Interview Énergies renouvelables

Les communes concédantes et la stratégie énergétique

Potentiel hydraulique

04.02.2021

Les objectifs de la stratégie énergétique valaisanne sont clairs. La force hydraulique en est un élément principal, avec du potentiel de développement. Dans ce contexte, les communes concédantes entendent bien jouer un rôle de partenaires actifs et respectés. Interview avec Christoph Bürgin, président de l’Association des communes concédantes.

Bulletin : Selon vous, la force hydraulique a-t-elle encore du potentiel dans le futur ?

Christoph Bürgin : Seulement 20 à 25 % de l’énergie que nous utilisons en Suisse est produite de manière indigène. Nous sommes donc vulnérables et devons réduire notre dépendance énergétique vis-à-vis de l’étranger, et notamment vis-à-vis des énergies fossiles et du gaz naturel pour des raisons aussi bien économiques que climatiques. Les stratégies énergétique et climatique de la Confédération vont de pair.

Pour augmenter notre production indigène d’énergie renouvelable et inverser cette tendance, – il est prévu à terme de couvrir 75 à 100 % des besoins – le recours à la force hydraulique en Valais et dans certains cantons suisses, notamment dans les Grisons, est incontournable.

La force hydraulique a donc encore du potentiel ?

La Confédération et les cantons mettent en place des stratégies et des mesures pour la développer et la soutenir : contributions à l’investissement, primes de marché pour la grande hydraulique, etc. Selon l’OFEN (août 2019), le potentiel total en Suisse des nouvelles grandes centrales hydrauliques (30 projets éventuels de nouvelles installations d’une puissance supérieure à 10 MW) s’élève à environ 760 GWh par an à l’horizon 2050, dans les conditions d’utilisation légales, économiques et sociales actuelles et à quelque 1380 GWh par an dans des conditions d’utilisation optimisées.

Qu’est-ce que cela signifie pour le Valais ?

Une étude parue cet automne, signée du directeur de la production chez les Forces Motrices Valaisannes (FMV), vient de démontrer le potentiel de développement de l’hydraulique hivernale en Valais, surtout dans la vallée de Conches et dans les vallées latérales sud du canton (plus de 300 GWh) et dans d’autres régions du Valais (plus de 100 GWh).

Pourquoi l’hydroélectricité doit-elle être soutenue ?

L’hydroélectricité représente 58 à 60 % du courant suisse. Autant dire que cette énergie est incontournable pour assurer la sécurité de l’approvisionnement en Suisse et réduire notre dépendance énergétique vis-à-vis de l’étranger. Les nouvelles énergies que sont le solaire et l’éolien ne représentent, à l’heure actuelle, qu’une part infime de la production électrique suisse et sont par ailleurs volatiles, aléatoires et dépendantes des conditions météo.

Les barrages, avec leurs installations de pompage-turbinage, ont quant à eux la capacité de stocker l’eau et de l’injecter dans le réseau à tout moment. Ils permettent ainsi de réguler des réseaux électriques toujours plus complexes à gérer.

À elle seule, l’énergie hydraulique a les volumes et l’adaptabilité nécessaires pour compenser la sortie du nucléaire qui pèse 40 %.

Dans la pratique, cela veut dire ?

Le canton du Valais doit développer les aménagements existants, les optimiser, surélever certains murs de barrages pour augmenter la capacité de stockage, exploiter les nouveaux lacs glaciaires, etc. Dans sa Stratégie énergétique  2050, la Confédération veut renforcer sa production énergétique afin d’atteindre ses objectifs. Elle compte pour une bonne part sur l’hydroélectricité, qui devra livrer 45 TWh en 2050, soit les 53 % de l’ensemble des besoins.

Quel est le rôle des communes concédantes dans la stratégie valaisanne ?

Les communes concédantes sont un partenaire indispensable pour réaliser la stratégie énergétique du canton dont les buts sont de maîtriser toute la chaîne de valeurs ajoutées, de la prise d’eau à la prise électrique, et de la garder majoritairement en mains valaisannes, soit les 60 % (30 % aux communes concédantes et 30 % aux FMV). Les 40 % restants peuvent être acquis par les communes concédantes, les concessionnaires actuels ou encore d’autres partenaires.

Votre association a-t-elle son mot à dire ?

L’association des communes concédantes est un pilier des communes concédantes, propriétaires d’eaux concédées à des fins de production hydroélectrique. Il y a 82 communes concédantes membres de notre association. Elles représentent au sein de l’ensemble des communes valaisannes une force politique indéniable, et par conséquent un partenaire incontournable.

