Article Intégration dans le réseau , Réseaux énergétiques , Énergies renouvelables

Maintenir l’équilibre, à l’avenir aussi

Utiliser les énergies renouvelables pour stabiliser le réseau

29.04.2020

La diminution du nombre de centrales traditionnelles accroît le besoin en services système. Dans ce contexte, les sources de production décentralisées ont un rôle à jouer. Cette étude met en avant ces possibilités au travers d’un modèle générique d’optimisation ainsi que d’une étude de cas réel.

La flexibilité d’une source ou charge d’énergie électrique s’exprime en termes d’écarts (+/-) des puissances (active et réactive) par rapport à leurs valeurs instantanées ou prévues. Elle permet d’approvisionner les services système nécessaires pour garantir une exploitation sûre et fiable d’un réseau électrique. De nos jours, la pénétration grandissante des sources de production décentralisées installées dans les réseaux de distribution représente un potentiel important en termes de flexibilité non seulement dans le cadre de l’exploitation des réseaux de distribution (MT/BT), mais également des réseaux de transport (THT/HT).

S’inscrivant dans le contexte du programme SCCER-FURIES et réalisé en collaboration avec Swissgrid, le projet Pasren (Provision of Ancillary Services from Regional Energy Networks) consiste à évaluer la flexibilité maximale qu’un réseau de distribution accueillant des sources de production décentralisées pourrait offrir à un réseau de transport au poste d’interconnexion.

Deux approches sont examinées dans le cadre de ce projet: la première, l’approche analytique générique, consiste en un modèle d’optimisation capable a priori de traiter le cas d’un réseau de distribution quelconque dans lequel les sources de production peuvent être de différentes natures, contrôlables (comme une micro-turbine) ou non contrôlables (une installation photovoltaïque, par exemple). Cette approche est décrite, expliquée et illustrée en détail dans [1]. La seconde approche est basée sur des études de cas, où des parcs éoliens planifiés contribueront au maintien de la tension et au marché du réglage de la fréquence.

Approche analytique générique

L’optimisation analytique s’appuie sur la connaissance du point de fonctionnement actuel ou prévu du réseau de distribution. Ce point de fonctionnement est déterminé par les puissances consommées et produites aux différents nœuds de ce réseau, et en particulier par celles échangées au nœud d’inter­connexion avec le réseau de transport. L’optimisation consiste à maximiser ces écarts de puissance au nœud d’interconnexion tout en contrôlant les puissances injectées par les sources contrôlables. Dans ce but, à l’aide d’un modèle de calcul de répartition de puissances (loadflow) linéarisé, les écarts de puissances au nœud d’interconnexion sont exprimés analytiquement en fonction:

  • des écarts de puissances des sources contrôlables définissant les variables de décision de l’optimisation;
  • et des écarts des puissances des charges et des sources non contrôlables (stochastiques) résultant de l’incertitude et définissant ainsi un ensemble de scénarios sur lesquels portera l’optimisation.

 

En outre, l’optimisation tient compte des capacités des sources de production ainsi que des contraintes physiques liées aux courants et aux tensions siégeant dans le réseau. Ces contraintes physiques sont également exprimées en fonction de l’ensemble des écarts de puissance précités.

Les solutions du problème d’optimisation ainsi formulé sont représentées par une aire dans un graphique à deux dimensions (figure 1) avec en abscisse, l’écart de puissance active (noté ΔP) au point d’interconnexion et en ordonnée, l’écart de puissance réactive (noté ΔQ) en ce même point. L’origine du graphe est supposée correspondre au point de fonctionnement actuel ou prévu au point d’interconnexion.

La démarche utilisée pour déterminer l’aire précitée consiste à identifier la courbe qui la délimite. Elle s’appuie sur un balayage systématique du graphique selon un axe passant par l’origine et tournant progressivement. Cet axe établit la relation entre ΔP et ΔQ si bien que l’optimisation ne porte directement plus que sur une seule grandeur de sortie, soit ΔP dans ce cas. Pour une position fixée de l’axe (angle θ), on procède à l’optimisation dans les deux directions par rapport à l’origine. Pour chacune d’elle, on détermine successivement pour chaque scénario la valeur maximale de ΔP et la valeur correspondante ΔQ (symbole «x») encore disponibles que l’on pourrait offrir au réseau de transport. Parmi tous ces couples (ΔPQ), celui présentant la plus courte distance depuis l’origine identifiera un point de la courbe (symbole «o»).

