Le solaire flotte depuis quatre ans aux Toules
Résultats, retours d’expérience et perspectives
Suite à la mise en service du premier parc solaire flottant en milieu alpin sur le lac des Toules fin 2019, une production photovoltaïque supérieure d’environ 30% à celle réalisée en plaine a pu être enregistrée. Les expériences et résultats accumulés plaident en faveur d’une extension de cette technologie à d’autres lacs d’accumulation dans les Alpes.
En novembre 2019, le premier parc solaire flottant de Suisse a été mis en service sur le lac des Toules, situé à 1810 m d’altitude dans la région du Grand-Saint-Bernard, en Valais. Du fait de sa situation et de son exposition aux conditions climatiques extrêmes, il s’agit là d’une première mondiale. Composé de 1400 modules photovoltaïques (PV) bifaciaux d’une puissance nominale de 320 W, le parc produit depuis annuellement environ 636 MWh d’électricité, pour une puissance installée totale de 448 kW: le productible aux Toules (1420 kWh/kW) est ainsi supérieur d’environ 30% à celui des installations en plaine. De plus, dans le but de répondre à une exigence cantonale, 40% de la production de l’installation est réalisée durant le semestre d’hiver, au détriment de la production annuelle: les modules sont fortement inclinés, à 37°, pour bénéficier d’une meilleure exposition hivernale.
Suite à ces résultats encourageants et en se basant sur divers apprentissages, Romande Energie poursuit le développement de cette technologie novatrice. Le projet d’extension sur le lac des Toules se trouve actuellement dans une phase d’étude avancée, avec pour objectif une installation de 13,6 MW pour une production annuelle prévue de 21 GWh, dont 40% durant le semestre hivernal.
Afin de quantifier le potentiel de cette technologie en Suisse, 25 lacs d’accumulation ont été analysés, dont 11 ont été qualifiés comme offrant une situation favorable à la réalisation de telles installations. Une estimation préliminaire prévoit un potentiel de puissance nominale d’environ 400 MW, pour une production annuelle de plus de 550 GWh.
Malgré les expériences acquises et l’expertise dans la surveillance des barrages, ainsi qu’une volonté politique et un cadre économique favorable, ces installations ne sont aujourd’hui pas autorisées, en raison de l’absence de base légale concernant la sécurité des ouvrages d’accumulation.
Production du parc solaire flottant du lac des Toules
Dès 2012, une installation pilote au sol, au niveau du barrage des Toules, a servi d’installation de test afin de déterminer quelle technologie de modules retenir ainsi que leur inclinaison idéale. Il en a résulté qu’un angle de 30° représentait le meilleur compromis entre la production annuelle des panneaux bifaciaux et le déneigement naturel de leur surface. La combinaison d’une meilleure irradiation et de températures plus faibles ainsi que de l’effet d’albedo sur le sol et l’environnement enneigé durant de longs mois ont permis de mesurer un productible de près de 1800 kWh/kW. Ceci représente une production supérieure de 50% à celle des installations en plaine. Dans cette installation, les rangées de modules PV étaient espacées de 3,0 m et orientées plein sud.
La conception de la plateforme flottante a débuté en 2016. La production photovoltaïque a été simulée avec le logiciel PVsyst, en intégrant des paramètres mesurés sur l’installation au sol. Ces simulations prévoyaient un productible de 1470 kWh/kW, soit 33% supérieur à celui des installations en plaine (figure 1). Cette différence par rapport au productible mesuré avec l’installation au sol s’explique essentiellement par le choix d’un objectif de rationalisation et de densification qui a mené à la réduction des distances entre les rangées de modules à 1,94 m (−5,0%). En outre, l’installation flottante se situe 2 km plus au sud, augmentant par là même l’impact de l’ombrage lointain (−6,8%). En effet, en moyenne annuelle, l’ensoleillement dont bénéficie l’installation flottante est ainsi réduit de 40 min par jour par rapport à l’installation pilote. De plus, quand l’installation flotte, l’effet d’albedo est quasi nul, contrairement à celui dont profite l’installation au sol (−4,0%). L’inclinaison des modules en configuration flottante a aussi été augmentée à 37° afin d’atteindre une inclinaison de 32° en configuration échouée (−1,5%). Enfin, les modules de l’installation au sol étaient équipés de micro-onduleurs, ce qui n’est pas le cas de ceux de l’installation flottante (−2,5%).
