Parc solaire flottant sur un lac de barrage
Une première dans les Alpes suisses
Le 3 décembre 2019, Romande Energie a mis en service une version pilote du premier parc photovoltaïque flottant en milieu alpin. Le lac des Toules, situé à 1810 m d’altitude, accueille désormais ce projet de démonstration. Celui-ci a pour objectif de vérifier la faisabilité d’un parc de grande envergure qui pourrait se concrétiser, sur le même site, dès 2021/2022.
Construire un parc solaire sur un lac de barrage alpin présente de multiples avantages. En premier lieu, les infrastructures nécessaires à l’exploitation d’un outil de production d’électricité sont déjà disponibles sur place, par exemple les routes ou l’accès aux réseaux électriques haute et moyenne tension: un site de production d’énergies multiples et complémentaires est ainsi créé. Ensuite, sur un lac artificiel, l’impact environnemental est limité, la faune n’y étant que peu présente. En effet, les lacs de barrage subissent d’importantes fluctuations de niveau, jusqu’à être parfois entièrement vidés pour des raisons de saisonnalité, de maintenance et d’entretien. Enfin, l’altitude joue également un rôle important puisque la production y est bien plus élevée qu’en plaine.
Cela étant, l’environnement alpin et l’altitude exigent également de relever un certain nombre de défis liés notamment aux conditions techniques et météorologiques extrêmes. Techniquement, l’amplitude du marnage varie de 0 à 50 m. Cela soulève des questions relatives à la flottabilité, mais aussi à l’ancrage du parc afin qu’il conserve sa configuration optimale pour la production.
En ce qui concerne les conditions météorologiques, à cette altitude, les températures varient de -25 à +30°C, les rafales de vent attendues dans cette région peuvent atteindre 120 km/h, tandis que le lac peut geler et se recouvrir d’une couche de 60 cm de glace. Quant à la neige, elle peut atteindre une épaisseur pouvant aller jusqu’à 50 cm sur les panneaux photovoltaïques avant son évacuation naturelle. Ces aléas impliquent de développer des méthodologies et des matériaux inédits et innovants pour y répondre de manière optimale.
Un projet en trois étapes
Afin de tester l’intérêt d’un tel projet ainsi qu’une partie du matériel, une étude de terrain a été conduite de 2013 à 2016. Plusieurs types de panneaux, avec différentes inclinaisons, ont été installés en conditions réelles pour mesurer la production en milieu alpin et déterminer ceux qui fourniraient le meilleur rendement. Parallèlement, une étude conceptuelle, puis plus détaillée, a été menée au sujet de la structure flottante soumise à des conditions extrêmes.
Romande Energie a ensuite développé un projet pilote, soutenu financièrement par l’Office fédéral de l’énergie, avec deux partenaires: Poralu Marine et ABB. Ce projet, mis en service le 3 décembre 2019, permet de réaliser de nombreuses observations et une multitude de tests grandeur nature.
Enfin, à l’issue de cette période pilote d’environ deux ans, un projet de grande envergure pourra être développé, pour autant que les résultats obtenus soient favorables.
Étude de terrain et concept des structures flottantes
En août 2013, Romande Energie a installé une structure pilote d’une surface d’environ 60 m2 à proximité du lac des Toules. Cette dernière se composait d’un panneau vertical pour étudier le productible avec une orientation est/ouest ainsi que de 18 panneaux répartis sur 3 rangées. Respectivement inclinées à 30°, 45° et 60°, les 3 rangées ont chacune été équipées des mêmes panneaux, issus de 6 technologies différentes, monofaciales et bifaciales (figure 1).
Au vu des excellents résultats enregistrés avec l’une des technologies bifaciales, c’est-à-dire avec deux faces actives, des panneaux de ce type ont été ajoutés en septembre 2014, en août 2015, puis en mai 2016. Les études effectuées jusqu’à ce jour ont démontré que cette technologie est la mieux adaptée aux sites en milieu alpin, car elle tire également profit de la réflexion de la neige. Le productible des panneaux testés s’élève à plus de 1800 kWh/kW, soit un chiffre jusqu’à 50% supérieur à celui d’un parc photovoltaïque similaire installé en plaine. À titre de comparaison, 1800 kWh/kW correspondent au productible solaire d’un module monofacial dans le nord de l’Afrique. Divers facteurs expliquent cette différence. Tout d’abord, l’effet d’albédo: la réverbération de la lumière sur la neige augmente la luminosité de manière substantielle. Ensuite, la couche atmosphérique plus fine en montagne accroît fortement l’indice UV. Enfin, les températures moyennes plus basses qu’en plaine permettent aux panneaux d’optimiser leur rendement.
La structure pilote a non seulement permis d’évaluer le rendement des différents types de panneaux photovoltaïques, mais aussi de définir les solutions techniques les mieux adaptées aux conditions climatiques extrêmes, notamment à l’évacuation de la neige.
