
Cartographie des besoins de recharge à partir des habitudes de mobilité
L’électrification de la mobilité joue un rôle clé dans la décarbonation du secteur des transports. Si planifier la recharge d’un parc suisse constitué uniquement de véhicules électriques représente un défi pour les gestionnaires de réseau, celle-ci offre aussi une flexibilité utile pour l’intégration de la production renouvelable dans le réseau.
Le nombre de véhicules électriques devrait augmenter de manière significative au cours de ces prochaines années. En 2022, ils représentaient déjà 25% des nouvelles immatriculations de voitures individuelles en Suisse, et la Confédération vise 50% de nouvelles immatriculations électriques en 2025 [1].
L’infrastructure de recharge doit donc se développer rapidement. L’Agence internationale de l’énergie (IEA) recommande en effet d’installer une borne de recharge pour dix véhicules électriques [2], ce qui mènerait à plus de 90'000 bornes en Suisse d’ici 2030. Le nombre nécessaire de bornes varie toutefois localement en fonction de la densité de population, du degré d’urbanisation, de l’accès à une place de stationnement privé et de la distance moyenne parcourue par les habitants de la zone considérée. Les méthodes géospatiales sont donc particulièrement adaptées à ce type d’étude. Une approche géographique de planification de l’infrastructure de recharge en fonction de différents scénarios de recharge est présentée ci-après.
Vers un parc de véhicules 100% électrique
En 2022, la Suisse comptait en moyenne 540 voitures pour 1000 habitants. Les données du microrecensement mobilité et transports de l’Office fédéral du développement territorial (ARE) [3] montrent que les ménages ruraux possèdent 20% de voitures de plus que la moyenne, et les ménages urbains 20% de moins. Ces statistiques permettent de cartographier la répartition des véhicules à partir de la densité de population.
La part actuelle des voitures électriques dans le parc suisse de véhicules de tourisme se situe aux alentours de 1%. L’étude des nouvelles immatriculations et de la sortie des véhicules du parc suisse entre 1990 et 2020 aboutit à un renouvellement du parc automobile tous les 15 ans. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, toutes les nouvelles immatriculations devront donc être électriques dès 2035. On considère ici que la part de voitures électriques dans les nouvelles immatriculations évolue linéairement entre 2022 et 2035, date à laquelle elles seront toutes électriques. Ce modèle permet de déterminer la densité de véhicules électriques par année jusqu’en 2050.
Quantifier les besoins de recharge
Les besoins de recharge sont directement liés à la distance parcourue par les voitures. Pour les estimer avec précision, il est important de bien quantifier la mobilité des conducteurs. Or, si la distance parcourue en moyenne par une voiture suisse est de 36,8 km/jour, elle varie fortement d’un endroit à l’autre.
En 2020, 80% de la population active a effectué des déplacements pendulaires domicile-travail, dont une majorité en voiture. Ceux-ci ont représenté 44% des kilomètres parcourus en voiture durant la semaine. La mobilité journalière a donc été calculée sur la base des déplacements domicile-travail dans des zones de pendularité autour des principales villes suisses.
Les zones de pendularité des villes de plus de 50'000 habitants ont été rigoureusement identifiées dans une étude d’Eurostat [4] (figure 1). Celle-ci couvre environ 48% de la population suisse. Afin de couvrir 93% de la population, les villes de plus de 20'000 habitants ont été ajoutées au modèle à partir de la base de données de NaturalEarth [5], en supposant que leur zone de pendularité était comprise dans un rayon de 35 km par la route autour de leur centre-ville. En supposant que les derniers 7% de la population non couverts par le modèle ont une mobilité journalière correspondant à celle des zones rurales, leur mobilité représente 11% des kilomètres parcourus en Suisse. Ainsi, 89% de la mobilité suisse est prise en compte par le modèle.
