Une gestion des risques globale et interdisciplinaire
Aménagements hydroélectriques
Dans le secteur de l’énergie, la gestion des risques est devenue le standard. Afin de garantir la sécurité des personnes, des biens et de l’environnement tout en optimisant la gestion de ses aménagements, Alpiq gère les risques, qu’ils soient sécuritaires, environnementaux ou techniques, de manière globale. Ce dont témoignent trois jeunes ingénieurs à la vision transversale.
Bulletin: En quoi la gestion environnementale fait-elle partie de l’exploitation d’un ouvrage hydroélectrique?
Chrystelle Gabbud: En tant que gestionnaire environnementale, je cherche à déterminer le meilleur compromis dans la gestion des ressources entre approvisionnement énergétique et exigences environnementales en appliquant les lois sur la protection de l’environnement. La concertation avec les associations environnementales et la mise en œuvre de la loi sur l’assainissement des cours d’eau en font partie. Nous analysons également les risques physiques liés au changement climatique afin d’anticiper les modifications de l’approvisionnement futur.
Quels sont les risques liés au changement climatique?
De nouveaux risques apparaissent en lien avec la hausse des températures et le retrait des glaciers, à cause du réchauffement du permafrost ou de par l’augmentation des événements extrêmes. On constate par exemple une diminution du volume libre disponible dans les réservoirs à cause de l’accumulation des sédiments libérés par la fonte des glaciers, principalement dans les régions de montagne. Il faut également s’attendre à une modification du régime d’approvisionnement en eau. Actuellement, le pic de fonte est au printemps et en été. Dans le futur, quand les glaciers auront disparu, nous serons davantage dépendants des précipitations de neige et de pluie.
Et comment évaluez-vous les impacts de ces changements sur la production hydroélectrique?
Nous collaborons avec les universités et hautes écoles afin d’améliorer les connaissances scientifiques sur lesquelles reposent la stratégie du futur et les investissements potentiels à réaliser. Nous cherchons à prévoir et évaluer les risques dans 20, 30 ou 50 ans. Nous avons par exemple depuis 2009 un projet avec l’EPFZ qui réalise des modélisations des bassins versants glaciaires que nous gérons afin d’interpréter et d’anticiper les conséquences du changement climatique sur les risques physiques et d’approvisionnement.
Quelles sont concrètement les conséquences sur la gestion des barrages?
Nicolas Adam: Le changement climatique fait évoluer les sollicitations des structures et influe sur leur comportement. En tant qu’ingénieur civil, mon objectif est de garantir la fonction de stockage des barrages tout en maintenant un niveau de sécurité élevé pour la population en aval. Nous cherchons donc à anticiper les problèmes et à prévoir d’éventuelles réparations suffisamment tôt afin de transmettre au concédant des ouvrages sains pour les années à suivre.
Et pour les installations électromécaniques?
Yann Le Cahain: Elles sont là aussi multiples: une usure accrue au niveau des turbines créée par les sédiments provenant de la fonte des glaciers; une modification de leurs périodes de fonctionnement et de maintenance due au changement des régimes hydrologiques et du marché. Plusieurs solutions existent, comme la pose de revêtements de carbure de Tungsten sur les roues. Les nouveaux outils de maintenance prédictive basée sur l’intelligence artificielle doivent aussi permettre une réactivité accrue face au changement.
Modifiez-vous votre manière de gérer l’eau?
Nicolas Adam: De nouveaux aspects apparaissent dans la gestion des risques, notamment dans la gestion de ceux liés aux crues importantes. Les barrages permettent d’amortir les crues en limitant leur débit maximum ou en stockant l’intégralité ou une partie du volume. Nous devons veiller à relâcher l’eau au bon moment. Grâce au développement de nouveaux outils de prévision des apports, nous pouvons améliorer la gestion des crues et donc, la sécurité de la population. Par ailleurs, les barrages pourraient remplir d’autres rôles, comme un soutien aux étiages en cas de sécheresse.
