Article Énergies renouvelables

L’eau potable, source d’énergie

Développement de nouvelles technologies pour l’exploitation du potentiel des infrastructures existantes

17.01.2017

En 2011, l’Office fédéral de l’énergie a estimé le potentiel hydroélectrique latent des réseaux d’eau potable à 60 GWh/an. Pour exploiter une partie de ce potentiel, en particulier les sites de petites puissances, de nouvelles technologies doivent être utilisées.

Dans le contexte de la Stratégie énergétique suisse 2050 visant à sortir du nucléaire, le potentiel des petites centrales hydroé-lectriques, d’une puissance moyenne inférieure à 10 MW, a été estimé en 2012 à 1,6 TWh. [1] Exploiter ce potentiel est une priorité, en particulier sur les infrastructures existantes telles que les réseaux d’eau potable. En 2011, l’Office fédéral de l’énergie a de fait estimé un potentiel inexploité annuel sur les réseaux d’eau potable d’environ 60 GWh, ce qui équivaut à la consommation électrique de 20'000 ménages. [2]

Un inventaire des réseaux d’eau potable de la Suisse comptait, en 1994, plusieurs centaines de sites hydroélectriques disposant d’un potentiel de puissance installée supérieure à 10 kW. [3] Une grande partie de ces sites se situent dans les régions montagneuses. En effet, la différence d’altitude entre les réservoirs d’eau potable et les consommateurs représente une énergie potentielle exploitable pour produire de l’électricité. [4-6] En général cette énergie est dissipée par des réducteurs de pression permettant de maintenir le niveau de pression aval à une valeur constante, quel que soit le débit, et ainsi de fournir en eau les habitations à une pression admissible.

Chaque site potentiel possède des caractéristiques propres (hauteur de chute, débit, variabilité des débits, etc.) qui impliquent l’usage préférentiel de la technologie la mieux adaptée. Parmi les différentes technologies conventionnelles disponibles pour récupérer l’énergie dissipée dans les réseaux d’approvisionnement en eau potable, la turbine Pelton est la solution technique la plus courante. Pour les sites avec un potentiel hydraulique de plus petite puissance, l’utilisation d’autres technologies peut se révéler intéressante et rentable. Citons par exemple la possibilité d’utiliser une turbine axiale avec des roues contre-rotatives à plusieurs étages [7-8], une turbine axiale simple [5] ou encore une pompe standard disponible sur le marché fonctionnant alors en mode turbine (PAT) [9-10].

Site pilote

Afin d’évaluer les performances des technologies alternatives permettant de récupérer l’énergie des réseaux d’eau potable de puissance inférieure à 50 kW, un site pilote (figure 1) a été identifié sur la commune de Savièse, en Valais. Une des chambres coupe-­pression située au-dessus du village de Saint-Germain a été choisie en raison de sa taille suffisante, d’une alimentation électrique existante, de son accessibilité aisée ainsi que d’une première estimation de son potentiel hydraulique. Cette chambre est équipée d’un réducteur de pression positionné entre deux réservoirs d’eau potable; le réservoir du haut est alimenté via une turbine Pelton (centrale de Binii) et le réservoir du bas alimente en eau les consommateurs des villages de Roumaz et d’Ormône. Le réducteur de pression garantit une pression en aval constante d’environ 7 bars à la sortie de la chambre coupe-pression, et ce, également quand le système est statique, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a pas de débit dans le réseau d’eau.

Dans le cadre d’un projet de recherche financé par la fondation The Ark, le site pilote a été instrumenté en juillet 2013 avec un débitmètre et deux capteurs de pression en amont et en aval du réducteur de pression. Les caractéristiques du site pilote ont ainsi pu être mesurées et monitorées à distance (figure 2). Le site présente une chute brute de 225 m pour un débit variant entre 0 et 90 m3/h. En utilisant la plage de débits mesurés le plus fréquemment sur le site, le potentiel maximum de production électrique a été estimé à environ 80 MWh/an.

