Une seconde vie pour les batteries
Nouvelles applications pour les batteries de véhicules électriques usagées
Une fois que leur capacité résiduelle descend en dessous de 80%, les batteries des véhicules électriques doivent être remplacées. Ces batteries usagées peuvent alors être reconverties ou reconditionnées pour le stockage d’énergie stationnaire. Cela ne va toutefois pas sans poser quelques défis.
Bien que les premiers véhicules électriques aient fait leur apparition dès les années 1880, il aura fallu attendre les défis environnementaux du XXIe siècle pour en faire exploser la demande. Selon l’Agence internationale de l’énergie, plus de 300 millions de véhicules électriques devraient circuler sur les routes du monde d’ici 2030 – une tendance accompagnée d’une croissance exponentielle de la production de batteries.
Les premières générations de véhicules électriques sont en circulation depuis une dizaine d’années et leurs batteries, dont les performances se sont dégradées à l’usage, doivent aujourd’hui être remplacées. Toutefois, étant donné que les principaux composants de ces batteries (et en particulier des batteries lithium-ion) sont constitués de matériaux critiques et toxiques nécessitant des processus de recyclage complexes (désassemblage et séparation des composants), le nombre toujours croissant de batteries dégradées crée des défis environnementaux qui ne pourront être résolus que grâce à des efforts conséquents, et à un coût significatif.
Le National Renewable Energy Laboratory du Département de l’Énergie des États-Unis prévoit que la demande de graphite, de lithium et de cobalt – des minéraux critiques utilisés pour la fabrication des batteries de véhicules électriques – aura augmenté de 500% d’ici 2050. Le même laboratoire estime que la durée de vie d’une batterie de véhicule électrique se situe entre 12 et 15 ans dans les zones à climat modéré. Le problème est donc amené à gagner en ampleur. Une analyse réalisée en 2022 par l’équipe Battery Insights du cabinet McKinsey prévoit que l’ensemble de la chaîne de production des batteries lithium-ion (Li-ion) – de l’extraction minière au recyclage – pourrait connaître une croissance annuelle de plus de 30% entre 2022 et 2030.
Une alternative au recyclage consiste à reconvertir les batteries dégradées ou à les reconditionner afin de les utiliser dans des applications de seconde vie [2]. Au cours de l’utilisation normale d’un véhicule électrique, sa batterie se dégrade progressivement jusqu’à devenir impropre à une utilisation automobile lorsqu’elle atteint une capacité résiduelle d’environ 70 à 80%. À ce stade, la batterie peut encore être utilisée dans des installations stationnaires, notamment en combinaison avec la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables ou pour servir d’appoint au réseau électrique en cas de nécessité.1) L’intégration de ces batteries à ce type d’application permet de prolonger leur durée de vie (figure 1) et ainsi de réduire leur empreinte carbone, tout en augmentant la quantité d’énergie renouvelable disponible dans le réseau.
Nouvelles recherches
L’utilisation de batteries dégradées peut profiter à de nombreux produits liés au stockage d’énergie électrique. Ces applications alternatives comprennent le stockage d’énergie renouvelable sur site ainsi que certains services de flexibilité pour le réseau. Ces applications sont actuellement développées et testées dans le cadre de divers projets de recherche et projets pilotes tels que le projet européen Rhinoceros [4], qui explore de nouvelles possibilités de réutilisation et de recyclage durables des batteries Li-ion.
Récemment, le projet Big Leap a également reçu le feu vert de la Commission européenne dans le cadre de l’appel Horizon-CL5-2023-D2-01-04. Ce projet est axé sur la conception de batteries et de systèmes de gestion de batteries pour le stockage d’énergie stationnaire, et a pour objectif d’améliorer l’interopérabilité et de faciliter l’intégration des batteries de seconde vie. Il vise notamment à améliorer l’adaptabilité des systèmes de gestion de batteries ainsi que les performances des systèmes de stockage d’énergie reposant sur des batteries de seconde vie (également appelés SL-BESS, Second-Life Battery Energy Storage Systems) en suivant une stratégie d’intégration et de validation en trois étapes sur une période de 42 mois. Parmi les dispositifs développés dans le cadre du projet, qui prévoit d’inclure des SL-BESS d’une capacité allant jusqu’à 800 kWh, on trouve les systèmes de batteries de seconde vie de 500 kWh et de 250 kW développés au Centre européen d’innovation d’Eaton, à Prague.
