Retour de concessions et développement durable
Recherche de solutions
Pour de nombreuses centrales hydroélectriques, le moment du retour de concession approche à grands pas. Or, force est de constater que les bases légales laissent diverses questions en suspens. Cet article tente de clarifier certains cas particuliers liés à la portée du droit de retour, et propose des solutions en fonction de l’usage et de l’utilité de certains équipements.
Au sortir de la 2e guerre mondiale, «l’énergie hydraulique flatte la conscience collective de la Suisse: un petit peuple, au beau milieu de l’Europe, parvient à dompter l’eau, et dans une nature hostile, à tirer parti de l’énergie la plus pure qui soit grâce à ses innombrables ingénieurs et inventeurs de machines – dans l’intérêt du développement du pays» [1]. C’est l’épopée de la construction des grands barrages qui commence… et 80 ans plus tard, le temps des retours de concessions arrive.
La fin d’une concession hydraulique ne signifie pas la fin de vie d’un aménagement hydroélectrique, mais la fin d’une mise à disposition temporaire de la ressource «eau». Dans un esprit de développement durable, il est primordial d’encourager les efforts de maintenance, de réhabilitations et de mises à niveau technique dans le but de pérenniser un état de fonctionnement adapté et de rétribuer à sa juste valeur le travail réalisé.
Flou juridique
Les bases légales liées au droit de retour et les dispositions des concessions laissent cependant des questions juridiques, économiques et techniques en suspens. Elles font place à différentes interprétations. Si de nombreux retours de concessions ont déjà eu lieu et si des chemins ont été trouvés entre concédants et concessionnaires pour poursuivre l’aventure de l’hydraulique [2], la convoitise augmente au vu des enjeux économiques d’un patrimoine industriel d’une valeur estimée à 40 milliards CHF [3], tout en omettant les risques industriels et la valorisation du travail accompli par le passé pour le long terme.
Un groupe de travail de l’Association suisse pour l’aménagement des eaux (ASAE) a élaboré un guide pour les discussions à venir sur le droit de retour [4, 5] en se basant sur un avis de droit [6]. Ce dernier donne certes un cadre, mais différents points nécessitent de trouver des solutions entre concédant et concessionnaire. Les ingénieurs ont réussi à concevoir et à construire ces aménagements, ils réussiront à imaginer et à poursuivre l’aventure en se basant sur les principes de développement durable. En effet, lors de retour de concessions, un aménagement et son exploitant ne doivent pas subir les conséquences des discussions entre concessionnaires et concédants, et ce, afin de garantir la sécurité, la disponibilité, l’efficience et la durabilité de la production.
Si les articles [7] et [8] se focalisaient sur les notions de durée d’utilité et sur les effets des stratégies de maintenance en proposant de valoriser l’entretien et la performance future des actifs, cet article a pour objectifs de contribuer à clarifier certains cas particuliers liés à la portée du droit de retour, laissés ouverts par les législations et l’avis de droit [6], et de proposer des solutions en fonction de l’usage et de l’utilité de certains équipements (non exhaustifs).
Portée du droit de retour
Le droit de retour s’étend aux parties d’installations nécessaires pour assurer la fonction opérationnelle de l’aménagement hydroélectrique. La procédure permettant de définir les parties d’une centrale faisant l’objet du droit de retour se déroule en deux étapes, décrites dans la figure 1 [4–6].
Le guide de l’ASAE contient une liste incluant la manière dont les parties de l’installation doivent être concrètement attribuées ainsi que les durées d’utilisation attendues sur la base des expériences des exploitants de centrales. Cependant, deux rubriques soulèvent des questions: les parties d’installations non nécessaires à l’exploitation et celles nécessaires à l’exploitation, mais qui ne correspondent à aucune des installations énumérées de manière exhaustive à l’art. 67, al. 1, let. a et b de la loi fédérale sur l’utilisation des forces hydrauliques (LFH) – ces parties n’étant pas considérées comme faisant partie du périmètre du droit de retour. Les dispositions suivantes s’appliqueraient alors [6]:
- Ces parties d’installations ne sont pas soumises à l’obligation d’entretien du concessionnaire selon l’art. 67, al. 3 LFH, et pourraient ne pas être maintenues en état de fonctionnement.
