Le stockage de chaleur intersaisonnier
Un levier pour la qualité de vie et la baisse des émissions
Le stockage de chaleur intersaisonnier consiste à emmagasiner de la chaleur en été pour la restituer en hiver, et/ou du «froid» en hiver pour l’exploiter en été. Pour ce faire, des technologies matures existent, via un stockage dans le sous-sol ou en subsurface. Encore peu répandues, elles suscitent un intérêt croissant dans le monde.
En Suisse, dans une bonne partie de l’Europe et dans nombre de régions du monde, une bonne qualité de vie dans les bâtiments exige non seulement de pouvoir avoir recours à un chauffage, mais aussi de plus en plus à une climatisation en raison du changement climatique. Le stockage intersaisonnier d’énergie thermique, souvent appelé STES (Seasonal Thermal Energy Storage), permet de couvrir ces besoins tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, les coûts ainsi que la consommation d’énergie par rapport à l’utilisation de solutions de type chaudière à gaz ou climatisation air-air.
Le fonctionnement des systèmes de cette famille technologique peut être résumé en trois étapes: la charge, le stockage et l’utilisation (figure 1). Au cours de la phase de charge, de l’énergie issue de sources de chaleur, positive ou négative, mais généralement bas carbone, est captée: il peut s’agir, en été, de la chaleur soutirée à un bâtiment pour le rafraîchir. Cette chaleur est alors transférée vers un milieu permettant de la stocker: sol, eau, roche, éventuellement matériau à changement de phase. Enfin, plusieurs mois plus tard, cette chaleur est récupérée pour répondre à un besoin, que ce soit en matière de chauffage, d’eau chaude sanitaire, de rafraîchissement ou de climatisation. Ce fonctionnement peut, en général, être inversé entre l’été et l’hiver, de sorte à couvrir aussi bien les besoins en termes de chaleur que de froid.
Les divers types de STES
Il existe trois principaux types de stockage d’énergie thermique intersaisonnier. Le premier, le stockage en aquifère (ATES, Aquifer Thermal Energy Storage), est un système ouvert dans lequel l’eau sert de vecteur de chaleur et de stockage. Celle-ci est prélevée dans une nappe souterraine, à une profondeur de quelques dizaines, voire quelques centaines de mètres, via un puits d’injection. Elle traverse ensuite un échangeur thermique pour fournir la chaleur ou le «froid» nécessaire au bâtiment, puis retourne dans la nappe souterraine par le biais d’un puits d’injection. En été, le système fonctionne dans un sens, créant une «bulle» chaude en rafraîchissant le bâtiment; en hiver, il fonctionne dans l’autre sens, créant ainsi une «bulle» froide.
Aux Pays-Bas, pays pionnier dans ce domaine, les aquifères à quelques dizaines de mètres de profondeur sont à une température naturelle de l’ordre de 12°C; la bulle froide peut avoir une température comprise entre 5 et 10°C, et la chaude une température se situant entre 15 et 25°C, ces températures variant entre le début et la fin d’une saison. L’adaptation aux températures désirées, au moins en hiver, peut nécessiter d’avoir recours à une pompe à chaleur (PAC), typiquement d’une puissance de quelque 50 kW à 4 MW.
Pour ce type de STES, il faut disposer d’un aquifère adapté (sans circulation) ainsi que d’une certaine distance entre les deux puits pour que les «bulles» chaude et froide ne se mélangent pas. Les risques environnementaux nécessitent en outre une règlementation stricte. Ainsi, en France, les températures sont limitées à 32°C: on parle de basse température (LT-ATES, Low Temperature-ATES). Des technologies à plus haute température (proche de 100°C) et à plus grande profondeur (800 à 1000 m) se développent aussi. Tout comme les solutions géothermiques classiques, ces systèmes ne rejettent pas de chaleur ou de froid dans l’atmosphère.
Le stockage dans le sol (BTES, Borehole Thermal Energy Storage) diffère de l’ATES essentiellement en deux points: le milieu de stockage et le fait qu’il s’agisse d’un système fermé. Dans ce type de stockage, on fait circuler de l’eau généralement glycolée dans des sondes géothermiques verticales, voire obliques, pour chauffer ou refroidir le terrain – sol ou roche – autour des sondes. Le BTES ne nécessite pas d’aquifère, ce qui en facilite l’implantation. Les sondes atteignent habituellement des profondeurs de 10 à 200 m. Les températures chaudes peuvent être plus élevées que pour les ATES, mais restent généralement limitées à 40°C à ces profondeurs. Les rendements des ATES et des BTES varient entre 40 et 70%, en fonction de la conception et des conditions géologiques. Les systèmes équilibrés avec une recharge active (voir plus bas) affichent de meilleurs rendements que les autres.
