Article Infrastructure , Intégration dans le réseau , Marché de l’énergie

Les industries stabilisent le réseau

Potentiel d’énergie de réglage issue des installations industrielles

30.08.2017

La mise à disposition d’énergie de réglage par les industries, les infrastructures et les foyers a été étudiée et expérimentée ces dernières années dans des projets phares, pilotes et de démonstration. Ces travaux portent aujourd’hui leurs fruits: des producteurs de ciment, des fabricants de papier et même des hôpitaux contribuent désormais à la stabilisation du réseau électrique.

En principe, les installations qui génèrent ou consomment du courant électrique en grandes quantités peuvent mettre de l’énergie de réglage à disposition, c’est-à-dire la forme d’énergie dont Swissgrid, le gestionnaire du réseau national de transport d’électricité, a besoin pour maintenir l’équilibre du réseau. Auparavant, celle-ci était fournie principalement par les grandes centrales hydrauliques. Toutefois, les exploitations industrielles, les infrastructures et même quelques foyers peuvent mettre de l’énergie de réglage à disposition en prenant des mesures adaptées. Au cours des dernières années, l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) a financé plusieurs projets de recherche ayant pour objectif de révéler et d’exploiter ce potentiel. Des scientifiques ont ainsi analysé dans la pratique la mise à disposition d’énergie de réglage par des installations d’incinération des déchets, des stations d’épuration, des installations de biogaz, des réseaux d’approvisionnement en eau, des entrepôts frigorifiques ou des pompes à chaleur. La question principale était la même pour tous les projets: définir les mesures techniques et organisationnelles nécessaires pour que de telles installations puissent fournir de la puissance électrique au réseau, ou en soutirer, avec un bref temps de réaction, dès que Swissgrid a besoin d’énergie de réglage. Les questions de sécurité ainsi que l’acceptation des exploitants vis-à-vis d’interventions dans leur exploitation ont également été considérées.

De nouveaux acteurs

Les connaissances acquises dans le cadre de ces projets portent aujourd’hui leurs fruits: «Depuis environ deux ans, plusieurs entreprises qui rassemblent en un pool l’énergie de réglage émanant de divers fournisseurs pour la proposer à Swissgrid sont activement présentes sur le marché», constate Christoph Imboden, professeur en innovation de produits et directeur du groupe de recherche Économie énergétique à la Haute école de Lucerne (HSLU), «un marché plus vaste est en train de se former dans l’approvisionnement énergétique suisse.» Une douzaine d’usines de valorisation thermique des déchets (UVTD) mettent de l’énergie de réglage à disposition en renonçant pour un bref instant (quelques minutes ou heures) à la production d’électricité à partir de la chaleur émise par la combustion des déchets (énergie de réglage négative). L’industrie du ciment (par exemple Jura Cement) ou les usines de papier (comme la société Perlen Papier AG) fournissent de l’énergie de réglage en stoppant temporairement des sous-processus gourmands en énergie (énergie de réglage positive).

Les installations industrielles contribuent ainsi à la stabilisation du réseau électrique. Ce faisant, chaque installation a ses limites: une usine de ciment peut stopper le broyage, mais pas le processus principal. Une installation de biogaz peut suspendre la production d’électricité, mais uniquement jusqu’à ce que le réservoir de gaz soit plein. Une aciérie n’est, en revanche, absolument pas adaptée à la mise à disposition d’énergie de réglage si, pour des raisons d’exploitation, les installations de production ne peuvent pas être commandées de manière flexible.

Les installations industrielles s’associent

Lorsque dans les Alpes, une centrale de pompage-­turbinage augmente ou réduit sa production électrique, une énergie de réglage de plusieurs centaines de mégawatts peut être mise à disposition. Les puissances que peuvent apporter les installations industrielles sont nettement plus faibles. C’est la raison pour laquelle plusieurs installations sont regroupées dans un pool. Si un pool peut fournir plus de 5 MW d’énergie de réglage, il peut participer aux ventes par le biais desquelles Swissgrid achète l’énergie de réglage auprès du fournisseur le plus avantageux.