Chrystelle Gabbud: Au-delà des nouvelles possibilités offertes par la création de lacs glaciaires, nous avons une approche de plus en plus intégrée des barrages. Ils ne permettent pas uniquement de stocker de l’eau en vue de produire de l’électricité: ils contribueront également, dans le futur, à répondre à l’évolution des besoins en eau due au changement climatique. Les barrages auront par exemple un rôle à jouer dans la gestion de l’eau potable, la rétention des crues, les apports en cas de sécheresse, l’irrigation, ou encore sur le plan touristique.
Comment Alpiq arrive-t-elle à appréhender de manière globale tous ces aspects de la gestion des risques?
Yann Le Cahain: Une meilleure connaissance des risques de nos aménagements permet une meilleure prise de décision. Nous développons et utilisons des outils de modélisation ainsi que des nouvelles méthodes afin de gérer les différents risques liés aux installations électromécaniques. Nous effectuons une veille technologique, consultons les différents experts et synthétisons leur avis. La donnée est au centre de notre attention. Nous avons développé une méthode de gestion des risques très avancée pour améliorer la performance des actifs hydroélectriques et introduit une maintenance prédictive [1]. Nous développons des outils permettant d’optimiser les investissements tout en garantissant un niveau de sécurité maximal. Nous visons un équilibre entre disponibilité des aménagements, coûts et niveau de risque.
Vous faites partie de la nouvelle génération d’ingénieurs au sein d’Alpiq. Comment percevez-vous votre travail?
Yann Le Cahain: Nous nous sentons héritiers du passé, mais sommes là pour amener un renouveau technologique là où il s’avère pertinent. La transmission des connaissances et du savoir-faire des personnes d’expérience aux jeunes ingénieurs est importante. Pérenniser les connaissances accumulées par les générations précédentes d’exploitants à l’aide des nouvelles technologies de l’information est une des démarches les plus «durables» et porteuses de sens de notre métier.
Nicolas Adam: Nous sommes dans un environnement qui se complexifie. Nous devons gérer des aménagements de 60 ans en moyenne afin qu’ils soient en bon état lors des renouvellements de concessions dans 30 à 40 ans et au-delà. Nous travaillons, tels des gestionnaires de patrimoine, avec une vision à long terme. Nous devons également prendre en compte des échelles de temps très différentes (géologie, génie civil, électromécanique) ainsi qu’un grand nombre de phénomènes physiques.
De nouveaux métiers sont-ils nécessaires pour répondre à ces évolutions?
Tous: Les nouvelles évolutions telles que la digitalisation ou l’usage de l’intelligence artificielle demandent de nouveaux profils. Le changement rapide du contexte environnemental exige une professionnalisation et une plus grande intégration de ce domaine. Ces changements sont nécessaires. Il y a chez Alpiq la volonté de s’améliorer en permanence et d’anticiper les évolutions de contexte en adaptant ses compétences internes. De nouveaux métiers viennent compléter les métiers historiques.
Référence
[1] Nicolas Rouge, Olivier Bernard, Alexandre Bircher, «De la maintenance préventive à la Maintenance 4.0», Bulletin 09/2019.
Trois profils complémentaires
(de gauche à droite sur la photo)
Chrystelle Gabbud est gestionnaire environnementale. Elle a une formation de géographe / géomorphologue et un doctorat en géographie physique au sujet des impacts des changements climatiques et anthropiques sur les cours d’eau alpins régulés par des infrastructures hydroélectriques.
Nicolas Adam est ingénieur en génie civil spécialisé en ouvrages d’art. Il dispose d’un doctorat sur l’adaptation des aménagements hydroélectriques existants à des augmentations de puissance.
Yann Le Cahain est ingénieur en mécanique spécialisé en matériaux et au bénéfice d’un doctorat en simulation numérique multi-échelles de matériaux composites complexes.
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