Enfin, le stockage en réservoir d’eau semi-enterré ou isolé (PTES, Pit Thermal Energy Storage) ne nécessite pas de forage, mais le creusement d’une fosse remplie d’eau, dont le fond est revêtu d’un «liner» assurant l’imperméabilité, souvent couverte d’un dôme flottant isolant. La température peut dépasser 80°C, et la stratification est plus contrôlable que dans les ATES et les BTES. Cette solution ne nécessite pas de géologie particulière; en revanche, elle a une emprise au sol significative (figure de titre). Ainsi, pour un volume de 100'000 m3 et une profondeur de 10 m, il faut disposer d’un hectare de terrain. Les PTES sont dédiés aux réseaux de chaleur et peuvent avoir un rendement qui dépasse les 80%.
Trois exemples pour illustrer la diversité des possibilités
Le déploiement de l’ATES de l’Université technique d’Eindhoven, aux Pays-Bas, a débuté en 2002. En 2023, celui-ci a fourni 11,3 GWh de rafraîchissement et 10,1 GWh de chaleur à 20 bâtiments du campus. Les 16 puits chauds et les 16 puits froids, de 700 mm de diamètre et d’une longueur moyenne de 50 m, interagissent avec une nappe située entre 28 et 80 m de profondeur, d’une température naturelle de 11,8°C. Le volume de stockage est estimé à 1,5 Mm3. Les puits alimentent deux anneaux, l’un chaud et l’autre froid, alimentant eux-mêmes chaque bâtiment. Chacun de ces derniers est connecté aux anneaux via une pompe à chaleur permettant un ajustement correspondant à ses besoins spécifiques. La rénovation et la connexion progressives d’autres bâtiments se poursuivent afin de réduire, d’ici à 2030, la consommation de gaz de 90% par rapport à l’année 2005: en 2024, cette réduction atteignait déjà 70%.
À Rueil-Malmaison, en France, un BTES mis en service en 2011 assure le chauffage, le rafraîchissement ainsi que la majorité de la production d’eau chaude sanitaire d’une résidence de 71 logements. Ce système de stockage de chaleur intersaisonnier, composé de 18 sondes verticales de 200 m et d’une PAC de 138 kW, restitue annuellement 380 MWh d’énergie pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire (ECS). Un appoint gaz permet de compléter la production d’ECS, voire d’énergie de chauffage, en cas de grand froid. Le rafraîchissement passif (géocooling) contribue à la recharge pour l’hiver. Pour la saison 2011-2012, la première année d’exploitation, le suivi a déterminé un coefficient de performance saisonnier (SCOP) de la PAC de 4,4, celle-ci couvrant 77% des besoins en chaleur.
Le PTES de Vojens, au Danemark, permet quant à lui de couvrir près de 50% des besoins de chaleur de 2300 logements (47,3%, soit 39,9 GWh, en 2024). La fosse contient 200'000 m3 d’eau dans un réservoir de 13 m de profondeur et est alimentée par 70'000 m2 de panneaux solaires thermiques d’une puissance installée totale de 49 MW (figure de titre). La température maximale dans la fosse est limitée à 80°C afin de ne pas abîmer le liner et la couverture isolante. Deux étés ont été nécessaires pour remplir la fosse et la chauffer (ainsi que le sol environnant, ce qui réduit les pertes). Le rendement thermique global du PTES en 2024 était de 72%. Son coût de construction était de l’ordre de 30 €/m3 d’eau. Le complément d’énergie thermique est fourni par un chauffe-eau électrique et trois chauffe-eau à gaz. En 2024, ceux-ci ont été utilisés pour produire respectivement 13,6% et 39,1% de la chaleur nécessaire aux logements: cette dernière a donc eu une empreinte carbone de l’ordre de 100 gCO2/kWh.
Pourquoi avoir recours à une recharge active?
Dans le cas réversible, le plus fréquent, la recharge des ATES et des BTES se fait en récupérant en été la chaleur de la climatisation et aussi de manière passive, grâce à la conduction lente dans le sol, comme c’est le cas pour les installations géothermiques classiques. Lorsque la quantité de chaleur nécessaire pour la saison froide est supérieure à celle nécessaire pour la climatisation en période chaude, comme c’est le cas en Suisse ou en France, il est intéressant d’installer une recharge active. La recharge du stockage se fait alors également via un apport supplémentaire de chaleur. Pour ce faire, il est possible d’avoir recours à des panneaux solaires thermiques, à une pompe à chaleur utilisant de l’électricité bas carbone excédentaire provenant d’une installation photovoltaïque locale ou du réseau électrique, ou encore à de la chaleur fatale industrielle, extraite d’un centre de calcul ou des eaux usées.
La recharge active des ATES et des BTES évite une lente dérive de températures au fil des années, avec ses conséquences potentielles sur la performance de l’installation ou sur la dégradation des sols. Elle améliore la performance: le SCOP de la pompe à chaleur est plus élevé, passant par exemple de 3,5 à 4 pour la géothermie sans recharge active, à 4,5 ou 5, voire plus, permettant donc une baisse de consommation d’électricité et des émissions induites. Introduire un dispositif de recharge active augmente le Capex puisqu’un équipement est ajouté, mais en même temps le Capex diminue puisque cet élément augmente l’énergie stockée et l’amplitude des températures, permettant ainsi de réduire la longueur des forages nécessaires: l’optimisation est donc à réaliser au cas par cas.