Parallèlement aux observations sur le rendement, d’autres études de faisabilité technique relatives au raccordement au réseau électrique ou au système onduleur-transformateur ont été conduites. Le défi consistait à minimiser les pertes électriques, tout en répondant au mieux aux contraintes techniques.
Outre la faisabilité technique concernant les panneaux, il était également indispensable de créer une structure flottante capable, elle aussi, de s’adapter aux conditions techniques et météorologiques extrêmes. En effet, le tapis constitué de plusieurs structures flottantes doit non seulement suivre les variations de niveau d’eau, mais il doit également pouvoir se poser sur le sol lorsque le lac se vide progressivement (figure 2). De plus, les flotteurs doivent résister à la formation de glace à la surface du lac en hiver.
Afin de pouvoir mettre le parc solaire de démonstration à l’enquête, le développement de la technologie a été abordé en deux phases. La première, l’étude conceptuelle, a permis de définir un design de base résistant aux différentes contraintes techniques et météorologiques. La seconde, l’étude de détails, a mené au dimensionnement des différents éléments.
Le parc de démonstration
À la suite des bons résultats des premières études, un projet de démonstration a été mis en service fin 2019. Ce pilote a principalement pour objectif de vérifier la faisabilité technique en conditions réelles. Il permet notamment de tester les solutions développées pour faire flotter le parc, l’ancrer ou encore pour héberger les onduleurs, mais également d’évaluer la viabilité financière puisque la production est, elle aussi, monitorée. En outre, des mesures sur l’état du phytoplancton avant et après l’installation du pilote sont menées afin d’évaluer l’impact environnemental du parc de démonstration. Le concept de montage d’un parc de grande envergure bénéficiera également de cette première expérience.
D’une surface estimée à 7272 m2, l’installation de démonstration se compose d’un tapis, ancré au fond du lac à l’aide de chaînes reliées à des poids, composé de 36 structures flottantes en alliage d’aluminium et en polyéthylène haute densité. L’une des structures est occupée par un onduleur et un transformateur, alors que les 35 autres accueillent chacune 40 panneaux photovoltaïques bifaciaux d’un seul et même type; ces derniers représentent une surface totale de 2240 m2 (figure 3).
Grâce à une puissance cumulée de 448 kW, le projet de démonstration produira environ 818 MWh par an, soit l’équivalent de la consommation annuelle moyenne d’environ 227 ménages (tableau).
Le projet de grande envergure
Si les résultats du projet de démonstration sont satisfaisants, le développement d’un projet à grande échelle sera envisagé sur le même site, en collaboration avec la commune de Bourg-Saint-Pierre. Un plan d’aménagement détaillé comprenant une étude des impacts sur l’environnement, puis le permis de construire, seront constitués sur la base des éléments récoltés dans les étapes précédentes. Ces deux autorisations seront mises à l’enquête, au niveau communal.
À l’heure actuelle, le projet à grande échelle prévoit l’installation d’un parc solaire flottant d’une surface de 218'000 m2, soit 35% de la superficie du lac des Toules. Le parc se composerait de plusieurs tapis de structures flottantes pouvant chacune accueillir 40 panneaux photovoltaïques. Grâce à une puissance cumulée de près de 12'000 kW, le parc pourrait produire plus de 22'000 MWh par an, soit l’équivalent de la consommation annuelle moyenne d’environ 6100 ménages.
Tout comme le pilote, le parc s’adapterait aux variations du niveau du lac (entre 0 et 50 m dans la zone du projet) grâce aux structures flottantes ancrées au fond du lac par des chaînes reliées à des poids. Lorsque le niveau du lac est au plus haut, les panneaux se situeraient à environ 50 m des rives, alors que les structures flottantes seraient posées au sol lorsque le lac est vide.
Le financement
Le projet de démonstration bénéficie de la rétribution unique de Pronovo, soit une contribution d’investissement versée une seule fois. De plus, il a obtenu une subvention exceptionnelle de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) dans le cadre d’un soutien aux projets d’innovation.
L’installation de grande envergure devrait également bénéficier du soutien de la Confédération. Ce dernier pourrait, par exemple, se faire via la rétribution à prix coûtant de Pronovo. En outre, la taille importante de l’installation à grande échelle permettra une optimisation des coûts.
Un réel potentiel
Les nombreux avantages de ce projet poussent évidemment à se demander s’il est opportun de reproduire une telle installation sur d’autres sites. Si la question ne devrait concrètement se poser qu’après la mise en service du parc de grande envergure, une réflexion préalable a déjà été menée et plusieurs lieux aux conditions similaires ont été identifiés. Sachant que le productible en milieu alpin peut être jusqu’à 50% supérieur à celui mesuré en plaine, et compte tenu des synergies évidentes avec les infrastructures existantes, ce type de parc offre un potentiel très important en Suisse et, plus globalement, dans les pays montagneux exploitant l’énergie hydraulique.
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