![<b>Figure 1</b> Zones de pendularité des principales villes suisses, et distances de l’intérieur de ces zones de pendularité jusqu’au centre-ville par la route.](files/content/news-articles/B_Artikel/Archiv/2024/2401/B_2401_Jeannin/B_2401_Jeannin_Figure_1.png)
La distance parcourue en voiture du centre-ville jusqu’à l’intérieur de ces zones de pendularité a été calculée avec une précision de 5 km grâce à l’outil de calcul OpenRouteService [6]. Cette distance représente l’éloignement du centre-ville au centre des zones résidentielles, et a été multipliée par deux pour estimer la mobilité journalière domicile-travail. Ensuite, des valeurs moyennes de 5 km par jour pour les achats ainsi que de 8 km par jour pour les loisirs ont été ajoutées à cette estimation. La mobilité professionnelle représente, quant à elle, moins de 7% des kilomètres parcourus et n’est donc pas traitée pour le moment. Enfin, les travailleurs frontaliers parcourent de plus longues distances, en moyenne 60 km par jour, et sont pris en compte au travers de données géographiques indiquant le ratio de travailleurs frontaliers par région [7].
Les voitures électriques consommant en moyenne 0,182 kWh/km, les besoins de recharge ont été obtenus en multipliant cette valeur par la distance parcourue.
Trois options pour la recharge
Contrairement aux conducteurs de véhicules thermiques qui se rendent régulièrement à une pompe à essence, les propriétaires de voitures électriques sont peu susceptibles de se rendre à une station de recharge uniquement dans le but de recharger leur véhicule. Ils rechargent plutôt leur véhicule à domicile ou lors d’un arrêt à un endroit où ils se rendent dans un autre but.
Plusieurs options de recharge s’offrent à eux. La première est la recharge à domicile le soir, la plus courante actuellement. Dans un parc de véhicules complètement électrifié, il est toutefois peu probable que tous les conducteurs aient accès à une borne à domicile. La deuxième option la plus utilisée actuellement est la recharge au travail, principalement par les conducteurs n’ayant pas de borne à domicile. Finalement, la troisième option est la recharge aux bornes publiques, proches de commodités telles que les commerces, restaurants et lieux de loisirs.
Ces trois options de recharge se déroulent dans des zones différentes, mais aussi à des horaires différents. La recharge à domicile est plutôt concentrée dans les quartiers résidentiels le soir, tandis que la recharge au travail et aux points d’intérêt a lieu dans les zones industrielles et commerciales pendant la journée. Le télétravail, quant à lui, permet de recharger le véhicule à domicile pendant la journée, et diminue les besoins de recharge en évitant des trajets en voiture.
Cas d’étude en Romandie
Trois scénarios de recharge ont été étudiés en Suisse romande pour 2050, donc avec une électrification complète du parc de véhicules (tableau 1). Dans le scénario de base, la recharge est entièrement effectuée en soirée à domicile: les besoins journaliers en électricité se situent dès lors aux alentours de 5000 kWh/km2 dans les zones urbaines et de 2000 kWh/km2 hors de ces zones (figure 2).
La recharge à domicile n’est pas accessible à tous
En Suisse, seuls 24,3% des logements sont des maisons habitées par leurs propriétaires: ces derniers sont seuls à choisir s’ils veulent disposer d’une borne de recharge privée à domicile ou non. Pour les 14,8% de logements en copropriété ou coopérative, cette décision peut s’avérer plus compliquée. Enfin, 57,7% des logements sont occupés par des locataires, qui ne disposent donc que d’une influence limitée sur le choix d’installer une borne à leur domicile.
Par ailleurs, seule la moitié des bâtiments sont des maisons individuelles, et les logements collectifs ne disposent pas toujours de places de stationnement privatives. Les politiques publiques devront donc promouvoir l’installation de bornes de recharge privées dans les logements locatifs et sur les lieux de travail, tout en déployant une infrastructure de recharge publique. En effet, en supposant qu’environ deux tiers des logements locatifs et la moitié des logements en copropriété disposent d’une infrastructure de recharge privée, 46% des ménages devront recourir à d’autres options de recharge. Et si la moitié des lieux de travail disposent d’une infrastructure de recharge pour leurs employés, il reste encore environ 23% des véhicules électriques qui devront compter sur l’infrastructure de recharge publique.