Cela étant, la recharge active complexifie le système. De manière générale, un STES exige bien plus de compétences pour sa conception, son installation et une gestion optimale de son fonctionnement qu’une chaudière à gaz ou une simple climatisation air-air. Les logiciels d’optimisation du fonctionnement s’appuient sur les caractéristiques du bâtiment et les habitudes de ses usagers, sur les caractéristiques du STES lui-même ainsi que sur des valeurs météorologiques locales. Ils allient simulation et apprentissage.
Les PTES sont eux aussi concernés par la recharge active, indispensable pour atteindre des performances suffisantes.
Enfin, il faut noter qu’avec un SCOP de 4 ou 5, malgré les pertes thermiques, le stockage via un STES de l’électricité produite par le biais d’énergies renouvelables est économiquement intéressant par rapport à d’autres moyens de stockage, tels que l’hydrogène, par exemple. Les STES peuvent donc contribuer à l’optimisation du mix énergétique.
Un déploiement encore modeste malgré le potentiel
Aux Pays-Bas, plus de 2500 ATES sont déjà en service, essentiellement pour des maisons familiales et des bâtiments résidentiels, les premiers datant de 1985; vers 2015, ce pays concentrait, avec la Suède, plus de 90% du parc mondial de STES. Depuis, un nombre croissant de pays a des STES en exploitation ou en projet pour satisfaire les besoins en chaleur, en rafraîchissement, voire en eau chaude, d’immeubles résidentiels et de bureaux, de campus, d’hôpitaux, d’aéroports, etc. – soit directement, soit via des réseaux de chaleur et de froid. C’est aussi le cas de la Suisse, notamment avec le projet de l’aéroport de Zurich. Le Danemark dispose également de nombreux PTES. Au niveau mondial, le parc de STES en 2025 est néanmoins probablement encore inférieur à 10'000 unités.
Comment libérer ce potentiel?
Au moins un type de STES est réalisable, d’un point de vue géologique, dans la majorité des lieux habités, même si la réalisation d’un ATES ou d’un BTES est plus aisée pour un réseau de chaleur ou pour un bâtiment neuf que dans l’existant. La faisabilité de systèmes indépendants en zone dense nécessite par ailleurs des limites spatiales précises pour éviter les interactions éventuelles. Enfin, un climat avec des différences de température suffisantes entre les saisons favorise l’utilisation de STES: le besoin croissant de rafraîchissement/climatisation en complément du chauffage constitue un argument supplémentaire en faveur de l’installation de tels systèmes de stockage thermique, permettant de réduire encore la consommation d’énergie et les émissions.
Alors, pourquoi y a-t-il encore si peu de tels systèmes? Les analyses montrent la nécessité d’une approche globale et cohérente. Il s’agit premièrement de développer la connaissance et la confiance en cette famille de systèmes chez les acteurs et décideurs: les citoyens, les promoteurs, les architectes, les élus locaux et nationaux, les services publics locaux et nationaux concernés. En même temps, il est nécessaire de développer des compétences, par l’enseignement et la formation, et de susciter le développement d’une industrie et de services capables d’assurer ce déploiement – des concepteurs aux foreurs, des équipementiers aux installateurs et aux exploitants. Il faut aussi assurer un cadre règlementaire explicite favorisant la mise en place de tels systèmes sans délais prohibitifs par rapport aux solutions classiques. La mise à disposition d’une base de données géologiques ainsi que d’une base de données du parc installé de STES permet de faciliter le déploiement de nouvelles installations.
La réalisation de ces conditions, créées avec le soutien des décideurs politiques en discussion avec tous les acteurs, créera un contexte économique favorable à un déploiement, et ce, sans un besoin de subventions massives comme cela a été le cas dans le secteur des renouvelables… Cette approche globale, qui a réussi notamment aux Pays-Bas pour les ATES, nécessite une politique stable et claire, mettant en mouvement toute la société – de l’enseignement, la recherche et la formation à l’industrie et aux services –, tout comme les autres outils de la transition énergétique!
Littérature complémentaire
- «Le stockage intersaisonnier de chaleur: un atout pour le climat et la souveraineté», Académie des technologies de France, 2023.
- P. Fleuchaus, B. Godschalk, I. Stober, P. Blum, «Worldwide application of aquifer thermal energy storage – A review», Renewable and Sustainable Energy Reviews, Vol. 94, p. 861-876, octobre 2018.
- B. Saunier, «Suivi d’exploitation du système de chauffage par géothermie avec stockage de chaleur dans le sous-sol», rapport de la société BSR Techologies, Les Godardes, Rueil-Malmaison, avril 2012.
- «New chapter on Long term energy storage in the Technology Catalogue», Technology brief, Danish Energy Agency, février 2025.
- R. Stemmle et al., «Policies for aquifer thermal energy storage: international comparison, barriers and recommendations», Clean Techn. Environ. Policy, Vol. 27, p. 1455-1478, 2025.
- Y. Bamberger, H. Püttgen, «L’électricité au cœur de notre futur bas-carbone: sauvegarder notre niche écologique», EPFL Press, 2021.
Commentaire