Article Centrales conventionnelles , Production , Énergies renouvelables

Plus de flexibilité grâce aux simulations

Évaluations du court-circuit hydraulique et de la vitesse variable

26.01.2022

Pour garantir la stabilité du futur réseau électrique, les centrales hydroélectriques devront être très flexibles. À l’aide de simulations numériques, le projet Xflex Hydro évalue le fonctionnement de centrales de pompage-turbinage en court-circuit hydraulique ainsi que l’utilisation des turbines à vitesse variable avant démonstration sur site.

À l’avenir, le rôle des centrales hydroélectriques en Europe sera crucial pour garantir un approvisionnement en électricité renouvelable et durable, tout en maintenant la stabilité du réseau. Des flexibilités correspondant à différentes échelles de temps seront nécessaires en fonction des besoins: inférieure à la seconde pour assurer la stabilité dynamique du réseau, de l’ordre de l’heure pour suivre le marché de l’électricité et jusqu’à quelques mois pour le stockage saisonnier.[1]

Pour la flexibilité à court terme, la technologie «vitesse variable», en offrant un degré de liberté supplémentaire, permet d’adapter la vitesse de rotation des machines et donc de modifier leur puissance rapidement tout en maintenant un bon rendement. Pour les centrales de pompage-turbinage, une alternative pour adapter la puissance consommée par les pompes – qui en général fonctionnent en mode on-off – consiste à pomper et à turbiner simultanément. C’est la puissance réglable des turbines qui permet alors d’adapter la puissance consommée du point de vue du réseau.

Le projet Xflex Hydro

C’est dans ce cadre que le projet européen H2020 Xflex Hydro [2] a démarré en 2019. Réunissant 19 partenaires pour une durée de 4 ans, il a pour objectif de démontrer comment la flexibilité des centrales hydro­électriques permettra de garantir la stabilité du futur réseau électrique au travers de 7 démonstrateurs. Plusieurs technologies, dont la vitesse variable, le fonctionnement en court-circuit hydraulique ou l’intégration de batteries, seront évaluées grâce à des simulations numériques, des essais à échelle réduite en laboratoire ainsi que des essais sur site.

La HES-SO Valais réalise les simulations numériques fluides et structures pour 4 de ces 7 démonstrateurs: la centrale de pompage-turbinage de Grand-Maison, située en France, la centrale de pompage de Z’Mutt du complexe de Grande Dixence, en Suisse, ainsi que deux centrales à accumulation situées au Portugal, Alto Lindoso et Caniçada. Ces simulations ont pour but d’optimiser le fonctionnement de ces centrales grâce à ces nouvelles technologies.

La centrale de Grand-Maison

L’aménagement hydroélectrique de Grand-Maison situé en Isère, dans les Alpes françaises, et exploité par EDF (Électricité de France) est la station de pompage-turbinage la plus puissante d’Europe, avec 1800 MW installés. L’aménagement comprend à l’amont le réservoir de Grand-Maison, d’une capacité de stockage de 150 mio. m3, et à l’aval le réservoir du Verney, d’une capacité de stockage de 15 mio. m3. Entre ces deux réservoirs, deux centrales sont installées (figure 1): une centrale dotée de 4 turbines Pelton de 150 MW et une centrale enterrée équipée de 8 pompes-turbines de 150 MW.

Pour cet aménagement, l’objectif du projet Xflex Hydro concerne la mise en œuvre d’un mode de fonctionnement en court-circuit hydraulique, c’est-à-dire un fonctionnement simultané des pompes et des turbines. Ce mode permet de réguler l’énergie consommée par les pompes à l’aide des turbines Pelton, et donc de fournir un service de réglage à l’opérateur du réseau électrique.

Puisque l’aménagement n’a pas été conçu initialement pour fonctionner en mode court-circuit hydraulique, différentes études sont nécessaires afin d’éviter au maximum les risques liés à ce mode de fonctionnement; parmi celles-ci, des simulations numériques de l’écoulement dans les différentes jonctions de l’aménagement. Ce dernier comprend trois bifurcations, illustrées dans la figure 1, ainsi qu’une trifurcation en amont des trois conduites forcées. Les simulations ont deux objectifs principaux: la quantification des pertes de charge au niveau des jonctions en mode court-circuit hydraulique, d’une part, et l’étude des instabilités hydrodynamiques susceptibles de se développer notamment dans la conduite en direction des turbines Pelton, d’autre part.

