Photovoltaïque intégré au bâti et ombrage
Défis et solutions
L’ombrage des modules photovoltaïques dans le domaine du bâti est un sujet qui soulève de nombreuses questions non seulement en ce qui concerne la maximisation de la production, mais aussi en termes de fiabilité des systèmes BIPV. Le projet Rebi PV, mené par le PVLab de la Supsi en collaboration avec l’EPFL, se consacre à cette thématique.
La Suisse a adopté en 2021 la Stratégie climatique à long terme 2050, dont l’objectif est d’arriver à zéro émission nette de gaz à effet de serre grâce à une forte accélération de l’électrification. Une adoption massive du photovoltaïque permettra de produire 30% de l’électricité nécessaire à nos besoins à partir de cette source renouvelable. Pour faire face à cet important défi, il sera nécessaire d’exploiter également le potentiel des bâtiments (67 TWh/an produits sur les toits et façades bien exposés au soleil).
Contrairement à ce qui se passe dans les grands champs photovoltaïques, où les conditions optimales de fonctionnement sont assurées par de grandes surfaces sans obstacle, dans l’environnement bâti, la présence de cheminées, d’autres bâtiments, d’arbres ou encore de neige permanente, déclenche une problématique liée à la performance et à la fiabilité des panneaux PV en présence d’ombres.
Historiquement, les modules PV étaient vendus sans aucune forme de protection contre les effets de l’ombrage. Certains modèles fournissaient des diodes de dérivation (bypass) dans la boîte de jonction, mais seulement en option. Dans les années 90, lorsque la Haute école spécialisée de la Suisse italienne (Scuola universitaria professionale della Svizzera italiana, Supsi) a mis en place la «Centrale di collaudo per componenti fotovoltaici (Tiso)» afin de vérifier la qualité des produits entrant sur le marché en Suisse, 6 modules en silicium testés sur 8 étaient fournis sans diodes de protection. Les années suivantes, avec l’installation croissante de centrales photovoltaïques, la diode de dérivation a été introduite par défaut pour la protection contre les ombres.
L’évolution de la technologie a radicalement changé l’aspect et les caractéristiques du module PV standard d’aujourd’hui: depuis l’ancienne disposition de 60 cellules de silicium en série avec trois sous-chaînes, chacune protégée par une diode, différentes solutions ont été présentées sur le marché, avec des cellules solaires plus grandes, coupées en plusieurs parties, et différentes sections mises en parallèle. En dix ans, la puissance générée par un seul module est passée de 250 W à plus de 600 W, avec dans certains cas des courants proches de 20 A, mais la protection contre les ombres est toujours assurée par des diodes.
Pourquoi utiliser des diodes de dérivation?
La cellule solaire peut être considérée comme une source de courant, générant un courant directement proportionnel à la zone éclairée, tandis que la tension est fondamentalement indépendante de l’éclairage. Lorsque les cellules sont mises en série et qu’une ou plusieurs d’entre elles sont ombragées et produisent donc moins ou pas de courant photogénéré, le courant circulant dans la série passera par la partie ombragée, la forçant à être inversement polarisée et à dissiper de l’énergie. En d’autres termes, l’ombrage d’une cellule fait tomber le courant des cellules éclairées de la série au niveau de celui de la cellule ombragée. Si un module n’est pas équipé d’une diode de dérivation, le simple fait d’appliquer une ombre totale à une cellule, entraîne une production nulle du module lui-même. Sans moyens de protection, la tension imposée à la cellule solaire à polarisation inverse pourrait être, en théorie, celle de la chaîne complète de modules (des centaines de volts), ce qui entraînerait une dissipation de puissance destructrice de plusieurs centaines de watts. L’énergie dissipée dans la cellule dépend du point de fonctionnement tension-courant choisi par l’onduleur.
Typiquement, les diodes de dérivation protègent de 12 à 24 cellules, avec un nombre standard de 20 cellules. Ce nombre s’explique par le comportement de la cellule solaire en polarisation inverse.
La cellule solaire en polarisation inverse a une tension caractéristique à laquelle elle entre dans ce qu’on appelle la «région de claquage», caractérisée par une tension de seuil où l’augmentation de la tension inverse entraîne une augmentation exponentielle du courant traversant la cellule avec des effets destructeurs potentiels. 20 à 24 cellules en série ont une tension directe équivalente à la tension de claquage typique d’une cellule solaire en silicium: un nombre plus élevé de cellules dans une sous-série ferait entrer la cellule ombragée «moyenne» dans la partie exponentielle de sa caractéristique inverse.
Il existe en effet deux types de claquage dans les jonctions p-n en silicium: le claquage Zener et le claquage par avalanche, le second étant sujet à une dissipation localisée et à des températures plus élevées. Il peut arriver que la distribution régulière de chaleur due à un point chaud avec un claquage Zener se transforme en un réchauffement localisé, avec endommagement des matériaux. De nos jours, le fait d’avoir une dissipation inférieure à deux fois la puissance maximale de la cellule solaire individuelle est considéré comme étant un seuil de sécurité pour éviter des effets destructeurs et permanents sur la cellule.