- Si la communauté concédante souhaite reprendre ces parties d’installations, l’indemnisation du concessionnaire ne se calcule pas sur la base de l’indemnité équitable selon l’art. 67, al. 1, let. b LFH. L’indemnisation peut donc être négociée librement entre les parties.
- Si, en cas de retour, la communauté concédante ne souhaite pas reprendre certaines parties d’installation, le traitement de celles-ci doit être réglé au cas par cas entre le concessionnaire et la communauté concédante.
L’analyse de l’usage et de l’utilité de cas particuliers tels que le pont roulant principal, la caverne et la station de pompage permet de proposer des solutions dans l’esprit de nos pionniers.
Pont roulant principal
Selon la systématique définie dans [6], le pont roulant principal fait partie soit de la rubrique «Autres équipements pas considérés dans l’art. 67 LFH», car il n’y est pas expressément mentionné, soit de la rubrique «Équipement non nécessaire à l’exploitation» (il pourrait être remplacé par une grue mobile ou par d’autres solutions provisoires). Dans ces deux cas, cet équipement n’est pas soumis au droit de retour. En théorie, le propriétaire pourrait le démonter pour l’intégrer dans une autre centrale ou ne plus l’entretenir une fois les dernières révisions des groupes terminées, tandis que le concédant pourrait ne pas le considérer. Ceci serait un non-sens pour l’exploitant. Dans la pratique, il est fortement recommandé de tenir compte de l’utilité et de l’usage de cet équipement, de son niveau d’entretien et dès lors de sa durée de vie technique.
Le pont roulant principal permettant de réaliser des travaux d’entretien de la turbine et de l’alternateur, il peut être envisagé de le répartir proportionnellement entre les parties gratuites et onéreuses. La durée d’usage peut alors être déterminée selon [7] ou [8] en fonction de son état.
Caverne
Selon [6], la caverne fait également partie de la rubrique des «Autres équipements pas considérés dans l’art. 67 LFH», car elle n’y est pas expressément mentionnée.
La caverne de la centrale de Bieudron (Cleuson-Dixence) constitue un bon exemple des différentes constructions nécessaires au fonctionnement d’une centrale hydroélectrique. Au vu de la puissance des trois groupes (1200 MW), la centrale a été construite en plusieurs cavernes distinctes (figure 2): cavernes du répartiteur, des vannes, canal de fuite, caverne principale, galerie des câbles électriques et caverne des transformateurs. Enfin, la hauteur de la caverne principale est dimensionnée de manière à pouvoir sortir l’alternateur pour les révisions.
Dans ce cas, les experts des communautés concédantes et du concessionnaire ont été unanimes pour répartir les cavernes en fonction des volumes utilisés par les équipements définis dans l’art. 67, al. 1, let. a et b LFH, et la caverne principale (points 3 et 4 de la figure 2).
Enfin, les coûts de construction d’une caverne sont certes bien plus importants que ceux d’un bâtiment, mais la caverne a une durée de vie bien plus longue.
Station de pompage
Il est intéressant de constater la différence entre les termes allemands et français de l’art. 67 al. 1 LFH: «Zu- oder Ableiten des Wassers» versus «installations de retenue et de prise d’eau, canaux d’amenée ou de fuite». Ces termes pourraient avoir une incidence sur le cas particulier des stations de pompage. Toutefois, les fonctions de ces dernières devraient être décisives.
Une station de pompage permet de prélever de l’eau dans une vallée (fonction de captage) et de l’acheminer vers le barrage principal en lui fournissant l’énergie potentielle (dénivelé) nécessaire à partir du réseau électrique. L’eau peut ensuite restituer une énergie potentielle plus importante au réseau électrique en étant turbinée sur une plus grande hauteur de chute (fonction de production, voir figure 3).
