Une recharge plus rapide grâce à la bioénergie
Exploiter le bioéthanol excédentaire au lieu de renforcer le réseau
Comment permettre à un grand nombre de véhicules électriques de recharger leur batterie simultanément à pleine puissance sur une aire d’autoroute sans renforcer le réseau électrique? Une start-up a développé un générateur mobile qui convertit de l’éthanol renouvelable issu de résidus de la biomasse en électricité.
L’essor des ventes de véhicules électriques à batterie nécessite une augmentation rapide de la production, mais aussi de la distribution d’énergie renouvelable. En effet, rien que les besoins annuels en électricité propre des bornes de recharge rapide publiques devraient atteindre 12 à 20 TWh en Europe en 2030. Cependant, le manque d’infrastructures électriques adéquates rend le déploiement des bornes de recharge rapide long et fastidieux: il faut compter au minimum 500'000 CHF, et 2 ans de délai en moyenne, pour se connecter au réseau haute tension. Ceci met en péril l’électrification des véhicules personnels ainsi que les réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES) associées.
Le manque de capacité du réseau électrique actuel empêche les opérateurs de bornes de recharge (charge point operators, CPO) d’avoir accès à la puissance nécessaire pour recharger les véhicules électriques avec la rapidité attendue. En effet, les opérateurs sont obligés de limiter la recharge à la moitié de la puissance annoncée, si ce n’est pas moins, lorsque la majorité des bornes sont sollicitées. Par exemple, la très forte augmentation de demande de recharge sur les aires d’autoroute lors des grands chassés-croisés des départs en vacances requiert, pour seulement quelques jours dans l’année, une connexion au réseau surdimensionnée par rapport à son utilisation habituelle ainsi qu’un contrat hors de prix avec le fournisseur. Dès lors, comment les gestionnaires des aires de service des autoroutes pourront-ils s’assurer, ces prochaines années, que les files d’attente pour la recharge rapide pendant les périodes de pointe restent maîtrisées?
En outre, la conjonction de la croissance de la demande de véhicules électriques (en moyenne +30% par année) et de la lenteur de la réponse des opérateurs de réseaux et des entreprises de services publics – ces 15 dernières années, la croissance historique de la chaîne de valeur de l’approvisionnement en électricité, de la production à la distribution, a été de 4% par an – indique une fenêtre d’opportunité critique en 2024–2025.
Une alternative 100% renouvelable
Afin d’apporter une solution à cette problématique, WattAnyWhere, une jeune start-up située dans les locaux de la Fondation The Ark, à Sion, conçoit un groupe électrogène de 300 kW respectueux de l’environnement, qui répond parfaitement à cette situation. Ce groupe «power on demand» (énergie à la demande) est en cours de développement, avec le soutien d’Innosuisse et en collaboration avec l’EPFL, la HES-SO Valais, l’École nationale supérieure de l’électronique et de ses applications (ENSEA, en France) ainsi que des partenaires industriels à travers l’Europe. Il est basé sur des piles à combustible à oxyde solide (SOFC) qui permettent de convertir de l’éthanol renouvelable, un vecteur d’hydrogène liquide, sûr et économique, en électricité propre.
Aujourd’hui, l’éthanol issu de sous-produits ou de déchets cellulosiques est mélangé à l’essence pour alimenter les voitures conventionnelles. Alors que les moteurs à combustion disparaîtront progressivement, la solution WattAnyWhere utilisera l’éthanol excédentaire pour stimuler la mobilité électrique. La quantité d’éthanol intégrée actuellement dans la chaîne d’approvisionnement énergétique du secteur de la mobilité représente plus de 30 TWh, bien plus que ce qui sera nécessaire pour alimenter les stations de recharge rapide en 2030.
De plus, la pile à combustible SOFC bénéficie d’une efficacité exceptionnelle, supérieure à 60%, garantissant ainsi la rentabilité du groupe électrogène. Neutre en carbone, silencieux et sans polluant, ce dernier répond aux exigences de l’objectif no 7 de développement durable des Nations Unies (ODD 7).
Une alternative sûre et économique au transport d’H2
Liquide à température ambiante, l’éthanol produit en Europe est principalement un coproduit de l’industrie sucrière, permettant notamment une valorisation des résidus de l’exploitation de la betterave à sucre. Les cultures agricoles utilisées pour la production d’éthanol ne proviennent donc pas de terres dotées d’un important stock de carbone (par exemple les forêts) ou d’une grande valeur pour la biodiversité. Il s’agit d’un processus sous contrôle d’une législation très ferme, en Europe comme en Suisse.
Aujourd’hui, 80% des 10 milliards de litres d’éthanol renouvelable produits annuellement sont consommés dans le secteur de la mobilité: il est distribué en Suisse sous le label E5, E10, ou E85. Les chaînes d’approvisionnement actuelles mélangent donc de l’éthanol renouvelable (jusqu’à 85%) avec de l’essence pour alimenter les voitures conventionnelles.
De plus, l’éthanol, porteur d’hydrogène avec 6 atomes par molécule, est sûr et facile à transporter, et ce, par le biais des solutions logistiques utilisées aujourd’hui par les stations-service. Des camions de 30 m3 permettent un accès immédiat à cette énergie renouvelable dans toute l’Europe. Un plein de 30 m3 d’éthanol correspond environ à 100 MWh d’énergie, permettant la recharge de 20 à 80% de 3000 véhicules électriques.
