Article Intégration dans le réseau , Smart grid , Énergies renouvelables

Relever les défis de la transition énergétique

Un laboratoire «flexible» pour tester les réseaux basse tension

01.10.2018

La transition énergétique engendre une mutation du réseau électrique. Les réseaux de distribution sont appelés à jouer un rôle essentiel alors qu’ils n’ont pas été conçus pour cela. Afin de planifier au mieux les évolutions à apporter, la HEIG-VD met sur pied un laboratoire permettant de tester diverses solutions.

Développement des énergies renouvelables, sortie du nucléaire, volonté de diminuer les sources d’approvisionnement fossiles… Autant de problématiques liées à la transition énergétique qui ont pour conséquence la mutation du réseau électrique. Or, si les niveaux les plus élevés du réseau sont munis de dispositifs assurant un monitoring extrêmement détaillé et en temps réel de chacun de ses composants, ce n’est que très rarement le cas pour ses niveaux les plus bas, soit les réseaux de distribution. Ceux-ci ne bénéficient que de capacités de monitoring moindres, voire parfois inexistantes: les composants de sécurité sont bien entendu présents, mais ils ne permettent d’agir que de manière réactive, c’est-à-dire lorsqu’un problème se manifeste. Cette situation est le fruit de l’architecture centralisée du système électrique qui a existé jusqu’à nos jours et qui prévoyait de grandes centrales de production alimentant de manière strictement unidirectionnelle les territoires, les ménages, les industries et les services.

Nous assistons aujourd’hui à un changement majeur de ce paradigme. Ceci est dû à de nombreux facteurs, dont:

  • la pénétration massive des nouvelles sources d’énergies renouvelables décentralisées telles que le photovoltaïque et l’éolien (onshore), notamment au niveau urbain, parfois accompagnée de systèmes de stockage (par exemple électrochimique);
  • la présence de consommateurs actifs ou «prosumers» et l’apparition de nouveaux éléments de consommation décentralisés qui sont en train de modifier les profils de charge «traditionnels», à l’instar des pompes à chaleur, des véhicules électriques ou encore des installations de conditionnement de l’air toujours plus fréquents;
  • l’introduction et la poursuite de l’ouverture du marché de l’électricité;
  • et l’augmentation des possibilités de télécommunication et de contrôle des éléments qui composent le réseau basse tension.

 

La nouveauté vient du fait, d’une part, que ces entités sont le plus souvent connectées au réseau de distribution et non au réseau de transport et, d’autre part, qu’elles peuvent induire des inversions des flux de courant. Ainsi, les réseaux basse tension sont appelés à devenir cruciaux, tout en ayant été conçus essentiellement sans équipements de suivi et pour des flux unidirectionnels.

Ces changements ont motivé l’arrivée des réseaux intelligents ou smart grids. Il est désormais fondamental de se concentrer sur l’étude des réseaux de distribution, et ce, notamment en ce qui concerne les technologies pour le monitoring en temps réel, les composants pour la détection de défauts, les algorithmes de contrôle et de communication, les productions intermittentes et les différents types de charge ainsi que, finalement, les possibilités de pilotage des charges avec les approches «smart home» au niveau résidentiel et/ou au niveau industriel.

Cette transition ne se fera toutefois pas de manière nette, mais progressivement. Afin de planifier au mieux les évolutions à apporter au réseau, il est nécessaire d’avoir des plateformes permettant de tester les solutions proposées.

Un laboratoire dédié aux réseaux basse tension

Pour répondre, du point de vue de la recherche et de l’enseignement, aux défis que les changements en cours sont en train d’amener, la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) a décidé de réaliser une nouvelle structure, le laboratoire Réseau Intelligent (ReIne). Il s’agit là d’une plateforme hardware et software capable d’émuler un grand nombre de topologies différentes de réseau basse tension. Cela permettra de tester, par exemple, des méthodes de contrôle des smart grids ainsi que du matériel d’électronique de puissance sous des contraintes de charge et d’injections variées et maîtrisées.

La spécificité de ce laboratoire, par rapport à d’autres structures existantes en Suisse ou dans le monde [1-3], réside dans sa flexibilité, notamment en ce qui concerne la reconfiguration de la topologie du réseau et des points de connexion des différentes sources et charges. Il est, de plus, complètement monitoré avec un échantillonnage à haute fréquence et un système de calcul doté d’une puissance d’élaboration très élevée. L’acquisition des données avec synchronisation GPS permet en outre une synchronisation précise de chaque mesure (timestamp).