Des tests pour évaluer les risques de dégradation
Des situations d’ombrages typiques sur un module solaire demi-coupé (half-cut) – aujourd’hui le cheval de bataille de l’industrie photovoltaïque – sont illustrées dans les figures 1 et 2, où différents masques d’ombrage ont été placés sur les cellules du module dans le laboratoire PVLab de la Supsi. Les figures 1b et 2b montrent les courbes I-V relatives mesurées avec le simulateur flasher. La courbe caractéristique décrit les paires I-V où le module peut fonctionner, tandis que le point de fonctionnement est décidé par la charge connectée en aval du dispositif. Dans ce contexte, il est important de souligner que les diodes de dérivation peuvent être opérationnelles ou pas, en fonction du point de fonctionnement du module PV: lorsqu’elles sont actives et opérationnelles, elles dérivent également le courant circulant dans la partie éclairée du module, rendant ainsi vains les avantages de la disposition parallèle en demi-coupe. C’est par exemple la situation de la figure 1b, où le point de puissance maximale absolue est celui de gauche (Pmax 1) et où l’excès de courant provenant du module en série avec celui dont les cellules sont ombragées passe par la diode de dérivation active. La diode impose sa tension continue de 0,5 V aux deux sous-chaînes parallèles qu’elle protège, ce qui entraîne des points chauds dans les deux sous-chaînes, même si une seule est ombragée. Au contraire, dans la figure 2, puisque la diode n’est pas active, le courant de fonctionnement diminue (les cellules ombragées limitent le courant de tout le module) et donc aucun point chaud n’est déclenché.


Les modules PV sont testés conformément aux normes CEI afin de définir la situation la plus défavorable pour le test du point chaud: celle-ci dépend de la caractéristique de résistance de shunt des cellules solaires du module. Dans cet essai, des températures supérieures à 150°C peuvent être atteintes et maintenues pour un maximum de 5 h. Malheureusement, la résistance de shunt n’est pas le seul paramètre utile pour déterminer les effets d’augmentation de température significatifs qui peuvent entraîner une détérioration du matériel et une perte de qualité, de sécurité et de performance du module. Le type de caractéristique inverse de la cellule solaire (type «A» avec une tension inverse de claquage supérieure à la tension du point de puissance maximale de la chaîne du sous-panneau, ou type «B» avec une tension inverse de claquage inférieure), le nombre de cellules protégées par la diode de dérivation, l’intensité de la ventilation derrière le module, et le type ou la forme des ombrages répétitifs sur le module, ont tous des effets importants sur la dégradation à moyen/long terme des modules.
Le projet Rebi PV
Le risque d’ombrages partiels est particulièrement important dans le cadre du photovoltaïque intégré au bâti (Building Integrated Photovoltaics, BIPV): le Supsi PVLab réalise des tests en intérieur et en extérieur à ce propos dans le cadre du projet Rebi PV, financé par le Fonds national suisse (FNS) et l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), avec l’EPFL comme partenaire de recherche.
La figure 3 montre l’un des deux stands d’essai de modules installés sur le toit de la Supsi, sur le Campus de Mendrisio, avec des masques d’ombrages (transmission de la lumière de 36%) appliqués sur quelques modules à isolation arrière, dotés de différentes technologies de cellules. Le choix de l’ombrage est basé sur un concept de situation «représentative», afin d’éviter les pires des cas tels que ceux testés lors de la qualification des modules. Sur le stand d’essai, tant les cellules solaires ombragées que les diodes de dérivation sont fortement sollicitées. En effet, les températures atteintes par les cellules en polarisation inverse peuvent approcher les 140°C, ce qui est dangereusement proche de 150°C, et dans ce cas, comme le montre la figure 3, une détérioration du matériel ou un brunissement de l’encapsulant est donc possible, entraînant une aggravation des conditions. En outre, les cycles thermiques et la sollicitation des diodes pendant de longues périodes, bien plus longues que les 5 h stipulées par les tests CEI, peuvent en principe entraîner leur dégradation: lorsque la diode est défaillante en circuit ouvert, les cellules ne sont plus protégées en termes de polarisation inverse appliquée et la puissance dissipée augmente considérablement, ce qui peut entraîner des problèmes de sécurité.

Quelles mesures adopter pour réduire les risques?
Même si l’utilisation d’optimiseurs ou d’électronique de puissance locale est largement considérée comme une solution contre l’ombrage, ces systèmes ne peuvent pas empêcher le courant de circuler dans les cellules et dans la partie ombragée: ils peuvent seulement optimiser la production d’énergie. Des diodes de dérivation sont également montées sur les modules équipés d’optimiseurs et fonctionnent en cas d’ombrage pour assurer le suivi du point de puissance maximale. Pour cette raison, la planification minutieuse de l’installation photovoltaïque, en évitant les ombres inutiles, et la protection d’un plus petit nombre de cellules avec des diodes de dérivation fiables, dimensionnées avec précision, constituent des moyens immédiats de garantir des systèmes BIPV fiables.
Il est encore clairement nécessaire d’explorer et de renforcer les connaissances à propos d’un sujet pour lequel les spécifications correspondent encore à des systèmes photovoltaïques sans ombre: la recherche est en train de se mobiliser pour combler cette lacune avec des stratégies appropriées, qui prennent en compte le coût, la fiabilité, la performance et la sécurité.
Littérature complémentaire
- K. A. Kim and P. T. Krein, «Hot spotting and second breakdown effects on reverse I-V characteristics for mono-crystalline Si Photovoltaics», 2013 IEEE Energy Conversion Congress and Exposition, p. 1007-1014, 2013.
- K. A. Kim and P. T. Krein, «Reexamination of Photovoltaic Hot Spotting to Show Inadequacy of the Bypass Diode», IEEE Journal of Photovoltaics, vol. 5, no 5, p. 1435-1441, 2015.
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