Un poste MT/BT intelligent
Le défi de la présence d’installations de production décentralisées
Dans un poste de distribution de quartier, l’adjonction d’un ordinateur embarqué permet de garantir le respect des conditions locales du réseau basse tension sans forcément rapatrier toutes les données jusqu’au centre de conduite du gestionnaire de réseau de distribution.
Tout le réseau électrique a été conçu il y a plus d’un siècle avec des usines de production, un réseau de transport HT et une distribution vers les consommateurs en MT puis en BT. Les ajustements de niveau U0 de sortie des transformateurs ont été choisis de telle manière que le consommateur le plus éloigné dispose encore d’une tension supérieure à la tension minimale garantie Umin. Si le propriétaire d’un bâtiment raccordé en fin de ligne construit une installation de production décentralisée (IPD), par exemple photovoltaïque, sa production locale peut y faire monter la tension au-delà du maximum garanti Umax.
Le réseau BT n’étant pas mesuré au niveau du Scada du gestionnaire de réseau de distribution (GRD), ses valeurs sont peu connues en temps réel. Si les centrales classiques ont une production planifiée et contrôlée, celle des IPD, des installations photovoltaïques par exemple, a quant à elle un comportement stochastique, dépendant du rayonnement solaire.
Dans la topologie classique, un calcul soigneux des cas de charges permettait d’anticiper le fonctionnement du réseau BT. On pouvait fixer la tension de sortie à vide U0 et être assuré que tout se passerait bien aussi longtemps que le profil de consommation sur les lignes ne serait pas modifié de manière considérable. Et ces modifications éventuelles pouvaient être prévues bien à l’avance. Il n’était pas nécessaire de mesurer et de ramener au Scada ce qui se passait dans le réseau BT. Dans bien des cas pour lesquels des productions s’ajoutent aux consommations, il ne sera plus possible de définir un ajustement de la tension de sortie à vide U0 qui permette de garantir en tout temps le respect des paramètres chez chaque client branché, qu’il soit prosommateur ou consommateur.
Selon l’état de consommation et de production, la production locale peut réduire la charge des lignes, leurs pertes et augmenter la stabilité de tension. Dans d’autres cas, avec beaucoup de production et peu de consommation, un renversement du flux de puissance peut apparaître tout comme, dans des cas extrêmes, de fortes pertes en ligne et des hausses de tension hors limite.
Les GRD voudraient être assurés que les paramètres du réseau BT continuent à être respectés, mais voudraient éviter d’ajouter des tâches additionnelles avec des investissements en structures et ressources humaines sans un bénéfice économique clair. Les Services industriels de Genève (SIG) ont proposé à hepia d’étudier le problème. Une équipe des sites HES-SO de Genève, Sion et Fribourg a pu empoigner la question grâce à un financement d’EOS-Holding (EOSH).
Définition du projet
L’idée du projet consiste à implanter sur le réseau BT les mesures nécessaires et suffisantes, de les rassembler dans une base de données locale gérée par un processeur industriel (ICU) au sein même du poste afin de le doter d’une «intelligence» suffisante capable de gérer localement et de manière autonome les défis imposés par la basse tension. Pour ce faire:
- Le processeur sera équipé d’un algorithme local de régulation propre à garantir les paramètres du réseau BT.
- Le processeur disposera d’un canal de communication avec le centre de conduite.
- La base de données sera consultable à la demande depuis le centre de conduite.
- Des alarmes stratégiques pourront être transmises automatiquement au centre de conduite.
La démarche répertorie ce qu’il faut mesurer, quelles sont les actions qui peuvent être effectuées et les algorithmes qui doivent les piloter. Les choix proposés tiennent compte des contraintes techniques et économiques, en considérant la flexibilité, l’intégrabilité et le développement potentiel.
L’adaptation proposée offre des possibilités bien plus vastes que le seul maintien de la tension dans les limites prescrites en chaque point du réseau. À noter encore qu’au commencement du projet, peu d’exemples concrets étaient disponibles, ou du moins, peu d’entre eux avaient été publiés.
