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Petite hydraulique suisse: état des lieux

Protéger l’existant, poursuivre le développement et agréger

31.01.2023

Depuis le début des années 90, la petite hydraulique est passée, grâce à divers outils d’encouragement, par plusieurs vagues de développements économiques et écologiques. Ancrée dans le vaste patrimoine suisse, elle n’a pas à être menacée d’obso­lescence dans la transition énergétique.

Compte tenu des critères techniques, économiques et environnementaux, l’association Swiss Small Hydro (SSH) considère qu’en Suisse, un potentiel global de la petite hydraulique de 5,0 à 5,5 TWh/an est réaliste [1]. Environ 75% de ce potentiel ont été développés à ce jour, ce qui représente 6,5% de la production électrique nationale. L’idée actuelle est évidemment de développer le potentiel restant, et également de faire en sorte de ne pas perdre l’existant.

Quels sont les outils disponibles et les directions les mieux adaptées pour participer de manière efficace à l’effort global d’augmentation de la production électrique de la Confédération?

Instruments d’encouragement: du prix de vente…

La décroissance du nombre de petites centrales hydrauliques en service, provoquée par la réalisation de grands ouvrages conduisant à la généralisation de l’électrification au début du siècle dernier, s’est ralentie dans les années 90 avec la mise en vigueur d’instruments d’encouragement basés sur des prix de vente de l’électricité ne dépendant pas du marché, mais du coût de production, et garantis sur le long terme (figure 1). La première version s’appelait FFS (financement des frais supplémentaires) et garantissait un prix de vente de 16 ct./kWh aux centrales mises en service entre 1992 et 1999, puis de 15 ct./kWh aux suivantes jusqu’en 2009. A suivi la RPC (rétribution à prix coûtant), renommée par la suite SRI (système de rétribution à l’injection), reposant également sur des tarifs garantis mais selon un calcul propre à chaque site. Avec un FFS garanti jusqu’en 2035, ou une RPC/SRI garantie pour 25, 20 puis 15 ans, il était possible d’investir dans de nouvelles installations ou dans des réhabilitations. Il est reconnu aujourd’hui que ces outils étaient particulièrement adaptés à la branche et que la période de 2008 à fin 2013 a été celle «des belles années» de la petite hydraulique.

Or, la volatilité du marché actuel de l’électricité est telle que la question se pose de rester ou non dans ces systèmes d’encouragement mis en place par la Confédération. La quasi-totalité des propriétaires de petites centrales hydrauliques doit rembourser à Pronovo la différence entre le prix du marché et le SRI calculé sur la production de l’année écoulée. Rien que pour le 1er semestre 2022, les installations inscrites dans le SRI ont reversé près de 90 millions de francs [2] au fonds des subventions, une somme d’argent qui sera utilisée pour le financement des autres instruments d’encouragement.

Étant donné l’évolution très rapide du marché mondial de l’énergie, la fin du SRI, programmée dès sa création au 31.12.2022, n’est finalement pas si malvenue. À noter qu’au 01.07.2022, date de la dernière publication de Pronovo, les 67 installations inscrites au SRI et encore en projet pourront en principe profiter de leur admission, ce qui représenterait 383 GWh supplémentaires [2].

… à la contribution à l’investissement

Entre temps, un nouvel outil a pris le relais: la contribution à l’investissement (CI) pour les «rénovations ou agrandissements notables» – une notion développée dans l’Ordonnance sur l’encouragement de la production d’électricité issue d’énergies renouvelables, OEneR –, pour autant que le site en cours d’eau ait une puissance hydraulique brute d’au moins 300 kW (au sens de la loi sur les forces hydrauliques, LFH), ou 450 à 600 kW de puissance électrique.

Ainsi, les investissements dans la branche de la petite hydraulique ont été peu à peu freinés suite aux diverses baisses des taux et durées de rétribution, puis par la perspective de fin du SRI, non compensée par la CI. Mais ce doute face à l’avenir a été levé récemment. Depuis le 23.11.2022 [3], il est en effet établi que la CI s’applique depuis le 01.01.2023 aux nouvelles installations, avec toutefois une limite inférieure de puissance de 1 MW pour le turbinage des cours d’eau. C’est notamment cette limite inférieure que l’initiative populaire de Swiss Small Hydro demande de supprimer [4].

