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Un robot agile examine les lignes de transport

Le LineRanger réalise l’inspection à distance des faisceaux de conducteurs

27.04.2020

Afin d’optimiser la maintenance de son réseau de transport de plus de 34'000 km, Hydro-Québec a mis au point un robot capable de se déplacer sur les faisceaux de conducteurs sous tension, et ce, jusqu’à 765 kV. Celui-ci est à même de passer aisément toute sorte d’obstacles et muni de capteurs destinés à effectuer divers types de mesures.

Responsable de la gestion d’un réseau de transport électrique de plus de 34'000 km, TransÉnergie, la division transport d’Hydro-Québec, doit connaître au mieux l’état des composants qui le constituent: structures en treillis, bases souterraines de béton, isolateurs, et surtout conducteurs électriques. Les lignes de transport ont été construites à différentes périodes, certaines approchant l’âge vénérable d’un siècle, alors qu’une grande proportion a vu le jour dans les années 1960 ou 1980.

Pour assurer la fiabilité de l’approvisionnement électrique ainsi que pour optimiser et planifier les budgets d’investissements, il convient de détecter les signes avant-coureurs de problèmes potentiels. Le moment de la réfection d’une ligne est influencé par l’âge de celle-ci, mais aussi par sa criticité, son facteur d’utilisation et les perspectives d’évolution du réseau. Enfin, il importe de disposer d’informations précises sur l’état d’avancement des différents mécanismes de dégradation du système câble (conducteur, câble de garde et manchons).

Mécanismes de dégradation et technologies d’inspections

Les différents composants d’une ligne de transport n’évoluent pas tous au même rythme et leur dégradation ne se manifeste pas uniformément d’une portée à l’autre. Certains secteurs présentent un milieu aérien agressif (proximité de plan d’eau, rejets d’usine), d’autres sont fréquemment touchés par la foudre ou l’accumulation de verglas, alors que certaines portées voient leurs manchons devenir plus résistifs en raison d’un vice d’assemblage, de la perte de leur protection de graisse interne, d’un cyclage thermique excessif, etc.

De manière générale, les gestionnaires de réseau se fient aux méthodes classiques d’inspection pour déduire l’état d’avancement des principaux mécanismes de dégradation: inspection visuelle à partir du sol ou par hélicoptère, mesures infrarouges, prélèvements d’échantillons, etc. Afin d’affiner ces méthodes et d’obtenir un tableau plus complet et précis de la situation, Hydro-Québec TransÉnergie a investi dans le développement de capteurs d’essais non destructifs (END) et de plateformes robotiques pour les déployer sur les conducteurs énergisés (figure 1).

Ainsi, l’usage de caméras HD demeure très instructif pour détecter plusieurs types d’anomalies de surface, de traces d’arcs électriques, de fissures ou de quincaillerie usée, voire manquante. Un point de vue stable en hauteur et mobile sur le conducteur complète et améliore grandement les informations captées au sol.

La sonde LineCore [1], de construction légère et peu énergivore, permet de mesurer le niveau de corrosion de l’âme en acier des conducteurs ACSR (Aluminium Conductor Steel Reinforced) en injectant des courants de Foucault à haute fréquence. Leur réponse électro­magnétique est influencée par l’amincissement local de la protection de zinc autour des brins d’acier.

Le contrôle de l’état des manchons se fait généralement par le biais de mesures infrarouges. Celles-ci sont parfois impossibles à réaliser en raison de charges de ligne insuffisantes ou de conditions météo défavorables. Le ­phénomène de dégradation se manifestant sous la forme d’une augmentation de la résistivité interne du joint manchonné, la meilleure approche consiste à utiliser un micro-­ohmmètre pour mesurer cette résistivité et la comparer à celle du conducteur. L’outil LineOhm [2] a été développé pour cet usage. Compact et robuste, il a été optimisé pour établir un contact optimal, même en présence de poussières ou d’autres contaminants.

Enfin, lorsque ce sont les brins internes d’aluminium qui rompent sous l’effet de vibrations éoliennes mal amorties ou de charges importantes de verglas, le capteur à rayons X LineScan [3] peut être utilisé pour les détecter à l’intérieur des pinces de suspension.

