Article Efficacité énergétique , Éclairage

Modules LED à grande surface d’illumination

2e partie – La quête d’une lumière de haute qualité

24.07.2017

Les modules d’illumination LED à grande surface nécessitent l’élaboration de solutions optiques innovantes. Le développement de modules d’éclairage combinant des films micro-optiques avec des films fluorescents a permis d’obtenir une haute qualité d’illumination avec un rendu de couleur optimal.

Les diodes électroluminescentes (LED) peuvent aujourd’hui atteindre des niveaux de luminance extrêmement élevés (de l’ordre de plusieurs 10'000 cd/m2). Par contre, à cause de leur petite taille (≤ 1 mm2), le flux lumineux total ne dépasse pas les quelques dizaines de lumens, un niveau trop bas pour la plupart des applications dans le domaine de l’éclairage. Celles-ci nécessitent en général des valeurs plus élevées d’au moins deux ordres de grandeur.

Par conséquent, les dispositifs d’éclairage à base de LED utilisent des matrices de plusieurs LED. Cependant, sans l’introduction de composants optiques additionnels, ces matrices illuminent des objets proches de façon non uniforme, en générant des effets d’ombres multiples. Ceci est dû au profil d’émission typiquement lambertien (soit identique dans toutes les directions) des LED. La combinaison de ce dernier, de l’émission spatialement très concentrée des LED et de leurs niveaux de luminance très élevés génère, en outre, souvent des effets d’éblouissement qui peuvent mener à une perte temporaire de la vision, une gêne et une irritation. [1] Cette problématique est encore plus importante dans le monde de l’éclairage professionnel où se trouvent énormément de surfaces spéculaires hautement réfléchissantes. Finalement, dans une situation d’illumination très intense, les écrans et les displays subissent une détérioration de leurs caractéristiques d’affichage (dégradation des niveaux de gris visibles, réduction du contraste, etc.). [2, 3]

Le développement de solutions optiques efficaces pour distribuer la lumière émise par des matrices LED peut non seulement résoudre les problèmes de mauvais éclairage et d’éblouissement précités, mais aussi contribuer à réduire la quantité de lumière perdue (environ 30%, selon une estimation faite sur des dispositifs d’éclairage d’extérieur [4]), et donc la consommation d’énergie. [1, 5]

La règle d’or

Une voie largement suivie consiste à utiliser des panneaux ou luminaires au sein desquels la lumière émise par un ensemble relativement nombreux de LED est distribuée uniformément sur une large surface, typiquement 60 x 60 cm2 pour l’éclairage professionnel. Dans la configuration à rétro­éclairage («back-lit») [6], les LED sont distribuées sur la surface d’un substrat plat. Les avantages de cette approche par rapport à la configuration à éclairage périphérique («edge-lit») ont été discutés dans la première partie de l’article, parue dans le Bulletin 12/2016 [6].

Pour la configuration à rétro­éclai­rage, il existe cependant une «règle d’or» due au profil d’émission lambertien des LED: pour obtenir une luminance uniforme, la distance entre le diffuseur et la matrice doit être plus élevée que l’espacement entre deux LED adjacentes («pitch»). En d’autres termes, plus le luminaire devra être fin, plus il faudra y intégrer de LED et plus le flux lumineux et la consommation énergétique seront importants.

Une collaboration fructueuse

L’objectif du projet européen ­LASSIE-FP7 [7, 8] a consisté à développer des modules LED innovants, intelligents, présentant de hauts rendements ainsi qu’une haute qualité d’éclairage, avec une large surface d’illumination et de faibles coûts de production, tout en maîtrisant l’impact sur l’environnement. Au cours de ce projet réunissant un consortium de 8 partenaires, le CSEM (Centre suisse d’électronique et de microtechnique) a notamment développé une solution de modelage du faisceau lumineux basée sur l’utilisation de films plastiques contenant des microstructures optiques (figure 1a). L’objectif était de préserver les avantages de la configuration à rétroéclairage, tout en visant à briser la fameuse «règle d’or» énoncée plus haut et à atteindre les valeurs d’épaisseur réduites caractéristiques des panneaux à éclairage périphérique.

