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Trouver le juste milieu

Entre optimisation technico-économique et acceptation citoyenne

29.08.2022

L’énergie se trouve au cœur de notre société. Une transition dans la façon dont elle est produite, partagée et commercialisée impliquera toutes les parties prenantes de tous les secteurs. La participation des citoyens et citoyennes en tant que partenaires dans les projets énergétiques constitue l’un des facteurs-clés de la réussite.

Pour répondre aux exigences de l’Agenda 2030 pour le développement durable ainsi qu’à celles des objectifs de l’Accord de Paris, les sources d’énergie renouvelables devront représenter une part d’au moins 63% du système énergétique mondial d’ici 2040. Afin d’atteindre ces objectifs, il est indispensable d’adopter une nouvelle logique et une nouvelle architecture du système énergétique – en particulier pour le réseau de distribution d’électricité –, et de mettre en place des mesures visant à accroître l’acceptation sociale des changements du système dans différentes zones géographiques et pour différents types de consommateurs et consommatrices.

Il est ainsi nécessaire de créer de nouvelles solutions énergétiques acceptées par les citoyens et de motiver la population à adopter des habitudes de consommation flexibles, de manière à faire correspondre la demande à l’offre des différentes sources d’énergie renouvelables. Les prototypes de cette nouvelle infrastructure sont des grappes d’énergies renouvelables, nommées collectivités énergétiques. Celles-ci se caractérisent par la complémentarité de différentes sources d’énergie et technologies, des mesures de flexibilité, l’interconnexion de différents acteurs et la bidirectionnalité des flux énergétiques.

De nouveaux cadres juridiques

Pour relever ce défi, la Commission européenne a mis en place la notion d’«autoconsommateurs d’énergies renouvelables». Ceux-ci ont le droit de consommer, de vendre ou de stocker les énergies renouvelables produites dans leurs locaux. Outre les droits fondamentaux individuels des citoyens européens en matière d’énergie, ce nouveau cadre juridique introduit également les droits susmentionnés pour les citoyens organisés collectivement en communautés énergétiques locales, dotées d’une personnalité juridique distincte.

Parallèlement, la mise en œuvre réussie de ce nouveau système bouleverse les modèles de propriété sur les marchés de l’énergie. Au moins une partie des parts de marché sera distribuée entre les citoyens de l’énergie, qu’ils soient individuels ou organisés. Cette évolution constitue une réorganisation du contrôle des systèmes énergétiques, des avantages financiers associés ainsi que de l’influence politique découlant de la décentralisation du contrôle de ressources essentielles pour la société.

En Suisse, la loi sur l’énergie (LEne) [1] offre depuis 2018 la possibilité de créer des regroupements dans le cadre de la consommation propre (RCP). Ce nouveau cadre légal, associé à la modification de l’ordonnance sur l’énergie (OEne) entrée en vigueur en avril 2019, a depuis permis la création de centaines de RCP à travers le pays. Pour les consommateurs, cela représente plusieurs avantages, dont la hausse de la consommation propre, une meilleure autonomie et résilience avec un approvisionnement plus localisé, ainsi que l’accès au marché libre.

Tous égaux en matière de citoyenneté énergétique?

La notion de «citoyenneté énergétique» – qui revient à permettre à la population de s’approprier les nouveaux systèmes énergétiques – gagne du terrain non seulement au sein de la société civile et du monde universitaire, mais aussi parmi les responsables politiques. Il est important de noter que la citoyenneté énergétique ne se limite pas aux questions économiques, mais comporte également des aspects sociaux, éthiques et politiques qui transcendent le simple rôle des citoyens en tant que participants au marché.

La participation – ou la non-participation – des citoyens de l’énergie à la transition énergétique est principalement reflétée par leur «appropriation» des nouveaux systèmes énergétiques émergents auxquels ils sont censés s’adapter. La grande majorité des citoyens est toutefois toujours exclue de toute participation active, que ce soit en ce qui concerne la possibilité d’être prosommateur ou la gouvernance des systèmes énergétiques. Jusqu’à présent, c’est surtout une petite minorité de citoyens – c’est-à-dire les adeptes précoces de la technologie disposant de moyens financiers suffisants ou les activistes de l’environnement – qui participe activement à l’élaboration des politiques [2].

La «propriété» – pas seulement au sens du droit civil – implique des questions pressantes en matière de responsabilité sociétale, de volonté de changer notre comportement ainsi que de répartition équitable des avantages et des charges. Il s’agit donc d’une question de droits fondamentaux des citoyens au sens du droit constitutionnel, étroitement liée aux notions d’inégalité à travers diverses dimensions sociales. En outre, des facteurs autres que la proximité spatiale et la garantie de l’égalité des chances affectent également la participation des citoyens aux projets énergétiques. Par exemple, les actions énergétiques communautaires constituent souvent une stratégie de lutte contre la pauvreté énergétique.

La prosommation, l’un des fondements de la citoyenneté énergétique, nécessite l’accès au financement et au savoir-faire ainsi qu’une certaine volonté de prendre des risques. En outre, les aspects socioculturels relatifs au genre et à l’origine ethnique offrent plus d’avantages pour des groupes sociaux particuliers. L’écart de rémunération entre les hommes et les femmes signifie que les femmes ont moins de revenus à investir en tant que capital dans les énergies renouvelables. En Suisse, l’écart salarial avoisine encore les 20% [3]. Dans toute l’Europe, les femmes ont moins investi dans les coopératives d’énergies renouvelables et en détiennent moins que les hommes. Cependant, s’il est prouvé que la pauvreté énergétique exacerbe les inégalités de genre existantes, elle offre en même temps des opportunités d’autonomisation et de reconfiguration des relations de genre existantes [4].