En fonction depuis 2008, le robot roulant LineScout [4] peut maintenant transporter ces capteurs sur les conducteurs énergisés, tout en franchissant les obstacles présents (pinces de suspension, balises, amortisseurs, etc.). Ce franchissement télécommandé à partir du sol prend quelques minutes. Le LineScout pèse environ 100 kg et transporte une charge utile de plusieurs kilos. Bien qu’il soit très utile, sa masse et sa complexité d’opération limitent parfois son usage. Les drones commerciaux contribuent bien sûr à l’inspection à distance des équipements en offrant un point de vue ajustable. Hydro-­Québec a par ailleurs développé le LineDrone [5], le premier drone capable de se poser sur un conducteur sous tension afin d’y réaliser des mesures. Enfin, certains des capteurs END présentés plus haut ont été motorisés pour les rendre autonomes, sur une seule portée à la fois si l’espace entre les phases est très restreint.

Un robot dédié aux faisceaux

Environ la moitié du réseau de transport d’Hydro-Québec TransÉnergie est constituée de conducteurs en faisceau: cette configuration minimise les pertes électriques en utilisant plus d’un conducteur par phase, l’espacement entre les conducteurs d’une même phase étant contraint par une série d’entretoises installées environ tous les 50 ou 60 m. Au Québec, les faisceaux sont constitués de 2 ou 4 conducteurs, espacés d’une distance de 406 ou 457 mm.

Bien que ces lignes ne soient pas les plus anciennes de TransÉnergie, elles sont responsables d’une fraction très importante du transit de la province. Elles comptent parmi les plus longues lignes du réseau, car elles relient les centres urbains aux ouvrages de production hydraulique, et sont au plus haut niveau de tension électrique, jusqu’à 765 kV. En ajoutant le fait que ces circuits sont essentiels à l’acheminement de l’énergie pour l’exportation dans le Nord-est américain, la grande valeur économique et stratégique de ces circuits en faisceaux devient évidente.

Les différentes technologies END décrites précédemment s’appliquent aux conducteurs en faisceaux, mais certaines spécificités rendent les plateformes LineScout et LineDrone moins efficaces dans ce contexte: notamment le grand nombre d’obstacles à franchir par kilomètre, la longueur des portées, l’autonomie énergétique, la charge utile et le défi en matière de pilotage associé aux fréquents composants à franchir (figure 2). C’est pour cette raison qu’un nouveau robot, le LineRanger, a été introduit avec l’objectif spécifique de couvrir efficacement les faisceaux de conducteurs d’Hydro-­Québec TransÉnergie.

Intelligence mécanique

La simplicité d’opération a fait office de ligne directrice dans le développement de cette nouvelle plateforme robotique. La dominante en complexité des systèmes réside souvent dans le nombre de commandes à exécuter pour les exploiter. Sur un robot, cela se traduit généralement par le nombre de moteurs à contrôler et donc, par le nombre de degrés de liberté du robot.

Le principal défi à relever consiste à concevoir un robot suffisamment agile pour exécuter les tâches auxquelles il est destiné, tout en minimisant le nombre de moteurs à contrôler par l’opérateur. La clé de la conception du LineRanger: l’intelligence mécanique sur laquelle repose son fonctionnement. Plusieurs degrés de liberté du robot sont passifs et ne requièrent aucune décision venant de l’opérateur. Les éléments mécaniques s’adaptent d’eux-mêmes à l’environnement du robot.

Globalement, le LineRanger [6] est une plateforme roulante d’environ 50 kg se déplaçant sur deux conducteurs à la fois, au moyen de quatre roues motorisées et inclinées (figure 3). Celles-ci sont fixées à quatre bras montés sur pivots et couplés par paire et sont chacune munie d’un rotor à trois pales. Finalement, un mécanisme à ressorts disposé sous le robot agit sur les bras pour exercer des forces horizontales sur les conducteurs via leur rotation autour de leurs pivots respectifs. La raison d’être de tous ces éléments est expliquée ci-après.

