Promis à un avenir radieux
Le photovoltaïque, aujourd’hui et demain
Guerre en Ukraine, centrales nucléaires françaises à l’arrêt, le spectre de la pénurie d’électricité flotte sur la Suisse. La fin de l’hiver pourrait être rude et ce scénario risque de se reproduire... La solution? Développer rapidement les énergies renouvelables, et notamment le photovoltaïque. Entretien avec Christophe Ballif, l’un des plus grands noms du domaine.
Bulletin: Comment voyez-vous l’avenir du photovoltaïque en Suisse?
Christophe Ballif: Le photovoltaïque devrait rapidement se développer en Suisse dans tous les secteurs: sur les différents types de bâtiments, les façades, les parkings et, si la législation le permet, en montagne, voire dans le cadre de l’agrivoltaïque, qui combine agriculture et solaire. Idéalement, nous devrions installer entre 1,5 et 2 GW de photovoltaïque par année pour atteindre le plus rapidement possible les 40 à 50 GW de puissance installée nécessaires à la transition énergétique. Au vu des 683 MW installés en 2021 – et probablement près de 900 MW en 2022 –, il va falloir encore augmenter la cadence.
Quels seront les principaux obstacles à surmonter ces prochaines années pour y parvenir?
La guerre en Ukraine et la crise climatique donnent déjà une forte impulsion au PV en Suisse. Il existe toutefois encore quelques facteurs risquant de limiter sa vitesse d’expansion: les tarifs de rachat minimaux, en particulier s’il n’y a que peu ou pas d’autoconsommation, pourraient ne pas garantir la rentabilité de nombreux systèmes PV. Il faut impérativement pouvoir offrir une garantie raisonnable sur 15 ou 20 ans pour stimuler les investissements massifs, au moins pour les systèmes d’une certaine taille. Un deuxième risque est lié aux aspects administratifs et réglementaires, qui doivent être simplifiés et améliorés, y compris en ce qui concerne l’utilisation d’espaces non conventionnels. Le troisième point est lié à la main-d’œuvre: il faudra former et engager plus de spécialistes, mais aussi être plus efficaces, en installant les systèmes photovoltaïques les plus grands possible, même pour les maisons privées. Swissolar a élaboré un plan en 11 points pour le photovoltaïque, auquel il est possible de se référer.
Est-ce que des études sont effectuées afin de réduire l’énergie grise du photovoltaïque?
Le prix des panneaux solaires étant en partie lié à l’énergie et aux matières premières qu’il a fallu utiliser pour les réaliser, l’industrie a dû fortement réduire leur énergie grise afin de baisser les coûts. Cela s’est fait principalement par le biais de l’augmentation du rendement des panneaux, par la réduction de la quantité nécessaire de silicium raffiné (de 17 à 3 g/W en 20 ans) et par l’amélioration énergétique des procédés de raffinage du silicium. Un système photovoltaïque installé en Suisse refournit l’énergie consommée pour sa production en environ un an. C’est remarquable!
Quelles sont les technologies de cellules photovoltaïques présentes actuellement sur le marché, et quels sont leurs avantages et inconvénients respectifs?
Le marché est dominé par les panneaux en silicium cristallin (97% du marché mondial). Ces cinq dernières années, les cellules solaires multicristallines avec des contacts en aluminium sur toute la face arrière ont été supplantées par les cellules monocristallines, essentiellement de type PERC (Passivated Emitter and Rear Cell), avec des contacts électriques localisés à l’arrière de la cellule. Ceci a permis de faire gagner plusieurs points de pourcentage de rendement aux modules photovoltaïques standard, qui atteignent désormais en moyenne 20 à 21% (contre 14% en 2006). Pour aller encore plus loin en termes de rendement, l’industrie est en train de mettre en place des capacités de production pour des cellules à contacts dits «passivants», qui permettent d’obtenir une meilleure tension sur chaque cellule et de gagner 1 à 2% de rendement absolu par rapport aux cellules PERC. Il s’agit là des technologies silicium à hétérojonction ou TOPCon (Tunnel Oxide Passivated Contacts). Finalement, les technologies pour lesquelles tous les contacts se trouvent à l’arrière (de type Sunpower) devraient continuer à être développées de manière à atteindre un coût plus attractif ces prochaines années.
Alors que la plupart des panneaux PV installés en Europe proviennent de Chine, Meyer Burger est en train de lancer en Allemagne une production importante de modules basés sur des cellules solaires à hétérojonction. Que pouvez-vous nous dire de plus à propos de cette technologie?