Pour quelles exploitations industrielles est-il rentable d’intégrer un pool d’énergie de réglage? Christoph Imboden a examiné cette question avec une équipe de la HSLU. Les chercheurs ont identifié les exploitations industrielles capables d’organiser leurs processus de manière suffisamment flexible pour être en mesure, économiquement parlant, de tenir à disposition une énergie de réglage d’au moins 300 kW par jour ou par semaine. Les scientifiques ont distingué neuf branches dans lesquelles sommeille au total un potentiel d’énergie de réglage d’au moins 740 MW (énergie de réglage positive), respectivement de 270 MW (énergie de réglage négative) (figure 1). «Si ce potentiel était exploité, l’industrie serait en mesure de couvrir une partie considérable des besoins suisses en énergie de réglage», explique Christoph Imboden.

Dans leur étude, les chercheurs lucernois incluent toutes les installations industrielles qui ont de bonnes chances d’agir de manière profitable sur le marché de l’énergie de réglage. Les installations dont le potentiel a été évalué à une puissance égale ou inférieure à 100 kW ne sont pas prises en considération. Les chercheurs sont ici sceptiques quant à l’évaluation des perspectives actuelles du marché: «En ce qui concerne les installations présentant une puissance plus faible, il est de plus en plus difficile, avec les prix actuels du marché, d’atteindre un business case intéressant pour les exploitants d’installations», déclare Christoph Imboden.

Stations d’épuration

Dès 2013, une étude cofinancée par l’OFEN de l’Association Infrawatt, un réseau d’experts dans le domaine de l’utilisation de l’énergie des infrastructures, avait découvert un grand potentiel pour l’énergie de réglage chez les UVTD, les stations d’épuration et les réseaux d’approvisionnement en eau potable: pour l’énergie de réglage négative, le potentiel s’élève actuellement à 233 MW pendant une heure et même 290 MW en 2050, alors que pour l’énergie de réglage positive, il atteint 140 MW aujourd’hui, respectivement 198 MW en 2050. Concernant les infrastructures, il faut tenir compte du fait que la sécurité d’approvisionnement de l’eau et le respect des prescriptions relatives à la protection des eaux sont absolument prioritaires dans les stations d’épuration.

Sur la base de l’étude du potentiel, Infrawatt a lancé en 2014 le projet phare de l’OFEN «Pooling de réglage avec infrastructures (réseaux d’approvisionnement en eau potable et installations d’épuration des eaux usées)» pour analyser plus en détail les possibilités d’utilisation concrètes. Outre Infrawatt, la société Ryser Ingenieure AG (spécialiste de la gestion des eaux urbaines) et le fournisseur d’énergie Alpiq AG (en tant qu’exploitant de groupe de réglage) y ont également participé. De ce projet, terminé en 2017, a été issu un groupe de quatre stations d’épuration qui, avec des centrales de cogénération, fournissent de l’électricité à partir des gaz d’épuration et qui, ensemble, peuvent mettre à disposition une énergie de réglage négative d’environ 1 MW. Les centrales de cogénération sont freinées en cas de besoin pour décharger le réseau. Le groupe de stations d’épuration est remarquable dans la mesure où il ne propose pas d’énergie de réglage tertiaire (comme d’autres installations industrielles), mais de l’énergie de réglage secondaire qui permet d’obtenir des revenus nettement plus élevés.