Cette solution a été combinée avec des films polymères contenant des colorants fluorescents organiques développés par BASF, capables d’introduire par fluorescence des composantes spectrales additionnelles et de changer ainsi la couleur de la lumière émise par les sources LED principales. Ces films polymères ainsi que les films micro-­optiques cités plus haut ont été finalement intégrés dans un module d’éclairage qui a été installé dans un démonstrateur fabriqué par Regent Beleuchtungskörper AG. L’objectif final était de démontrer la possibilité d’obtenir un éclairage de haute qualité avec un rendu de couleur optimal à partir d’un module d’épaisseur réduite garantissant une luminance uniforme sur une large surface.

Contourner la règle d’or

Dans le module développé dans le cadre du projet, de la même façon que dans l’approche à rétro­éclairage standard [6], un certain nombre de LED sont distribuées sur un substrat plat (par exemple, une feuille plastique) de manière plus ou moins régulière. Afin de contourner le problème posé par la règle d’or, l’idée a consisté à modifier le profil d’émission lambertien des LED de manière à atteindre un profil en aile de chauve-souris (de type «batwing») présentant une émission moins diffuse.

Pour ce faire, des feuilles de gestion de la lumière («light management foils» ou LMF) ont été positionnées à une courte distance (quelques mm) des LED. Il s’agit normalement de feuilles de polycarbonate de 0,5 mm d’épaisseur sur lesquelles des microstructures optiques sont répliquées en utilisant des procédures rouleau à rouleau («roll-to-roll») d’embossage à chaud («hot-embossing») ou de moulage à la lumière UV («UV casting»). Les microstructures suivent la même distribution spatiale que les LED et doivent être alignées avec elles.

Les pixels microstructurés redirigent les faisceaux de lumière se propageant dans un intervalle d’angles solides prédéfinis dans des directions considérablement hors axe (figure 1b). Grâce au choix des microstructures optiques les plus appropriées et l’optimisation de la taille des pixels (lx et ly) et de la distance t, il est possible d’obtenir une distribution angulaire de type «batwing» (figure 2a) et donc un éclairage du plan de mesure plus uniforme.

Dans la solution développée dans ce projet, le module est complété par un diffuseur de faible efficacité et une feuille fluorescente (il s’agit de l’approche avec phosphore éloigné ou «remote phosphor» décrite dans la section suivante) placée à une distance d de la LMF, c’est-à-dire dans le plan de mesure où l’illumination est uniforme. Finalement, le système complet est intégré dans une chambre hautement réfléchissante qui garantit un recyclage de la lumière très efficace et permet ainsi d’atteindre des valeurs théoriques d’efficacité supérieures à 90%.

La figure 2b illustre, par exemple, l’uniformité de luminance calculée théoriquement pour une surface de 60 x 60 cm2 en fonction du nombre de LED, et ce, avec ou sans utilisation d’une feuille LMF. Pour une uniformité de luminance de 80% et une épaisseur totale du module de 15 mm, l’utilisation d’une LMF réduit environ de moitié le nombre de LED nécessaires.

Il y a lumière blanche et lumière blanche…

Dans les solutions d’éclairage LED, la lumière blanche est obtenue soit en mélangeant adéquatement l’émission des LED bleues, rouges et vertes (approche «RGB»), soit en convertissant partiellement la lumière émise par des LED bleues en lumière jaune sur un intervalle spectral très large. Pour ce faire, des phosphores inorganiques sont intégrés dans le packaging des LED (pc-LED) ou placés dans des plaques de support à une certaine distance des LED (architecture connue sous le terme de «remote phosphor») [9, 10].

Bien que ces deux approches produisent un stimulus métamérique (soit une lumière perçue comme identique par l’œil humain, quelle que soit l’approche utilisée) indépendamment des différentes distributions de puissance spectrale (SPD), la solution RGB permet de sélectionner les longueurs d’onde de pic des LED de sorte à s’adapter à la courbe de sensibilité photopique (de jour, ou avec un éclairage important) de l’œil humain. Il est ainsi possible d’obtenir une efficacité lumineuse de radiation (LER) optimale et, de ce fait, de maximiser la production de lumière visible par watt optique émis.

Toutefois, l’expérience visuelle humaine n’est pas déterminée par la lumière qui atteint les yeux en provenant directement de la source lumineuse, mais plutôt par la lumière réfléchie par les objets dans le champ de vision [11]. Cette dernière est définie en grande partie par la SPD de la source, qui a d’ailleurs des effets très importants sur notre santé et notre bien-être [12, 13]. Il est donc évident que le spectre de la lumière blanche émise par des modules LED doit être pris sérieusement en considération pour obtenir un éclairage de haute qualité [7-10, 14].