Les living labs: une approche inter- et transdisciplinaire

Les «living labs», ou laboratoires vivants, visent à impliquer activement les citoyens et les autres parties prenantes sur une longue période. L’objectif consiste à cocréer et à prototyper des services à partir d’idées, et à les tester dans l’environnement réel des utilisateurs finaux. En utilisant cette approche de laboratoire vivant, il est possible d’incarner la valeur des idées et des concepts cocréés en services, lorsqu’ils s’inscrivent dans la société.

Les living labs dans le domaine énergétique commencent par un dialogue entre les utilisateurs et les concepteurs de solutions ou services. Ce dialogue entre les parties prenantes vise à partager des points de vue, par exemple:

  • la prise de conscience des situations autour de problèmes tels que les défis sociaux régionaux;
  • ou des opinions subjectives telles que l’insatisfaction et l’espoir.

 

Le but ultime de ce processus consiste à construire des relations humaines étroites entre les participants. Ensuite, toutes les parties prenantes collaborent à la recherche des défis et définissent les problèmes à résoudre (figure 1).

Dans la conception conventionnelle des services, les entreprises définissent souvent les défis, tandis que dans les living labs, les utilisateurs jouent également un rôle crucial dans la prise de décision à ce stade précoce de la conception. En s’impliquant, ils considèrent les défis comme les leurs et nourrissent leurs propres motivations internes. Il est aussi important de les sensibiliser à la participation active et à la motivation interne. Cela les amène à fournir un retour d’information plus constructif dans le processus de révision du service. Ils peuvent devenir des supporters actifs en tant que premiers utilisateurs lorsque les services et les produits sont introduits sur le marché et dans la société.

Tester différents processus participatifs

La participation citoyenne dans la transition énergétique doit être activée au travers de nouvelles méthodes pour sensibiliser les gens sur l’importance du sujet (figure 2). En Suisse, plusieurs projets de recherche testent des processus participatifs ainsi que de nouvelles méthodes pour engager la population. L’Office fédéral de l’énergie a financé à hauteur de 20 MCHF deux projets consacrés au thème «Vivre et travailler», dont l’objectif consiste à réunir plusieurs disciplines et à miser sur la dimension sociale dans la transition énergétique [5]. Le projet Lantern (Living labs interfaces for the energy transition), par exemple, vise à coconcevoir, tester, valider et étendre un portefeuille d’interventions pour une Suisse responsable et responsabilisée, décarbonisée, efficace en ressources et autosuffisante, et ce, à travers le développement d’interfaces entre les marchés, la technologie, les politiques et la société.

La Haute école de Lucerne (HSLU) est active dans l’intégration d’approches de cocréation pour les communautés énergétiques locales dans la phase du développement de la solution technique. Elle apporte une expertise inter- et trans­disciplinaire dans l’évaluation des processus de développement communautaire, l’engagement et l’adoption de la population, et l’analyse des données issues des sciences sociales. Le projet international «Gente – Distributed governance for green energy communities» [6], financé par ERA-Net Smart Energy Systems, fait partie de ces activités. Il vise à développer une boîte à outils de gouvernance qui permet aux communautés énergétiques locales de disposer d’outils d’aide à la décision et de services innovants, qui amélioreront la viabilité économique des communautés énergétiques locales et favoriseront l’engagement des utilisateurs et l’autogouvernance. D’étroites collaborations avec LuzernSued et la communauté am Aawasser à Buochs au sein du Collaborative Energy Living Lab (Cell) de la HSLU permettront de mettre en œuvre des approches de conceptions et des technologies numériques avancées – y compris l’Internet des objets (IoT), la technologie des registres distribués (DLT), le traitement en périphérie et l’intelligence artificielle (AI). Ces technologies seront utilisées pour la gestion autonome des ressources énergétiques dans et à travers les communautés énergétiques locales ainsi que pour la mise à disposition de flexibilités pour les réseaux énergétiques. Ces communautés sont invitées à participer au processus et à discuter de nouvelles études de cas.

Références

[1] Fedlex, la plateforme de publication du droit fédéral, «Loi sur l’énergie (LEne)».
[2] K. Jenkins, D. McCauley, R. Heffron, H. Stephan, R. Rehner, «Energy justice: A conceptual review», Energy Research & Social Science, vol. 11, p. 174–182, 2016.
[3] Office fédéral de la statistique 2018, «Chiffres et faits – Plateforme égalité salariale».
[4] A. Kumar, «Justice and politics in energy access for education, livelihoods and health: How socio-cultural processes mediate the winners and losers», Energy Research & Social Science, vol. 40, p. 3–13, 2018.
[5] OFEN, «SWEET Living and Working», 2022.
[6] Project GENTE, 2022.

 

Auteure
Dr. Yousra Sidqi

est chercheuse au Competence centre of digital energy and electric power au sein de l’Institut de génie électrique de la Haute école de Lucerne (HSLU).

Auteur
Dr. Antonios Papaemmanouil

dirige depuis 2019 l’Institut d’électro­technique ainsi que le centre de compétences Digital Energy & Electric Power de la HSLU.

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