Le commerce de l’énergie de réglage secondaire

Quiconque souhaite intégrer le marché avec de l’énergie de réglage secondaire doit pouvoir proposer la même quantité d’énergie de réglage positive et négative. Pour y parvenir, les stations d’épuration (énergie de réglage négative) sont regroupées dans un pool avec des centrales hydroélectriques d’Alpiq. «Cette constellation nous permet d’atteindre la puissance de 5 MW exigée par Swissgrid et nous sommes en mesure de proposer le même volume d’énergie de réglage positive et négative», explique Andreas Hurni, directeur du département Énergie chez Ryser Ingenieure AG. «Avec ce pool, nous avons réussi en novembre 2016 la préqualification chez Swissgrid et démontré qu’il fonctionne sur le plan technique. Nous participons aux ventes pour Swissgrid depuis le printemps 2017.»

Jusqu’à présent, la participation des stations d’épuration au sein du pool d’Alpiq est relativement faible. Mais cela pourrait changer à l’avenir: ensemble, toutes les centrales de cogénération des stations d’épuration suisses pourraient mettre à disposition une énergie de réglage (négative) d’environ 13 à 15 MW. Le nombre de stations d’épuration qui finiront par s’associer reste à déterminer. Pour chaque installation individuelle (seules les installations à partir d’environ 100 kW de flexibilité disponible entrent en ligne de compte), les rendements issus de la mise à disposition d’énergie de réglage sont relativement faibles, soit quelques milliers ou dizaines de milliers de francs. De plus, les plus grandes stations d’épuration préfèrent vendre leur gaz d’épuration en tant que biogaz plutôt que de le transformer en énergie électrique dans les centrales de cogénération. Les centrales de cogénération existantes dans les stations d’épuration pourraient, le cas échéant, être toutefois utilisées pour la mise à disposition d’énergie de réglage tertiaire et seraient ainsi adaptées en tant que partenaires au sein d’un pool d’énergie de réglage, souligne Andreas Hurni. Il prend la station d’épuration Werdhölzli de Zurich pour exemple: bien que la station d’épuration traite la majeure partie de son gaz d’épuration pour alimenter le réseau de gaz naturel, une partie est encore utilisée pour produire de l’électricité dans la centrale de congénération. Dans un avenir proche, la centrale pourra également mettre de l’énergie de réglage tertiaire à disposition.

Installations de production électrique écologique

En 2009, lors de la création de Swissgrid, l’énergie de réglage provenait de sept fournisseurs, tous des producteurs suisses d’électricité. Entre-temps, un marché d’une vingtaine de fournisseurs actifs s’est établi. Parmi les nouveaux acteurs, on compte les pools d’énergie de réglage qui englobent les installations industrielles et les centrales hydroélectriques et qui sont exploités par les fournisseurs d’énergie traditionnels (EAE). Des pools spécialisés indépendants des EAE se sont également établis. L’un d’eux appartient à la société Fleco Power AG, fondée en 2015, dont le siège se situe à Gachnang (TG), une filiale de la coopérative Ökostrom Schweiz et du fournisseur de services dans le domaine photovoltaïque MBRsolar AG. Fleco Power exploite le premier pool suisse qui travaille exclusivement avec des énergies renouvelables. Une centaine de petites centrales électriques y participent, à parts égales des installations de biogaz agricoles, des installations photovoltaïques et des petites centrales hydroélectriques. Ce groupement est issu d’un projet de démonstration dont l’OFEN a financé la mise en réseau, de même que l’intégration et l’optimisation du logiciel. Avec ce pool, Fleco Power propose désormais quelques dizaines de mégawatts d’énergie de réglage tertiaire (négative).

«Jusqu’à présent, nous sommes absolument satisfaits du déroulement des affaires», déclare le directeur commercial de Fleco Power, Patrick Neuenschwander. Les revenus proviennent essentiellement de la mise à disposition de l’énergie de réglage et, dans une moindre mesure, de l’indemnisation de l’approvisionnement énergétique. Dans la mesure où le groupement Fleco Power se compose de nombreuses unités de production décentralisées, chaque demande d’énergie implique un grand nombre d’installations. Jusqu’à 70 installations interviennent en fonction de leur disponibilité par le biais d’un système de gestion sophistiqué. «Nous considérons la mise à disposition d’énergie de réglage comme une pièce du puzzle sur la voie d’une commercialisation totale de tous les potentiels d’une installation. C’est pourquoi Fleco Power propose également des prestations dans le domaine de la commercialisation de l’énergie ainsi que de la valeur ajoutée écologique et régionale pour compléter son offre d’énergie de réglage», ajoute Patrick Neuenschwander.

