Maintien de la tension en cas de forte injection
Régulation dynamique de la tension aux postes de transformation HT/MT
Après les réseaux BT, c’est au tour des réseaux MT de s’approcher des limites de tension tolérées en cas de forte injection photovoltaïque. Une solution consiste à mettre en place une régulation dynamique de la tension dans le poste de transformation HT/MT, comme le montrent les résultats d’un projet pilote réalisé par Groupe E, à Payerne.
Les réseaux électriques suisses ont été construits dans les décennies précédentes en partant de quelques grandes centrales de productions hydroélectriques et nucléaires pour aller vers un grand nombre de consommateurs, et ceci, pour une puissance de consommation maximale d’environ 10 GW. Or, depuis quelques années, de plus en plus d’installations photovoltaïques (PV) injectent du courant de manière décentralisée dans le réseau de distribution, ce qui tend à inverser le flux d’électricité dans le réseau électrique à certains moments de la journée.
En 2023, la puissance photovoltaïque raccordée au réseau électrique suisse a dépassé 5 GW, et les gestionnaires de réseau de distribution (GRD) commencent à en sentir les effets principalement sur les réseaux de distribution dits de campagne (à faible et moyenne densité d’habitants). Au vu des 40 à 50 GW de puissance photovoltaïque installée que différents scénarios prévoient dans les prochains 25 ans, il est clair que la Suisse ne se trouve actuellement qu’au début de son processus de transformation, et que les GRD doivent penser les réseaux de distribution différemment pour que ceux-ci ne deviennent pas un frein à la transition énergétique.
Réseaux moyenne tension sous pression
Heureusement, il existe aujourd’hui de nouvelles solutions intelligentes qui permettent aux GRD d’élargir leur boîte à outils pour faire face à ces défis. Dans sa stratégie smart grid, Groupe E a recensé, en 2020, 18 nouveaux outils smart grid – à différents niveaux de maturité – dans la perspective d’un déploiement à grand échelle. Les transformateurs réglables MT/BT constituent, par exemple, une solution intelligente déjà déployée en cas de besoin depuis plus de cinq ans. Ces transformateurs reliant le réseau moyenne tension au réseau basse tension sont utilisés pour stabiliser la tension sur le réseau BT en cas de forte injection photovoltaïque.
En 2023, Groupe E exploite 30 de ces transformateurs qui régulent la tension en fonction du niveau et du sens de la puissance qui transite. Mais depuis quelques années, ce ne sont plus seulement les tensions des réseaux basse tension (réseau de quartiers), mais aussi celles des réseaux moyenne tension (le réseau entre les villages) qui commencent à se rapprocher des limites de tension tolérées lors des situations de forte injection photovoltaïque.
Tension secondaire variable
En s’inspirant du GRD allemand Bayernwerk Netz, et avec le soutien financier du canton de Vaud, Groupe E a décidé de lancer un projet pilote pour la mise en place d’une régulation dynamique de la tension dans un poste de transformation HT/MT afin de stabiliser les tensions sur le réseau MT. Ici, le transformateur relie le réseau haute tension au réseau moyenne tension, et alimente une région avec plusieurs milliers d’habitants. Ces transformateurs peuvent adapter leurs rapports de transformation de manière automatique à l’aide d’un régulateur de tension qui envoie des consignes au changeur de prises, aussi appelé insérateur. De cette manière, la tension est régulée automatiquement selon les variations de tension sur le réseau HT et sur le réseau MT de sorte à maintenir une tension secondaire fixe (18 kV sur les réseaux MT fribourgeois et vaudois de Groupe E).
Jusqu’à présent, tous les régulateurs de tension dans tous les postes HT de Groupe E mesuraient la tension secondaire du transformateur HT/MT pour donner les consignes au changeur de prises: on parle ici de régulation fixe ou U(U). Pour ce projet pilote, le régulateur de tension mesure le courant transitant dans le transformateur HT/MT pour donner une consigne au changeur de prises. Dans cette situation, on parle de régulation dynamique ou U(P). La tension secondaire du transformateur HT/MT n’est donc plus fixe à 18 kV, mais varie selon une courbe U(P) à définir.
Un projet inédit en Suisse
Ce projet pilote, premier de son genre en Suisse, a été réalisé sur le poste de transformation de Payerne. Celui-ci alimente, via deux transformateurs HT/MT de 25 MVA, neuf réseaux MT dans la région, dont certains présentent une forte pénétration photovoltaïque. La figure 1 montre l’évolution du flux de puissance mesuré sur l’un de ces deux transformateurs au cours des dix dernières années.
Si la charge en consommation est restée relativement constante ces dernières années, l’injection maximale de production décentralisée ne cesse de croître. Les premières années de déploiement photovoltaïque ont d’abord diminué en été la charge minimale liée à la consommation: ce n’est qu’en 2015 que ce poste a injecté du courant en direction du réseau HT pour la première fois. Groupe E prévoit que les puissances d’injection vont continuer à augmenter chaque année, et dépasser les -20 MW en 2024 et les -30 MW en 2026.
Implémentation de la régulation dynamique
Pour implémenter la régulation dynamique, il a fallu remplacer les anciens régulateurs de tension par des régulateurs de tension de type MR Tapcon BU avec fonction de régulation dynamique, et faire quelques adaptations de câblage et de signaux pour intégrer cette nouvelle fonction. La partie primaire du régulateur (changeur de prise du transformateur) n’a quant à elle pas été modifiée.
