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Produire de l’électricité verte en cas de blackout

Alimentation de secours à base de sources renouvelables décentralisées

07.08.2023

La production de courant photovoltaïque nécessite généralement un raccordement au réseau électrique. Une modification technique peut toutefois permettre, si nécessaire, de découpler ces installations du réseau et de les utiliser en îlot afin d’assurer l’alimentation électrique de secours en cas de blackout prolongé.

Le courant électrique est indispensable au bon fonctionnement de notre société. «Un blackout électrique prolongé à l’échelle nationale entraînerait l’arrêt immédiat de la quasi-totalité de l’économie suisse», constate le Conseil fédéral dans sa «Stratégie nationale pour la protection des infrastructures critiques». Or, une partie de l’économie est constituée par l’agriculture. Une panne de courant de longue durée pour les systèmes de ventilation, les installations de traite ou même le chauffage menacerait directement le bien-être des personnes et des animaux. La production alimentaire pour la population serait menacée. La «Stratégie nationale» demande donc que les infrastructures critiques soient conçues de manière résiliente: «Les pannes graves et à grande échelle doivent être évitées dans la mesure du possible, et le fonctionnement doit être rétabli le plus rapidement possible en cas d’incident.»

Électricité de secours «verte»

Avec le développement de la production décentralisée à partir d’énergies renouvelables, l’auto-approvisionnement a gagné en importance. Les sources d’énergie décentralisées pourraient également rendre de bons services en cas de crise. C’est l’idée de base d’une étude récemment achevée, laquelle a bénéficié du soutien financier du programme pilote et de démonstration de l’OFEN. Le projet a été dirigé par l’entreprise Fleco Power AG, une filiale fondée en 2015 par la co­opé­rative Ökostrom Schweiz, l’installateur solaire MBRsolar et la coopé­rative énergétique Adev. Fleco Power commercialise l’énergie renouvelable de plus de 600 producteurs qui génèrent de l’électricité à partir du soleil, du biogaz, de l’énergie hydraulique et du vent.

Le réseau électrique suisse est étroitement maillé. Si une centrale ou une ligne tombe en panne, l’approvisionnement en électricité est généralement rétabli dans les plus brefs délais. En cas de crise, une panne prolongée et généralisée est toutefois aussi envisageable. Dans ce cas, les exploitations agricoles pourraient utiliser des groupes électrogènes diesel ou des générateurs à prise de force entraînés par les moteurs des tracteurs pour produire de l’électricité, à condition qu’il y ait suffisamment de carburant en stock. Les centrales photovoltaïques, au biogaz ou éoliennes décentralisées constituent une autre source d’électricité de secours. En Suisse, il existe par exemple plusieurs milliers d’installations photovoltaïques dans les fermes; rien qu’en 2021, 750 nouvelles installations d’une puissance moyenne de 68 kW ont été mises en place. Il existe en outre environ 120 installations de biogaz agricoles dans toute la Suisse. La plupart d’entre elles sont équipées de centrales de cogénération qui transforment le biogaz en électricité et en chaleur.

Fonctionnement en îlot dans deux configurations

Si l’on veut utiliser de telles installations pour l’alimentation de secours, elles doivent fonctionner en îlot, c’est-à-dire être découplées du réseau électrique. Pour cela, il faut une commande qui adapte la production d’électricité aux besoins des consommateurs électriques raccordés. Aujourd’hui, les installations de production d’électricité décentralisées ne sont généralement pas conçues pour fonctionner en îlot. En cas de panne de réseau, elles arrêtent de produire. Le projet pilote initié par Fleco Power s’est penché sur la question des adap­tations permettant de faire passer de telles installations en mode de secours. En règle générale, le fonctionnement de secours signifie également que seuls les consommateurs électriques indispensables sont alimentés en cas de crise.

Des essais en conditions réelles de l’alimentation électrique de secours ont été réalisés à Amlikon-Bissegg/TG, sur le site de la fromagerie et exploitation agricole «Holzhof» (figure de titre) de l’agriculteur et partenaire du projet Otto Wartmann (figure 1). Deux installations photovoltaïques, d’une puissance totale de 360 kW, y produisent chaque année 330 MWh d’électricité. L’une d’elles se trouve sur le toit de la porcherie, et l’autre a été installée sur le toit rouge après que la photographie utilisée comme figure de titre ait été prise. À cela s’ajoutent une installation de biogaz et trois centrales de cogénération d’une puissance totale de 750 kW qui, en plus de la chaleur, fournissent au total 5 GWh d’électricité par an (figure 2). Dans le cadre d’un premier test d’exploitation en îlot sur le terrain, l’une des trois centrales de cogénération, d’une puissance de 320 kW, a été utilisée pour produire de l’électricité de secours. Bien qu’il y ait déjà suffisam­ment d’électricité disponible pour le fonctionnement d’urgence, l’installation photovoltaïque située sur le toit rouge, d’une puissance de 120 kW, a été intégrée dans l’alimentation de secours en plus de la centrale de cogénération lors d’un deuxième test. L’équipe du projet voulait ainsi clarifier si, et dans quelles conditions, une combinaison de plusieurs centrales électriques décentralisées était possible.