Franchir les obstacles sans tomber ni être assisté de l’opérateur représente un tour de force. Pour ce faire, les roues du robot doivent être en mesure de contourner les obstacles sans glisser sur ceux-ci (chute du robot). Elles sont donc inclinées, car des roues verticales buteraient sur les obstacles et ne pourraient pas les franchir. Étant montés sur des pivots, les bras peuvent s’écarter et permettre aux roues de s’éloigner les unes des autres lorsqu’elles butent sur un obstacle. Le mécanisme à ressorts situé sous le robot permet ensuite de ramener les roues sur les conducteurs une fois l’obstacle franchi. Le tout se fait sans commande de l’opérateur, car l’architecture du robot s’adapte d’elle-même.

Lorsque les roues du robot se trouvent sur les obstacles, elles n’ont généralement plus de support vertical (perte de traction verticale). C’est pourquoi chaque roue est munie d’un rotor à trois pales. Ces rotors supportent temporairement le poids du robot en positionnant des pales de part et d’autre des obstacles. Ils sont indépendants de la rotation des roues et n’ont aucune motorisation. Leur rotation est initiée par le simple contact avec les obstacles lorsque le robot roule. Un système de ressorts dans les roues les ramène en position neutre après chaque franchissement.

La phase de déplacement en roulant sur les faisceaux représente aussi un défi particulier du fait de leur faible rigidité entre les entretoises. L’inclinaison des roues combinée à la force horizontale qu’elles exercent sur les conducteurs a tendance à déformer/rapprocher ces derniers. Sans optimisation, cette force horizontale diminuerait alors drastiquement, tout comme la traction des roues, et une impression d’instabilité apparaîtrait: le robot roulerait sur deux câbles de faible rigidité se déformant et qui ne demeureraient pas au centre de ses roues. Cet environnement «instable» est contré par une optimisation mathématique et mécanique de l’architecture du robot qui lui confère une tendance à centrer ses roues sur les câbles. Points de pivot, longueur des membrures, propriétés des ressorts: rien n’est laissé au hasard.

Au final, le LineRanger franchit des composants de ligne et se stabilise de lui-même sur les faisceaux non rigides, et ce, sans assistance de l’opérateur (vidéo).[7]

Simplicité de déploiement et de contrôle

La force d’une solution robotique dédiée aux lignes électriques passe non seulement par la simplicité d’opération, mais également par la facilité de déploiement. Les sites sont très souvent difficiles d’accès: chemins non pavés, herbes hautes, terrains inégaux, etc. (figure 4a). C’est pourquoi le LineRanger peut être amené sur le site à l’aide d’un véhicule tout-terrain et ne requiert que très peu de matériel, soit une tablette-joystick et une antenne. Un chariot a en outre été développé pour faciliter son transport et son installation. À l’aide de méthodes conventionnelles utilisées par les monteurs de lignes, le robot, solidement arrimé dans son chariot et les bras ouverts, est simplement hissé à partir d’un pylône jusqu’au faisceau (figure 4b).

Toujours dans un souci de simplicité, l’opérateur n’a qu’à valider visuellement l’arrimage au faisceau et commander la fermeture des bras. Le même système de ressorts situé sous le robot sert non seulement à gérer la force sur les bras, mais également à les ouvrir, les fermer et les synchroniser mécaniquement avec un système de (dé)verrouillage du robot sur le chariot. Le chariot et le faisceau étant alors solidaires, le LineRanger quitte le chariot simplement en roulant sur le faisceau (figure 4c).

Toutes ces opérations sont réalisées à partir d’un poste de commande léger et portable constitué de la tablette équipée de joysticks, permettant un contrôle aisé et précis. Une interface usager a été développée sur mesure pour transmettre des informations à l’opérateur et lui permettre d’interagir avec le robot. Les flux vidéo des 5 caméras du robot sont transmis sur l’écran et permettent l’inspection visuelle du circuit. Les sondes décrites précédemment sont également déployées à partir de cette interface.

Utilisation sur un réseau électrique

L’ensemble de la technologie LineRanger a été amplement testée en laboratoire, où elle a été soumise à de multiples configurations d’obstacles: pentes, changements de direction de lignes, torsions des faisceaux, plusieurs types de pinces de suspension et d’entretoises, etc. Le fonctionnement sous tension a également été validé en laboratoire, tout comme l’asservissement du robot et le positionnement de tous ses capteurs/caméras.