Pompe inversée

Afin d’avoir une référence de la production hydroélectrique envisageable sur le site pilote avec les technologies disponibles sur le marché, le dimensionnement d’une machine hydraulique adaptée a été réalisé. Au vu des caractéristiques hydrauliques mesurées à Savièse, le choix s’est porté sur une pompe inversée (PAT). Le principe de la PAT consiste à installer une pompe standard et de la faire fonctionner en mode turbine (sens de l’écoulement et sens de rotation inversés). Cette technologie a l’avantage d’être meilleur marché que les systèmes de turbinage conventionnels.

Ces technologies ont été développées pour fonctionner en tant que pompe et leurs caractéristiques sont fournies dans ce mode de fonctionnement. Selon les études précédentes [11], il est possible de déduire approximativement leur caractéristique en mode turbine. C’est sur cette base que la pompe centrifuge à 5 étages à flux radial de 11 kW Ebara EVMG32 5-OF5/11 à vitesse variable a été sélectionnée. Elle est associée à une génératrice synchrone à aimants permanents Leroy-Sommer LSRPM 132 M, d’une puissance nominale de 15,8 kW. Idéalement cette technologie doit être installée sur un site où le débit et la pression restent quasi constants, ce qui n’est pas le cas du site pilote où une grande variabilité du débit a été observée. Une solution pour adapter au mieux le fonctionnement de la PAT consiste à la faire fonctionner à vitesse variable. La génératrice est alors régulée par un convertisseur de fréquence capable de maintenir une valeur de vitesse de rotation souhaitée constante grâce à un encodeur incrémental positionné dans la génératrice.

Afin que la PAT puisse fonctionner convenablement et en toute sécurité sur le réseau d’eau potable en cas de coup de béliers ou d’emballement, le montage suivant a été étudié: le réducteur de pression existant dans la chambre coupe-pression est installé sur un by-pass, en parallèle de la pompe inversée. Le réducteur de pression permet ainsi d’assurer l’alimentation en eau potable des consommateurs en cas de dysfonctionnement de la machine. Une vanne de régulation est placée en aval de la PAT afin de réguler le débit à la sortie de cette dernière et de limiter la pression en aval. En effet, dans le cas où la chute disponible est plus élevée que celle pouvant être récupérée par la PAT, la vanne de régulation assure sa dissipation pour garantir la stabilité de la pression. De ce fait, elle préserve la sécurité du réseau d’eau potable quelles que soient les conditions de fonctionnement de la turbine. Finalement, des vannes manuelles sont installées pour isoler les différentes parties du circuit lors de la maintenance.

En fonctionnement, le débit du réseau est réparti soit entièrement dans le by-pass lorsque le débit est inférieur au débit minimum admissible pour la PAT, soit entièrement dans la PAT lorsque le débit est compris dans sa plage de fonctionnement, soit entre la PAT et le by-pass dans la situation où le débit total dépasse le débit maximal admissible par la PAT.

Mesures de performances en laboratoire

Afin de connaître avec précision les performances et la caractéristique de la PAT en mode turbine, la machine sélectionnée a été implantée sur le banc d’essai de la HES-SO Valais/Wallis (figure 3) avant d’être installée sur le site pilote. Ce banc d’essai universel permet d’évaluer, avec un débit maximal de 100 m3/h et une chute maximale de 160 mCE, les performances hydrauliques des turbomachines de petite puissance. Sa configuration, l’instrumentation et l’exploitation répondent aux recommandations standards sur les essais de modèles hydrauliques CEI 60193. [12]

Pour simuler la configuration hydraulique du site pilote, trois pompes de recirculation fournissent le débit et la pression disponible aux bornes de la machine alors qu’un réservoir pressurisable permet de fixer le niveau d’implantation de la machine. La PAT a donc été testée dans une configuration hydraulique similaire à celle du site pilote.