Le laboratoire, dont les caractéristiques principales sont résumées dans le tableau, est composé d’un réseau presque matriciel sur lequel il est possible de connecter de la production, des charges passives et actives ainsi que des appareils d’électronique de puissance bidirectionnels (figure 1). La partie du laboratoire émulant le réseau est constitué de 8 lignes disposées dans une matrice et d’une neuvième ligne libre que l’on peut connecter entre les nœuds désirés (figure 2). Toutes les lignes sont simulées par des inductances discrètes. Si nécessaire, d’autre valeurs d’inductances peuvent être installées. Des résistances peuvent aussi être ajoutées afin de mieux simuler le réseau basse tension.

La configuration de la topologie voulue se fait à l’aide du système Scada présenté plus bas et est réalisée par un tableau de connexion commandé à distance. Ce tableau permet également de connecter les différents appareils au nœud voulu, chaque nœud étant accessible par chacun des éléments. Il est ainsi possible d’émuler des réseaux maillés (au sein desquels les nœuds sont reliés entre eux par plusieurs lignes), partiellement maillés ou encore de quartier (figure 3).

Installations connectées

Le laboratoire peut être alimenté via le réseau de l’école ou au travers d’un simulateur de réseau 4-quadrant Regatron Topcon TC-ACS. Ce dernier est composé de deux convertisseurs multiniveaux permettant de générer une tension triphasée dans une large gamme de fréquence, d’amplitude, de déséquilibre et de contenu harmonique. Il est également possible de lui fournir une courbe de variation de paramètres que le simulateur va ensuite respecter afin de tester des régimes transitoires.

En addition à la partie réseau, une maison intelligente est mise en place dans le laboratoire. Cette installation est destinée à l’enseignement, mais aussi à la réalisation de tests industriels tels que le contrôle de matériel de mesure (de compteurs intelligents, par exemple), l’évaluation de la performance d’appareils électroménagers, les tests de stratégie pour la fourniture de services système, etc. La maison est équipée de manière à reproduire une charge domestique moderne réelle avec une installation photovoltaïque (une partie des panneaux du carport solaire), une batterie de stockage AC (Leclanché Appollion Cube), un chauffe-eau connectable à l’installation photovoltaïque, un frigidaire-congélateur et un lave-vaisselle (tous deux «smart grid ready») et, finalement, une plaque de cuisson et un four électriques.

Dans le cadre de projets de recherche précédents, des batteries lithium-­titanate d’une capacité de 63 kWh ont été installées à la HEIG-VD. Ces batteries peuvent être connectées au laboratoire ReIne à n’importe quel nœud du réseau.

Un carport solaire (figure de titre), soit un abri pour voiture équipé de panneaux photovoltaïques et de bornes de recharge, sera installé à la HEIG-VD avant la mise en service du laboratoire. 85 panneaux solaires Bisol 295 W seront installés, dont 12 seront dédiés à la production de la maison intelligente (soit 3540 W). Le reste sera connecté au laboratoire via trois onduleurs triphasés différents, de 5 à 9 kVA de puissance avec possibilité de courant inductif ou capacitif différents. En dessous de ce carport, une station de recharge pour véhicule électrique GreenMotion Private One d’une puissance réglable de 3,7 à 22 kW sera également disponible.

Une charge AC électronique ­4-quadrant Energia EL20-AC permet de simuler plusieurs types de charge ou de génération. Il est ainsi possible de reproduire le comportement d’une recharge de véhicule électrique, d’une consommation de ménage, de la production éolienne ou d’une centrale photovoltaïque.

Différentes charges actives et passives seront également installées. Parmi elles:

  • Un Statcom MMC (Static Synchronous Compensator) à échelle réduite développé au sein de l’Institut énergie et systèmes électriques (IESE) de la HEIG-VD. D’une puissance nominale de 10 kVA à 240 VAC, il disposera d’un stockage d’énergie grâce à une batterie.
  • Un convertisseur DC/AC de 10 kVA entièrement développé par l’école (technologie Peneler) pour pouvoir tester différentes stratégies de contrôle et de modulation.
  • Un convertisseur «Soft Open Point with Storage» (SOPS), développé à l’école, consistant en 2 convertisseurs de 15 kVA (technologie Peneler), placés en back-to-back, avec un bus DC commun sur lequel on connecte une batterie via un bus DC/DC isolé. Ce montage permet de transiter de la puissance active entre deux lignes d’un réseau sans en modifier les caractéristiques, et donc sans augmentation des courants de court-­circuit, ni besoin de modification des plans de protection. La puissance réactive peut être gérée d’une façon indépendante des deux côtés.
  • DC-Bus: un convertisseur AC/DC pour démonstrateur de bus DC pour microgrid, destiné à la distribution d’énergie dans un petit bâtiment résidentiel. Sa puissance nominale est de 25 kW. Différentes charges DC peuvent être connectées au réseau via ce convertisseur.
  • Il est prévu aussi d’installer des charges passives dont les spécifications sont en cours de définition.
  • Enfin, un banc de moteurs Siemens 1LA7096, des moteurs asynchrones d’une puissance de 1,5 kW, sera également intégré.