Les tests ultimes sont bien sûr les utilisations sur le réseau. À ce jour, le LineRanger a roulé à près d’une dizaine d’occasions sur des faisceaux d’Hydro-­Québec. Dans le cadre de projets pilotes et de mandats d’expertises, hors tension et sous tension, le retour d’expérience des monteurs et techniciens de ligne a grandement contribué à achever le développement de la technologie et à en montrer le plein potentiel. Le robot se veut réellement facile d’opération. Il est très stable, peut être piloté à plus de 4 km de distance et affiche une autonomie supérieure à 4 heures grâce à un astucieux contrôle de ses roues. Les images et vidéos recueillies sont de très bonne qualité, tout comme les premières mesures réalisées à l’aide des sondes présentées plus haut (figure 5).

Vers l’assistance au pilotage

À l’ère de l’intelligence artificielle, il est possible de rêver à des inspections automatisées dans le futur. Les premiers pas dans cette direction ont déjà été franchis sur le LineRanger. Muni de deux Lidars (avant, arrière), il est en mesure de détecter les obstacles lorsqu’il s’en approche et, finalement, d’influencer son comportement.

À ce jour, il s’agit d’assistance au pilotage du LineRanger. À l’approche d’un composant de ligne tel une entretoise ou un palonnier, si la vitesse commandée par l’opérateur est trop élevée, le LineRanger la réduit de lui-même à quelques mètres de cet obstacle. Une fois qu’il l’a franchi, il ré-accélère à la vitesse désirée par l’opérateur. Bien que ce changement de comportement soit relativement simple, cette faculté n’en demeure pas moins facilitante pour le pilotage et importante pour la sécurité. Elle permet d’éviter des franchissements à des vitesses trop élevées ou encore d’assurer le retrait préalable des capteurs. Dans un avenir rapproché, le robot pour faisceaux LineRanger inspectera plusieurs lignes stratégiques pour Hydro-Québec, notamment de grandes traversées de rivières. Il ramènera de l’information pertinente sur l’état du réseau, grâce aux capteurs dont il est équipé. De plus et à moyen terme, des évolutions sont envisageables pour rendre le LineRanger autonome, grâce à sa grande simplicité d’opération.

Références

[1] S. Montambault, N. Pouliot, G. Rousseau, E. Lavoie, «Line­Core Technology: Probing Below the Surface», T&D World, Jan. 2018. Lien.
[2] S. Lavoie, G. Lambert, «Brevet Resistance-Measuring Device and Method», Brevet US2019277896, 2019.
[3] N. Pouliot, G. Rousseau, M. Lepage, F. Morin, P.-L. Richard, E. Lavoie, «Apparatus and Method for Inspecting a Power Line», Brevet US2019285557, 2019.
[4] N. Pouliot, P.-L. Richard, S. Montambault, «Line­Scout Technology Opens the Way to Robotic Inspection and Maintenance of High-Voltage Power Lines», IEEE Power and Energy Technology Systems Journal, Vol. 2, 2015.
[5] F. Mirallès, P. Hamelin, G. Lambert, S. Lavoie, N. Pouliot, M. Montfrond and S. Montambault, «Line­Drone Technology: Landing an unmanned aerial vehicle on a power line», in Proc. 2018 IEEE International Conference on Robotics and Automation (ICRA 2018), Brisbane, Australia, May 2018.
[6] P.-L. Richard, N. Pouliot, F. Morin, M. Lepage, P. Hamelin, M. Lagacé, A. Sartor, G. Lambert and S. Montambault, «Line­Ranger: Analysis and Field Testing of an Innovative Robot for Efficient Assessment of Bundled High-Voltage Powerlines», Proceedings of the 2019 International Conference on Robotics and Automation (ICRA 2019), Montreal, Canada, May 2019.
[7] Vidéo du Line­Ranger en action.

 

Auteur
Pierre-Luc Richard

est chercheur chez Hydro-Québec.

  • Hydro-Québec
    Varennes
    QC J3X 1S1, Canada
Auteur
Nicolas Pouliot

est chercheur chez Hydro-Québec.

  • Hydro-Québec
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Auteur
Marco Lepage

est technicien chez Hydro-Québec.

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Auteur
Philippe Hamelin

est chercheur chez Hydro-Québec.

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Auteur
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est ingénieur chez Hydro-Québec.

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Auteur
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est ingénieure chez Hydro-Québec.

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    QC J3X 1S1, Canada

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