Un démonstrateur concret
La plateforme «GridLab», développée à Sion, a permis de mettre en œuvre un démonstrateur. Elle modélise en laboratoire un réseau BT avec des composants physiques où circulent de vrais courants sous une tension qui correspond à la réalité européenne. La station MT/BT est représentée par un transformateur 1:1, ce qui implique que le côté MT est à échelle réduite pour les tensions. Les consommateurs et producteurs connectés au réseau BT sont simulés par des convertisseurs industriels programmables. Il est aussi possible d’y raccorder un vrai producteur photovoltaïque. Les puissances simulées sont prélevées ou restituées au réseau public du quartier dans lequel est bâtie la HES-SO de Sion.
Un ordinateur industriel, semblable à celui qu’on pourrait introduire dans un vrai poste de quartier, a été installé. Il est équipé de vraies cartes de mesure liées aux transformateurs de mesure, qui sont connectées à l’ICU par le biais d’un bus Ethernet. Aucun matériel CEI 61850 n’a été spécialement acquis pour le démonstrateur: le matériel disponible a été utilisé. Les données sont récoltées et stockées en base de données et les paramètres du réseau BT sont garantis par un algorithme de réglage compilé en C++.
Un réseau formé de deux lignes de caractéristiques assez différentes a été choisi pour mettre en évidence une structure peu homogène, à priori plus difficile à maîtriser. La ligne «District A» est une ligne aérienne, alors que la ligne «District B» est un câble souterrain (figure 1).
Une production a été programmée sur 3 installations de chaque ligne avec le même rayonnement solaire correspondant à un jour de ciel clair, mais avec différentes puissances installées. Un essai démontre le fonctionnement sans présence d’ICU. Il s’y superpose une consommation peu importante, avec une certaine composante stochastique. Le réseau se trouve dans une situation critique à certains moments et en bout de ligne (partie gauche de la figure 2).
Avec les mêmes conditions de consommation et de rayonnement solaire, une régulation qui agit sur le facteur de puissance des onduleurs PV permet de garantir le respect des prescriptions sur le réseau (partie droite de la figure 2). Dès que la tension locale s’écarte notablement de la valeur nominale, le régulateur agit sur les onduleurs pour qu’ils appellent une puissance réactive, selon la stratégie exposée en fin d’article. Comme le montre la figure 2, cette mesure est plus efficace sur une ligne aérienne (District A, en haut) que sur un câble souterrain (District B, en bas).
Étude d’actions et d’algorithmes
Un processeur, qui gère une base de données et règle les valeurs du réseau BT, est implanté dans le poste. Les données sont de préférence recueillies par des IED (intelligent electronic devices) qui communiquent avec un réseau Ethernet local. Ce processeur communique aussi avec le centre de conduite du GRD. Il n’y a pas forcément de connexion pour l’échange d’informations avec le Scada, mais peut-être simplement un PC configuré comme serveur. Il est possible de profiter des avantages d’un système d’exploitation (OS) avec tous ses services disponibles (par exemple ceux de networking et de communication avec les interfaces) qui accueille aussi les programmes et les bases de données qui administrent le poste MT/BT et ses dispositifs.
La régulation de la tension en présence de production décentralisée branchée à la BT, dans notre cas de production photovoltaïque, constitue le problème principal analysé dans les postes MT/BT. Le contrôle local envisagé grâce à la présence de l’ICU considère une action basée sur les solutions suivantes:
- OLTC, transformateur à gradin variable sous charge;
- EVC, compensateur de tension série;
- contrôle de facteur de puissance cosϕ des onduleurs PV.
L’étude se base sur le poste « Vieux-Bureau Trottet (VBT)» choisi par SIG. Situé dans un quartier de Genève, il est équipé de deux transformateurs et dessert une zone résidentielle et une zone industrielle. Seul le bâtiment au sud du réseau est équipé d’une installation photovoltaïque IPD-704 (figure 3) avec une puissance nominale de 360 kW.
Pour le modèle, des IPD photovoltaïques ont été ajoutées sur certains bâtiments et les lignes 13 et 14 (en haut à gauche) ont été prolongées virtuellement. Ceci a permis d’atteindre une situation critique sur les lignes 13 et 14 (figure 4) dans le cas d’une journée pour laquelle les mesures de consommation sur le poste réel étaient récoltées.
Un modèle Neplan a été validé pour des conditions identiques à celles de la mesure.
