Article Capteurs , Software , Techniques de mesure

Rendre visibles les pulsations de la ville

Mesure, interprétation et représentation des signaux urbains

03.06.2020

Dans le domaine des smart cities, les évolutions récentes des capteurs, des réseaux de communication et des algorithmes de traitements big data ouvrent des perspectives inédites pour l’analyse de nos cités. Le projet multidisciplinaire CityPulse du Smart Living Lab de Fribourg explore les potentiels d’innovation.

Comment transformer le cadre bâti pour équilibrer la qualité de vie, l’efficacité économique des densifications et les valeurs d’usages et culturelles de nos villes? Cette question se trouve au cœur des projets d’urbanisme et d’architecture actuels. En offrant des outils numériques innovants permettant de comprendre l’usage qui est fait de nos villes, le projet CityPulse apporte des réponses à cette question.

CityPulse est articulé autour de trois axes: la collecte de données, leur préparation centralisée et leur visualisation. Son point d’orgue: la réalisation d’une maquette hybride – physique et digitale – centrée sur le quartier de Pérolles, à Fribourg. Véritable jumeau numérique, les dimensions physiques et spatiales de la maquette sont augmentées par des animations utilisant les données collectées ainsi que par des visualisations incrustées dans le matériel semi-transparent des bâtiments. Au vu de l’intérêt suscité auprès des services d’urbanisme et des spécialistes en mobilité, des perspectives d’extension du projet sont analysées, notamment en ce qui concerne la représentation des équipements énergétiques des villes, l’analyse des phénomènes de mobilité, l’identification du potentiel solaire ou des priorités en matière de rénovation, ou encore la mise en évidence des îlots de chaleur lors des canicules.

Collecte de données statiques et dynamiques

La mesure multimodale couvrant des signaux liés à la qualité de vie dans les villes – tels que la pollution de l’air, le niveau de bruit, la température et le trafic routier – constitue l’une des lignes directrices du projet. Or, la période de l’année, la localisation ainsi que l’évolution des conditions atmosphériques et du trafic vont influencer le niveau de pollution mesuré. Ces données sont donc liées entre elles, et il est nécessaire de les mesurer ensemble pour étudier les variations temporelles et spatiales de ces paramètres.

Un aspect innovant du projet consiste en l’intégration de capteurs urbains sur des plateformes de captage multimodales permettant de réduire le coût via une communication unifiée de type «Internet des objets» et offrant des mesures «quasi temps réel» sur différents capteurs. La figure 1 illustre ce principe d’intégration et le flux de données avec, de droite à gauche, les différentes mesures effectuées, une passerelle connectée 4G et Internet, et la partie «cloud» comprenant les capacités de calcul et de stockage.

Une plateforme de mesure Libelium est utilisée pour la collecte des données de bruit et de qualité de l’air ainsi que des paramètres environnementaux tels que la température, l’humidité, la pression et la luminosité. Concernant la qualité de l’air, les matières particulaires (Particulate Matter, PM1/2.5/10), le dioxyde d’azote (NO2) et l’ozone (O3) sont mesurés. Les capteurs ont été choisis de manière à couvrir les différents risques sanitaires au niveau des systèmes cardio-vasculaires et respiratoires.

Pour la mesure du trafic routier, différentes solutions ont été testées. Les plus fiables se basent sur l’utilisation de caméras thermiques qui permettent un comptage précis des véhicules dans les deux sens de circulation, de jour et de nuit, indépendamment des conditions d’illumination. La figure 2a illustre le champ de vision et la configuration des axes routiers sur le modèle Thermicam de Flir utilisé dans CityPulse. Les caméras thermiques étant assez coûteuses, des solutions non thermiques ont été testées dans le cadre du projet. Les solutions les moins chères n’ont pas de capacité de traitement local et impliquent un routage du flux vidéo H.264 pour un traitement effectué sur les serveurs, avec des coûts de communication et de calcul qui peuvent s’avérer plus élevés sur le long terme. Les problématiques liées à la protection des données sont également amplifiées avec les solutions qui impliquent un traitement centralisé. Cette considération au niveau de la qualité des capteurs peut se décliner pour tous les types de signaux: des compromis sont donc à réaliser entre coûts, densité et qualité des capteurs.

Traitement centralisé des données

Les données des plateformes de mesure sont transférées via les réseaux 4G et IP à la plateforme cloud de stockage BBData.[1] Cette plateforme big data a été développée pour divers projets du Smart Living Lab de Fribourg [2] dans l’objectif de faciliter le stockage et le traitement des données ainsi que de standardiser et de sécuriser l’accès.

En ce qui concerne le transport motorisé, des modèles statistiques du trafic ont été conçus à partir des mesures en temps réel provenant des caméras Flir et complétés par des relevés de trafic fournis par la ville de Fribourg. Ces modèles permettent d’obtenir des évolutions quotidiennes et hebdomadaires de la circulation (figure 2b).

Les données relatives à la pollution décrites précédemment sont également stockées sur les serveurs BBData pour des analyses historiques et la création de modèles permettant des visualisations ou animations cycliques sur 24 h. En plus des outils statistiques et de visualisation, des approches machine learning sont évaluées pour inférer des données manquantes en certains points de la ville, à partir de données précises disponibles en d’autres points.