Les cellules à hétérojonction combinent une plaquette de silicium cristallin avec des couches très fines de silicium amorphe qui «passivent» les défauts à la surface du silicium, mais laissent passer le courant électrique. Nous avons beaucoup travaillé à Neuchâtel, à l’EPFL et au CSEM pour développer une technologie compétitive de ce type, en particulier avec le groupe Meyer Burger. Leurs particularités: des cellules avec la meilleure tension possible (jusqu’à 750 mV par cellule) et des rendements en production de l’ordre de 24 à 25% avec le potentiel d’aller encore au-delà. Meyer Burger dispose en outre d’une technologie d’interconnexion des cellules appelée «Smart-Wire» qui permet d’économiser sur les impressions d’argent à l’avant et à l’arrière des cellules. Le coefficient de température des hétérojonctions est imbattable et doit permettre d’obtenir d’excellents rendements énergétiques annuels.
En termes de prix, les cellules à hétérojonction pourront, avec un volume de production croissant, se rapprocher des cellules PERC. Dans le cas des panneaux de Meyer Burger, l’attrait réside dans le fait d’avoir un produit à haut rendement, fabriqué en Europe, avec du silicium purifié en Europe, donc avec une empreinte CO2 plus faible, ainsi que l’assurance de conditions de travail correctes pour les travailleurs impliqués dans la fabrication des modules. Nous avons besoin de redévelopper une industrie européenne, et de nombreuses personnes sont prêtes à dépenser un peu plus pour du «Made in Europe»!
Peut-on s’attendre à ce que de nouvelles technologies arrivent sur le marché ces prochaines années?
Il n’y aura pas de technologies fondamentalement novatrices, mais des évolutions des technologies existantes. De notre côté, nous travaillons avec divers industriels suisses au développement de nouvelles générations de cellules à contacts arrière, de modules plus légers pour les façades, etc. Il existe aussi désormais plusieurs belles solutions de panneaux photovoltaïques blancs ou colorés qui arrivent sur le marché, idéales pour les toitures et façades en intégration architecturale!
Le 7 juillet dernier, l’EPFL et le CSEM ont annoncé que les cellules photovoltaïques tandem pérovskite-silicium ont réussi pour la première fois à franchir la barre des 30% de rendement. Quand des panneaux PV basés sur cette technologie pourront-ils être commercialisés?
Nous avons réussi à certifier des cellules à 31,25% de rendement, ce qui est vraiment remarquable. Notre objectif est évidemment de pouvoir contribuer à l’industrialisation de ce type de technologie. Il faut néanmoins rester prudents: les exigences qualitatives des produits solaires en termes de fiabilité et de technologie de production sont très élevées, et il y a un gros travail à faire sur les pérovskites pour assurer une fiabilité comparable à celle du silicium. Il faudra donc certainement encore plusieurs années de recherches et développements avant que les premiers produits de qualité arrivent sur le marché.
Le solaire est-il la réponse à tous nos problèmes?
Non, il ne fournit bien sûr qu’une partie de la solution. Le photovoltaïque, du fait de ses coûts extrêmement bas, va sans doute devenir la source no 1 d’électricité, voire d’énergie, au niveau mondial. Mais il reste le problème de sa saisonnalité: il produit le plus d’électricité en été, alors que nos besoins sont plus élevés en hiver. Le photovoltaïque en façade ou en milieu alpin peut aider à améliorer le bilan hivernal. Mais il sera encore plus facile de gérer la production solaire au fil des saisons en complémentarité avec l’énergie éolienne car, l’éolien produisant plus en hiver qu’en été, cela permettra de réduire fortement les besoins en termes de stockage, y compris saisonnier. Bien entendu, ces nouvelles énergies renouvelables devront continuer à être soutenues et complétées par la production et le stockage hydroélectriques. Si ces trois sources devraient idéalement être la clé du futur mix électrique de la Suisse, nous devons rester conscients que, pendant la période de transition, nous aurons également besoin du nucléaire et parfois, temporairement, de centrales d’appoint thermiques.
En quelques mots
Prof. Dr Christophe Ballif dirige le Laboratoire de photovoltaïque et couches minces électroniques de l’EPFL, à Neuchâtel. Il est également vice-président du CSEM (Centre suisse d’électronique et de microtechnique), où il dirige le Sustainable energy center. Ses activités couvrent notamment le développement de nouveaux produits liés à l’énergie solaire, l’intégration architecturale du photovoltaïque, ainsi que la gestion de l’énergie au travers du stockage, de la prévision et des solutions digitales. Il a en outre reçu en 2016 le prestigieux Prix Becquerel pour ses travaux dans le domaine du photovoltaïque.
- EPFL
2002 Neuchâtel
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