Les stations de pompage sont considérées comme servant indirectement à la production d’énergie, car sans elles, il ne serait pas possible de valoriser cette eau économiquement et rationnellement, respectivement de la transformer en énergie électrique.
Pour déterminer l’indemnité équitable, il est proposé de tenir compte de ces deux fonctions. Il s’agit dans un premier temps de répartir les équipements, y compris bâtiment et/ou caverne, selon l’art. 67 al. 1 LFH, puis d’appliquer pour les parties onéreuses (art. 67 al. 1 let. b LFH) une correction en fonction des hauteurs de chutes (tableau 1).
Retour de concession versus durabilité
Suivant l’état d’esprit de nos pionniers, les réflexions sous-jacentes ont toujours été de préconiser et de valoriser la gestion à long terme de nos ressources. S’est alors posée la question de savoir si les chemins proposés étaient «dignes» d’un développement durable. Une réflexion a été faite sous l’angle des aspects économique, social et environnemental (figure 4). L’aspect «économique» est valorisé en considérant le type de maintenance, l’aptitude au service des équipements et la gestion des savoirs. L’aspect «environnement» est considéré par la recherche d’une gestion optimale des ressources naturelles et techniques, l’optimisation du cycle de vie des installations, et la maîtrise des risques et opportunités. Enfin, l’aspect «social» est pris en compte par la reconnaissance du travail accompli par l’exploitant et le propriétaire pendant 80 ans, la collaboration et la transparence avec les communautés concédantes, et le respect de la législation.
Le pas suivant consiste à analyser les différentes intersections:
- l’«indemnité équitable» associée à des avantages économiques futurs qui devraient être sécurisés sur une durée raisonnable;
- l’«héritage» de ces constructions titanesques et leur maintien pour la communauté; et
- le «personnel exploitant» qui, dans la majorité des cas, continuera à exploiter les installations pour les générations futures.
Enfin, le centre de ces intersections permet d’encourager et de mettre en valeur les efforts de développement durable du concessionnaire à l’échéance de la concession. Seule une collaboration accrue, honnête et transparente du concessionnaire et du concédant, suffisamment tôt dans la procédure, permet de pérenniser sur le long terme nos aménagements hydroélectriques.
Références
[1] J.-L. Rickenbacher, «La puissance de l’eau», Schweizerisches Nationalmuseum, 27.10.23.
[2] Évaluation technico-économique d’un aménagement hydroélectrique lors de l’exercice du droit de retour avec ou sans anticipation (appelé Livre Bleu), Département de l’énergie du Valais, sept. 1988.
[3] «Droit de retour et renouvellement de concession des centrales hydroélectriques», fiche d’information, Association suisse pour l’aménagement des eaux (ASAE), nov. 2012.
[4] «Guide du droit de retour – Accent porté sur la procédure du droit de retour, la portée du droit de retour, l’indemnité équitable, l’obligation d’entretien et l’accord sur la valeur résiduelle», ASAE, 2023.
[5] S. Bütler, T. Erzinger, N. Rouge, «Droit de retour, et maintenant? Un guide de l’ASAE...», Wasser Energie Luft, Heft 4, 2023.
[6] P. Hettich, S. Rechsteiner, J. Drittenbass, N. Graefen, «Heimfall im Wasserrecht: Dogmatik und ausgewählte Rechtsfragen», in Schriften zum Energierecht, Band 28, Dike Verlag, juin 2023.
[7] N. Rouge, O. Bernard, «Valeurs intrinsèques en fin de concession», Bulletin SEV/AES 11/2020, p. 39–43, 2020.
[8] N. Rouge, O. Bernard, «Clause de performance dans le retour de concessions», Bulletin SEV/AES 12/2022, p. 24–28, 2022.
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