Une maquette hybride «physique et digitale»

La planification territoriale présente beaucoup de difficultés décisionnelles dues à la complexité même du territoire. De nombreuses dimensions de la réalité sont à prendre en compte, les exigences en termes de qualité de vie et de durabilité sont croissantes, et les démarches des projets se doivent d’intégrer de plus en plus les parties prenantes. Or, les outils usuels de planification ont peu évolué: ils relèvent souvent d’une seule discipline et sont difficiles à interpréter pour les décideurs politiques. La maquette hybride CityPulse (figure de titre) augmente les qualités «sensibles» d’une maquette d’urbanisme traditionnelle par des données du territoire affichées dynamiquement.

La production d’un tel outil s’est appuyée, pour sa partie physique, sur l’expertise usuelle de la réalisation de maquettes exploitant les données géographiques. Les bâtiments ont été composés à l’échelle 1:500 à partir de fines tranches de plexiglas assemblées par collage et traitées par sablage afin de maximiser la diffusion de la lumière (figure 3).

La partie digitale a suivi un processus de développement plus complexe, entre autres à cause de l’hétérogénéité des données à intégrer. Les données brutes de topographie et de bâtiments sont d’abord triées et sélectionnées dans un logiciel d’information géographique tel que QGIS. Elles sont ensuite exportées dans un format lisible par un logiciel de modélisation 3D, tel que 3ds Max, où elles sont transformées, simplifiées et adaptées pour un affichage propre. Le réalisme du rendu est affiné au niveau des textures sur la base d’orthophotographies obtenues dans un logiciel de traitement d’image (Photoshop). Le «texturing» est particulièrement important, puisqu’en plus de donner des couleurs aux objets, on leur donne du relief par différents procédés tels que le «normal mapping» et le «bump mapping». La dernière étape consiste à exporter les objets 3D et leurs textures dans des formats compatibles avec le moteur de jeu vidéo «Unity» utilisé pour la partie digitale de la maquette hybride (figure 4).

Un soin particulier a été apporté à l’alignement des représentations physiques et virtuelles permettant une bonne diffusion de la lumière. Profondeur et réalisme sont également renforcés par l’utilisation d’éléments 3D dans la partie digitale, par une simulation du cycle jour/nuit portant des ombres aux modèles 3D du terrain et des bâtiments, et par l’insertion d’effets météorologiques tels que le passage de nuages (figure 5).

La maquette intègre une simulation des flux de transports motorisés (figure 3). Les données statiques et dynamiques collectées dans le cadre de ce projet ont permis de créer des modèles de circulation simplifiés utilisant des agents autonomes associés aux véhicules. Le choix d’une stratégie par agents permet de donner une vie propre aux véhicules qui respectent les priorités, évitent les collisions et décident aléatoirement de se parquer. Les agents sont gérés sur un principe générateur/destructeur définissant un point d’entrée et de sortie d’un réseau de route pré-modélisé. L’utilisation des statistiques journalières permet de générer les véhicules de façon réaliste, faisant apparaître les bouchons aux heures de pointe. La simulation est néanmoins limitée, car elle ne reproduit pas l’ensemble des phénomènes de mobilité, comme les ralentissements dus aux traversées de piétons.

Perspectives d’évolution

Les outils numériques du projet CityPulse, et plus particulièrement la maquette hybride, démontrent les potentiels technologiques. Des travaux sont actuellement en cours pour faciliter la représentation d’autres portions du territoire et améliorer la simulation, entre autres en incluant les transports publics en lien avec les densités d’habitation et les affectations de bâtiments.

Des extensions de la visualisation sont prévues, en lien avec des thématiques d’actualité telles que le potentiel solaire des toitures, l’apparition d’îlots de chaleur en période caniculaire ou la quantification de l’impact des ombres portées des bâtiments. La visualisation «live» de certaines données de pollution ou de trafic est également envisagée dans le cadre du projet FriLoRaNet visant le déploiement de capteurs urbains sur le réseau LoRa à Fribourg. Finalement, les outils pourraient également être étendus à la visualisation et à la simulation des fluides et énergies qui alimentent la ville au travers des réseaux techniques d’eau, de gaz, d’électricité ou de chauffage à distance.

Le projet CityPulse sera exposé à Bulle durant le salon Energissima du 11 au 14 mars 2021 dans une version refactorisée.

Références

[1]    L. Linder, D. Vionnet, J.-P. Bacher, and J. Hennebert, «Big Building Data – a Big Data Platform for Smart Buildings», Energy Procedia, Vol. 122, pp. 589-594, 2017.
[2]    www.smartlivinglab.ch

CityPulse

Un projet multidisciplinaire

Le projet CityPulse s’appuie sur les compétences de trois instituts de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg. L’institut iCoSys est spécialisé dans les méthodes informatiques liées à la science des données. L’institut Energy apporte son expertise dans l’énergétique des bâtiments et des quartiers ainsi que dans la distribution d’énergie. ­­L’institut Transform se trouve au cœur de divers projets d’urbanisme et d’aménagement des quartiers, pour lesquels les approches basées sur la capture de données en milieu urbain offrent de grands potentiels.

Auteur
Jonathan Parrat

est architecte et adjoint scientifique à l’Institut Transform de la Haute école d’ingénierie et ­d’architecture de Fribourg (HEIA-FR) ainsi qu’au sein du Smart Living Lab de Fribourg.

  • HEIA-FR,
    1700 Fribourg
Auteur
Dr Jean-Philippe Bacher

est professeur à l’Institut Energy de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.

Auteur
Dr Florinel Radu

est professeur à l’Institut Transform de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.

  • HEIA-FR,
    1700 Fribourg
Auteur
Dr Jean Hennebert

est professeur à l’Institut iCoSys de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.

Commentaire

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