Article IT pour EAE , Réseaux énergétiques , Stockage d’énergie

Les bons modèles pour les bonnes décisions

Modélisation de batteries pour optimiser les choix d’investissement

23.04.2019

Les batteries joueront un rôle primordial dans les futurs réseaux électriques. Évaluer des investissements est cependant complexe, et ce, en raison des questions relatives aux performances et à la dégradation des batteries en conditions réelles. Choisir la bonne modélisation est donc essentiel pour prendre les bonnes décisions.

Ces dernières années, en Europe, l’utilisation de sources d’énergie renouvelables telles que le photovoltaïque ou l’éolien a fortement augmenté. Or, la génération fluctuante et la priorité d’injection dans le réseau entraînent une réduction de l’inertie du système électrique et rendent plus difficile l’équilibrage en temps réel entre production et consommation.

L’aptitude des systèmes de stockage à batteries (ci-après simplifiés en «batteries») à fournir une puissance élevée par rapport à leur capacité énergétique ainsi que leur rapidité de réponse rendent ces systèmes à même de procurer différents services au réseau électrique. En particulier, ils constituent de bons candidats lorsqu’il s’agit de fournir une réserve de contrôle primaire (régulation de fréquence).

Ce service est utilisé pour maintenir le bilan de puissance du réseau grâce au contrôle permanent de la fréquence. Les fournisseurs de ce service doivent s’engager sur une puissance de réserve prédéfinie. S’ils ne sont momentanément pas capables de fournir cette puissance, ils s’exposent à des pénalités importantes en raison de l’impact sur la stabilité du système dans son ensemble. Sur ce point, la continuité de service d’un système de batteries est affectée par la capacité disponible dans les batteries. Cette capacité dépend de la taille et de la technologie utilisée, mais aussi des conditions d’utilisation. De plus, les batteries réelles ont un rendement interne inférieur à 100% et sont soumises à une dégradation continue.

Grâce à ses installations de recherche (figure 1) situées à Neuchâtel et à Bienne1), exploitées conjointement avec la BFH, le CSEM effectue des recherches sur la caractérisation et la modélisation des performances et de la dégradation de diverses technologies de stockage électrochimique. L’accent est mis principalement sur les différentes chimies à base de lithium: les technologies qui dominent actuellement le marché (LCO, NCO, NCA, NMC, LFP, LTO), mais également les solutions innovantes telles que les technologies lithium-silicium, lithium-soufre et les futures cellules à l’état solide. L’une des applications des résultats de ces recherches réside dans l’utilisation de modèles pour optimiser le choix et le dimensionnement des systèmes de batteries pour des applications réelles telles que la fourniture de puissance de réglage primaire.

Quelles sont les classes de modèles disponibles?

Les modèles de batterie cherchent à décrire, en fonction des conditions de fonctionnement, deux variables principales: l’énergie disponible à chaque instant (état de charge ou SoC) et l’évolution de la capacité au cours du temps (état de santé ou SoH). Divers types de modèles ont été développés pour reproduire le comportement des batteries avec différents degrés de complexité dans le calcul et la définition des paramètres. Il est possible de définir quatre catégories générales de modèles de batterie:

Les modèles empiriques utilisent les informations disponibles sur les fiches techniques fournies par les fabricants de batteries pour créer une représentation extrêmement simplifiée. Par exemple, ils estiment le SoH simplement en comptant les cycles de charge et décharge effectués et en interpolant les valeurs de dégradation déclarées par le fabricant.

Les modèles analytiques utilisent des équations pour quantifier l’influence des différents facteurs externes sur la performance et la dégradation des batteries. Les plus avancés intègrent notamment les effets combinés de plusieurs facteurs. Les modèles analytiques sont normalement basés sur des données réelles mesurées ou sur des données de la littérature. Par exemple, la dégradation est modélisée en tenant compte de différents facteurs de stress. Les processus électrochimiques ne sont cependant pas décrits explicitement.