Après quatre ans d’exploitation, le productible moyen annuel mesuré est de l’ordre de 1420 kWh/kW, soit 29% supérieur à celui des stations de référence en plaine et inférieur de 3,5% aux projections simulées. Cette différence s’explique par plusieurs éléments.
D’une part, bien que le déneigement naturel des surfaces des modules PV fonctionne généralement comme prévu, la période autour du solstice d’hiver manque d’ensoleillement pour qu’il puisse s’effectuer. D’autre part, l’installation est soumise à un phénomène de formation de congères qui mène à des dépôts de neige soufflée localement plus importants que la hauteur de stockage disponible sous les modules. La neige accumulée ne peut donc plus être évacuée et recouvre les modules durant plusieurs heures, voire plusieurs jours. Le cumul de ces effets représente une perte de production de 20 à 45 jours par hiver, essentiellement entre mi-décembre et fin février. En comparaison, l’installation au sol ne perd que 4 à 15 jours de production en raison de la couverture neigeuse.
Un viellissement moindre
Bénéficiant autant de la structure pilote à terre que de l’installation flottante, un suivi du vieillissement des modules PV a été mis en place. Pour ce faire, des «flash tests» – des tests permettant de déterminer les performances des modules – sont réalisés tous les trois ans. À ce jour, les résultats mettent en évidence un vieillissement moindre par rapport à celui des modules situés en plaine, et aucune dégradation spécifique à l’environnement aquatique ou alpin n’a été observée.
Au niveau de l’exploitation de l’installation photovoltaïque, hormis les défis logistiques que représente une installation flottante, aucune différence notable par rapport à une installation classique n’a pu être mise en évidence.
Enseignements structurels
La plateforme d’environ 12'000 m2 sur laquelle la structure s’échoue lorsque le lac est vidangé en hiver, est constituée de matériaux de remblai en provenance du lac (figure 2). Au point le plus haut, ce remblai mesure près de 7 m. Toutefois, en raison de la granulométrie discontinue du matériau, certains endroits ont subi des tassements pouvant atteindre 1,5 m de hauteur. En conséquence, certaines structures prévues pour reposer sur leurs quatre angles se trouvent en porte-à-faux, subissant alors une répartition des efforts différente de ce qui était attendu et répercutant dès lors une surcharge sur les structures voisines. Ceci a provoqué des déformations, et certaines fois même la ruine par flambage ou l’arrachage de soudures.
La conception du système d’ancrage, constitué de 32 éléments enfouis disposés autour de la structure, avec des lignes d’ancrage statiques, a répondu aux besoins de la plateforme. Toutefois, cette disposition nécessite une emprise au sol très importante comparée à la surface du parc flottant.
Projet d’extension sur le lac des Toules
Fort de ces apprentissages et des productions encourageantes obtenues, un projet d’extension est à l’étude sur le lac des Toules depuis 2021. Afin de pallier les complications dues aux mouvements du terrain, la structure flottante a été totalement revue. En outre, des simulations numériques détaillées ont été réalisées afin de déterminer précisément les contraintes dues au vent.
L’objectif de production hivernale – au moins 40% de la production annuelle – reste une contrainte majeure. Pour cette raison, les modules seront inclinés à plus de 40°, également dans le but de permettre une évacuation naturelle de la neige accumulée. Les espacements entre les rangées seront adaptés en conséquence. Enfin, de sorte à éviter les accumulations de neige au-dessus des modules, la hauteur au sol a été augmentée.
Le design des ancrages a aussi été modifié. Naturellement, les efforts dus au vent constituent un facteur dimensionnant, mais les contraintes telles que l’exposition aux dangers naturels ou la variation du niveau du lac sont autant de paramètres qui ont également été considérés. Finalement, l’installation projetée dispose de moins de lignes d’ancrage que la plateforme existante et, la marge d’incertitude dans l’échouage étant moindre, la surface au sol est nettement diminuée. De ce fait, la surface de production photovoltaïque peut être agrandie.