Améliorer l’économie circulaire des batteries
Face au nouveau défi que représente la quantité toujours plus importante de batteries de véhicules électriques dégradées, les entreprises s’efforcent d’améliorer l’ensemble de leur cycle de vie économique. Cette démarche est conforme aux principes de l’économie circulaire, qui sont d’une importance cruciale pour lutter contre le changement climatique et qui impliquent de prolonger l’usage de toutes sortes de produits aussi longtemps que possible grâce à la réparation, au recyclage et à la reconception.
Le coût total de possession d’un véhicule électrique comprend celui de la batterie, et celui-ci peut être réduit de plusieurs façons. L’une d’elles consiste à atténuer la dégradation de la batterie en appliquant des topologies de protection efficaces et des recommandations d’utilisation raisonnable. En effet, la vitesse de dégradation des batteries étant aggravée par des conditions de fonctionnement extrêmes – notamment des courants et des températures élevés –, des solutions et des produits efficaces ont été développés dans l’objectif de surveiller les données électriques et la température ainsi que de déconnecter la batterie lorsque l’imminence d’un évènement potentiellement dangereux est détectée. Les systèmes des véhicules électriques doivent protéger de manière sûre et fiable les personnes et les composants, batteries comprises, dans toutes les situations, notamment lors de courts-circuits, de surcharges et de chocs, mais également en cas de recharge rapide ou de conduite normale.
Parallèlement au développement de systèmes de protection des batteries, Eaton collabore avec plusieurs entreprises et universités de l’UE dans le cadre du consortium du projet Flow [5] afin d’identifier des régimes de charge et de fonctionnement durables pour les véhicules électriques, et ce, en testant, validant et améliorant la recharge intelligente V2X (Vehicle-to-X) grâce à l’analyse des modèles de conduite d’utilisateurs sur des réseaux réels. Ces recommandations contribuent à l’extension de la durée de vie des batteries des véhicules électriques.
Une autre manière de réduire les coûts liés aux batteries consiste à préserver et documenter l’historique des données de la batterie, notamment en ce qui concerne les limites de courant, l’état de charge et l’état de santé de la batterie. La plupart des batteries de véhicules électriques disposent encore d’environ 80% de capacité résiduelle lorsqu’elles sont déclarées impropres à l’usage pour les véhicules électriques. Cet état de dégradation partielle est cependant parfaitement compatible avec une utilisation dans le cadre d’applications exploitant des batteries de seconde vie. Toutefois, l’état de dégradation de certaines batteries est trop avancé même pour un tel usage, et celles-ci doivent donc être recyclées. Actuellement, le processus de reconversion des batteries requiert une sélection impliquant des manipulations et des tests onéreux. Les coûts de ce processus de sélection peuvent être considérablement réduits en cas de disponibilité des données d’utilisation de la batterie et de possibilité d’exploiter les informations relatives à son état de santé.
Une troisième façon de restreindre les coûts consiste à optimiser les processus de reconversion et de reconditionnement des batteries. Les batteries dégradées sont préparées pour des applications de seconde vie en reconvertissant ou en reconditionnant les packs batteries des véhicules électriques. La reconversion est réalisée en intégrant les packs batteries entiers au conteneur du système de stockage d’énergie. Cependant, la grande variété de modèles de batteries disponibles sur le marché et leurs différences de taille, de composition chimique des électrodes et de format (cylindrique, prismatique ou en pochette), constituent un défi important pour la reconversion. Tout cela augmente la complexité du processus de reconversion en raison du manque de standardisation et de la fragmentation du volume.