Les performances de la PAT ont été mesurées sur toute la plage de fonctionnement en mode turbine et en mode pompe. Le débit passant dans la machine testée est fixé en régulant les trois pompes de recirculation, tandis que la vitesse de rotation de la PAT est variée. Les plages admissibles de débit et de vitesse de rotation de la machine sont ainsi balayées, tandis que la chute H disponible aux bornes de la PAT et la puissance électrique produite sont mesurées. Le rendement de la PAT est ainsi obtenu pour toute la plage de fonctionnement ainsi que la caractéristique H-Q à comparer avec la caractéristique hydraulique du site pilote. Ces mesures ont été effectuées de manière statique point par point mais aussi de manière dynamique dans le cadre d’un projet de recherche du Fonds national suisse [12]. Grâce aux différentes méthodes de mesures, le graphique de la caractéristique du circuit et de la PAT H-Q (figure 4a) ainsi que la surface optimale de rendement en fonction de débit-vitesse (figure 4b) ont été déterminés.

Installation

Une fois les mesures finalisées sur le banc de test, la PAT a été installée sur le site pilote à Savièse (figure 5). Le débit fortement variable nécessite d’adapter la vitesse de rotation de la pompe inversée en permanence. Le contrôle-commande comprend donc un régulateur MPPT (Maximum Power Point Tracking), un dispositif permettant de suivre le point de puissance maximale du générateur électrique en observant la variation de puissance par rapport à une variation de vitesse de rotation. Le contrôle-commande comprend également un système de surveillance et d’alarme. Une interface web permet en outre de visualiser le fonctionnement de la PAT et ses paramètres en temps réel.

Depuis la mise en service de la PAT au début de l’été 2016, plusieurs tests de fonctionnement ont été réalisés jusqu’en automne 2016. Actuellement, le système est au début de sa phase de production d’énergie.

Perspectives

En dehors de la vitesse variable de la génératrice, les PAT n’ont pas d’organes de réglages supplémentaires, tels qu’un distributeur à aubes réglables comme c’est le cas pour les turbines Francis. De ce fait, elles n’ont pas la possibilité de s’adapter entièrement aux fortes variations de débit pouvant être observées sur certains réseaux d’eau potable. Cela implique que la plage de fonctionnement d’une PAT présentant un bon rendement est restreinte.

Dans l’optique d’avoir une turbine pouvant mieux s’adapter à un réseau d’eau potable avec de fortes variations de débit, une nouvelle microturbine axiale avec des roues contre-rotatives est en cours de développement dans le cadre du projet Duo Turbo, mené par la HES-SO Valais/Wallis et réalisé en collaboration avec l’EPFL-LMH et trois partenaires industriels. Actuellement le projet se concentre sur la troisième génération de cette microturbine conçue et construite en intégrant des génératrices à aimants permanents faites sur mesure; les stators sont positionnés autour des rotors construits avec des aimants permanents solidaires avec la ceinture de la roue hydraulique. Ce prototype d’une puissance de 5 kW forme une unité autonome compacte avec possibilité d’empiler plusieurs étages en série afin de récupérer un maximum d’énergie. [13] Le développement du prototype de la microturbine DuoTurbo est effectué en vue d’une fabrication industrielle. L’installation en 2017 d’un premier prototype sur le site pilote à Savièse permettra de comparer les performances des deux technologies. De plus, au-delà des aspects d’efficacité, de fonctionnalité et de durée de vie, l’installation sur sites de microturbines DuoTurbo à plusieurs étages permettrait d’assurer une exploitation rentable des sites avec une puissance hydraulique disponible de 5 à 25 kW.

