Article Centrales conventionnelles , Énergies renouvelables

Petites turbines: développements hydrauliques et essais sur modèles

Démarche pour une optimisation de la rentabilité

03.01.2017

Turbines Kaplan en «S», Diagonale à bâche spirale ou encore Pelton à six injecteurs, les essais sur modèles sont l’une des clés de la petite hydraulique, pour des puissances comprises entre 30 kW et 5 MW. Basé sur le principe de systématisation, ce développement s’inscrit dans une démarche de conception hydraulique plus globale qui vise à optimiser les performances hydrodynamiques de la turbine tout en maîtrisant les investissements et en limitant le risque financier.

À la fin des années 1980, un certain potentiel de développement de la petite hydraulique commençait à poindre : la réhabilitation des quelque 8000 sites mis en service au début du XXe siècle et le turbinage des réseaux d’eau. Un constat avait alors été posé sur la nécessité de moderniser le domaine et de rehausser la qualité des équipements en prenant en compte les impératifs économiques. Le développement de turbines via des essais sur modèles réduits, couramment utilisés en grande hydraulique, combiné au principe de systématisation, est apparu comme une solution permettant de simplifier les profils hydrauliques avec pour objectif la réduction des investissements. C’est dans ce contexte que le laboratoire Mhylab a été créé.

Conception hydraulique et dimensionnement

Que ce soit en petite ou en grande hydraulique, le principe de base consiste à maximiser la production électrique en limitant les investissements et les coûts d’exploitation, en respectant les contraintes liées au génie civil et à l’environnement, et ce, dans le cadre défini par le droit d’eau (notamment la chute, le débit maximal et le débit résiduel) [1].

Caractéristiques du site et 
types de turbines

Pour ce faire, le propriétaire de la centrale mandate dans un premier temps des bureaux spécialisés pour définir les caractéristiques précises du site qui serviront de base au dimensionnement de la turbine, soit :

  • la dénivellation (ou chute brute) ;
  • la courbe des débits classés ;
  • l’évolution des pertes de charge dans l’aménagement en fonction du débit ;
  • et finalement le débit d’équipement.


À partir de ces informations, le concepteur de la turbine aura pour objectif de définir la turbine optimale pour le site. Tout d’abord, la chute conduira à la détermination du type de turbine approprié. Comme illustré sur la figure 1, Mhylab découpe le domaine de la petite hydraulique en 3 secteurs : turbines Kaplan pour les basses chutes (jusqu’à 30 m) (figures 2 et 3), Pelton pour les hautes chutes (à partir de 60 m) (figure 4) et Diagonale (figures 5 à 7) pour les chutes intermédiaires 1). Ces limites se chevauchant, une analyse plus poussée est parfois nécessaire déjà à ce stade.

Optimisation du rapport rendement/coût

Compte tenu de la variabilité des débits et des chutes, ainsi que des contraintes économiques, le concepteur devra déterminer le degré de flexibilité optimal de la turbine. Ainsi, plus une turbine Pelton a d’injecteurs, plus larges seront les zones de fonctionnement à haut rendement. Par contre, l’ajout d’un injecteur a un coût non négligeable. Souvent, il se justifie financièrement s’il permet d’augmenter de manière significative le productible prévisible, mais également de réduire le nombre de paires de pôles de la génératrice (la vitesse de rotation passe par exemple de 750 t/min pour 3 paires de pôles à 1000 t/min pour 2 paires de pôles). Une vitesse plus élevée permet de réduire aussi bien le coût de la machine électrique que celui de la turbine, leurs dimensions étant diminuées.

Pour les turbines Kaplan ou Diagonale, le concepteur cherchera à définir si un double réglage est plus judicieux qu’un simple réglage. «Double réglage» signifie que les positions des pales de la roue et des directrices – c’est-à-dire les aubes situées en amont de la roue qui orientent l’écoulement sur les pales de la roue – peuvent être ajustées selon un algorithme (appelé courbe de conjugaison) défini en fonction de la chute et du débit disponibles afin de maximiser le rendement (figure 7). «Simple réglage» signifie qu’un seul des deux organes précédents est ajustable. Le double réglage peut conduire à une complexification de la turbine, non pertinente pour le projet en termes d’investissements et de frais d’exploitation.

Il est également possible d’opter pour une vitesse de rotation de la machine non synchrone ou variable. L’idée consiste ici à ce que le turbogroupe tourne en tout temps à une vitesse optimale en termes de comportement hydrodynamique, tandis qu’un convertisseur permettra de corriger la fréquence pour la ramener à celle du réseau. Il conviendra alors de s’assurer que le gain de production, prenant en compte les pertes liées au convertisseur, compense le surcoût engendré par cette solution.

