Une stratégie pour décarboner les bâtiments
Production photovoltaïque et stockage d’énergie sous forme d’hydrogène
La forte augmentation de la production photovoltaïque fait émerger de nouveaux besoins. L’évolution des tarifs de rétribution pour l’injection ainsi que le déséquilibre entre la production estivale et la demande hivernale rendent le stockage saisonnier pertinent. L’hydrogène, malgré son coût élevé, pourrait offrir une solution prometteuse.
Favorisé par la transition énergétique vers les nouvelles énergies renouvelables, le déploiement des installations photovoltaïques (PV) a connu une croissance exponentielle en Suisse au cours des dernières années. L’intégration du photovoltaïque au bâtiment attire de plus en plus l’intérêt des acteurs de la construction et de l’énergie, notamment en raison de sa capacité à transformer les bâtiments en producteurs d’énergie tout en respectant les contraintes architecturales. Cependant, le développement du PV soulève plusieurs problématiques.
Tout d’abord, les tarifs actuels de rétribution de l’injection d’électricité dans le réseau ne sont pas garantis sur le long terme, ce qui incite fortement à maximiser l’autoconsommation. En effet, le prix de l’électricité consommée directement sur place est plus avantageux que celui de l’électricité revendue au réseau. Ensuite, le déséquilibre entre la production estivale élevée et la demande hivernale représente un défi majeur à l’échelle du territoire. L’énergie solaire, qui devrait fournir à la fin de cette année près de 10% des besoins annuels d’électricité de la Suisse, est produite principalement en été. Elle doit donc être stockée pour répondre à la demande hivernale, ce qui nécessite des solutions de stockage d’énergie efficaces sur le long terme.
Dans ce contexte, la transformation «power to gas to power» émerge en tant que solution potentielle pour le stockage saisonnier. Cette approche consiste à convertir l’électricité excédentaire produite en été en hydrogène par électrolyse, puis à stocker celui-ci sous forme gazeuse. Cet hydrogène peut ensuite être reconverti en électricité via une pile à combustible lorsque la demande dépasse la production locale, notamment en hiver (figure 1). Le défi consiste à optimiser cette transformation avec la meilleure efficacité possible pour maximiser l’autoconsommation et l’autosuffisance énergétique, tout en minimisant l’impact environnemental.
Déploiement du photovoltaïque sur le bâtiment du SLL
Le bâtiment du Smart Living Lab (SLL) [1], qui sera construit à Fribourg, représente un exemple concret d’intégration des technologies de stockage d’énergie au sein de l’environnement bâti. Ce centre de recherche innovant sera composé de quatre étages et d’un sous-sol, d’une surface totale de 5000 m2 [2]. Le bâtiment abritera à la fois des espaces de bureaux et des laboratoires de recherche, et servira de plateforme d’expérimentation pour des solutions énergétiques avancées.
Avec une puissance nominale d’environ 135 kW répartie sur plusieurs orientations, l’installation photovoltaïque prévue pour le SLL est particulièrement ambitieuse. Le processus de sélection des surfaces PV a été minutieux, en tenant compte de l’exposition solaire et du potentiel de production. L’objectif est de produire suffisamment d’électricité pour atteindre un taux d’autosuffisance d’au moins 50%, une exigence qui s’inscrit dans la démarche de neutralité carbone du projet.
La méthodologie utilisée pour le choix des surfaces PV repose sur des outils de modélisation avancés. Les données relatives à l’irradiation solaire, combinées aux caractéristiques architecturales du bâtiment, ont permis de déterminer les zones optimales pour l’installation des panneaux solaires (figure 2). Cette approche garantit une production énergétique maximale tout en intégrant les contraintes esthétiques et fonctionnelles du bâtiment.
Choix de l’hydrogène en tant que vecteur énergétique
L’hydrogène s’impose comme un vecteur énergétique prometteur pour le stockage saisonnier, permettant de lisser les écarts entre la production estivale et la consommation hivernale.
Les avantages de l’approche «power to gas to power» sont multiples. Tout d’abord, l’hydrogène offre une densité énergétique élevée, ce qui permet de stocker de grandes quantités d’énergie dans un volume relativement restreint. De plus, la production d’hydrogène par électrolyse est une technologie mature, bien que son intégration à l’échelle des bâtiments reste encore en phase de développement avec de premiers projets pilotes.
Cependant, des obstacles subsistent. Le coût des systèmes de production, de stockage et de reconversion de l’hydrogène est encore élevé, ce qui limite leur adoption à grande échelle. De plus, pour maximiser l’efficacité globale du système, il est essentiel de valoriser la chaleur produite par la pile à combustible en hiver, voire par l’électrolyseur en été. Avec un rendement de la pile à combustible de 50 à 60%, il convient de pouvoir récupérer la chaleur co-produite. Cela nécessite une intégration intelligente avec le système de chauffage et d’eau chaude sanitaire du bâtiment comprenant un ballon tampon, et donc de réfléchir à cette intégration dès le début de la conception du bâtiment.
L’hydrogène présente également un intérêt particulier pour les services au réseau électrique, notamment dans les segments moyenne tension (MT) et basse tension (BT). En période de forte production photovoltaïque, l’hydrogène peut être utilisé pour absorber les excédents d’énergie, réduisant ainsi les pics d’injection dans le réseau et contribuant à la stabilité du système électrique. En hiver, à l’inverse, la pile à combustible peut être sollicitée à des moments favorables pour éviter toute surcharge du réseau électrique.