La figure 3 illustre, par exemple, trois différentes SPD qui correspondent toutes à une température de couleur corrélée CCT de 3000 K. La source A comporte des LED bleues avec une étroite bande d’émission, vertes et ambrées, affichant respectivement des pics d’émission à 475, 540 et 605 nm. Malgré une valeur LER très élevée (≈ 380 lm/W), comme la SPD présente trois pics étroits bien séparés, les indices de rendu de couleur CRI («color rendering index») et R9 sont relativement bas (tableau 1), ce qui donne une qualité d’éclairage très pauvre. Le même point de couleur peut être obtenu en utilisant une LED bleue avec une bande d’émission étroite légèrement déplacée vers le vert (≈ 418 nm) et un phosphore inorganique jaune. Une SPD plus étendue (courbe B dans la figure 3) donne alors un meilleur rendu des couleurs, mais une LER plus basse.

Vers une lumière de haute qualité

Durant ces dernières années, la société BASF a développé une technologie exclusive qui représente une alternative innovante pour réaliser des modules LED à large surface d’illumination émettant une lumière blanche de haute qualité. Cette solution utilise des colorants fluorescents organiques dispersés dans des films polymères (polycarbonate, PET, etc.) produits par des techniques «roll-to-roll» de ­coextrusion. Ces films sont en général utilisés dans une configuration «remote phosphor». En introduisant par fluorescence des composantes spectrales additionnelles, ils changent la couleur de la lumière émise par les sources principales («color-changing films» ou CCF) [9, 14].

Cette technologie présente plusieurs avantages. Tout d’abord, en matière de prix: le rendement quantique de photoluminescence très élevé des phosphores organiques permet de limiter leur concentration. En combinant cette méthode au procédé de production «roll-to-roll», les films CCF de BASF deviennent financièrement très concurrentiels. C’est pour cette raison que le consortium LASSIE-FP7 [7] les a adoptés, tout comme l’architecture «remote phosphor».

Un autre avantage réside dans la qualité d’éclairage: le spectre d’émission des colorants organiques, plus large que celui des phosphores inorganiques, permet d’atteindre un rendu de couleur et une qualité d’éclairage excellents. La SPD d’un module qui intègre une LED bleue (455 nm) et un film CCF de BASF est présentée dans la figure 3 (courbe C). Pour ce nouveau type de module, des valeurs très élevées ont pu être mesurées pour les paramètres de rendu de couleur CRI et R9 avec une LER raisonnablement élevée.

Finalement, cette technologie présente également des avantages en matière de propriétés optiques: les microstructures optiques décrites dans la section précédente ont en effet tendance à générer un mélange de couleurs et des aberrations chromatiques si elles sont exposées à une lumière blanche. L’utilisation des films CCF de BASF dans une telle configuration atténue considérablement ce problème, puisque les microstructures sont exposées d’abord à la lumière monochromatique de LED bleues avec bande d’émission étroite, tandis que la conversion d’une partie de la lumière bleue vers les longueurs d’onde plus élevées se fait sur la surface périphérique du module (par exemple, le plan de mesure de la figure 1a).

Il est important de noter qu’une amélioration de la qualité d’éclairage et du rendu de couleur limite fortement la possibilité d’adapter à volonté la SPD à la courbe de réponse photopique. Il faut donc s’attendre à ce que des modules avec des valeurs élevées de CRI aient une LER plus basse ainsi que des efficacités intrinsèquement plus faibles que des modules présentant des valeurs de CRI standard (tableau 2) [15, 16]. Par exemple, Acevel a récemment annoncé la commercialisation de modules LED avec soit un CRI de 80 pour 120 lm/W, soit un CRI de 90 pour 105 lm/W [17]. De la même façon, Aurora Lighting a annoncé un module LED avec un CRI de 80 pour 104 lm/W [18] ainsi qu’une version avec un CRI de 95 pour 75 lm/W [19].

De lumineuses perspectives

Le potentiel des films micro-optiques pour la gestion de la lumière («light management foils») en combinaison avec des films fluorescents («color-changing films») pour l’amélioration des propriétés photométriques et spectrales des modules d’éclairage LED à grande surface d’illumination a été clairement démontré.