Enfin, grâce aux efforts de sociétés telles que Clariant, en Suisse, la production d’éthanol de 2e génération est en constante augmentation, rendant la filière encore plus vertueuse: les nouveaux processus permettent d’optimiser davantage l’efficacité des ressources en utilisant d’autres déchets et résidus tels que la paille et autres ressources lignocellulosiques renouvelables.
L’efficacité énergétique grâce aux piles à combustible SOFC
Parmi les piles à combustible en production actuellement, la pile SOFC bénéficie du rendement le plus élevé. Elle a aussi l’avantage de reposer sur une technologie maîtrisée depuis plusieurs années, comme le démontre le fournisseur Elcogen. Comparée à la pile à combustible PEM (à membrane échangeuse de protons) largement diffusée aujourd’hui, elle n’a pas besoin d’être alimentée uniquement avec de l’hydrogène pur, mais peut ingérer des gaz de synthèse plus complexes. Ainsi, le pré-reformage du combustible – une étape lors de laquelle la molécule d’éthanol est cassée pour produire des gaz de synthèse, essentiellement de l’hydrogène et du méthane – est moins compliqué. Le pré-reformeur retenu a l’avantage de fonctionner à une température relativement basse, optimisant son efficacité. Avec un rendement de la pile SOFC de plus de 60%, la comparaison avec le moteur à combustion, ou avec la pile à combustible PEM, est sans commune mesure.
La technologie SOFC est produite en Europe par plusieurs acteurs. La température de fonctionnement interne élevée, généralement entre 600 et 1000°C, nécessite le développement d’une enveloppe thermique efficace. Toutefois, ce qui pourrait ressembler à un inconvénient peut se transformer en avantage décisif lorsque cette chaleur est récupérée et valorisée, permettant théoriquement d’atteindre des rendements de plus de 80% (le rendement exact sera mesuré pendant la phase de développement du système WattAnyWhere). L’industrie de la SOFC est aujourd’hui en pleine expansion, et tous ses acteurs investissent pour multiplier leur capacité actuelle de production d’un facteur 10 ou plus ces prochaines années.
Des innovations brevetées
Une autre particularité de la SOFC: sa difficulté à effectuer un grand nombre de cycles d’allumage-extinction, qui peuvent, par ailleurs, prendre plusieurs heures. Or, les demandes en énergie dans le cadre de la recharge rapide nécessitent d’avoir un accès plutôt souple. WattAnyWhere a adressé cette problématique par le biais d’une technologie brevetée1) permettant la gestion en température et en énergie du système complet intégrant la SOFC.
Le générateur fonctionne selon le principe suivant (figure 1): un réservoir principal d’éthanol fournit le carburant au pré-reformeur via une pompe. Celui-ci le transforme en une pluralité de gaz de synthèse consommables par la pile SOFC. Cette dernière produit un courant électrique qui est géré par l’électronique de puissance. L’énergie non utilisée par les points de recharge est stockée dans une batterie tampon et servira aux phases transitoires ainsi qu’éventuellement aux demandes supérieures à la puissance maximale de la pile elle-même.
Un logiciel de contrôle permet de commander le système en temps réel. Il intègre également un algorithme, développé par la HES-SO Valais, qui permet d’optimiser en temps réel le rendement du système, et ce, sans avoir besoin d’un modèle précis à la base. Ainsi, des optimisations peuvent également être effectuées lors de situations particulières, par exemple en présence de défaillances de certains capteurs.
Objet d’un brevet1), l’architecture «power on demand» permet d’interrompre la production d’électricité tout en maintenant la SOFC en température, pour un démarrage instantané.
La figure 2 présente un aperçu des modules principaux développés à petite échelle (350 W) lors de l’étude réalisée dans le laboratoire GEM (Group of Energy Materials) de l’EPFL, sous la supervision de la start-up suisse Celectis, spécialiste des SOFC et du reformage.
Une installation rapide utilisant les infrastructures existantes
Avec un accès à l’énergie renouvelable facilité, un apport d’électricité de 300 kW installé en moins d’un mois sur site, le générateur de WattAnyWhere répond aux besoins de croissance rapide des opérateurs de bornes de recharge tels que la société Oiken, en Valais. Notamment, la densité énergétique de l’éthanol, environ 6 kWh/l, rend possible le stockage de 100 MWh d’énergie dans une simple cuve de station-service de 30 m3, permettant ainsi de recharger 3000 véhicules sans faire appel au réseau électrique.
Alors que le prototype est en fonctionnement au sein du laboratoire GEM de l’EPFL, sur le campus Energypolis, à Sion, il s’agit désormais de procéder à une démonstration sur site2) et de confronter le système aux réalités du terrain.
Des opérateurs de bornes de recharge rapide ont déjà manifesté leur intérêt pour des installations sur des parkings de supermarchés ou dans des stations-service, en Suisse et en France. Il est prévu, d’ici trois ou quatre ans, d’étendre le marché à plusieurs autres pays d’Europe, et des discussions ont eu lieu avec des représentants du secteur de la mobilité électrique en Inde et en Thaïlande.
Le choix de l’éthanol renouvelable comme porteur d’hydrogène représente l’assurance d’un accès facilité à l’énergie renouvelable, bon marché et pérenne, tout en soulageant le réseau électrique d’une demande en forte croissance. D’autres cas d’usage pourront à l’avenir également bénéficier de la solution, par exemple pour l’alimentation de bateaux à quai, de villages isolés ou de festivals.
Notes
1) Le brevet est déposé et sera publié au cours de l’été 2023.
2) Une démonstration sur site est planifiée pour le dernier trimestre 2023, à Sierre, avec le support d’Oiken.
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