Modélisation et optimisation des systèmes
Diverses simulations ont été réalisées afin de tester la faisabilité et l’efficacité de l’intégration d’un système de stockage d’hydrogène au bâtiment SLL. Ces simulations ont permis de comparer différentes configurations: un système PV seul, un système PV couplé à des batteries, et un système combinant PV, batteries et stockage d’hydrogène.
Le modèle de simulation intègre des données horaires relatives à la production photovoltaïque et à la demande énergétique du bâtiment. Les spécifications des systèmes de stockage, tant pour les batteries que pour l’hydrogène, sont également prises en compte. L’efficacité électrique moyenne de la pile à combustible est de 50% et son efficacité thermique de 35%. Le programme permet de simuler la gestion de l’énergie sur une année entière, offrant ainsi une vision claire des performances du système en termes de taux d’autoproduction, d’autoconsommation et d’autosuffisance.
La méthodologie de dimensionnement retenue repose sur une optimisation multicritère utilisant des outils open source interactifs et en ligne, tels que Design Explorer [3], pour l’exploration visuelle des résultats et des variantes, afin d’analyser et de choisir parmi les différents scénarios étudiés.
Résultats
Le modèle a également permis de tester plusieurs modes de gestion de l’énergie. Avec un système de stockage d’hydrogène d’une capacité de 300 kg, soit 14,3 m3 d’hydrogène compressé à 300 bar, le mode maximisant le taux d’autosuffisance permet par exemple d’atteindre l’objectif fixé, c’est-à-dire un taux d’autosuffisance de 80%. La capacité maximale de stockage d’hydrogène est atteinte en deux mois l’été et le stock se vide petit à petit en quelques mois en hiver. Pour arriver au même résultat sans stockage sous forme d’hydrogène, la capacité de la batterie Li-ion de 30 kWh aurait dû être 17 fois plus importante.
Différents objectifs d’optimisation du dimensionnement ont été définis (modes). En effet, il est possible de viser une autosuffisance maximale, une limitation des pics de puissance, une efficacité énergétique maximale de la transformation «power to gas to power», ou encore une limitation des émissions de CO2 (tableau 1). Le mode de limitation des pics, par exemple, réduit significativement les pics de puissance de l’injection et des prélèvements sur le réseau – jusqu’à -30% –, contribuant ainsi à stabiliser la consommation et la production au niveau du bâtiment. Le mode de limitation des émissions de CO2 permet, quant à lui, d’obtenir un bilan neutre en optimisant les périodes d’achat et de vente d’électricité en fonction du contenu carbone du mix électrique suisse.
Conclusions et perspectives
L’étude du bâtiment SLL montre que l’intégration d’un système de stockage d’hydrogène à l’échelle du bâtiment offre de nombreuses perspectives intéressantes. En offrant une autonomie sur plusieurs semaines, l’hydrogène constitue en effet une solution de stockage saisonnier envisageable, contrairement aux batteries dont l’usage se limite en général à quelques heures. Non seulement ce système permet d’augmenter le taux d’autosuffisance et de réduire les pics de soutirage et d’injection de puissance, mais il contribue également à une meilleure gestion des ressources énergétiques locales.
Cependant, des défis subsistent, notamment en ce qui concerne le coût des équipements et la complexité de leur intégration dans les bâtiments existants. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour affiner les modèles économiques et les stratégies de contrôle, afin de rendre ces solutions plus accessibles et attractives sur le marché.
Que ce soit à l’échelle européenne ou suisse, la stratégie «hydrogène» prend de plus en plus d’importance dans la transition énergétique. Le déploiement de telles technologies pourrait jouer un rôle clé dans la décarbonation des secteurs résidentiels et tertiaires, tout en apportant des services précieux aux réseaux électriques.
Les prochaines étapes de ce projet incluent l’optimisation du code de simulation, l’analyse détaillée des aspects financiers ainsi que l’exploration de nouvelles opportunités pour l’utilisation de l’hydrogène, notamment dans le cadre de la mobilité durable. L’avenir de l’hydrogène dans le bâtiment semble prometteur, mais il dépendra de la capacité à surmonter les obstacles technologiques et économiques actuels.
Littérature complémentaire
- S. Aguacil, Y. Morier, P. Couty, et J.-P. Bacher, «Building-integrated photovoltaics (BIPV) combined with hydrogen-based electricity storage system at building-scale towards carbon neutrality», Acta Polytechnica CTU Proceedings, Vol. 38, p. 281−287, 2022.
- S. Aguacil Moreno, «Influence of future climate scenarios on the sizing of Building-Integrated Photovoltaics (BIPV) installations. Case study of a new research-center building in Switzerland», Proceedings of Building Simulation 2023, 18th Conference of IBPSA, p. 2043−2050, 2023.
Références
[1] Smart Living Lab.
[2] Bâtiment du Smart Living Lab.
[3] Projet «2023 | Building-Integrated Photovoltaics (BIPV) Sizing Resilience | Publication», réalisé à l’aide de DesignExplorer v2.
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