Utiliser des groupes électrogènes de secours?

Même si le marché de l’énergie de réglage est encore dominé par les EAE traditionnelles aujourd’hui, les consommateurs bénéficient de la réduction des tarifs. «Si le consommateur d’électricité paie encore 0,4 centime en 2017 pour des prestations générales de système, il ne paiera plus que 0,32 centime en 2018. La baisse du tarif est due, entre autres, à la réduction des coûts pour la mise à disposition d’énergie de réglage. Swissgrid y est parvenue en poursuivant sans cesse le développement des produits. En outre, le nombre de fournisseurs sur le plan national et international et ainsi la concurrence sur le marché de l’énergie de réglage a également augmenté», explique Serge Wisselmann, directeur TSO Markets Planning & Procurement chez Swissgrid.

Le marché de l’énergie de réglage pourrait poursuivre sa croissance à l’avenir. Le plus grand potentiel en termes d’énergie de réglage secondaire et tertiaire que l’étude de la Haute école de Lucerne mentionnée a identifié parmi les installations industrielles n’est pas encore exploité: les groupes électrogènes de secours, comme ceux des hôpitaux utilisés en cas de panne de courant, disposent parfois de puissances du domaine du mégawatt. Les générateurs diesel sont adaptés à la fourniture d’énergie de réglage, mais uniquement sur appel dans la mesure où ils ne doivent pas fonctionner plus de 50 heures par an dans la plupart des cantons, conformément à l’Ordonnance sur la protection de l’air. Par conséquent, les groupes électrogènes de secours peuvent être intégrés dans des pools qui favorisent la production d’électricité par des centrales électriques conventionnelles lorsque l’énergie de réserve est retirée par Swissgrid. Dans ce cas, les groupes électrogènes de secours sont financièrement intéressants pour l’exploitant, mais ne contribuent pas directement à la stabilité du réseau. Il est également envisageable de combiner leurs tests de fonctionnement avec le retrait d’énergie.

Exporter l’énergie de réglage

Le chercheur de la HSLU Christoph Imboden constate qu’aujourd’hui, l’offre en énergie de réglage croît plus vite que la demande: «À court terme, les revenus des fournisseurs d’énergie de réglage pourraient continuer de baisser. Mais à long terme, en raison du renforcement des énergies renouvelables, les besoins en énergie de réglage devraient augmenter, et par là-même, la valeur de l’énergie de réglage.» Ce faisant, les fournisseurs suisses d’énergie de réglage peuvent également espérer une demande de l’Allemagne dans la mesure où celle-ci continue de développer l’utilisation des énergies renouvelables. Aujourd’hui, l’énergie de réglage provient, en Allemagne, en grande partie des centrales au gaz, mais cette source pourrait s’avérer insuffisante à l’avenir. Dans certains secteurs, le marché de l’énergie de réglage s’étend déjà au-delà des frontières. La poursuite de cette tendance dépendra de la future organisation du marché de l’énergie.

Auteur
Dr. Benedikt Vogel

est journaliste scientifique.

  • Dr. Vogel Kommunikation
    DE-10437 Berlin

L'OFEN soutient des projets

Une partie des projets financés par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) au cours des dernières années pour la préparation du marché de l’énergie de réglage fait partie des projets pilotes, de démonstration et des projets phares avec lesquels l’OFEN encourage le développement des technologies énergétiques économiques et rationnelles et l’utilisation des énergies renouvelables.

L'OFEN soutient des projets pilotes, de démonstration et des projets phares à hauteur de 40% des dépenses imputables. Les requêtes peuvent être déposées à tout moment.

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