Les deux premières étapes de la démarche précitée proposent de considérer les positions horizontale (θ = 0) et verticale (θ = 90°; dans ce cas, la variable de sortie est ΔQ, Δétant nul) de l’axe, donnant ainsi lieu à quatre premiers points de la courbe. À partir de là, à chaque nouvelle étape, la nouvelle position de l’axe est déterminée selon la règle suivante: pour chaque couple de points déjà établis et consécutifs de la courbe, on calcule la longueur du segment qui les relie – on retient le plus long segment – puis on considère comme nouvelle position de l’axe celle faisant passer l’axe par le milieu de ce segment. Cette règle de construction est répétée tant que le dernier plus long segment rencontré est plus grand qu’une tolérance spécifiée.

La méthode d’optimisation proposée a été testée avec succès dans le cas de plusieurs réseaux électriques de distribution, et en particulier celui de la ville d’Aigle (canton de Vaud) (figure 2). Il s’agit d’un réseau de tension nominale de 21 kV. Il est composé de 55 nœuds (postes MT/BT) et abrite de la production hydraulique et photovoltaïque ayant respectivement 830 kW et 2701,6 kW de capacité installée. La charge totale maximale du réseau est de 3876 kW. La figure 3 montre dans le plan (ΔPQ) la surface représentant l’ensemble des solutions du problème d’optimisation pour un point de fonctionnement spécifié du réseau. On désignera cette surface par l’acronyme FPC (Flexible Provision Capability).

Le GRD au service du GRT

Typiquement, la méthode d’optimisation proposée pourrait être intégrée dans une plateforme permettant de gérer les interactions entre un gestionnaire de réseau de transport (GRT) et un gestionnaire de réseau de distribution (GRD). Supposant le GRD officiant comme un agrégateur pour toutes les sources de production contrôlables au sein de son réseau, celui-ci pourrait alors proposer au GRT, le jour d’avant J-1, pour les prochaines 24 heures du jour J, une FPC pour chaque heure (par exemple) afin d’approvisionner ses services système. Pour ce faire, le GRD aura besoin de s’appuyer sur la connaissance des profils de production et de consommation horaires escomptés le jour J en chaque nœud de son réseau. Durant l’exploitation du réseau le jour J, préalablement à chaque heure, le GRT définira selon la FPC correspondante les valeurs de ΔP et de ΔQ dont il aurait besoin et les transmettra au GRD. Le GRD utilisera alors ces deux valeurs pour déterminer les nouvelles consignes de production des sources contrôlables (re-dispatching) qui seront activées dès le début de l’heure en question. Le re-dispatching fait actuellement l’objet d’un autre modèle d’optimisation qui est en cours de développement. Celui-ci a pour challenge de satisfaire au mieux la demande du GRT tout en considérant les incertitudes à court terme liées à la consommation et à la production stochastique.

Approche par études de cas

Le réseau considéré (figure 4a) fait partie du réseau HT de Groupe E et comprend 176 nœuds, 128 lignes, 56 charges et 5 parcs éoliens. La charge totale moyenne est de 346 MVA et la puissance totale installée des parcs éoliens est de 204 MVA. Déterminée sur la base de données météorologiques, la puissance active des parcs éoliens peut être répartie entre le marché du réglage et la fourniture d’énergie. Leur capacité à fournir des services système est évaluée dans cette étude. Deux produits sont considérés: le réglage de fréquence (secondaire et tertiaire) et le maintien de la tension (du réseau de transport, NR1). Selon [2], chaque entité connectée au NR1 participe au maintien de la tension avec un rôle actif ou semi-actif.

Pour étudier le potentiel de fourniture de services système des éoliennes, les limites physiques suivantes sont considérées (figure 4b): le courant nominal de l’onduleur, les limites thermiques du réseau, les limites de tension dans le réseau de distribution supra­régional (NR3) et la vitesse du vent. Des simulations du flux de puissance optimal (OPF) sont exécutées pour chaque instant de temps t pour une durée d’un an. Les contraintes suivantes sont définies dans la formulation de l’OPF:

  • La limite de puissance apparente de l’onduleur;
  • Les limites thermiques sont fixées à 100%;
  • La limite de tension est fixée à UN ± 5%.

 

La fonction objective de l’OPF est la maximisation de la réserve de puissance réactive. Trois schémas commerciaux différents de monétisation de l’énergie produite, appelés ici «assignations de produit», sont considérés (figure 4b).