En comparant les résultats en mode court-circuit hydraulique à ceux obtenus en mode pompe ou turbine, il est possible de quantifier l’augmentation des pertes de charge par rapport au mode d’exploitation actuel. Au niveau des bifurcations, les simulations indiquent des pertes de charge modérées correspondant au maximum à 1% de la chute brute.[3] Les instabilités hydrodynamiques qui se développent en direction des turbines Pelton (figure 2) sont d’une intensité relativement faible et se dissipent avant d’atteindre l’entrée du répartiteur. Ces résultats sont confirmés par les tests effectués sur site, qui ont permis de qualifier la centrale pour ce mode de fonctionnement.

La centrale de Z’Mutt

Avec une capacité totale de 88 MW, la station de pompage de Z’Mutt est la plus puissante de l’aménagement hydroélectrique de Grande Dixence. Située au fond du Mattertal, la centrale est composée de deux pompes de 29 MW avec une hauteur de refoulement de 470 m (groupes 1 et 2, voir figure 3a), de deux pompes de respectivement 15 MW et 12,5 MW avec une hauteur de refoulement de 365 m (groupes 3 et 4) ainsi que d’un groupe de régulation d’une puissance de 2,5 MW (groupe 5), situé entre le bassin de Bodmen et le réservoir de Z’Mutt.

Ce dernier groupe, exploité uniquement en mode pompe, vient récemment d’être remplacé par une nouvelle pompe-turbine réversible de type Francis, d’une puissance de 5 MW (mise en service en 2021/2022). La nouvelle pompe-turbine est équipée d’un convertisseur de fréquence moyenne tension (ABB ACS6080) qui permet une exploitation sur une large plage de vitesses de rotation en mode pompe ainsi qu’en mode turbine. La nouvelle installation flexible permet d’optimiser le fonctionnement de la station de pompage en réduisant le nombre des arrêts/démarrages des groupes 3 et 4, en augmentant la capacité de pompage de la centrale, et en récupérant de l’énergie hydraulique par le biais du mode turbine.

Dans le cadre du projet Xflex Hydro, la nouvelle pompe-turbine réversible de Z’Mutt permet d’étudier et de démontrer de nouveaux modes de fonctionnement flexible à vitesse variable, l’un des objectifs étant l’évaluation de l’impact de ces nouveaux modes sur les composants hydromécaniques. Le convertisseur de fréquence permet de contourner des points de fonctionnement dommageables pour la structure mécanique à long terme, par exemple durant la phase de synchronisation du démarrage en mode turbine. Pour prédire ce potentiel de réduction des dommages, des simulations numériques de l’écoulement dans la pompe-turbine pendant la phase de démarrage sont effectuées (figure 3b) en considérant différentes stratégies de contrôle de la vitesse.[4] Le transfert des forces hydrodynamiques à des modèles numériques des structures mécaniques permet finalement de définir les stratégies d’exploitation qui minimisent la fatigue des différentes composantes de l’installation (figure 3c).

La centrale d’Alto Lindoso

Inaugurée en 1992, la centrale hydro­électrique d’Alto Lindoso est située dans le nord du Portugal, le long de la Lima. La représentation schématique de son agencement est présentée à la figure 4. La centrale est composée de deux turbines Francis synchrones à axe vertical, pour une puissance totale installée de 630 MW. Les turbines tournent à une vitesse de 216 t/min, pour un débit total de 250 m3/s. La chute disponible est d’environ 275 m, avec une capacité maximale du barrage de 347,9 hm3, résultant en une production moyenne annuelle de 909,6 GWh. Une particularité de cette centrale est qu’elle ne possède pas de réservoir aval: l’eau est donc directement restituée dans le lit du fleuve. Ceci a pour effet qu’en fonction du débit turbiné, le niveau d’eau à la sortie de la galerie varie de quelques mètres. Ainsi, la profondeur d’implantation de la machine est différente selon le mode de fonctionnement de la centrale.