L’infrastructure de recharge publique actuelle montre déjà une assez bonne corrélation avec les zones où les besoins de recharge sont les plus élevés (figure 2). Elle n’est toutefois pas encore assez développée dans certaines zones où les besoins de recharge sont importants. Certains km2 de la carte de la figure 2 (chaque pixel correspond à 1 km2) ne contiennent que sept stations de recharge et peuvent donc tout juste subvenir à 23% des besoins de recharge journaliers, soit la part des habitants n’ayant pas d’autre solution pour la recharge (en moyenne, la recharge publique dans les villes doit pouvoir fournir 1150 kWh/km2/jour). Enfin, la plupart des km2 ne contiennent qu’une ou deux stations et vont donc difficilement pouvoir subvenir aux besoins de recharge des habitants n’ayant pas d’autre option.
![<b>Figure 2</b> Comparaison des besoins de recharge journaliers avec l’infrastructure existante pour le scénario de base.](files/content/news-articles/B_Artikel/Archiv/2024/2401/B_2401_Jeannin/B_2401_Jeannin_Figure_2.png)
D’autres comportements de recharge sont souhaitables
La demande en électricité supplémentaire pour la recharge des véhicules constitue en outre un enjeu pour les gestionnaires de réseau électrique. Dans le scénario de base, la demande de recharge est concentrée en soirée, à un moment où le réseau électrique est déjà fortement sollicité. Répartir la demande tout au long de la journée permettrait d’optimiser l’utilisation des sources d’énergie renouvelables, difficilement pilotables.
Dans le deuxième scénario étudié, 50% des pendulaires rechargent sur leur lieu de travail pendant la journée. Un troisième scénario a également été étudié pour observer l’impact du télétravail. Dans ce dernier, en plus des 50% de pendulaires rechargeant au travail, 20% pratiquent le télétravail deux fois par semaine et en profitent pour recharger leur véhicule en journée à domicile (tableau 1). Ceci a pour effet de diminuer la distance moyenne qu’ils parcourent pour aller travailler de 40%. Pour ces deux scénarios, la recharge est plus faible en soirée et plus élevée en journée que pour le scénario de base: la demande est ainsi décalée temporellement du soir aux horaires de bureau.
En rechargeant au travail, les travailleurs pendulaires déplacent également la recharge géographiquement, des zones résidentielles aux zones urbaines, industrielles et commerciales. La figure 3 met en évidence les variations spatiales de l’énergie déplacée du soir vers la journée. Le deuxième scénario permet de réduire de 35% la demande de recharge en soirée dans les zones résidentielles, tandis que le troisième permet de la réduire de 50% le soir dans les zones péri-urbaines. Même si la densité de véhicules est plus faible dans ces zones, la distance parcourue y est plus élevée (15 à 20 km), donc les effets du report de la recharge dans la journée sont plus visibles que dans les centres-villes.
![<b>Figure 3</b> Part de l’énergie consommée le soir pour la recharge dans le scénario de base reportée dans la journée dans le cas du scénario 3.](files/content/news-articles/B_Artikel/Archiv/2024/2401/B_2401_Jeannin/B_2401_Jeannin_Figure_3.png)
Une aubaine pour les énergies renouvelables
En plus de se substituer à la recharge à domicile si aucune borne n’y est disponible, la recharge au travail ou aux points d’intérêt permet de mieux répartir la demande sur la journée. Ce report des besoins pendant la journée est particulièrement intéressant pour profiter de l’énergie produite par les panneaux solaires. Un couplage entre production photovoltaïque et recharge de véhicules électriques peut également permettre de stocker de l’énergie solaire dans les batteries des véhicules la journée, et de la réinjecter dans les bâtiments ou dans le réseau le soir (vehicule-to-grid, V2G), lorsque les panneaux photovoltaïques ne produisent plus d’électricité.
Littérature complémentaire
N. Jeannin, A. Pena-Bello, C. Ballif, N. Wyrsch, «Mapping the Charging Demand for Electric Vehicles in 2050 from Mobility Habits», SSRN, 2023.
Références
[1] Confédération suisse, «Feuille de route mobilité électrique 2025».
[2] IEA, «Global EV Outlook 2022».
[3] Office fédéral du développement territorial, «Microrecensement mobilité et transports».
[4] Eurostat, JRC and European Commission, Directorate-General Regional and Urban Policy, «Cities and commuting zones (LAU 2016)», Eurostat.
[5] Natural Earth. naturalearthdata.com/downloads/110m-cultural-vectors/110m-populated-places/
[6] openrouteservice.org
[7] Eurostat, «Employment and commuting by sex, age and NUTS 2 regions».
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