Simultanément, le concepteur répondra aux contraintes d’implantation. La turbine sera-t-elle à axe vertical, horizontal, voire incliné (à part pour les Pelton) ? Pour les Kaplan et les Diagonale, vaut-il mieux une turbine en «S» (figures 2 et 6) ou à bâche spirale (figure 7) ?

Conception hydraulique

Pour répondre à toutes ces problématiques d’optimisation, il est nécessaire d’entrer dans la conception hydraulique de la turbine, qui définira le cheminement de l’eau et, par conséquent, son fonctionnement hydrodynamique et ses performances. Cette étape précède celle de la conception mécanique qui consiste à concevoir et à calculer l’ensemble des pièces et systèmes constituant la turbine. On y définira et calculera, par exemple, les épaisseurs de parois, les différentes brides, l’accouplement avec l’alternateur, la logique de montage-démontage, les ancrages, les systèmes de commande des organes de réglage du débit, les fréquences propres de la ligne d’arbre, etc. Cette conception mécanique débouchera sur la réalisation du dossier de fabrication et, finalement, sur la construction de la turbine.

Pour revenir à la conception hydraulique, celle-ci se base sur un graphique appelé colline (figure 8), propre à chaque configuration de turbines. Ce document en synthétise le comportement hydrodynamique, notamment en matière de rendements, de vitesse d’emballement, de cavitation et de conjugaison. Lesdites collines sont issues du développement sur stand d’essais, selon une approche dite de «systématisation». Le profil hydraulique (plan des surfaces mouillées) de la future turbine devra impérativement être en homologie avec le modèle réduit testé, tandis que la colline utilisée sera celle issue des résultats d’essais en laboratoire.

La systématisation

La démarche appliquée par Mhylab dans le développement et la conception hydraulique des petites turbines est appelée systématisation. Elle est à distinguer de la standardisation.

Consistant à faire correspondre une turbine-type à un domaine plus ou moins vaste de débits d’équipement et de chutes, la standardisation a l’avantage de réduire les coûts de fabrication par une construction en semi-série de chaque turbine-type. Toutefois subsiste un risque au niveau de l’adéquation entre la turbine-type et les caractéristiques du site à équiper, surtout si le domaine d’application est grand. Ce risque est souvent financier car lié à des pertes permanentes de production, voire à des frais d’entretien ou de réparation de la machine suite à des dysfonctionnements hydrauliques.

A contrario, la systématisation vise à ce que chaque turbine soit dimensionnée spécifiquement pour les caractéristiques du site. Sur le stand d’essais, elle se traduit par l’utilisation de coefficients adimensionnels qui caractérisent à la fois le débit et la chute turbinés, mais également la vitesse de rotation et les dimensions de la turbine. Ainsi, pour les Pelton, la turbine sera caractérisée par sa vitesse spécifique, ratio du diamètre d’injection, D1, par la largeur maximale de l’auget, B2. Pour une Kaplan, les rayons de la roue et du moyeu seront utilisés. Cette systématisation utilise également les lois de similitude et les coefficients de mécanique des fluides, tels que les nombres de Reynolds, de Froude et de Weber.

Ce principe permet donc de passer du modèle réduit à la turbine spécialement conçue pour le site, tout en garantissant son fonctionnement hydrodynamique et ses rendements en fonction des débits et des chutes turbinés. Le risque encouru par le futur exploitant est ainsi drastiquement réduit.

En amont du développement sur stand d’essais

Le développement sur stand d’essais est l’étape finale d’une démarche globale de conception hydraulique des turbines qui commence par l’identification des besoins du marché.

Le processus commence par une étude théorique basée sur l’état de l’art, notamment dans le domaine de la grande hydraulique, et sur les principes fondamentaux de la dynamique des fluides. Cette étape vise à définir un premier concept de turbine répondant aux besoins identifiés. Ici, il s’agit de déterminer, d’une part, les simplifications possibles du concept afin de réduire les coûts de fabrication sans péjorer les qualités hydrodynamiques et, d’autre part, les éléments qui, ayant un impact sur les performances, doivent rester en stricte homologie avec le modèle testé. Par exemple, pour les turbines Pelton, il a été identifié que, dans une certaine gamme de puissance, le répartiteur pouvait être composé principalement de coudes et de tés du commerce, contrairement à la roue qui devait être homologue au modèle réduit.

Cette phase de développement est suivie par l’optimisation de la conception hydraulique en ayant recours à la modélisation CFD (computational fluid dynamics) (figure 5), afin de se rapprocher des objectifs initiaux en termes de performances et de fonctionnement. Il est ensuite possible de concevoir mécaniquement le modèle d’essais et de le fabriquer.

Les tests en laboratoire peuvent alors commencer.

