Un scientifique doit être un citoyen
Portrait de Jacques Dubochet
Prix Nobel de chimie, Jacques Dubochet est un homme curieux qui a soif de comprendre. Pour lui, un scientifique a le devoir d’être un citoyen, tant ses découvertes ont un impact potentiel sur la société. Dans son propre engagement, le climat occupe une grande place.
A la question d’un journaliste « votre découverte en 10 secondes ? », Jacques Dubochet répond simplement « l’eau froide ». Cette réponse sincère et authentique est à l’image du personnage. Présageant de grandes découvertes, elle a valu au scientifique pas moins que le prix Nobel de chimie en 2017. Invité dans le cadre du Club Ravel de l’AES, Jacques Dubochet s’est livré sur son parcours, ses travaux de recherche et son engagement en faveur du climat.
De son enfance passée en partie dans le canton du Valais, Jacques Dubochet se souvient de la construction du barrage de Cleuson, chantier sur lequel son papa a œuvré en qualité d’ingénieur. Premier enfant vaudois diagnostiqué dyslexique, il n’est à l’époque « pas bien dans sa vie ». Mais ce handicap n’enlèvera rien à sa curiosité, à sa soif de réponses.
Comme beaucoup à son âge, il a peur de la nuit ! C’est justement en voulant surmonter cette dernière, qu’il va ressentir le besoin de la comprendre. Cette envie de saisir les choses va l’accompagner tout au long de sa vie et va lui permettre d’appréhender quelque peu ce monde qui le fascine. Sa quête va d’ailleurs l’amener à vouloir en comprendre ses plus petits éléments. Dans ce but, il développera plus tard la cryo-microscopie électronique.
La cryo-microscopie pour comprendre le monde
En d’autres termes, Jacques Dubochet est parvenu à vitrifier de l’eau liquide. Cette découverte – permettant de préserver l’eau dans les objets observés au microscope électronique – a permis de voir la matière vivante dans un état plus proche de la réalité.
Par la suite, grâce à beaucoup d’autres mais en particulier par les travaux de Richard Henderson et de Joachim Frank – avec lesquels il partage le Prix Nobel – il est devenu possible de représenter l’arrangement tridimensionnel des quelques centaines de milliers d’atomes formant un virus ou un gros complexe moléculaire.
Quand il parle de compréhension, Jacques Dubochet aime préciser que c’est l’inconnu qui le fascine, non pas le mystère. Ce dernier comprend les choses qu’on ne pourra jamais saisir et qui nous dépassent. Cette notion, à l’exemple de la croyance divine, est pour lui conceptuellement hors de portée. Alors que l’inconnu, même s’il n’est pas possible de le saisir, « je peux essayer de progresser pour m’en approcher ».
Et c’est le scientifique qui va tenter de comprendre une partie de cet inconnu. Quelle est sa définition d’un scientifique ? Il s’agit d’une personne qui n’a de maître que la nature, ou ce que d’autres ont appris de la nature et nous l’enseignent.
La science au service du bien commun
Avec les avancées de la cryo-microscopie électronique, les scientifiques disposent d’un nouvel outil pour comprendre les maladies, Alzheimer par exemple, Covid évidemment. Qui dit compréhension dit également ébauche de solution.
Ces découvertes permettront peut-être un jour de trouver des thérapies à ces maladies, lançant certainement une véritable course aux brevets comme c’était le cas dans le passé pour plusieurs maladies telles que le VIH ou l’hépatite C.
Jacques Dubochet est convaincu qu’il « faut faire mieux » que cela et mettre les découvertes scientifiques à disposition du bien commun. A ses yeux, le scientifique a donc une responsabilité sociale en tant que citoyen. Car il ne suffit pas de produire du savoir, il faut également penser au développement, à la mise en oeuvre de ce dernier. Cette conviction s’applique également à son engagement contre le réchauffement climatique.
La nature pour maître
Pour Jacques Dubochet, le scientifique « est un homme dont le seul maître est la nature ». Cette conviction accompagne un engagement en faveur de l’écologie de longue date, pour lequel il a d’ailleurs milité dans les années 68–69. Il déplore naturellement la fonte des glaciers et a essayé de comprendre ce qui se passait avec le climat. Le réchauffement climatique est d’ailleurs un événement observé depuis les années 70. En bon scientifique, il s’est posé la question de savoir qu’elle était la loi sous-jacente à cette augmentation des températures.
Aux participants du Club Ravel, Jacques Dubochet a fait part de ses réflexions sur le réchauffement climatique. Pour étayer ses pensées, il s’est penché sur les données statistiques. « On observe que cette anomalie de température a déjà progressé de 1,2 °C selon une exponentielle qui double en un peu moins de 30 ans. À ce rythme, les 1,5 °C que l’Accord de Paris espère ne pas dépasser seront atteints en 2030 ; les 2 °C, au-delà desquels le réchauffement est considéré comme étant intolérable pour la civilisation, sera réalité en 2040 ». Quant à la suite, « si nous ne faisons rien, ce sera 8 °C à la fin du siècle ».
Il ne restera plus à l’homme que quelques zones habitables au Canada, en Sibérie et en Patagonie.
La décarbonation comme réponse citoyenne
Le lien entre réchauffement climatique, CO2 et carbone fossile est établi. Leurs courbes respectives d’évolution suivent la même progression exponentielle, chacune avec le même temps de doublement d’un peu moins de 30 ans.
Pour Jacques Dubochet, cette remarquable relation donne aussi la solution au problème du réchauffement climatique : il faut sortir notre société du carbone fossile pour arrêter la hausse de températures – et il faut le faire vite, avant 2040.
Il pense que notre société peut (pour ne pas dire doit) y arriver. Les solutions techniques « ne sont pas tout, mais elles existent et vont nous aider ». Il va même jusqu’à dire que – à côté de la volonté citoyenne individuelle de changer ses habitudes – la branche électrique détient la solution. L’heure est venue de soutenir le développement de toutes les énergies renouvelables.
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