 

Finalement, un compensateur sériel est prévu entre le transformateur d’alimentation et le réseau afin de pouvoir modifier la tension au point de raccord du réseau. Celui-ci est en cours de commande et le choix s’est porté sur le ­LVRSys 110 kVA de Sotero.

Mesures et réglage du réseau

Un système d’acquisition et de contrôle Scada réalisé sous LabView est mis en place pour la gestion ainsi que pour le regroupement de toutes les mesures et l’envoi des consignes. Il permet de modifier la topologie de réseau en pilotant les contacteurs des armoires du tableau de connexion, de mettre le réseau en service et de visualiser les mesures réalisées avec la possibilité de les enregistrer. Il est également prévu de le connecter aux différents appareils pilotables du réseau (simulateur de réseau, charge électronique, convertisseurs de puissance) afin de leur envoyer les consignes de puissance ou de tension à réaliser. Ce regroupement des informations permet la mise en place de stratégies de contrôle au niveau du réseau.

Tous les nœuds et toutes les lignes du réseau (figure 2) ainsi que les branches de connexion des différents appareils au réseau sont équipés de mesures triphasées synchronisées. Ces mesures sont réalisées à l’aide de modules ­cRIO-9035 de National Instruments (NI) avec une fréquence d’échantillonnage de 50 kHz et une synchronisation par signal GPS. Il est donc possible de disposer des amplitudes et des phases, mais aussi du contenu harmonique, de toutes les grandeurs du réseau. Ces mesures sont ensuite regroupées sur un contrôleur industriel temps réel et relayées au PC sur lequel tourne le Scada. Elles peuvent ensuite être utilisées dans le cadre de tests d’algorithmes de réglage.

Un second système de mesure et de réglage, totalement indépendant du système NI, a été déployé. En effet, cinq modules GridEye de Depsys [4] sont également installés dans le réseau. Ils seront employés comme système alternatif et de comparaison de mesure, tout en utilisant des fonctionnalités développées au sein d’une collaboration entre Depsys et l’HEIG-VD/IESE.

Perspectives

Le Laboratoire ReIne est en cours de réalisation pour une mise en service prévue en décembre 2018. Les projets qui y seront réalisés seront mis en valeur dans le cadre du SCCER FURIES, le Centre de compétence suisse pour la recherche en énergie sur les infrastructures électriques du futur [5], et leurs résultats seront présentés dans une prochaine communication.

Le laboratoire sera aussi utilisé pour l’enseignement et pour effectuer des travaux de Bachelor ou de Master. Il sera possible pour les entreprises de profiter du laboratoire pour effectuer des projets en collaboration avec la HEIG-VD, pour tester de nouveaux composants ou des concepts de réglage innovants.

Remerciements

Les auteurs remercient Mokhtar Bozorg, Fanny Carrard, Fred Gudit, Douglas Houmard, Christophe Maendly, Philippe Moser, Georges Tille et Sébastien Wasterlain (HEIG-VD), Daniel Siemaszko (PESC) et Mario Paolone (EPFL/DESL) qui ont participé à la conception, à la réalisation et au montage du laboratoire. Ils désirent aussi remercier Roger Oltramare (Fondation Protecno), le FEE (Fonds pour l’efficacité énergétique de la ville de Lausanne), le SEY (Service des énergies, Yverdon-les-Bains) ainsi que la direction de la HEIG-VD pour le soutien financier et l’encouragement.

 

Auteur
Mauro Carpita

est professeur en électronique de puissance et directeur de l’Institut IESE à la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud.

  • Institut IESE, HEIG-VD
    1401 Yverdon-les-Bains
Auteur
Jean-François Affolter

est professeur en énergie et systèmes électriques à la HEIG-VD.

  • Institut IESE, HEIG-VD
    1401 Yverdon-les-Bains
Auteur
Massimiliano Capezzali

est professeur à l’Institut d’énergie et systèmes électriques (IESE) ainsi que responsable du Pôle Énergies de la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud.

  • HEIG-VD
    1401 Yverdon-les-Bains

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