Le démarrage autonome n’est pas évident

Les résultats indiquent qu’il a été possible de réaliser un fonctionnement en îlot pour l’alimentation de secours en électricité renouvelable dans les deux configurations de test. L’exploitation agricole a été dans les deux cas alimentée pendant plusieurs heures avec une puissance pouvant atteindre 180 kW. En cas d’urgence, une alimentation de secours ne peut souvent fournir de l’électricité qu’aux consommateurs les plus importants. Lors des essais réalisés sur le site de l’exploitation Holzhof, il en a été autrement: tous les besoins en électricité de l’exploitation agricole ont été couverts. Le défi consistait ici à garantir une consommation suffisamment élevée dans la mesure où la centrale de cogé­nération doit, pour des raisons techniques, fonctionner au moins à 60% de sa puissance, même en mode de secours.

Les essais sur le terrain ont permis d’identifier différents défis liés à une exploitation d’urgence: au début, la mise en place du réseau en îlot a échoué à plusieurs reprises, par exemple à cause de réglages erronés ou de l’absence d’alimentation de secours des composants de commande. Conclusion de Martin Schröcker, responsable du projet et manager de Fleco Power: «Pour exploiter un réseau en îlot, il faut les composants techniques et les installations de commande nécessaires, mais également des personnes capables de mettre en service l’alimentation électrique de secours et qui, pour cela, exercent régulièrement les processus en cas de crise.»

Importance de la qualité du réseau

Une alimentation électrique de secours capable de fournir de l’électricité pendant plusieurs jours ou semaines est particulièrement exigeante. Dans de tels cas, l’approvisionnement en substrats pour l’installation de biogaz doit être assuré. De plus, la qualité du réseau doit répondre à des exigences élevées. La norme européenne EN 50160 formule en effet différentes exigences relatives à la qualité de l’alimentation électrique. Le réseau en îlot mis en place à titre d’essai à Amlikon-Bissegg n’a pas été en mesure de respecter à tout moment les valeurs limites fixées dans la norme (figure 3). Les écarts mesurés permettent le fonctionnement du réseau de secours, mais des adaptations de la protection RI externe de l’installation photovoltaïque sont nécessaires afin de permettre l’injection dans le réseau. Certes, les exigences de normes telles que la norme européenne EN 50160 ne sont pas directement applicables à une exploitation de secours découplée du réseau, mais elles constituent une bonne base pour évaluer la qualité nécessaire du réseau en ce qui concerne le maintien de la tension et de la fréquence. Si un fonctionnement d’urgence s’étend sur une longue durée, des dégradations de la qualité du réseau peuvent endommager les consommateurs électriques, par exemple en raison de contraintes thermiques accrues en cas de décalage des charges. L’intégration des énergies renouvelables dans l’alimen­tation de secours nécessite donc une planification minutieuse du réseau de secours et des composants impliqués.

Martin Schröcker est convaincu que les installations photovoltaïques peuvent justement apporter leur contribution à l’alimentation électrique de secours. Certes, l’électricité solaire n’est pas encore suffisante pour cette tâche, même en cas d’utilisation d’un accumulateur à batterie, car des pénuries d’énergie surviennent surtout pendant les mois d’hiver, comme le note l’équipe du projet dans son rapport final. La situation est différente lorsque le photovoltaïque est combiné à une deuxième source d’électricité. Martin Schröcker estime qu’utiliser principalement des installations photovoltaïques et les compléter temporairement, selon les besoins, par de l’électricité produite par un générateur à prise de force constituerait un système prometteur. La faisabilité de cette combinaison n’a pas encore été étudiée dans le cadre d’essais sur le terrain. «Cependant, l’intégration de plusieurs sources d’énergie dans un réseau de secours commun augmentera encore la complexité technique déjà considérable de l’exploitation d’urgence», font remarquer les auteurs du rapport final du projet. Martin Schröcker reste optimiste: «De notre point de vue, l’électricité renouvelable produite de manière décentralisée offre une belle opportunité d’utiliser une solution robuste pour l’alimentation de secours. Si, pour ce faire, on utilise surtout des installations qui ont été acquises pour un fonctionnement normal, les coûts supplémentaires peuvent être limités. Ainsi, le tournant énergétique peut contribuer à rendre le réseau électrique suisse dans son ensemble plus robuste contre les blackout. L’agriculture est le meilleur endroit pour commencer, en raison de son grand potentiel en matière d’énergies renouvelables et de ses exploitants bien formés.»

Littérature complémentaire

Notes

Des informations sur ce thème peuvent être obtenues ­auprès de , co-responsable du programme pilote et de démonstration de l’OFEN, et de , responsable du programme de recherche sur les réseaux de l’OFEN.

D’autres articles spécialisés à propos des projets de recher­che, des projets pilotes et de démonstration ainsi que des projets phares dans le domaine de l’électricité sont disponibles sur www.bfe.admin.ch/ec-electricite.

Commande pour réseaux en îlot

Si des centrales photovoltaïques, au biogaz ou éoliennes décentralisées doivent être utilisées pour alimenter un réseau en îlot, le générateur ou l’onduleur correspondant fait office de composant de l’alimentation de secours et gère le réseau. L’alimentation de secours est responsable de la stabilité et de la qualité du réseau pendant l’exploitation d’urgence. Les composants techniques pour un fonctionnement en îlot existent, mais ils sont rarement installés car ils entraînent souvent des coûts supplé­mentaires considérables. Il est donc difficile de rendre les installations existantes compatibles avec un fonctionnement en îlot ultérieurement. Pour combler cette lacune, le développement d’une solution technique pour le rétrofit des installations existantes a été lancé en collaboration avec la Haute école HES-SO Valais-Wallis dans le cadre de ce projet pilote.

Auteur
Dr. Benedikt Vogel

est journaliste scientifique.

  • Dr. Vogel Kommunikation
    DE-10437 Berlin

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