Les revenus de l’énergie livrée au marché du réglage de la fréquence sont calculés à partir des facteurs d’utilisation moyens représentant le rapport entre la capacité réservée et la capacité moyenne utilisée. En cas de priorisation d’une source de production décentralisée (encouragement au renouvelable), le facteur d’utilisation est unitaire. Le tarif moyen de rémunération de l’énergie est déterminé sur la base du tarif du GRD local. Les prix des capacités et de l’énergie de réglage se basent sur leur publication par Swissgrid. Le revenu des producteurs est calculé sur cette base.

Dans l’assignation de produit A, la puissance active disponible, essentiellement dépendante des conditions météorologiques, est attribuée dans sa totalité à la fourniture d’énergie. La puissance réactive réalisable par l’onduleur en respectant les contraintes du réseau et sans diminution de la contribution de puissance active, participe au maintien de la tension avec un tarif fixe. Elle est quantifiée à l’aide d’OPF. Dans l’assignation de produit B, 50% de la puissance active disponible est attribuée à la fourniture d’énergie. ± 50% de la puissance active peut être offerte au GRT comme capacité pour le marché du réglage de la fréquence. Dans l’assignation de produit C, 75% de la puissance active disponible est attribuée à la fourniture d’énergie, le reste au marché du réglage.

Jusqu’à 21% d’augmentation du revenu annuel

Pour évaluer la rémunération potentielle, l’assignation de produit permettant un revenu maximal est sélectionnée à chaque intervalle simulé. L’augmentation des revenus peut être déterminée en comparant la rémunération maximale avec le revenu de l’assignation de produit A. Cette augmentation représente l’intérêt pour les sources de production décentralisée à fournir du réglage de fréquence. Cette rémunération dépend de trois paramètres: réglage secondaire ou réglage tertiaire, prix de l’énergie considéré (tarif d’injection fixe ou résultats du marché Swissix) et, finalement, priorisation ou non des sources de production décentralisée. La combinaison de ces trois paramètres, ici nommée schéma de rémunération, a un impact sur l’intérêt des sources de production décentralisée à participer au marché du réglage de la fréquence. Des huit schémas de rémunération considérés, le plus avantageux pour les sources de production décentralisée permet une augmentation de 21% du revenu annuel grâce à la fourniture de services système (figure 5). En outre, le revenu potentiel tiré d’une participation au maintien de la tension, indépendamment du schéma de rémunération choisi, atteint environ 9% du revenu annuel.

Au-delà de l’approvisionnement énergétique

Outre la problématique de l’approvisionnement en énergie, la transition énergétique requiert une transition vers des fournisseurs de services système renouvelables et distribués. Même si les fournisseurs de services système suisses sont déjà renouvelables, le marché européen et la nécessité de fournir de la puissance réactive en tout point du réseau justifient l’intérêt d’utiliser également les nouvelles énergies renouvelables pour cette tâche. Les études présentées illustrent l’intérêt de cette démarche, aussi bien du point de vue de la faisabilité technique que du point de vue économique. Sa réalisation requerra plus d’efforts, notamment dans la communication nécessaire à la coordination des nombreuses ressources qui participeront à ce système.

Références

[1] M. Kalantar-Neyestanaki, F. Sossan, M. Bozorg, R. Cherkaoui, «Characterizing the Reserve Provision Capability Area of Active Distribution Networks: a Linear Robust Optimization Method», IEEE Transactions on Smart Grid, 2019.
[2] M. Imhof, «Concept de maintien de la tension dans le réseau de transport suisse à partir de 2020», Swissgrid, 2019.

Ce travail est intégré au Swiss Competence Center for Energy Research SCCER FURIES et a été réalisé avec le soutien d’Innosuisse, de Swissgrid et de Groupe E.

 

Auteure
Olga Galland

est collaboratrice scientifique à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.

  • HEIA-FR
    1700 Fribourg
Auteur
Mohsen Kalantar-Neyestanaki

est assistant doctorant à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

  • EPFL
    1015 Lausanne
Auteur
Loïc Eggenschwiler

est collaborateur scientifique à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.

  • HEIA-FR
    1700 Fribourg
Auteur
Dr Patrick Favre-Perrod

est professeur HES à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg.

  • HEIA-FR
    1705 Fribourg
Auteur
Dr. Rachid Cherkaoui

est maître d’enseignement et de recherche ainsi que responsable du groupe Power System à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

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