Solution à base d’OLTC
Dans le programme, les transformateurs à gradins fixes sont remplacés par des OLTC. L’ICU analyse les mesures en fin de ligne et réduit, par un réglage adéquat, la tension de sortie du transformateur. Si la tension sur les lignes 13 et 14 est bien maîtrisée, la tension sur la ligne 15 s’abaisse considérablement. Sur les autres lignes, moins chargées, ce phénomène est moins critique. On pourrait se retrouver à un certain moment dans le cas sans solution décrit en introduction. Il faut encore relever que la stratégie de réglage veille à ne pas changer trop souvent le cran du graduateur, pour éviter une usure prématurée des contacts électriques et de l’entraînement mécanique. Cette solution globale manque de pertinence et elle est presque aussi coûteuse que le renforcement d’une ligne.
Solution à base d’un EVC
Lorsqu’une ligne se distingue par rapport au reste du réseau BT, il peut être opportun de placer un compensateur de tension EVC en série sur le départ de cette ligne ou à un emplacement choisi sur celle-ci afin de modifier la tension en aval pour maintenir les valeurs prescrites jusqu’en bout de ligne. Avec une telle stratégie, il est possible d’agir sur la ligne critique presque sans conséquence sur les autres. L’EVC est cependant coûteux, car disponible uniquement à l’état de prototypes.
Action sur les onduleurs PV
Une autre stratégie consiste à agir spécifiquement sur les onduleurs des installations photovoltaïques, et ce, seulement sur la ligne sur laquelle une tension trop élevée apparaît. L’ICU leur envoie un message pour qu’ils corrigent leur facteur de puissance afin de provoquer un appel de courant réactif qui limitera la croissance de la tension (figure 5).
À noter que sur le marché allemand, les nouveaux onduleurs des systèmes photovoltaïques offrent la possibilité de fournir ou de consommer de la puissance réactive jusqu’à 30% de leur capacité nominale sans affecter leur production de puissance active; cette fonction peut être utilisée même en absence de rayonnement solaire. Ceci est possible grâce aux potentialités de l’électronique de puissance des onduleurs. Cette caractéristique offre d’excellentes possibilités au moment de réaliser du contrôle de tension et du contrôle de puissances réactives dans le réseau de distribution. Il serait même envisageable, en Suisse, de borner la production d’énergie active d’un générateur photovoltaïque pour autant qu’un contrat le permettant ait pu être négocié avec le prosommateur. On notera qu’en limitant la tension en bout de lignes 13 et 14, cela restreint aussi la croissance de la tension sur le jeu de barres, avec des conséquences légères sur les autres lignes.
Ici, la tension est bien maîtrisée sur les lignes 13 et 14, à 2% de la tension à vide, avec peu d’incidences sur les lignes voisines.
Plutôt que de laisser cette puissance venir de «quelque part dans le réseau BT/MT/HT», il est aussi possible de la fournir par le biais des installations photovoltaïques voisines sans pénaliser leur tenue de tension. Le transit de courants réactifs dans le transformateur est ainsi réduit.
Conclusion
Dans un proche avenir, l’installation d’un ICU qui peut agir sur le facteur de puissance des installations photovoltaïques représente une alternative économiquement intéressante au renforcement d’une ou plusieurs lignes. De plus, cette solution offre plus de prestations au GRD, qui peut consulter la base de données quand il en éprouve le besoin. Il dispose ainsi d’informations à la demande, qu’il peut utiliser pour planifier des interventions. C’est une plus-value par rapport à la situation présente nécessitant d’envoyer une équipe sur place pour installer un enregistreur, le relever un peu plus tard, pour peut-être constater finalement que tout va bien. Lorsque l’ICU est installé, le GRD peut faire face à l’évolution des paramètres du réseau en appliquant des mises à jour à distance sur le logiciel du poste.
Cette étude s’est concentrée sur le respect de la tension, mais un tel système offre un potentiel plus grand. La puissance réactive peut par exemple être fournie par une installation proche du poste lorsqu’il y en a plusieurs sur la même ligne. Il est également possible d’imaginer un algorithme qui veille en outre à limiter tant que possible les pertes dans les lignes.
Quelle que soit la solution retenue, les GRD devront lancer un projet d’industrialisation pour passer du niveau de démonstrateur atteint dans ce projet «IntelliDistr» au niveau de produit opérationnel dans un réseau réel.
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