Dans ce domaine, le CSEM a réalisé de nombreuses études et expérimentations pour rendre les modèles analytiques aussi fiables que possible. À ce jour, le modèle est basé sur des courbes de capacité précises qui, par exemple, établissent le rendement attendu en fonction des amplitudes de courants (figure 2a). [1, 2] De cette façon, il est possible de mieux suivre l’évolution du SoC. En ce qui concerne le SoH, plusieurs campagnes d’essais de vieillissement ont été lancées afin d’établir une relation entre la décroissance de la capacité (diminution du SoH au fil du temps) et différents facteurs de stress (courants et profondeurs de décharge) (figure 2b). [3]

Les modèles électriques utilisent un circuit équivalent pour représenter la dynamique de la batterie. Ces modèles sont divisés en deux familles: les modèles actifs et les modèles passifs selon que la tension de circuit ouvert est estimée via des éléments de circuit actifs ou passifs. Ensuite, ils peuvent être représentés dans le domaine temporel ou fréquentiel.

Dans ce domaine, le CSEM a développé un nouveau modèle pour les batteries lithium-ion, qui prend en compte l’aspect non linéaire en fonction du SoC de la réponse dynamique de la batterie. [4] Le modèle est composé de blocs d’impédance connectés en série dont les paramètres sont dérivés des mesures de spectroscopie d’impédance électrochimique (EIS, figure 2c) et de tension de circuit ouvert. La force du modèle repose sur le fait que chaque bloc est dérivé d’une équation électrochimique spécifique liée au fonctionnement de la batterie. Les variables du modèle ont donc un sens physique et donnent des informations utiles sur l’état de la batterie. Par exemple, il est possible d’identifier si des changements viennent de l’électrolyte ou des électrodes. La validation dans le domaine temporel sur une cellule Li-ion commerciale montre une grande précision du modèle pour estimer la tension, le rendement, la densité de puissance et la densité d’énergie (erreur inférieure à 1% à température ambiante pour les SoC entre 20% et 80% et pour toutes les valeurs de courant autorisées par le fabricant).

Les modèles électrochimiques ont un très haut niveau de précision, mais sont difficiles à développer. Ils utilisent un ensemble d’équations différentielles pour décrire les processus électrochimiques ayant lieu dans une batterie. Ces modèles sont détaillés et utiles pour faciliter la conception des cellules de batterie.

Dans ce domaine, le CSEM est en train de valider une méthode pour paramétrer d’une façon assez simple le modèle dit à «particule unique» (Single Particle Model). [5] La méthode, développée sur des cellules LTO dans le cadre d’une thèse à l’EPFL, a déjà été testée avec succès sur des cellules NCO (erreur inférieure à 1% pour des SoC entre 30% et 100%). L’attractivité de cette méthode consiste dans le fait qu’elle s’appuie sur des tests simples (test de circuit ouvert, pulses de courant) et ne nécessite ni méthodes destructives, ni équipements avancés pour obtenir un aperçu approfondi du fonctionnement des cellules au lithium.

Dimensionnement optimal du système de stockage

Le CSEM, de concert avec le Politecnico di Milano, a évalué l’impact de l’utilisation de différents modèles de batterie sur la fiabilité prédite d’un système de batteries conçu pour fournir de l’énergie de réglage primaire (Primary Control Reserve, PCR). [6-8]

L’outil développé pour la simulation (implémenté dans Matlab Simulink) repose sur:

  • un contrôleur qui prend en entrée les fréquences mesurées et génère une consigne de puissance pour le système de batteries;
  • un modèle simple d’onduleur basé sur sa courbe de rendement;
  • 
un modèle de batterie qui peut être choisi parmi un modèle empirique conventionnel, un modèle analytique développé au CSEM et un modèle électrique également développé au CSEM.

 

Des configurations de tailles différentes du système de batteries ont été simulées et leurs performances ont été mesurées sur la base de leur disponibilité dans la fourniture du service (point de vue technique) et de leur valeur actuelle nette (VAN, point de vue économique) afin d’évaluer l’investissement sur une période définie. L’analyse économique prend en compte différents facteurs de coût: l’investissement initial proportionnel au coût spécifique de la batterie, les coûts de remplacement (en tenant compte de la réduction prévue du coût de la batterie à l’avenir), la valeur résiduelle à la fin de la période d’investissement, les revenus annuels provenant de la fourniture du service et, finalement, les pénalités financières lorsque la batterie ne peut pas fournir le service requis.