Dans le cadre du projet Xflex Hydro, le démonstrateur d’Alto Lindoso a pour objectif d’évaluer l’avantage que représente le fait de passer d’une machine synchrone à une machine à vitesse variable, tout en tenant compte des coûts d’investissement. L’étude numérique porte sur l’analyse de l’écoulement de la machine lorsque celle-ci est utilisée à charge partielle et sans charge lors de la phase de synchronisation, comme cela a été réalisé pour le démonstrateur de Caniçada.[5] À charge partielle, l’écoulement en sortie de roue n’est plus axial et peut avoir une composante radiale très élevée. Un tel exemple est illustré dans la figure 5a, lors de la synchronisation.

Pour évaluer l’avantage de la vitesse variable, le point de fonctionnement générant le plus de fluctuations est calculé: il se situe à environ 65% du point de meilleur fonctionnement. Ensuite, pour une même puissance produite, la vitesse est modifiée de plus ou moins 10% et l’impact sur la machine est étudié. Il est en outre également intéressant de connaître les sollicitations mécaniques sur la machine en fonctionnement à la vitesse synchrone dans le but de développer un modèle d’endommagement. Une analyse par éléments finis (finite element method, FEM, figure 5b) est donc effectuée afin de déterminer le niveau de fatigue qu’un mode de fonctionnement génère sur la machine.

Application à d’autres centrales

Les simulations numériques réalisées au cours de ce projet permettent d’évaluer l’intérêt de ces nouveaux modes de fonctionnement et de générer des données qui, associées à celles provenant de simulations transitoires, d’essais à échelle réduite, d’essais sur site ainsi qu’à des données historiques, permettront d’optimiser l’exploitation des centrales étudiées.

Afin de valoriser la méthode développée au cours de ce projet européen, des études parallèles sont menées pour des centrales hydroélectriques en Suisse telles que la centrale de pompage-­turbinage de Veytaux et la centrale au fil de l’eau d’Ernen, dans le cadre du projet OFEN P+D HydroLeap.

Références

[1] A. Harby, L. Schäffer, F. Arnesen, P. Bauhofer, A. Beckitt, S. Bockenhauer, A. Botterud, T. Christensen, L. Middleton, N. Nielsen, A. Somani, E. Tavarez, C. Østlie, «Flexible hydropower providing value to renewable energy integration», White Paper, IEA Hydropower, Annex IX, 2019.
[2] xflexhydro.net
[3] J. Decaix, D. Biner, J.-L. Drommi, F. Avellan, C. Münch-Alligné, «CFD simulations of a Y-junction for the implementation of hydraulic short-­circuit operating mode», IOP Conference Series: Earth and Environmental Science 774, 012013, IOP Publishing, 2021.
[4] D. Biner, S. Alligné, V. Hasmatuchi, C. Nicolet, N. Hugo, F. Avellan, D. Dujic, C. Münch-Alligné, «Turbine mode start-up simulation of a variable speed Francis pump-turbine prototype – Part II: 3-D unsteady CFD and FEM», IOP Conference Series: Earth and Environmental Science 774, 012070, IOP Publishing, 2021.
[5] O. Pacot, T. de Colombel, C. Segoufin, J. ­Delannoy, S. Leguizamon, J. Delgado, M. Roque, C. Münch-­Alligné, «Effect of the variable speed on the hydraulic behavior of the Caniçada Francis turbine», Conf. SimHydro 2021.
[6] EDP (2016). Declaração Ambiental 2016. Aproveitamentos Hidroelétricos da EDP Produção.

Note

Le projet H2020 Xflex Hydro est financé par le programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne n° 857832. Les auteurs remercient Alpiq, EDF et EDP pour leur collaboration.

 

Auteur
Daniel Biner

est doctorant au sein de l’Institut Systèmes industriels de la
HES-SO Valais et du Power Electronics Laboratory de l’EPFL.

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion
Auteur
Dr Olivier Pacot

est chercheur senior au sein de l’Institut Énergie et environnement de la
HES-SO Valais.

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion
Auteur
Dr Jean Decaix

est adjoint scientifique au sein de l’Institut Énergie et environnement de
la HES-SO Valais.

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion
Auteure
Prof. Dr Cécile Münch-Alligné

est professeure en énergie hydraulique à la HES-SO Valais et coordonne l’Hydro Alps Lab.

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion

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