D’ici 2025, on dénombrera jusqu’à 250 nouveaux modèles de véhicules électriques, équipés de batteries provenant de plus de 15 fabricants [6]. Étant donné que les batteries des différents constructeurs de véhicules électriques présentent des dimensions et des paramètres de connectivité divers, le système de batteries de seconde vie doit être conçu sur mesure, ce qui augmente nécessairement les coûts de développement. Ces coûts pourraient être considérablement réduits si les paramètres des batteries, et notamment le facteur de forme et les protocoles de communication, étaient à l’avenir standardisés pour des batteries de composition chimique similaire. Ainsi, les systèmes de batteries de seconde vie pourraient être conçus de sorte à pouvoir intégrer facilement les batteries des différents fabricants de véhicules électriques, tout en rendant les systèmes de stockage stationnaires plus abordables.
Le processus de reconditionnement implique, pour sa part, le désassemblage des packs batteries et la séparation des différentes cellules qu’ils contiennent. Ces cellules sont ensuite testées et celles dont la dégradation est trop importante sont mises de côté afin d’être recyclées. Les autres sont reconditionnées et intégrées aux applications de seconde vie. Si le processus de reconditionnement prolonge la vie d’un plus grand nombre de cellules, il est aussi plus coûteux que la simple reconversion des batteries. Lorsque l’historique des données d’exploitation de la batterie est disponible, une sélection et une décision plus rapides et plus efficaces peuvent être mises en œuvre, ce qui améliore encore la valeur des solutions de stockage de seconde vie.
Évolution des coûts et réglementations
Actuellement, l’une des motivations pour intégrer des batteries de seconde vie dans des applications de stockage stationnaires est leur coût inférieur par rapport à celui des batteries neuves. Cependant, l’amélioration constante de la technologie des batteries et la croissance exponentielle de la demande s’accompagnent d’une importante baisse des coûts des batteries neuves. Selon les prévisions, le taux de diminution des coûts de reconversion des batteries sera inférieur au taux de diminution des coûts de fabrication de nouveaux produits. McKinsey estime qu’au rythme actuel, l’avantage en matière de coût des batteries de seconde vie, qui devrait être de 30 à 70% au milieu des années 2020, pourrait chuter à environ 25% d’ici 2040 [6]. Or, cet écart de coût doit être suffisamment à l’avantage des batteries de seconde vie pour que la dégradation de leurs performances puisse être acceptée par les clients.
Des défis supplémentaires sont posés par le manque de normes et de réglementations en matière de batteries de seconde vie. Il n’existe actuellement aucune garantie concernant leur qualité ou leurs performances, car les producteurs n’offrent aucune visibilité ni sur la manière dont le système de gestion de la batterie (Battery Management System, BMS) la protège pendant son fonctionnement, ni sur son historique de données ou sur son état actuel de santé. Par ailleurs, les performances des batteries varient en fonction des applications et aucune caractéristique technique standard n’a été adoptée pour les batteries de seconde vie.
Il est donc important d’élaborer des normes qui s’appliquent aux exigences de protection des batteries stationnaires. Ces normes devraient tenir compte des principaux risques liés aux systèmes de stockage (surintensité, court-circuit, propagation des défauts), ainsi que de l’intégrité de la batterie et de la prévention des incendies. Des composants et des systèmes de protection (disjoncteurs et dispositifs de détection des arcs électriques internes) adéquats sont commercialisés, tout comme des sectionneurs d’urgence et des systèmes de notification.
L’utilisation des batteries de seconde vie représente potentiellement une formidable opportunité d’intégrer les principes de l’économie circulaire dans les marchés des véhicules électriques et des infrastructures de recharge. Il s’agit donc assurément d’un sujet à suivre avec attention.
Références
[1] eaton.com/gb/en-gb/products/energy-storage/johan-cruijff-arena-success-story.html
[2] corporate.enelx.com/en/question-and-answers/what-is-second-life-battery
[3] eaton.com/gb/en-gb/company/news-insights/energy-transition/buildings-as-a-grid.html
Note
1) Eaton utilise, par exemple, des batteries de seconde vie dans le cadre de son approche de la transition énergétique «Buildings as a Grid» [3].
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