La simulation montre que le choix du modèle de batteries a une incidence importante sur l’estimation de la disponibilité. Les différences peuvent atteindre 20%. En effet, le modèle empirique ne reproduit pas l’influence des courants de charge et de décharge plus élevés sur les performances du système de batteries. Le modèle électrique est au contraire capable de capter ces courants et d’évaluer l’impact des excursions de tension sur la fiabilité globale. Enfin, le modèle analytique est plus précis que le modèle empirique mais reste moins précis que le modèle électrique.

Les résultats économiques confirment aussi que l’approche de modélisation adoptée a une grande influence sur les calculs de la VAN. Ceci est particulièrement vrai lorsque les coûts de pénalisation prennent des valeurs élevées. Dans ce scénario, la rentabilité est atteinte (VAN > 0) pour une gamme limitée de tailles de systèmes de batteries; cette gamme rétrécit quand la précision du modèle augmente (figure 3). De plus, lorsqu’une modélisation correcte est utilisée, la VAN attendue est moins élevée et la dimension optimale de la batterie est plus grande que les valeurs obtenues avec un modèle empirique. En effet, le modèle électrique capture les limites réelles de performance qui, à taille fixée, se traduisent par des coûts de pénalité plus élevés, et qui doivent être compensées par l’installation d’une batterie plus grande avec des coûts d’installation plus élevés.

Compte tenu des résultats présentés, le CSEM encourage vivement, pour évaluer des investissements, l’utilisation de modèles de batterie capturant les dynamiques pertinentes pour l’application envisagée. L’utilisation d’un modèle trop simplifié pourrait conduire à des installations sous-dimensionnées. Cela affecterait non seulement le temps de retour sur investissement, mais également la fiabilité du service fourni, ce qui nuirait à la stabilité de l’ensemble du réseau électrique sur lequel nous comptons tous.

Références

[1] C. Brivio, V. Musolino, P.-J. Alet, M. Merlo, A. Hutter, C. Ballif, «Application-independent protocol for predicting the efficiency of lithium-ion battery cells in operations», Journal of Energy Storage Vol. 15, pp. 415-422, 2018.
[2] C. Brivio, V. Musolino, P.-J. Alet, M. Merlo, A. Hutter, C. Ballif, «Analysis of lithium-ion cells performance, through novel test protocol for stationary applications», 6th International Conference on Clean Electrical Power, 27-29 June 2017.
[3] C. Brivio, «Battery energy storage systems: modelling, applications and design criteria», Doctoral Thesis, Politecnico di Milano, 2017.
[4] C. Brivio, V. Musolino, M. Merlo, C. Ballif, «A ­physically-based electrical model for lithium-ion cells», IEEE Transactions on energy conversion, September 2018.
[5] E. Namor, D. Torregrossa, R. Cherkaoui, M. Paolone, «Parameter identification of a lithium-ion cell single-particle model through non-invasive testing», Journal of Energy Storage 12, pp. 138-148, 2017.
[6] P. Iurilli, C. Brivio, M. Merlo, «SoC management in Battery Energy Storage Systems providing Primary Control Reserve», Sustainable Energy, Grids and Networks, (under review).
[7] P. Iurilli, «Modelling and analysis of battery energy storage systems for primary control reserve provision», Master Thesis, Politecnico di Milano, 2017.
[8] C. Brivio, S. Mandelli, M. Merlo, «Battery energy storage system for primary control reserve and energy arbitrage», Sustainable Energy, Grids and Networks Vol. 6,pp. 152-165, June 2016.

Note

1) Energy Research Storage Center

 

Auteur
Claudio Brivio

est ingénieur R&D au CSEM.

  • CSEM SA,
    2002 Neuchâtel
Auteur
Pietro Iurilli

est doctorant au CSEM.

  • CSEM SA,
    2002 Neuchâtel
Auteur
Emil Namor

est postdoc au CSEM.

  • CSEM SA,
    2002 Neuchâtel
Auteur
Pierre-Jean Alet

est responsable du groupe Digital Energy Solutions du CSEM.

  • CSEM SA
    2002 Neuchâtel
Auteur
Dr. Andreas Hutter

est Group Leader Energy Systems au CSEM.

  • CSEM SA
    2000 Neuchâtel

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