Le développement sur stand d’essais proprement dit

Intégré à la centrale hydroélectrique de Montcherand (Vaud), propriété de Romande Energie SA, le laboratoire de Mhylab bénéficie d’une chute de 95 m et d’un débit maximal de 80 l/s, en circuit ouvert, configuration utilisée plus particulièrement pour les Pelton. En circuit fermé, pour les chutes plus faibles, via l’utilisation de deux groupes de pompage, le stand peut travailler avec un débit pouvant aller jusqu’à 450 l/s, la chute maximale étant de 50 m.

Le débit est mesuré par une tuyère conforme à la norme européenne EN ISO 5167. La chute turbinée est mesurée via des prises des pressions en amont et en aval de la turbine. Un dynamomètre à courant continu, d’une puissance de 85 kW, permet à la fois de réguler la vitesse de rotation de la turbine (de 650 à 2600 t/min) et de mesurer le couple mécanique interne. Les essais sont effectués selon la norme CEI 60193 2).

Mesure des rendements de la turbine

Le premier des tests réalisés vise à mesurer les rendements de la turbine sur une certaine plage de débits et de chutes, de manière à pouvoir tracer de manière adimensionnelle toute la colline de rendement de la configuration. La zone de meilleur rendement, correspondant au sommet de la colline, sera particulièrement détaillée en termes de points de mesures, puisqu’elle correspondra à la zone de dimensionnement et de fonctionnement de la plupart des futures turbines.

En principe, les calculs numériques d’écoulement (CFD) ayant été réalisés, le sommet de la colline devrait déjà atteindre un rendement élevé. Les essais permettent toutefois d’optimiser encore le profil hydraulique pour maximiser les performances, que ce soit en termes de valeur ou de flexibilité, l’objectif étant d’atteindre au moins 90 % de rendement sur une large gamme de variations de chute et de débits.

Caractérisation de la cavitation

Le deuxième test, pratiqué sur les Kaplan et les Diagonale, consiste à caractériser le phénomène de cavitation. Pour rappel, la cavitation est issue du passage de l’eau de l’état liquide à l’état vapeur à température constante par une diminution de la pression, qui devient inférieure à celle de vapeur saturante, comme illustré par le diagramme du point triple de l’eau (figure 9). La génération d’une bulle de vapeur est suivie par son implosion dès lors qu’elle se retrouve dans un environnement où la pression est supérieure à celle de vapeur saturante, permettant ainsi la transition de la phase vapeur à la phase liquide (figure 10). Les densités d’énergie sont si importantes que lorsque ladite bulle se trouve à proximité d’une paroi solide, ce phénomène provoque un arrachement de matière.

Définition du niveau limite d’implantation de la turbine

Les développements inhérents à ce type d’essais consistent, d’une part, à optimiser les zones sensibles du profil hydraulique pour retarder l’apparition de ce phénomène et, d’autre part, à fixer les limites de cavitation. Cette caractérisation permettra, lors de la conception d’une machine adaptée à un site, de définir le niveau de pression nécessaire à l’aval de la roue, ce qui, dans les faits, revient à fixer le niveau d’implantation de la turbine relativement au niveau aval. Ceci est particulièrement important dans le sens où il convient au final de trouver l’optimum économique entre les frais d’entretien liés à l’arrachement de matière et les coûts des investissements engendrés par une implantation nécessitant plus ou moins d’excavation.

Les essais de cavitation consistent donc à observer la roue pour différentes hauteurs d’implantation par rapport au niveau d’eau aval. L’observation est rendue possible par un manteau de roue réalisé en plexiglas et l’utilisation d’un stroboscope synchronisé sur la vitesse de rotation de la roue, ce qui permet d’obtenir une image fixe. De plus, l’utilisation d’un réservoir en aval de la turbine dans lequel un vide plus ou moins grand sera poussé, simule une variation de la hauteur d’implantation.

Le principe de ce test est d’identifier la hauteur entre le niveau d’eau aval et la roue à partir de laquelle la cavitation devient dommageable pour la turbine. Cette caractérisation utilise un coefficient adimensionnel, appelé coefficient de Thomas, qui combine les notions de pression atmosphérique, de pression de vapeur, de gravité et de masse volumique de l’eau. Comme pour les essais de rendement, si les tests montrent que la roue doit être implantée très bas par rapport au niveau d’eau aval, le profil hydraulique de la roue sera remis en question.

Cet essai conduit également à compléter la colline de rendement par la colline de cavitation, de manière à prendre en compte ce phénomène lors du processus de dimensionnement de la future turbine.

Essais et mesures complémentaires

Ces deux principales étapes étant franchies, il est alors possible de passer aux essais d’emballement et aux mesures du couple hydraulique sur les pales de la roue, valeurs que le futur constructeur doit connaître pour effectuer son dimensionnement mécanique.