Références

[1] Le potentiel hydroélectrique de la Suisse. OFEN, 2012.
[2] L’eau et l’énergie – Fiche d’information. Eawag, das Wasserforschungs-Institut des ETH-Bereichs, Suisse, Octobre 2011.
[3] M. Hintermann: L’eau potable génératrice d’électricité: Inventaire et étude du potentiel des usines électriques sur l’alimentation en eau potable en Suisse. OFEN DIANE 10, 1994.
[4] C. Münch-Alligné, F. Avellan: Exploitation du potentiel de la petite hydraulique: Situation actuelle et exemple de développement. Bulletin SEV/VSE 2/2013, pp. 41-45, 2013.
[5] I. Samora , V. Hasmatuchi, C. Münch-Alligné, M.J. Franca, A.J Schleiss, H.M. Ramosa: Experimental characterization of a five blade tubular propeller turbine for pipe inline installation. Renewable Energy 95, pp. 356-366, 2016.
[6] L. Andolfatto, E. Vagnoni, V. Hasmatuchi, C. Münch-­Alligné, F. Avellan: Simulation of energy recovery on water utility networks by a micro-turbine with counter-rotating runners. Proceedings of the 28th IAHR Symposium on Hydraulic Machinery and Systems, Grenoble, France, July 4-8, pp. 1701-1710, 2016.
[7] T.K. Nielsen, J. Røyrvik, J. Ramdal, O.G. Dahlhaug: Propeller Turbine with Two Contra-Rotating Impellers and Built in Generators. Proceedings of the 23rd Symposium on Hydraulic Machinery and Systems, Yokohama, Japan, October 17- 21, 2006.
[8] C. Münch-Alligné, S. Richard, B. Meier, V. Hasmatuchi, F. Avellan: Numerical simulations of a counter rotating micro turbine. Advances in Hydroinformatics, P. Gourbesville et al. (Eds.), Springer Hydrogeology, pp. 363-373, 2014.
[9] J.M. Chapallaz: Pompe fonctionnant en turbine avec réglage du débit. Rapport OFEN, 2007.
[10] B. Orchard, S. Klos: Pumps as turbines for water industry. World Pumps, 2009(8), pp. 22-23, 2009.
[11] J.M. Chapallaz, P. Eichenberger and G. Fischer: Manual on Pumps used as Turbines. Vieweg, Braunschweig, 1992.
[12] V. Hasmatuchi, A. Bosioc, C. Münch-Alligné: On the Dynamic Measurement of Hydraulic Characterisics. Proceedings of the 28th IAHR Symposium on Hydraulic Machinery and Systems, Grenoble, France, July 4-8, 2016.
[13] D. Biner, V. Hasmatuchi, D. Violante, S. Richard, S. Chevailler, L. Andolfatto, F. Avellan, C. Münch: Engineering & Performance of DuoTurbo: Microturbine with Counter-Rotating Runners. Proceedings of the 28th IAHR Symposium on Hydraulic Machinery and Systems, Grenoble, France, July 4-8, pp. 1711-1720, 2016.

Les auteurs souhaitent remercier le Laboratoire de machines hydrauliques de l’EPFL et Cimark pour leur collaboration dans le cadre de ce projet, la fondation The Ark pour son financement ainsi que la commune de Savièse pour son support et son soutien. Ces recherches sont menées dans le cadre du centre de compétence pour la recherche énergétique pour l’approvisionnement en électricité SCCER SoE.

Auteure
Shadya Martignoni

est assistante scientifique dans le groupe Hydroélectricité de la HES-SO Valais/Wallis

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion
Auteur
Sébastien Luisier

est assistant scientifique à temps partiel dans le groupe Hydroélectricité de la HES-SO Valais//Wallis et étudiant en Master HES-SO, filière «Production & Manufacturing».

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion
Auteur
Dr Vlad Hasmatuchi

est adjoint scientifique au sein du groupe Hydroélectricité de
la HES-SO Valais.

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion
Auteure
Prof. Dr Cécile Münch

est professeure en énergie hydraulique à la HES-SO Valais et coordonne l’Hydro Alps Lab.

  • HES-SO Valais/Wallis
    1950 Sion

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