Assainissement de la migration vers l’aval

Parallèlement à ces instruments, la  Suisse mène une campagne d’«assainissement écologique de la force hydraulique» des centrales mises en service avant 2011. Après le vaste exercice fédéral d’établissement des débits résiduels selon la loi sur la protection des eaux (LEaux), la Confédération s’intéresse cette fois à trois thèmes: la migration des poissons, le charriage et les éclusées. La petite hydraulique est surtout touchée par l’obligation de garantir la migration, que ce soit vers l’amont ou vers l’aval, de tous les poissons présents dans le cours d’eau, et ce, en permanence. La plupart des mesures d’assainissement seront indemnisées, que ce soient les études, les réalisations ou le suivi de l’efficacité des réalisations, pour autant que les investissements soient effectués avant 2030 [5]. Ainsi, lorsque l’exploitant de la centrale à assainir a la solidité financière de préfinancer les différentes étapes, il s’agit-là d’une opportunité. Mais, le plus souvent, cette campagne environnementale sonne le glas du turbinage. Car nombreux sont les propriétaires de petites centrales hydrauliques qui ne trouvent pas le préfinancement, ceci d’autant plus que la date d’indemnisation est peu précise. Et de s’interroger sur les notions de maintien du patrimoine et autre clivage nature/culture...

Les études menées au niveau cantonal sur les obstacles à la migration (en 2014 pour Neuchâtel et Schwyz, en 2015 pour Vaud et le Jura, par exemple) montrent que la plupart des petites centrales ne sont pas adaptées à la dévalaison. Il est donc exigé qu’elles installent un système de grille fine permettant de guider les poissons vers l’entrée d’un dispositif de dévalaison. Ici, l’indemnisation correspondra à la différence de prix entre une solution ichtyophile et un système classique de grille/dégrilleur.

La Suisse ne reconnaît en effet pas (encore?) la dévalaison par les turbines, comme le stipule le récent guide sur la migration des poissons édité par l’OFEV [6]. En France, la vis hydraulique et la turbine VLH (Very Low Head, ou très basse chute) sont en général acceptées. Si la vis hydraulique souffre d’un encombrement imposant et de performances hydrauliques assez variables selon les nombreux fournisseurs, la VLH commercialisée par MJ2 Technologies (figure 2), comme toutes les turbines à écoulement axial, telles celles développées par Mhylab, est une technologie efficace [7]. Vu les faibles vitesses d’écoulement (pour les basses chutes) et grâce à un écoulement hydrauliquement optimal à travers l’aubage moteur, les poissons qui suivent les lignes de courant voient les bords d’attaque des pales comme des obstacles fixes. Ainsi, de nombreux seuils pourraient en bénéficier, tout en faisant l’économie d’un coûteux triple système de grille/dégrilleur/guidage.

Autres démarches en cours à Berne

À ces sujets d’ordre fédéraux s’ajoute celui, toujours d’actualité, des droits permanents que la Confédération veut supprimer. Ainsi, pour continuer à produire de l’électricité, les propriétaires de droits d’eau dits également immémoriaux se voient dans l’obligation d’obtenir une concession, soit une démarche souvent longue et coûteuse, pouvant faire l’objet de recours.

Ainsi, légalement, rares sont les raccourcis pour la petite hydraulique. Mais un espoir est à noter: la consultation de l’OEneR en cours au moment de la rédaction de cet article, qui ouvre la CI aux centrales de moins de 300 kW (au sens de la LFH) touchées par la question de l’assainissement [8].

Nouveaux potentiels de production électrique

À côté de l’existant, quid des potentiels restants? Ceux-ci se situent principalement hors rivières, là où demandes de concession et assainissements n’ont pas cours. La CI pour les nouveaux sites permettra d’envisager encore d’autres turbinages de type «Hidden Hydro», de ces potentiels «cachés», comme ceux créés par les regroupements de stations d’épuration, conséquence d’exigences de plus en plus pointues. Et le petit pompage-turbinage est aussi plus que jamais d’actualité.

Agrégation et mobilté électrique

Si 2035 sonnera la fin du FFS, les contrats RPC/SRI commenceront à prendre fin dès 2031. Toutefois, face aux prix du marché de l’électricité, il convient dès à présent de s’interroger sur les autres possibilités de valoriser la production hydroélectrique.