Finalement, après la réalisation de diverses mesures complémentaires, les essais en laboratoire se terminent lorsque les collines obtenues sont complètes et correspondent aux objectifs de rendements élevés et d’implantation correcte.

En aval du développement sur stand d’essais

Au final, en plus des collines, des outils, notamment de conception 3D systématisée, sont créés pour le dimensionnement hydraulique de chacune des futures turbines à implanter sur site [3].

À ce jour, ce sont près de 200 turbines qui ont été conçues sur cette base par Mhylab, pour des puissances unitaires comprises entre 11 kW et 4500 kW.

À noter que dans la plupart des projets de développement, l’étape sur stand d’essais est suivie d’une phase d’application avec la mise en service de petites centrales, dites de «démonstration», qui permettent de démontrer le bien-fondé de la démarche et de la promouvoir.

Conclusions

Le développement de petites turbines en recourant à des essais sur modèles s’insère dans une démarche globale de conception composée de nombreuses étapes, chacune indispensable à la définition de la future turbine avant sa construction. L’étape sur banc d’essais est primordiale car elle permet d’obtenir des informations précises et réalistes sur son fonctionnement. De plus, l’approche appliquée de systématisation permet de réduire de manière drastique les coûts et les délais d’un développement qui ne s’appliquerait qu’à une seule turbine. Enfin, l’optimisation proposée permet de limiter les risques de dysfonctionnements liés à une démarche de standardisation et d’assurer une pérennité de l’investissement consenti par le futur exploitant.

Si les potentiels en Suisse ne cessent de diminuer, notamment du fait du long passé hydraulique et des contraintes environnementales de plus en plus fortes, il n’en reste pas moins l’obligation d’utiliser de la manière la plus rationnelle possible les ressources en eau à disposition, que l’on considère les centrales à réhabiliter, les nouveaux sites ou l’exploitation des réseaux d’eau, des débits de dotation de barrage ou des débits d’attrait des passes à poissons.

Enfin, de nouveaux projets voient le jour notamment en pompage-turbinage – un projet pour l’étude d’une solution de transfert d’énergie par pompage-turbinage à petite échelle a été lancé en 2015 par la HES-SO Valais et Mhylab [4] – ainsi qu’en combinaison avec d’autres sources d’électricité renouvelables et intermittentes, comme le solaire ou l’éolien (voir encadré).

À l’avenir aussi, les notions d’optimisation de la qualité et de diminution du risque financier par une meilleure connaissance des équipements resteront d’actualité.

Références

[1] Programme petites centrales hydrauliques : Comment garantir une production électrique élevée sur le long terme ?. Suisse énergie, Newsletter no  26, 2015. www.bfe.admin.ch/kleinwasserkraft/03834/04169/index.html?lang=fr
[2] C. Cottin et V. Denis : Laboratory tests of a 6-nozzle Pelton turbine for small hydropower plants. Proceedings Hydro 2015, Bordeaux, France, 26-28 octobre 2015.
[3] Hydroscoop, Bulletin d’information Mhylab, no  7, octobre 2014.
[4] S. Gabathuler, D. Pavanello et C. Münch : Le pompage-turbinage à petite échelle pour le stockage local d’énergie. Bulletin SEV/AES 2/2015, pages 49-54, 2015. www.hevs.ch/media/document/0/le-pompage-turbinage-a-petite-echelle-une-solution-envisageable.pdf

Auteure
Aline Choulot

est ingénieure de projets de petite hydraulique chez Mhylab et responsable du secrétariat romand de l’association Swiss Small Hydro.

  • Mhylab
    1354 Montcherand
Auteur
Vincent Denis

est directeur de Mhylab.

  • Mhylab
    1354 Montcherand

Le projet SunHydro

Le projet SunHydro vise à améliorer l’intégration des énergies renouvelables intermittentes en leur adjoignant de la flexibilité pour maintenir l’équilibre du réseau électrique. Pour ce faire, des énergies renouvelables décentralisées (photovoltaïque, éolien, etc.) sont associées à une petite station de pompage-turbinage pour créer une centrale de production virtuelle. Le pilotage de cette centrale est optimisé par un calculateur en fonction de données prévisionnelles météorologiques, de la production des énergies renouvelables et des prix des marchés de l’électricité.

La coordination du projet est assurée par Sun’R Smart Energy avec les partenaires suivants : Clemessy, Climpact-Metnext, Ensta, O.I.E, QOS Energy, Setec, Energy Solutions et Sun’R Smart Energy. Mhylab a en charge, depuis octobre 2013, l’étude des équipements hydro- et électromécaniques de la petite station de pompage-turbinage. Le programme SunHydro bénéficie d’un soutien du fonds unique interministériel français dans le cadre de l’appel à projets no 16 [3].

Commentaire

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