Le module d’éclairage développé dans le cadre de ce projet (figure 4) promet théoriquement une uniformité de luminance de 80% avec une efficacité supérieure à 90%, et ce, pour une épaisseur totale du module de 15 mm. Par rapport au module commercial à rétro­éclairage le plus fin disponible aujourd’hui sur le marché, cela correspond à une réduction de l’épaisseur d’un facteur proche de 2,5. Combinée avec la technologie CCF de BASF, cette approche peut garantir une lumière de haute qualité avec des valeurs de CRI et R9 remarquables et constantes dans le temps ainsi qu’une LER encore plutôt élevée. Grâce à ces propriétés, ces modules d’éclairage s’adaptent à des applications de niche à haute valeur ajoutée, comme des îlots lumineux pour le contrôle des couleurs dans les magasins d’habits, de produits de luxe, etc. [7]

Références

[1] P. R. Boyce: Human factors in lighting. CRC Press, p. 553, 2014.
[2] J. Bauer and M. Kreuzer: Understanding the requirements for automotive displays in ambient light conditions. Information Display 3, p. 14, 2016.
[3] R. M. Soneira: Display color gamuts: NTSC to Rec.2020. Information Display 4, p. 26, 2016.
[4] T. Gallaway, R. N. Olsen and D. M. Mitchel: The economics of global lighting pollution. Ecological Economics 69(3), pp. 658-665, 2010.
[5] R. Chepesiuk: Missing the dark: Health effects of light pollution. Environmental Health Perspectives 117(1), pp. A20-A27, 2009.
[6] O. Fernandez and R. Ferrini: Modules LED à grande surface d’illumination (1re partie).
Bulletin ­SEV/AES 12/2016, pp. 76-80, 2016. www.bulletin.ch/fr/news-detail/modules-led-a-grande-surface-dillumination-1re-partie.html
[7] Voir le projet européen Lassie-FP7: http://lassie-fp7.eu
[8] Pour une revue des résultats du projet, voir aussi: www.swissphotonics.net/workshops/workshop-datenbank?2972
[9] R. Ferrini: Les enjeux du remplacement des lampes à incandescence. Bulletin SEV/AES 6/2010, pp. 37-42, 2010.
[10] L. Zuppiroli: Éclairages LED: à quels saints se vouer? Bulletin SEV/AES 2013/1, pp. 46-49, 2013.
[11] M. Kramers: High color-rendering full-visible-spectrum LEDs. LED professional 45, p. 38, 2014.
[12] P. Dehoff: Human centric lighting – What we know and what is needed. Proceedings of the 5th LED Symposium + Expo, Bregenz, Austria, Sept 22nd-24th 2015, pp. 12 et 44, 2015.
[13] T. Q. Khanh, P. Bodrogi, Q. T. Vinh and H. Winkler (Eds.): LED Lighting. Wiley Verlag GmbH, 2015.
[14] L. Zuppiroli et D. Schlaepfer: Lumières du futur. Presses polytechniques et universitaires romandes, p. 63, 2011.
[15] Flexible Phosphortech sheet datasheet: www.phosphortech.com/data_sheets/RadiantFlex%20Online%20Datasheet.pdf
[16] Intematix ChromaLit remote phosphor datasheet: www.intematix.com/uploads/datasheets/ChromaLitPCDatasheet.pdf
[17] LED Professional Review 56, quatrième de couverture, 2016.
[18] http://gb.auroralighting.com/Lighting-Products/Indoor-Luminaires/LED-Flat-Panels/Versitile%E2%84%A2-Slimline-LED-Flat-Panels/600x600-Panels/220-240V-IP65-38W-600-x-600mm-LED-Light-Panel-1.aspx
[19] http://au.auroralighting.com/Products/Indoor-Luminaires/LED-Flat-Panels/600mm-x-600mm/220-240V-40W-600-x-600mm-CRI95-LED-Light-Panel.aspx

Financement

Ce travail a été en partie financé par l’Union européenne via le projet LASSIE-FP7 (subvention n°619556).

Coordonné par le CSEM, ce projet a réuni un consortium de 8 partenaires (dont trois suisses: le CSEM, BASF Schweiz AG et Regent Beleuchtungskörper AG).

Auteur
Oscar Fernández

travaille au sein du secteur MicroNano Optics & Photonics du Centre du CSEM de Muttenz.

  • CSEM SA
    4132 Muttenz
Auteur
Rolando Ferrini

dirige le secteur MicroNano Optics & Photonics du Centre du CSEM de Muttenz.

  • CSEM SA
    4132 Muttenz

Commentaire

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