Avant de passer en phase de réalisation, des simulations ont été effectuées sur l’ensemble des réseaux MT et BT alimentés par le poste de Payerne afin d’évaluer l’effet de la régulation dynamique avec différentes courbes U(P). Ces simulations ont démontré que les cas critiques de tensions rencontrés avec une régulation fixe pouvaient être nettement améliorés avec ce nouveau type de régulation.
La courbe U(P), illustrée dans la figure 2, a été définie comme courbe à implémenter dans les régulateurs de tension de Payerne. Quand les réseaux électriques de Payerne servent principalement à alimenter des consommateurs qui soutirent de l’énergie du réseau (faible taux de production décentralisée), la puissance traversant le transformateur de la HT vers la MT est mesurée en positif (côté droit du graphique). Avec cette nouvelle régulation dynamique de la tension, plus il y a de soutirage, plus la tension MT au poste de Payerne augmente, jusqu’à la valeur maximale définie de 18,36 kV (102% de la tension U0 = 18 kV à charge nulle). À l’inverse, plus les installations de production d’électricité produisent dans le réseau de Payerne, plus la tension MT va diminuer jusqu’à atteindre la valeur minimale fixée par la courbe de 17,64 kV (98% de la tension U0 = 18 kV).
Maintien de la tension dans la bande de tolérance
La tension au départ des lignes MT peut donc varier entre 17,64 kV et 18,36 kV, selon la charge du transformateur et du réseau payernois. L’influence de cette tension variable au poste HT/MT ainsi que son intérêt pour maintenir la tension dans la plage de tolérance définie sont illustrés dans la figure 3. En situation de soutirage (ligne bleue), la tension diminue le long de la ligne, et en situation d’injection (ligne verte), la tension augmente le long de la ligne MT.
La figure 3a montre le transformateur HT/MT avec une régulation fixe de la tension au départ de la ligne MT. Le maintien de la tension dans une bande de tension tolérable de ±2% (lignes rouges) n’est pas possible dans ce cas. La figure 3b montre le même réseau dans les mêmes situations, mais avec une régulation dynamique U(P) qui augmente la tension MT au poste lors des situations de soutirage, et qui diminue la tension dans les situations d’injection. Le maintien de la tension dans la bande de tolérance est nettement amélioré.
Des avantages pour l’injection ainsi que pour la consommation
Afin de valider l’effet de la régulation dynamique de la tension au poste, des mesures ont été effectuées dans diverses stations le long de la ligne MT. La figure 4 montre des mesures réalisées pour les deux types de régulation dans la station Châtelard – une station en début de ligne – et dans la station Vuaty située en fin de ligne MT. Comme attendu, la régulation dynamique fait apparaître de lentes variations de tension journalières en début de ligne (figure 4a), mais celles-ci sont d’une amplitude bien maîtrisée. L’effet bénéfique de cette nouvelle régulation se produit en fin de ligne (figure 4b), l’endroit qui pose normalement des problèmes par rapport au maintien du niveau de la tension dans les réseaux de campagne. Les mesures montrent que les variations lentes de tension y sont fortement réduites avec la régulation U(P).
La réduction de la tension en situation de forte injection et son augmentation en cas de fort soutirage offrent une marge supplémentaire en tension sur la ligne MT pour raccorder davantage d’installations PV. Des avantages sont aussi à constater dans le sens de la consommation: il sera ainsi possible de raccorder plus de pompes à chaleur et d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques sans avoir besoin de renforcer le réseau de manière conventionnelle.
Influence sur le nombre de changements de prises
Source d’inquiétude, le nombre de changements de prises des insérateurs a été suivi avec attention au cours de ce projet. En effet, les simulations réseau effectuées dans la phase d’étude du projet ont montré une augmentation significative de leur nombre avec une régulation dynamique.
Le monitoring du nombre de changements de prises sur les transformateurs HT/MT de Payerne a confirmé ces simulations, avec une augmentation de leur nombre de 20 à 40%. Ceci peut mener à une usure prématurée du changeur de prise, qui pourrait entraîner une augmentation des coûts d’entretien des insérateurs. Toutefois, ce dernier point reste à confirmer et dépend fortement du type d’insérateur utilisé. Groupe E ne dispose pas encore de suffisamment d’expérience en matière d’entretien du type d’insérateur travaillant sous vide mis en œuvre au poste de Payerne pour pouvoir mesurer réellement l’impact de l’augmentation du nombre de changements de prises.
Un outil de plus, et à un prix raisonnable
Le changement des régulateurs du poste a coûté environ 40'000 CHF, ce qui est modeste par rapport à d’autres solutions permettant de baisser la tension en situation de forte injection PV. Pour un nouveau poste déjà équipé du bon régulateur de tension, les surcoûts pour rajouter la fonction de régulation dynamique U(P) sont estimés entre 5000 et 7000 CHF. Si cette solution est aujourd’hui mise en place dans nos réseaux de campagne afin de limiter les augmentations de tension dues à l’injection PV lors des belles journées ensoleillées, elle sera aussi utile pour combattre les baisses de tension attendues en fin de journée en hiver, provoquées par la consommation des pompes à chaleur et des infrastructures de recharge pour véhicule électrique qui seront installées ces prochaines années.
Avec ce projet pilote, il a été possible de démontrer que la régulation dynamique de la tension au poste HT apporte de nombreux avantages et qu’elle est facile à mettre en place. Il n’existe pas une solution unique qui permette d’adapter le réseau électrique pour la transition énergétique en cours. Mais ce sont de nombreuses solutions techniques, combinées intelligemment, qui permettront au réseau électrique de s’adapter rapidement aux nouveaux défis. Avec ce projet démonstrateur, la solution de la régulation dynamique de la tension au poste HT est venue s’ajouter aux outils standardisés dans la boîte à outils smart grid de Groupe E.
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