Le projet actuel prévoit une surface d’environ 20 ha, soit approximativement un tiers de la surface du lac. La variation maximale du niveau d’eau est de 60 m et des vents de près de 180 km/h sont considérés pour le dimensionnement. Il est prévu une puissance installée de 13,6 MW pour une production annuelle de 21 GWh, dont environ 8,6 GWh produits entre octobre et mars. La configuration retenue permettra d’atteindre un productible annuel de 1543 kWh/kW, soit 40% de production supplémentaire par rapport aux installations de référence en plaine. La structure flottante et ses ancrages sont conçus pour une durée de vie de 60 ans, nécessitant un remplacement des modules PV à mi-vie.
Enfin, au vu des fortes contraintes en matière de vent et de neige ainsi que de la forte inclinaison des modules PV pour favoriser la production hivernale, un projet parallèle étudie actuellement un dispositif permettant une variation autonome de l’angle d’inclinaison dans le temps. Son objectif primaire consiste à mettre l’installation en sécurité en cas de tempête afin de limiter les efforts sur les lignes d’ancrage. Mais il permettrait également d’aider au déneigement, en inclinant pour quelques minutes les modules à un angle très raide. Bien que disponible industriellement pour des centrales PV au sol, cette technologie doit être adaptée aux conditions climatiques alpines et aquatiques ainsi qu’aux exigences de sécurité.
Potentiel du solaire flottant en Suisse
En 2022, le Laboratoire d’hydraulique, d’hydrologie et de glaciologie (Versuchsanstalt für Wasserbau, Hydrologie und Glaziologie, VAW) de l’ETH Zurich a publié une étude relative au potentiel des installations photovoltaïques flottantes en Suisse. Celle-ci a conclu à un potentiel de 370 à 490 GWh/a. Deux importantes contraintes ont toutefois été considérées dans cette étude: d’une part, le réservoir ne doit pas être vidangé durant l’année – donc l’installation ne doit pas s’échouer – et, d’autre part, le point de raccordement au réseau électrique ne doit pas se situer à plus de 2 km de l’installation. Or, quasiment tous les réservoirs hydroélectriques alpins nécessitent des vidanges, que ce soit pour des questions d’exploitation courante – pour permettre un stockage saisonnier par exemple – ou pour des cas de maintenance.
Ces restrictions paraissant trop limitantes et injustifiées, Romande Energie a mené sa propre analyse de potentiel, en retenant 25 lacs d’accumulation dans les Alpes suisses. Pour ce faire, des critères comme l’ombrage lointain, la pente des berges, l’existence de zones de protection de la nature et du paysage ou de zones de dangers naturels, ont été analysés. Sur cette base, et dans l’objectif de pouvoir fournir au minimum 500 kWh/kW durant le semestre d’hiver, il est apparu que 11 réservoirs présentaient un potentiel favorable ou très favorable. Ils permettraient l’installation de 360 à 400 MW de nouvelle puissance photovoltaïque, avec une production annuelle estimée en première approche à 500 à 550 GWh/a, tout en favorisant une production hivernale.
À noter que la section Énergies renouvelables de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) a également mené une étude de potentiel, mais leurs résultats ne sont à ce jour (au moment de la rédaction de cet article) pas encore publiés.
Contexte légal
En septembre 2022, le Parlement suisse a validé la mise en vigueur d’une loi urgente, le SolarExpress, visant à installer des capacités de production photovoltaïque dans les Alpes (loi sur l’énergie LEne, art. 71a). Dans la mesure où l’installation peut être mise en service, du moins partiellement, d’ici la fin de l’année 2025 et où une production hivernale minimale peut être atteinte, celle-ci peut bénéficier d’une subvention de la Confédération. Le délai imposé pour la réalisation de telles installations est toutefois extrêmement limitant.
Dans ce contexte, Romande Energie a pu mettre en circulation préliminaire le projet d’extension prévu. Il a été accueilli favorablement par l’ensemble des services cantonaux, et les habitants de la commune de Bourg-St-Pierre l’ont accepté à l’unanimité lors de leur assemblée primaire en juin 2023. Malheureusement, l’OFEN, par le biais de sa section Surveillance des barrages, n’a pas pu rendre de préavis étant donné l’absence de base technique et légale. Ainsi, pour l’heure, l’ensemble des projets solaires flottants sur des ouvrages d’accumulation sont gelés.
Dans le but de pouvoir résoudre cette absence de directive, l’OFEN a lancé la création d’un groupe de travail dont l’objectif est de clore la rédaction de ladite directive d’ici le printemps 2026. Ensuite, le développement de ces projets novateurs pourra être repris.
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