Comment vous préparez-vous au retour de concessions ?

Les communes concédantes et le canton s’appuient sur les bases légales (la nouvelle loi cantonale sur les forces hydrauliques est entrée en vigueur en 2017) et la stratégie énergétique dans le cadre de l’exercice du droit de retour. Quinze ans avant la date d’échéance, les discussions ont lieu avec toutes les parties prenantes, y compris les concessionnaires actuels. Des rapports sont établis avec l’aide d’experts dans les domaines technique, économique et juridique pour évaluer les capacités techniques de production selon l’état des aménagements et définir les montants d’indemnisation au moment de l’exercice du droit de retour et la valeur résiduelle des aménagements à la date-butoir.

Et votre objectif dans cette opération ?

Pour les communes concédantes, il s’agit de préserver leurs intérêts économiques et de décider en toute connaissance de cause des opportunités et des risques à exercer ou non, à l’échéance, le droit de retour, tout en permettant au Valais de rester maître de son énergie.

À Salanfe, certaines communes ont renoncé au retour de concession. Pourquoi ?

Les 7 communes concédantes concernées n’ont pas exercé totalement leur droit de retour, mais l’ont exercé conformément au modèle préconisé par le canton (30–30–40 %). Les 60 % du capital-actions restent donc bien entre les mains du Valais comme le demande la loi cantonale sur la force hydraulique : 30 % vont aux communes concédantes, qui entendent les vendre à des gestionnaires régionaux de distribution, et 30 % au canton, qui peut les céder aux FMV.

Les communes ont négocié avec Alpiq, l’actuel concessionnaire, le renouvellement de la concession pour 80 ans, en contrepartie d’indemnités et de participations au capital-actions de Salanfe  SA. Alpiq devra réduire sa participation à 40 %.

Qu’est-ce qui a bien pu motiver ce choix ?

Les communes ont privilégié ce choix de modèle, probablement pour les raisons suivantes : économiques, avec des recettes en 3 tranches et la rente de ressources ; sécuritaires, en bénéficiant sur le long terme de l’expérience et du savoir-faire d’Alpiq qui connaît parfaitement l’aménagement et a intérêt à l’entretenir ; stratégiques, pour avoir la maîtrise de leur eau et valoriser au mieux leur énergie avec des partenaires reconnus.

Le Valais, une terre d’énergies à promouvoir ?

Le Valais est incontestablement une terre d’énergies, une terre ensoleillée. Nous avons en Valais un potentiel de développement de l’énergie solaire, à exploiter dans le cadre du tournant énergétique et comme complément à l’hydraulique, particulièrement à la fin de l’hiver, lorsque les lacs d’accumulation sont au plus bas. Les privés ont vu leur intérêt également à produire eux-mêmes leur énergie. Et il y a un potentiel avec les panneaux solaires à installer sur les toits et les façades des grandes entreprises et industries. Le Valais doit se montrer plus proactif et offensif pour exploiter cette ressource. Les producteurs d’énergie valaisans, le canton et les communes ont un rôle moteur à jouer. Ils doivent montrer l’exemple sur leurs propres bâtiments et installations. Il faut poursuivre la communication dans ce domaine, convaincre des investisseurs, faire appel à des professionnels, etc. Quant à l’énergie éolienne, les installations de ce type ne sont pour l’instant pas bien acceptées par la population ni par les cercles de protection du paysage et de l’environnement.

Et la biodiversité, est-elle incompatible avec la sécurité d’approvisionnement ?

Une base légale doit être définie dans le plan directeur cantonal indiquant les zones destinées à la force hydraulique afin de permettre une pesée d’intérêts entre les mesures à prendre pour garantir la sécurité d’approvisionnement et celles pour préserver l’environnement.

Les positions étant souvent irréconciliables au sujet notamment des surélévations de murs de barrages et des débits résiduels dans les rivières et les torrents, il serait pertinent de s’entendre légalement sur la notion d’intérêt national ou d’importance nationale pour ne pas mettre en danger la Stratégie énergétique 2050 avec des pertes significatives de production.

Auteure
Valérie Bourdin

est rédactrice AES.

  • AES,
    1003 Lausanne

Biographie

Ancien président de la commune de Zermatt, Christoph Bürgin a repris la présidence de l’Association des communes concédantes du Valais en été  2020.

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