Pour les sites hors RPC/SRI, il est possible de vendre ses garanties d’origine. Mais peut-être est-ce beaucoup de démarches pour trop peu de gain. La consommation propre peut être salvatrice, voire le regroupement dans le cadre de la consommation propre (RCP). Avec, ici, un terme important: regroupement. Car une des clés pour l’avenir de la petite hydraulique est l’agrégation. Le développement du modèle économique «Corporate PPA» (ou Corporate Purchase Project Agreement) pourrait être favorable au secteur de la petite hydraulique suisse. Le principe en quelques mots: plusieurs propriétaires de petites centrales s’associent pour vendre leurs productions électriques communes à un ou plusieurs consommateurs, même si ceux-ci ne se trouvent pas dans la même zone géographique.

Et, enfin, la petite hydraulique ne passe pas à côté d’un domaine très tendance en ce moment: celui de la mobilité électrique, dont l’intérêt pour la petite hydraulique a été démontré par le projet Small-Hydro Mobility (SHM) mené par l’OFEN avec Skat et Mhylab. Actuellement, le projet s’intéresse à développer les modèles économiques des sites les plus représentatifs de la petite hydraulique suisse (figure 3). En s’arrêtant à une station de recharge alimentée par une petite centrale hydraulique, outre la satisfaction de faire le plein (de leur batterie), les automobilistes pourront se féliciter de l’avoir fait en toute connaissance de cause: aucun doute sur la qualité renouvelable et locale de l’électricité. Et le tout, qui plus est, à un coût intéressant. Car là est l’un des secrets de la mobilité à base de petite hydraulique: un contournement du réseau électrique, dans la mesure de la puissance disponible, permettant de réduire les coûts.

Chaque kWh compte

La petite hydraulique a-t-elle un rôle à jouer dans la transition énergétique? Oui, et elle le joue déjà. Solide de par son âge, la petite hydraulique est complé­men­taire du solaire et de l’éolien, dont elle n’a pas la même intermittence. Décen­tra­lisée, elle permet d’alléger le réseau électrique. Encore faut-il avoir de l’eau à turbiner.

L’obligation envers les citoyens protège, en général, les turbines intégrées dans les réseaux d’eau. Concernant les débits résiduels, Swiss Small Hydro a confirmé l’importance de les maintenir [9]. Les cours d’eau tendent à avoir des débits de plus en plus irréguliers, d’où l’importance de privilégier, notamment grâce aux contributions à l’investissement, les équipements flexibles selon les débits et les chutes, afin de valoriser de manière optimale la ressource en eau, quelle qu’elle soit. Car, comme le rappelle l’initiative populaire de Swiss Small Hydro [4], chaque kWh renouvelable et indigène compte, et chaque goutte également, surtout celle qui, en ouvrant ses œillères, n’hésitera pas à s’agréger à d’autres.

Références

[1] Swiss Small Hydro, «Fiche technique de la petite hydraulique suisse», 2021.
[2] Pronovo, «Pronovo-Cockpit, état au 1er juillet 2022».
[3] Conseil fédéral, «Le Conseil fédéral renforce les instruments d’encouragement de la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables», communiqué du 23.11.2022.
[4] Swiss Small Hydro, «SSH lancera l’initiative populaire ‹Chaque kilowattheure compte›», communiqué de presse du 30 septembre 2022.
[5] Confédération suisse, Office fédéral de l’environnement, «Assainissement écologique des centrales hydrauliques existantes: Financement des mesures requises», 2016.
[6] Confédération suisse, Office fédéral de l’environnement, «Rétablissement de la migration du poisson», 2022.
[7] Swiss Small Hydro, «Technologies pour la dévalaison des poissons, écran, by-pass, transfert: une introduction», Magazine Petite Hydro n° 106, 2022.
[8] OEneR en consultation jusqu’au 20.12.2022, en attente du rapport de résultats au moment de la rédaction de cet article.
[9] Swiss Small Hydro, «Réduire les débits résiduels pour plus de production hivernale? SSH reste critique», 2022.

 

Auteure
Aline Choulot

est ingénieure de projets de petite hydraulique chez Mhylab et responsable du secrétariat romand de l’association Swiss Small Hydro.

  • Mhylab
    1354 Montcherand

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